lundi 24 septembre 2012

Montrez moi ce sein que je ne saurais voir et cachez moi l'autre ! Histoire de consultation 130.


Mademoiselle A, 29 ans, vient de passer des moments atroces. Des moments pendant lesquels elle a vu son univers s'effondrer. Je ne suis pas son psychothérapeute, seulement son médecin presque traitant (elle n'a pas encore signé bien que je la voie depuis plus d'un an de façon assez régulière), car elle a été, dit-elle, déçue par son médecin traitant précédent et qu'elle hésite à s'engager... 
L'histoire commence en août 2011 où elle est victime d'une agression à la sortie de son travail, elle est poussée dans les escaliers du métro par un de ses collègues, et, outre de multiples ecchymoses et des contusions multiples, elle présente un volumineux hématome du sein droit.
Au mois d'août 2012, elle consulte mon associée car elle retrouve plusieurs formations nodulaires à la palpation de son sein gauche traumatisé un an plus tôt. Elle convainc mon associée réticente de faire pratiquer une échographie. Puis elle revient me voir avec les résultats de cette échographie pratiquée le 18 août.
Voici le compte rendu : "A droite : ras. A gauche : Petite formation mamelonnaire paramédiane interne gauche mesurée à 12 mm de plus grand diamètre non parallèle au revêtement cutané, de contours nets mais irréguliers, et surtout associé à un cône d'ombre postérieure, classée ACR4 et pour laquelle un avis spécialisé voire une étude histologique serait souhaitable."
Voici ce que j'écris dans son dossier : "Putain de bordel de merde que la mammographie !" Je notre aussi que la palpation du sein est peu évidente (c'est à dire que je ne palpe rien) et qu'il n'y a aps d'antécédents mammaires dans la famille.
Je lui dis : Je n'y crois pas une seconde et Il faut demander un deuxième avis. Elle me répond : J'ai déjà pris rendez-vous dans un centre de radiologie à côté de mon travail.
En voiture Simone dans la grande aventure de la production d'adrénaline.
J'écris un mot pour le radiologue inconnu (elle ne connaît pas le nom du médecin avec lequel elle a pris rendez-vous) parce que mon oncologue favori, celui à qui je peux demander de relire des mammographies alarmistes, est en vacances et que ma radiologue favorite, dans le même métal que l'oncologue, profité également d'un repos probablement bien mérité.
Le radiologue consulté pratique une échographie. Voici ce qui est écrit sur le compte rendu du 27 août : 
"Motif de l'examen : Contrôle d'un module non palpable ... chez une patiente de 29 ans sans antécédent familial de pathologie mammaire...(c'est moi qui souligne)...
....
Conclusion : Nodule adénomateux mesurant 14 mm de grand axe...pour lequel une microbiopsie est programmée... Classification Bi-Rads : ACR2 à droite et ACR4 à gauche."
Mademoiselle A est pressée. Je ne lui dis pas : Une biopsie, c'est sérieux, il ne faut pas la faire n'importe où, je ne connais pas ce radiologue, je ne sais pas son expérience de biopsieur... Elle est pressée, elle veut savoir, elle est terriblement inquiète...
Le médecin presque traitant se laisse mener par le bout du nez.
Le 4 septembre Mademoiselle A me téléphone pour me dire que la biopsie s'est mal passée, il lui avait dit que cela allait durer cinq minutes et qu'elle y est restée trois quart d'heure et qu'elle a eu mal parce qu'il s'y est repris à deux fois. Et qu'elle a encore mal. 
(Je l'imagine, seule, assise dans une pièce... inquiète... J'imagine la tumeur perforée, membranes basales et compagnie, une horreur)
Je reçois un courrier le 10 septembre daté du 7 : c'est le compte rendu histologique. "Adénome avec métaplasie secrétoire de type pregnancy-like. Absence de néoplasme intra-épithéliale. Absence de processus carcinomateux."
Et je ne peux même pas appeler Mademoiselle A : son numéro de téléphone manque dans son dossier !
Je réussis à la joindre et elle est là, en face de moi, le 12 septembre, soulagée, mais pas enthousiaste : elle a eu la frousse de sa (jeune) vie ! Je ne lui dis pas : je vous l'avais bien dit mais je le pense très fort. C'était une prophétie autoréalisatrice qui s'est réalisée.
Je reçois ensuite une lettre datée du 12 septembre 2012 signée par le radiologue qui me dit que "la micro-biopsie mammaire du sein gauche... est tout à fait rassurante, il s'agit d'un adénofibrome du sein".
Tout est bien qui finit bien, dit le dicton.
Mais que cela a été dur pour cette patiente !
Je ne tire pas de leçons de ce cas clinique : elles tombent sous le sens !
Enfin, peut-être pas. Les préjugés sont tenaces.
Voulez-vous que nous y revenions ?
Voulez-vous que je vous les rappelle ?
Je laisse les commentateurs finir le boulot.
Ouf ! 


7 commentaires:

  1. "Puis elle revient me voir avec les résultats de cette échographie pratiquée le 18 août."...Voici ce que j'écris dans son dossier : "Putain de bordel de merde que la mammographie !"

    Une échographie sur un sein et une mammographie sur l'autre ?

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  2. Une relecture a posteriori par la bonne radiologue serait intéressante...

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  3. En lisant ce post, on se trouve aspiré dans une course effrénée après la maladie par une patiente qui entraîne dans son tourbillon les médecins qu'elle consulte ponctuellement et par "surprise".
    Mais la micro-biopsie mammaire a t-elle rassurée cette patiente? (à défaut d'avoir rassuré le spécialiste).

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  4. anecdote lue dans l'article: mais qui a enfoncé à coup de pioches dans les cerveaux que signer une déclaration médecin traitant, c'était "s'engager" ??!!!!

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  5. @ BT.
    Très bonne remarque. A laquelle je n'avais pas pensé. Mais le mal était fait dès le début : aurais-je dû pour des raisons de principe arrêter là ? Je n'aurais pas su la fin de l'histoire...
    @ Anonyme du 250919:53 Faut-il, avant de signer, avoir fait un interrogatoire serré du médecin par le patient et vice versa ? C'est un contrat, certes, mais ce n'est pas une obligation d'éthique...

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  6. Anonyme du 250919:53 a raison, car contrairement au feu "médecin référent", le statut de "médecin traitant" ne repose sur aucun contrat. Il n'y a aucun engagement médecin-patient, patient-sécu, ou médecin-sécu. C'est pour cela que ce que nous signons, ne s'appelle simplement qu'une "déclaration de choix", et qu'un patient peut faire le tour de tous les médecins de sa région, en faisant à chaque fois une nouvelle déclaration s'il lui en prend l'envie.
    Pour revenir au cas de la patiente de ce post, je me souviens d'une patiente, sans ATCD familiaux connus, qui a fait à 30 ans un adénocarcinome du sein. C'était il y a 10 ans, et elle en est décédée il y a 5 ans. Mais comme je n'arrête pas de le dire à mes patients, la Science ne peut pas se baser sur des témoignages ...

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  7. Même histoire,hématome, petite douleur, consultation, aucun antecedent familial, mammo et... carcinome canalaire infiltrant ! tumorectomie, chimio, rayons... j'avais 24 ans, ça existe !

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