dimanche 8 septembre 2013

Refondation de la médecine générale. Réflexion 7 bis : l'adressage et ses problèmes pratiques.


Nous avons vu la théorie dans le billet précédent (ICI). Nous avons vu que, d'après les études dont nous disposons, tout est dans tout et réciproquement, c'est à dire que les préjugés que nous avions ne sont pas confirmés : le taux d'adressage des médecins n'est lié ni à leur degré d'activité, ni à leur situation géographique, ni à la structure de leur cabinet, ni au nombre de leurs associés...
Je veux bien. 
L'adressage est-il un problème ? Oui.
L'adressage est-il une solution ? Oui.
L'adressage au sens large, c'est à dire incluant la prescription d'examens complémentaires (disons en première analyse qu'il est possible de prescrire les laboratoires d'analyse médicales en DCI -- c'est à dire sans s'inquiéter de l'accueil, de la couleur des chaises, des figures respectives de la réceptionniste et de la piqueuse ou de la charte iso 2002 du laboratoire lui-même...), doit comprendre la prescription des radiographies, échographies, scanners et autres IRM.
L'adressage est au centre de la profession car il reflète l'état d'esprit du médecin par rapport à ses compétences ou aux données qu'on lui a apprises ou transmises et l'état des relations entre lui et son patient ainsi que la volonté du médecin de faire ou ne pas faire. Mais, pour faire de la théorie, l'adressage est un des éléments de la coordination des soins. Terme que je n'aime pas.

Les commentaires du billet précédent ont ouvert des champs, je cite sans ordre :

  1. m bronner souligne (LA, commentaire 14) que l'adressage pose problème pour le patient ou, plutôt, interroge la relation médecin patient et, plus précisément, l'état de confiance ou la représentation qu'a le patient de la décision médicale. Ce point est fondamental et méritera d'être développé. Pour résumer : il existe une croyance selon laquelle il existerait une vérité scientifique et, lors du processus de l'adressage au spécialiste, le patient, d'abord rassuré parce que son médecin tente de connaître la vérité de son cas ou d'abord inquiet car la démarche de son médecin traitant signifie peut-être incertitude et gravité, touche du doigt l'incertitude de la vie, de la maladie et du diagnostic, ce qui peut le choquer surtout quand il est le sujet de cette incertitude et qu'il aimerait une réponse claire à un problème existentiel complexe : sa maladie.
  2. popper 31 développe (ICI, commentaire 19) les raisons pour lesquelles la perception de l'adressage est biaisée selon les points de vue de l'adresseur, du destinataire et, surtout, du patient. En réalité, il illustre avec brio le point de vue de la médecine générale, le seul point de vue à mon avis, le point de vue du questionnement incessant de l'EBMG (LA)... et le fait que les médecins spécialistes ne "fassent" pas assez de médecine générale (ICI). Mais le danger de ce questionnement incessant est double : conduire à l'inertie dans la décision / non décision (sans préjuger des bénéfices / maléfices théoriques de la médicalisation) et faire du paternalisme sans le savoir (le concept de paternalisme en médecine est difficile à saisir en totalité, j'espère pouvoir, dans le cadre de cette Refondation, écrire un billet à ce sujet. Mais je suis preneur pour toute contrbution)
  3. Il y a quelques jours est paru un billet de blog du docteur V(ICI) qui répondait à un billet d'humeur ophtalmologiste (ICI) et qui trouve normal de prescrire des lunettes directement sans passer par l'ophtalmologiste. Il fait confiance. Il a tort, me semble-t-il. De nombreux commentaires en son blog et sur celui du spécialiste, @zigmundoph pour tweeter, qui me paraît très Bon esprit. A vous de juger.
Je vais suivre les conseils du pr mangemanche (LA, commentaire 13) et m'intéresser seulement aux biais de l'adressage.

Il faut d'abord tenir compte de l'environnement. Le MG prescripteur a-t-il le choix quand il a décidé, avec pertinence (ou impertinence), d'adresser ? Existe-t-il plusieurs spécialistes dans la même spécialité : cardiologues, échographistes, scanneristes, dermatologues, ophtalmologues ? Quid de l'hôpital ? Quid du ou des cliniques ? Quid de la maternité ? Existe-t-il un problème géographique d'accès ?
Il faut aussi tenir compte de la formation initiale du MG et de sa formation ultérieure. Encore que la revue de littérature que je citais dans le billet précédent aie trouvé une publication indiquant que plus on était formé dans une spécialité et plus on adressait dans cette spécialité...
Dans un commentaire précédent pr mangemanche souligne l'intérêt de l'analyse du courrier d'adressage en fonction de la situation clinique. Certes, mais, heureusement, il n'est pas possible de quantifier ou de qualifier, il s'agit donc, le plus souvent, d'une réflexion individuelle.

Voici quelques situations où, non seulement se pose la pertinence de l'adressage mais surtout la pertinence du choix du spécialiste.


  1. Evacuons le problème classique du patient qui veut consulter un spécialiste en particulier. Soit parce qu'il le connaît déjà personnellement, soit parce qu'il le connaît de réputation. Nous sommes en plein dans le questionnement EBMG. Quand je dis, évacuons, je suis bien optimiste car c'est une situation de médecine générale qui pose des problèmes aigus touchant l'éthique, la confraternité, les valeurs et préférences du patient et du médecin et qu'il n'est pas facile de résoudre comme cela. Le patient veut voir le docteur C que je trouve nul, comment fais-je ? Que je trouve dangereux, que fais-je ?
  2. Le patient veut être opéré à l'hôpital Z parce que sa femme (son mari) vont pouvoir venir le voir facilement. Je pense que l'orthopédie en cet hôpital ne me convient pas et que je n'y enverrai pas quelqu'un de la famille. Que fais-je ? 
  3. J'apprends que le docteur B, un ami à moi, a confié sa femme au chirurgien C, chirurgien qui est à la limite de la dangerosité mais qui est sympa et tapeur d'épaule. Pourquoi le fait-il ? Vais-je lui téléphoner pour lui dire qu'il vaudrait mieux qu'il ne fasse pas ?
  4. J'adresse un patient aux urgences. Qui va l'examiner ?
  5. J'exerce dans une ville où il n'existe qu'un seul cardiologue que je ne trouve pas "bon" pour des raisons qui peuvent être variées mais surtout subjectives. Que fais-je ? J'envoie mes patients cardiologiques à 50 kilomètres ?
  6. J'adresse beaucoup de mes patients au rhumatologue B qui est un copain, qui est un "bon" rhumatologue mais qui prescrit les produits à la mode. Pourquoi le fais-je ? Est-ce lié au fait qu'il joue au golf dans le même club que moi et que j'ai un meilleur handicap que lui ? Est-ce parce qu'il m'écrit des courriers flatteurs ? Est-ce que j'ai oublié ses prescriptions massives de vioxx ? 
  7. J'adresse mes patients dans un cabinet de kinésithérapie où la rapidité des séances n'a d'égale que la légèreté des manoeuvres... Je boycotte ? (Il faudra que j'écrive un billet sur la kinésithérapie au risque de me faire des amis...)
  8. Une suspicion d'appendicite adressée à la clinique V : opération immédiate. Je fais quoi ? Je ne peux adresser qu'aux chirurgiens peu nombreux qui récusent...
  9. Cet ORL yoyote tous les tympans, je le boycotte ?
  10. Ce pneumologue spirivate toutes les BPCO, je ne lui adresse plus personne ? 
  11. Cet endocrinologue lantusse tous les patients, je le néglige ?
  12. Dans cette clinique, seul un(e) iérémologue est "bon": je n'adresse qu'à lui (elle) ?
  13. Ad libitum.
Non, le problème essentiel est le lien caché qui nous fait adresser tel patient à tel spécialiste : lassitude, proximité, copinage, éviter les complications, ne pas perdre de temps...

Images de guerre sur la route de Damas (LA) : Le photographe Laurent Van der Stockt et le journaliste du "Monde" Jean-Philippe Rémy se sont rendus clandestinement en Syrie, de la frontière libanaise à la capitale, Damas, où ils ont été témoins de l'usage de gaz toxiques par l'armée syrienne. 
(ceci n'est pas une incitation à l'intervention, je suis volontiers contre, mais pour témoigner que la guerre en Syrie est plutôt dramatique)

10 commentaires:

  1. Quand objectivement un de vos confrère est connu pour être un danger public, pourquoi ne le signalez vous pas à l ordre des médecins? un petit post à ce sujet bientôt ?
    Bonne continuation pour vos postsecondaires que je trouve très intéressant.
    Carole

    RépondreSupprimer
  2. @ Il faut des preuves, un dossier. La lâcheté, sans doute. Et souvent les collègues n'ont pas le même avis. Evitez les emmerdements.
    D'ailleurs, dans le cas récent d'un urologue, l'Ordre a été muet.
    Bonne journée.

    RépondreSupprimer
  3. Peut-être un peu hors-sujet, ou par trop général, cette déclaration de Mme Hélène Lipietz lors du débat sur les conclusions de la commission d’enquête menée par le Sénat sur « l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé » : « Un médecin allopathe ne dérive-t-il pas lorsqu’il n’explique pas le pourquoi des examens prescrits ou des traitements ? Lorsqu’il impose son savoir à celui qui lui fait confiance ? Ne dérive-t-il pas quand il ne prend pas le temps d’écouter parce qu’il n’a pas été formé à cela ou parce qu’il n’a plus le temps matériel de le faire tant notre système de santé est en crise. Et cette réflexion est pour l’ensemble des personnels médicaux bien sûr ».http://www.reporterre.net/spip.php?article4636

    RépondreSupprimer
  4. Bonjour.

    L'adressage fait partie de l'acte médical. Une réflexion sur ce sujet ne peut être artificiellement sortie du contexte de la consultation du généraliste. Autrement dit, cet adressage est une décision complexe dont la décision finale dépend d'une multitude de facteurs médicaux et subjectifs tant de la part du médecin que du patient.
    J'ai déjà parlé de l'espace de liberté de la consultation.
    Cet espace est convoité par l'industrie pharmaceutique, par les assurances, par les administrations... qui tentent par tous les moyens de le contrôler à leur profit.
    L'adressage doit rester une décision incertaine, conditionnée par un contexte, un patient, un médecin, une pathologie et bien d'autres choses encore...
    La pertinence de l'adressage doit rester une décision fragile établie d'un commun accord avec le patient dans cet espace si particuliers de la consultation.
    La confiance que nous accorde le public dépend de la liberté de nos décisions.

    Bonne journée.

    RépondreSupprimer
  5. A JCG
    Il ne faut pas te jeter la pierre à toi-même ni à la profession en général. Le problème est le même partout. Il est très difficile de faire sanctionner un enseignant qui maltraite les enfants, un harceleur dans une entreprise, ou un mauvais médecin. Il est très difficile de le faire car les droits acquis sont difficiles à remettre en cause, car ce sont des personnes qui ont souvent plusieurs visages et qui ont leurs supporters. Elles ont mis en place des stratégies pour s'en sortir. Il est difficile de nuire aux nuisibles.
    Et, d'autre part, en l'occurrence, c'est aux victimes de se plaindre voire de porter plainte ce qui ne peut être fait qu'en nom propre. Sinon il s'agit de délation. Donc, c'est compliqué. D'où l'intérêt d'informer les patients pour qu'ils aient du discernement.Les patients victimes doivent se rapprocher d'associations de protection des victimes ou des consommateurs.
    En revanche, la^piste qui me paraît intéressante, est de s'interroger sur les implicites de l'adressage, pour qu'ils soient moins implicites et plus explicites (pourquoi j'adresse à tel? est-ce vraiment la meilleure chose à faire? ce patient ne préférerait-il pas se déplacer plus loin pour avoir accès à un meilleur avis?). Et, éventuellement, quand il y a lieu, de faire part de ses doutes au patient.

    RépondreSupprimer
  6. Là j'interviens en tant que patient potentiel dans l'avenir (et fort heureusement virtuel pour ce qui est du présent ...) pour applaudir des 2 mains le propos de dr Bill :

    "L'espace de liberté de la consultation est convoité par l'industrie pharmaceutique, par les assurances, par les administrations...qui tentent par tous les moyens de le contrôler à leur profit."

    "La confiance que nous accorde le public dépend de la liberté de nos décisions."

    Il devrait paraître évident que c'est la patientèle qui, par sa fidélité, assurera l'indépendance du médecin. Réciproquement, cette fidélité ne pourra se maintenir que par la confiance dans le médecin. Si celui-ci apparaît comme un simple relais de l'industrie et des directives du ministère, alors il en récoltera les conséquences !

    RépondreSupprimer
  7. à Carole, la première et dernière fois où j'ai osé emmettre une "critique" sur une attitude, c'est moi à qui on a dit, aud isciplinaire, de fermer ma gueule sous peine de tomber sous l'article N° ?? du code de déontologie. Donc ben voilà.

    RépondreSupprimer
  8. @Carole Il est bien difficile de faire autrement qu'éviter d'adresser dans de tels cas, avec les écueils que relèvent JCG et anonyme de 21:53.
    Au final, les patients auraient, à terme, plus de poids en empilant les courriers sur les bureaux des médecins concernés et du CO, sans parler des associations de consommateurs. Mais il s'agit d'une forme d'action collective pour autrui qui demande beaucoup de conviction et de désintéressement individuel...

    RépondreSupprimer
  9. PS @Carole J'avais en tête dans ma réponse précédente les pratiques non-éthiques. Ce qui concerne les pratiques médicales relève de la réponse de JCG à 07:42

    RépondreSupprimer
  10. CELA EN FAIT DES QUESTIONNEMENTS

    je ne m'interroge pas: j'ai besoin d'avis et de conseils pratiques...Le spé qui me pose plus de problème qu'il ne me rapporte de réponses ou de solutions disparait vite de mon carnet d'adresse...

    celui qui fait n'imp ( pour parler d'jeunss ) ce n est pas meme pas un souci

    En gros je travaille avec tout le monde sauf...et là les spe qui lisent peuvent peut-etre decouvrir des choses.
    -Un spe qui a ignoré mon patient parce que ce n'était pas assez chirurgical à son gré...
    - un spé connu pour yoyoter ( tiens on s y retrouve ...) mais surtout pour en profiter pour papouiller mes patientes ( ho la, y a que moi qui papouille non mais!)
    - un spé qui traite ses secretaires comme des chiennes...si si c'est un motif suffisant pour moi, même si le spé est bon
    - enfin à part j'adresse peu à l'hopital, pas confraternel, pas accessible ( si vous voulez un rdv envoyez un fax avec votre numero de telephone qu on vous rappelle pour vous donner l'e mail du spé à qui vous enverrez une e-mail circonstancié pour obtenir un rdv dans six mois sous reserve de presenter votre numero INSEE une ocpie de votre diplome de MG et une attestation de reglement de l'URSSAF... et pour finir vous recevez un compte rendu de consultation six mois apres ... pour vous dire que le patient est décédé...j'exagere à peine

    Dommage les spe hospitaliers ne sont pas pires que les autres ou que moi^^

    Petite note supplementaire sur les chirugiens: comme je le dis à mes patients, quand on se penche sur le cas d un specialiste X, on trouve toujours des gens pour le porter aux nues et d'autres pour le traiter d'escroc... je tache de faire la part des choses et de vous envoyer voir quelqu'un en qui j 'ai confiance.

    RépondreSupprimer