dimanche 4 novembre 2012

Comment les bons sentiments font passer à côté des bonnes questions.


Un message d'un type que je ne connais pas est RT (retwitté) sur mon compte tweeter par l'intermédiaire d'Antoine Decaune (@antoinedecaune1) auquel je suis abonné (pour des raisons musicales : il est le spécialiste des oldies but goldies oubliés).


Grace à vos RT et  conseillant la vente des actions  pour cause de manque éthique nous avons pu touché 74623 twittos)

6:03 PM - 4 Nov, 12 · Détails

Il est fier que le message de boycott du laboratoire (allemand) Merck ait été retransmis à 74 623 comptes twitter.

L'histoire est la suivante (voir ICI un article du Monde) : le laboratoire ne fournit plus aux hôpitaux grecs son anti cancéreux Erbitux pour causes de factures impayées.
Les bonnes âmes se mobilisent. Dont Antoine Decaune qui n'en peut mais et qui se fie à son bon sens de militant de gauche : priver les hôpitaux d'un médicament est un scandaaaale.

Or, qu'est-ce que l'Erbitux ou cétuximab ? Un anti cancéreux utilisé dans le cancer du colon qui a été analysé par la Revue Prescrire (ICI) et notamment en son numéro 324 d'octobre 2010 (Rev Prescrire 2010;30(324): 732). Voici la conclusion : En pratique, mieux vaut éviter le cétuximab dans les cancers colorectaux métastasés, quelle que soit la ligne. On peut rajouter qu'un essai non aveugle a montré une augmentation de survie de 1,7 mois (non, pas de coquille) avec un profil d'effets indésirables peu acceptable.

On peut donc dire que la cessation de fourniture de l'Erbitux n'est pas une perte de chance pour les malades grecs atteints d'un cancer colorectal métastasé : le préjudice en termes d'espérance de vie n'est pas évident mais il est clair que leur qualité de vie sans effets indésirables sera améliorée en ne prenant pas le médicament.

Pourquoi donc ne pas boycotter le laboratoire allemand Merck (la consonnance avec Merkel est tellement tentante) mais pourquoi ne pas réfléchir à ceci :
  1. Il semble, d'après son profil, que Rêv de Presse soit un twitter "écologiste".
  2. Il est dans son rôle de s'enflammer quand la santé gratuite pour tous semble mise en cause.
  3. Il devrait plutôt se demander pourquoi ce produit a obtenu un remboursement au niveau de l'Agence Européenne (EMA) alors que non seulement il ne sert à rien, mais plus encore, semble délétère.
  4. Il devrait plutôt se demander pourquoi les hôpitaux grecs ont tant besoin d'un médicament qui ne sert à rien mais, plus encore, semble délétère.
  5. Il devrait plutôt se demander pourquoi les médecins grecs (oncologues et cancérologues) ont tant besoin d'un médicament que l'HAS (Haute Autorité de Santé) française (voir LA) a classé en ASMR V (pas d' Amélioration du Service Médical Rendu) en traitement de première et de seconde ligne en association avec les chimiothérapies standard et en ASMR IV (amélioration mineure) en monothérapie après échec d'un traitement à base d'oxaliplatine ou d'irinotecan par rapport au traitement symptomatique seul... 
  6. Il devrait plutôt s'interroger sur le prix fixé pour ce médicament qui n'apporte pas d'Amélioration du Service Médical Rendu par rapport aux produits déjà existants, alors que le SMR (Service médical Rendu) est considéré comme important par l'HAS française (on sait que les produits anti cancéreux sont "favorisés" par les autorités réglementaires et poussés par les associations de patients -sponsorisées par les laboratoires pharmaceutiques), soit 1494 € pour la première injection puis 1067 € par semaine ensuite...
  7. Il devrait donc s'interroger sur les choix de santé publique dans une pays comme la Grèce et non sur le fait que cela devrait être à l'UE de payer ces médicaments.
  8. Il devrait s'interroger non sur l'injustice de la non fourniture d'un médicament inutile et coûteux mais sur les mécanismes de corruption qui font que l'EMA fournit une AMM à un produit aussi peu efficace, les mécanismes de corruption qui font que ce produit est inscrit sur la liste des médicaments des hôpitaux grecs et les mécanismes de corruption qui font que des médecins en prescrivent contre toute logique médicale.
Les bons sentiments ne font pas de la bonne médecine.
(Et on ne pourra pas dire que les médecins généralistes y sont pour quelque chose...)




6 commentaires:

  1. Excellente analyse. Même réflexion en entendant cette histoire à la radio.
    Je reviens d'une astreinte commune avec une grosse clinique de cancérologie et je suis estomaqué de l'emploi de thérapeutiques pseudo-ciblées à toutes les sauces y compris pré-mortem…

    Autre traitement coûteux et qui n'a pas fait ses preuves : le torisel dans le lymphome du manteau. Obtention d'une AMM sur une seule étude de piètre qualité et en plus sans amélioration de la survie…

    RépondreSupprimer
  2. Tout à fait d'accord avec ça.
    Les bons sentiments peuvent être utilisés pour tout et n'imoporte quoi, puisqu'ils n'impliquent pas, et même excluent, une analyse critique. Ils font appel à un besoin élémentaire de l'être humain: se sentir utile, se sentir sympa, être accepté par les autres; être reconnu comme étant quelqu'un de bien...
    Leur point de départ n'est donc pas l'analyse d'une situation pour y apporter une réponse efficace et adaptée mais bien des besoins personnels.
    En ce sens ils sont largement manipulables. Et je pense, qu'à cet égard, Rachel Campergue avait fait une belle démonstration de la manière dont les bons sentiments, cette espèce d'énergie disponible en quantité, était manipulée et transformée pour les besoins du marketing autour du dépistage du cancer du sein.
    Une remarque. Il est vrai que les Etats Unis sont un pays très cosmopolite. On y trouve des noms de toutes les consonnances. Mais Merck est bien un laboratoire américain. On ne peut plus américain, fondé à la fin du dix-neuvième siècle. Il a fusionné en 2009 avec Sherign Plough, autre laboratoire américain. Et il forme depuis 1994, une joint venture ou co-entreprise avec Sanofi, Sanofi pasteur MSD, qui est leader du marché mondial du vaccin.
    Pour ceux qui l'ingoreraient encore, Merck a été condamné en 2011 à près d'un milliard de dollars d'amende pour avoir occulté des informations au sujet du Vioxx, qui auraient pu éviter la mort de dizanes de milliers de personnes aux Etats Unis, si elles avaient été connues.
    Meck régale aussi les médecins de ces mails "actualités univadis" et FMC, où on trouve à boire et à manger. Parfois très indigeste comme info, comme quand on peut entendre un médecin sur une vidéo donner des chiffrers aberrants de mortalité due à al rougeole, ou un autre expliquer que l'obésité est une maladie génétique.
    Merck ne furnit pas ce "service" par bon sentiments. Il cherche à capter du temps disponible de cerveau de médecin et aussi à cause de ceci http://www.virtuose-marketing.com/la-regle-de-la-reciprocite-et-une-experience-de-psychologie-avec-des-cartes-de-voeux/ qui est le principal outil de promotion des conflits d'intérêts.

    RépondreSupprimer
  3. @ CMT. Je crains que, pour une fois, CMT ne se trompe... CMT confond Merck Serono et Merck Sharpe Dohme. IL peut y avoir confusion car la partie M de MSD fait partie des avoirs allemands qui ont été confisqués aux EU et par les EU à la fin de la première guerre mondiale...
    Je suis donc content d'apprendre quelque chose à CMT...

    RépondreSupprimer
  4. Chouette analyse.
    Merci du tuyau !

    RépondreSupprimer
  5. Je suis édifiée.
    Par la même occasion j'ai appris quelque chose, qu'il existe en effet deux entreprises Merck fondées par la même famille. Il y a une firme Merck fondée en 1891 à New York par un entrepreneur allemand de la famille qui avait fondé au dix-septième siècle une société Merck en allemagne.
    Ce Merck là, dont le siège est à New Jersey est plus orienté pharma que l'allemand et porte le nom MSD Sharp and Dohme (ou aussi Merck &co) à l'extérieur des Etats Unis. C'est ce Merck là qui offre des informations et de la formation gratuites aux médecins. Le Merck américain est classé troisième mondial en 2011 pour le chiffre d'affaires. Le Merk allemand "seulement" 22éme.
    http://pharmactuposition.blogspot.fr/2012/06/classt-mondial-labos-pharma-2012.html

    RépondreSupprimer
  6. (Et on ne pourra pas dire que les médecins généralistes y sont pour quelque chose...)

    Oh on trouvera bien quelquechose du genre "on n'en serait pas à devoir utiliser Erbitux si les généralistes moutonnaient à faire du diagnostic très précoce"
    moi parano ? non, non ...
    t lambert

    RépondreSupprimer