(Chargeable en kindle ICI)
Chapitre 5. "Parlez-en à votre médecin."
« J’attends beaucoup des professionnels qui
sont les principaux acteurs de la sensibilisation », Marisol Touraine, Le
Monde du 19 octobre 2012
« Le premier devoir du médecin est envers son patient », Margaret
McCartney, The Patient Paradox: Why Sexed-Up Medicine is Bad for Your Health.
La confiance comme cheval de Troie
Nous avons là
encore une expression récurrente aux Octobre roses : « Parlez-en à
votre médecin ». Parlez-lui d’autant plus qu’on lui aura parlé avant,
qu’on l’aura « briefé ». Ainsi il pourra à son tour nous parler du
dépistage. Jamais en effet professionnels de santé ne furent davantage
sollicités. Un parmi tous les autres est constamment poussé du coude : le
généraliste. Pourquoi lui ? Tout simplement parce qu’il est le plus proche
de la candidate au dépistage : c’est le médecin de famille, il a leur
confiance. Pourquoi alors ne pas s’en servir pour la « guider » vers
le dépistage ? Il est bien placé pour le faire. Il la connaît si bien,
elle le connaît si bien. S’il lui conseille un examen, pourquoi ne
l’écouterait-elle pas ? Cette confiance va être le cheval de Troie par
lequel le dépistage va s’immiscer dans la consultation. Ce n’est ni très
élégant, ni très éthique, mais ça marche. Et les partisans du dépistage vont
encourager cet abus de confiance.
« On ne
saurait assez souligner l’influence de l’attitude du médecin ou du gynécologue,
remarque Nicole Alby, présidente d’honneur d’Europa Donna Forum France. De leur
incitation viendra la participation de leurs patientes. Si leur médecin leur
conseille le dépistage organisé, la plupart des patientes suivront cet avis. La
relation de confiance médecin-patiente est essentielle même et peut-être
surtout s’agissant de consultantes qui ne se sentent pas malades et ne le
seront pas pour la plupart[1]. » Le généraliste a donc l’oreille de
sa patiente. Il va s’agir à présent de lui rappeler de l’utiliser. On ne
lésinera alors ni sur les moyens, ni sur les intervenants. Toutes les
structures publiques - donc financées par le contribuable - en rapport avec la
santé vont mettre la main à la pâte pour convaincre les médecins de convaincre
les femmes. « Les médecins doivent être convaincus de la qualité et de
l’efficacité du dépistage organisé et transmettre leur conviction[2] », résume Monique de Saint-Jean, présidente
de la Fédération nationale des comités féminins pour le dépistage des cancers.
« Comptant sur votre engagement… »
Ci dessous le
courrier envoyé, au lancement d’Octobre rose 2012, par l’Agence Régionale de
Santé (ARS) du Centre aux médecins généralistes de la région concernée :
« Objet : Amélioration de la participation au dépistage organisé du cancer du sein
Docteur,
Lors de la
campagne de dépistage organisé du cancer du sein 2010 /2011, le taux de participation
des femmes de 50 à 75 ans a été de 60 % dans notre région. Bien que très
supérieur au taux national (52,3 %) il reste en deçà du taux cible d'efficacité
décrit dans les études internationales. En France, plus de 3000 vies pourraient
être sauvées chaque année si 70 % au moins des femmes de 50 à 74 ans
réalisaient un dépistage tous les deux ans. Les effets collatéraux de ce
dépistage sont aujourd’hui connus, évalués et ne compromettent pas la balance
risques/efficacité de ce dépistage.
La seconde lecture
est la spécificité du dépistage organisé. C’est un gage supplémentaire de
qualité. Si le radiologue n’a décelé aucune anomalie, la mammographie est
systématiquement relue par un second radiologue expert. Près de 6 % des cancers
du sein sont ainsi détectés grâce à cette seconde lecture. Dans le cadre du
dépistage organisé, il est imposé également aux radiologues une formation
spécifique et une obligation de réaliser au moins 500 mammographies par an. De
plus la qualité de le chaîne mammographique est contrôlée deux fois par an par
des organismes agrées. L’amélioration de la participation aux dépistages
organisés est un objectif majeur de l’ARS pour optimiser son efficacité
collective et pour l’égalité d’accès à ce dépistage et vise à atteindre un objectif
de 70 % pour 2013.
Ce bénéfice ne
peut être atteint qu’en coordination avec les partenaires de terrain que sont
les 6 structures de gestion départementales gérant le dépistage organisé, les
radiologues, gynécologues et vous-mêmes. En effet, chez les femmes ne
participant pas au dépistage organisé, quel qu’en soit le motif, il est
démontré que le médecin traitant a un rôle déterminant dans sa décision ;
le seul fait que vous évoquiez le dépistage influence positivement les femmes
(alors que la consultation était justifiée par un autre motif).
Comptant sur votre
engagement pour réussir cet enjeu de l’augmentation du taux de dépistage
organisé, je vous prie d’agréer, Docteur, l’expression de ma considération
distinguée.
Signé : le Directeur général de l’Agence régionale de santé du Centre.
Les Caisses
primaires d’assurance maladie ne sont pas en reste. « La CPAM à fond dans
la Lutte », titre la Dépêche en décembre 2010. « Des délégués
d’assurance maladie sont chargés de sensibiliser les médecins sur cette
démarche volontariste préventive [3]», nous dit-on. Quant à l’INCa, il édite
chaque année à leur intention une brochure spéciale : « Le médecin
traitant, acteur du dépistage du cancer du sein[4] » qui leur rappelle leur devoir et à
quel point leur « rôle d’information et d’orientation est essentiel pour
favoriser la participation des femmes au dépistage en fonction de leur âge et
de leur niveau de risque ». Quelle impartialité peut bien avoir une
« information » ayant pour but d’« orienter » ?
Pour les oublieux,
l’INCa a tout prévu. Le dossier de presse Octobre rose 2013 nous explique sous
le titre « accompagnement des professionnels de santé » à
la page 8 : « Afin de sensibiliser les médecins
généralistes et les inciter à renforcer le dialogue avec leurs patientes dès 50
ans sur la question du dépistage, un dispositif interactif sera mis en place
sur trois logiciels de gestion de dossiers patients. Il permettra de toucher
plus de 40 000 médecins généralistes et 2 400 gynécologues. Une fenêtre
(pop-up) ou une alerte se déclenchera à l’ouverture du dossier d’une patiente
âgée de 50 et 74 ans. Elle invitera le médecin à vérifier de quand date la
dernière mammographie de sa patiente et permettre d’engager un dialogue sur cet
examen. »
« Les
conférenciers d’Octobre rose »
Un autre moyen de rappeler aux
médecins de profiter de la confiance de leurs patientes pour les inciter à se
faire dépister est de les convier à des conférences à thème. En octobre
dernier, les médecins de Perpignan ont tous reçu un étrange carton
d’invitation : « Christian Bourquin, Président de la Région
Languedoc-Roussillon, Sénateur, en présence des Conseillers Régionaux des
Pyrénées-Orientales, a le plaisir de vous convier à une table ronde sur le
dépistage du cancer du sein, animée par Dépistage 66 [la structure de gestion
départementale], suivie du vernissage de l’exposition "Ce crabe qui nous
pince les miches" réalisée par l’association "la
Montpellier-Reine" et ADREA mutuelle. »
Le Dr Thierry
Gourgues, membre du Formindep, s’est rendu à ce type de conférence chez lui,
dans les Landes. Le Dr Gourgues est un médecin informé - au réel sens du terme
- et ce qu’il a entendu lors de cette conférence l’a tant choqué qu’il a écrit
une « Lettre aux conférenciers d’Octobre rose, de l’inconscience à
l’indécence ». Il la présente en ces termes : « De la mauvaise foi au
mensonge décomplexé, de l’omission des évidences à l’habillage scientifique de
hors-sujet, de l’utilisation abusive des émotions aux mises en jeu d’intérêts
très personnels, voici le décryptage d’un mode de communication archaïque mais
efficace que les animateurs d’une conférence/débat d’Octobre rose typique ont
utilisé en direction du public d’un cinéma provincial. »
Tous les acteurs
étaient présents : le médecin coordonnateur du dépistage des cancers dans
les Landes, le radiologue, la Ligue contre le cancer, le chirurgien, la
psychologue, le professeur d’université et bien entendu, pour la note
émouvante, la survivante héroïque. Ils sont interpellés un à un par Thierry
Gourgues. L’intégralité de la Lettre est consultable sur le site du Formindep[5]. Le Dr Gourgues peut affuter sa plume pour
une prochaine édition d’Octobre rose car, si l’on en croit les partisans du
dépistage, on n’en fait pas encore assez.
« Pas assez mobilisés »
« Le médecin
n’est pas assez incité à se diriger plus particulièrement vers le programme[6] », regrette Brigitte Séradour lors du
colloque 2013 des comités féminins. En 2012, elle employait un terme encore
plus évocateur : « Ce système n'a pas été bien vendu aux médecins. Du
coup, ils ne prennent pas le temps de bien expliquer aux femmes son intérêt[7].»
Pour Agnès Buzyn, les médecins ne sont pas assez
bien « pilotés » : « Nous pensons que ce programme doit
faire l’objet d’un pilotage beaucoup plus resserré, beaucoup plus fréquent avec
les acteurs de terrain[8] ». Pour Laurence Alidor, déléguée de l’ARS
pour le Lot, ils ne sont pas assez « mobilisés » : « Des actions
prioritaires devraient pouvoir être mises en œuvre pour augmenter encore la
mobilisation des médecins traitants dans ces dispositifs, afin qu’ils incitent
les personnes concernées à se faire dépister. Le travail de proximité de l’ARS,
amplifié par la conférence de territoire, devrait permettre d’améliorer la
collaboration des professionnels de santé sur ce sujet, et leur capacité à
sensibiliser leur patientèle[9]. » Pour la Ligue contre le cancer, il serait
grand temps de passer à la vitesse supérieure et, pourquoi pas, à
l’obligation : « À l’instar du calendrier vaccinal, qui alerte les
médecins généralistes de la date de rappel des vaccins en fonction de chaque
patient et de son âge, la Ligue contre le cancer demande à la direction
générale de la Santé la mise en place obligatoire d’un calendrier des
"dépistages" dans le "Dossier patient informatisé".[10] »
D’ailleurs, si les
taux de participation n’augmentent pas, c’est de la faute des médecins :
« L’une des raisons majeures de l’échec de la
prévention est liée au manque d’implication des professionnels de terrain,
accuse Frédéric Bizard, professeur d’économie à la santé, lors de son
intervention au colloque 2013 des comités féminins, si
les médecins généralistes étaient positionnés au centre du recrutement du
dépistage organisé, les pratiques évolueraient[11].»
Lors de ce même
colloque, une intervenante va, sans complexe aucun, demander au médecin
généraliste de contrer l’influence néfaste des études scientifiques. Il va être
incité à aller « au-delà des chiffres », autrement dit à ne pas en
tenir compte : « Les résultats de validité de méta-analyse ne sont pas
une réponse appropriée. Au-delà des chiffres, nous devons expliquer qu’il est
prouvé que le dépistage permet une diminution de la mortalité et de la lourdeur
des traitements. Dans ce contexte, la remise en cause du dépistage est
déstabilisante. L’information délivrée aux patientes est claire si elle
provient d’un médecin généraliste[12]. » Dans quel sens cette information
est-elle "claire" ? Plus précisément, quel est le sens de ce
qualificatif tel qu’employé ici ? On peut supposer que dans la mesure où
la patiente va faire confiance à son médecin l’"information" qu’il va
lui apporter va lui paraître "claire", sans ambiguïté, par opposition
au doute distillé par d’autres sources d’information propres à semer la
confusion dans son esprit.
Le
médecin est-il bien informé ?
Mais cette information
"claire" provenant du médecin est-elle pour autant vraie ? Dit
autrement, le médecin est-il bien informé ? Car, tout étant basé ici sur
la confiance et le présupposé que le médecin "sait", il serait grave,
d’un point de vue éthique, que l’information "claire" ainsi délivrée
via le capital de confiance, s’avère une information fausse. Qu’en est-il
véritablement ?
Rappelons les
conclusions de l’étude de Gerd Gigerenzer, du Harding Center for Risk Litterary
à Berlin, « Public Knowledge of Benefits of Breast and Prostate Screening
in Europe[13] » publiée dans le Journal of the National Cancer Institute en 2009 :
« Considérant l’ignorance des médecins des bénéfices réels de la
mammographie de dépistage et leurs conflits d’intérêts que cette étude a
révélés, il est vraisemblable qu’ils contribuent à la surestimation des
bénéfices. »
Qui le généraliste doit-il servir ?
Ainsi, nous
pouvons réaffirmer ce constat d’abus de confiance. Car en fait : qui le
médecin est-il censé servir en premier lieu ? Margaret McCartney nous
disait en exergue de ce chapitre : « Le premier devoir du médecin est
envers son patient». Elle ajoute : « Considérer les patients comme
des individus capables fait partie de l’éthique professionnelle de base et les
médecins devraient non seulement autoriser mais encourager leurs patients à
prendre des décisions par eux-mêmes.[14] »
Martine Bronner s’interroge au sujet du rôle que
l’on demande au médecin de jouer : « Il est fermement rappelé à ses
devoirs de porte parole, de rabatteurs, mais les institutions qui n’hésitent pas
à tancer vertement les généralistes qui ne jouent pas ce rôle de rabatteur n’ont-ils pas
oublié que le rôle du médecin n’était pas là […] Le généraliste a déjà une
place auprès de son patient que l’institution n’a jamais interrogé ou qu’elle
ne veut pas connaître. Pour l’essentiel le médecin traitant n’est donc envisagé
que comme un rabatteur car la population vient spontanément à sa rencontre. Il
repère dans le cheptel les éléments susceptibles d’être vaccinés, dépistés,
soignés […] Il transmet au cheptel la parole institutionnelle et, à cette fin,
on lui créera les outils nécessaires. Information "objective"
concernant les dépistages, information nécessaire à un bon adressage etc.[15] »
Octobre,
saison difficile…
On a donc prévu
tous les « outils nécessaires » pour faciliter la tâche à ce
généraliste, pierre angulaire du dépistage. Tout ira très bien dans le meilleur
des mondes pour ceux qui jouent le jeu du rabattage, pour les autres, c’est une
autre histoire. En octobre 2013, le doc du 16, alias Jean Claude Grange, poste
un billet titré : « Octobre rose et la vaccination contre la
grippe : la difficile saison des médecins qui se posent des questions[16] ». Il écrit :
« Pour
les nombreux, les très nombreux médecins généralistes, qui suivent les
politiques de Santé Publique décidées par les experts qui ne se trompent jamais
et qui ne reviennent jamais sur les décisions calamiteuses qu'ils ont prises,
la vie est belle, confirme le doc du 16, pendant Octobre Rose ces gentils médecins accueillent avec un
grand sourire les femmes qui se présentent avec leur convocation pour se faire
dépister gratuitement par mammographie tous les deux ans. Les médecins ad hoc
disent : Oh que c'est bien madame la patiente que d'aller faire une
mammographie où vous voulez, chez le radiologue de votre choix, et que vous ne
paierez pas et que plus vous vous y prenez tôt et plus que le cancer y sera
pris à temps et plus que vous aurez plus de chances de guérir et de pouvoir
profiter de la vie avec vos enfants et vos petits-enfants.
Pendant Octobre Rose ces parfaits médecins grondent avec un grand sourire les femmes qui n'ont pas encore fait leur mammographie de dépistage car dans leur merveilleux logiciel une alarme s'est déclenchée et ils les encouragent à le faire avec leur air de ne pas toucher au paternalisme médical[17]. »
Pendant Octobre Rose ces parfaits médecins grondent avec un grand sourire les femmes qui n'ont pas encore fait leur mammographie de dépistage car dans leur merveilleux logiciel une alarme s'est déclenchée et ils les encouragent à le faire avec leur air de ne pas toucher au paternalisme médical[17]. »
Ainsi, lors des Octobres roses, de
« traitant », le médecin devient « rabattant ». « Mais
il n’est pas considéré comme partenaire, il est "aux ordres". Comment
en tant que généraliste ne pas s’agacer de tant de méconnaissance de la réalité
de sa tâche ? », s’interroge Martine Bronner. Et les principaux
intéressés, qu’en pensent-ils ?
La HAS anachronique
Un élément de réponse peut-être apporté par la lecture
des recommandations de la HAS (Haute Autorité de Santé) du 3 février 2012 sur
« la participation du cancer du sein chez les femmes de 50 à 74 ans en
France[18] ». Ces recommandations qui, de façon quelque
peu anachronique, ne se penchaient nullement sur la question du bien fondé du
dépistage mais uniquement sur celle de la participation des femmes, concluent
sur la nécessité de les faire basculer du dépistage individuel (DI) vers le
dépistage organisé (DO). « Pour y parvenir, elle compte bien sûr sur
le premier rouage du dépistage, le médecin traitant[19] », nous dit le Quotidien du Médecin du
7 février 2012. Cela paraît mal engagé. En effet, sur les quatre participants au groupe de travail
de la HAS à exprimer leur désaccord avec les recommandations, deux font partie
de ces généralistes sur lesquels semble à présent reposer l’avenir du DO. Ces
deux résistants sont les docteurs Philippe Nicot et Julien Gelly. Le premier
déclare : « Il n’y a plus de donnée
scientifique solide permettant de recommander le dépistage du cancer du sein de
manière individuelle ou organisée. En effet le bénéfice en termes de mortalité
est constamment revu à la baisse, et tant le surdiagnostic que le surtraitement
ont des conséquences néfastes de mieux en mieux connues et importantes. »
Quant au Dr Gelly, il fait remarquer qu’« avant
d’entreprendre des recommandations visant à promouvoir le dépistage organisé du
cancer du sein par mammographies, il aurait été plus pertinent de réévaluer sa
balance bénéfices/risques au regard des données actuelles de la science ». Leur
désaccord est d’autant plus significatif qu’ils étaient les uniques
généralistes à participer au groupe de travail.
« Je passe pour une "criminelle" »
Résister à cette pression énorme n’est cependant pas
toujours évident, comme l’illustre un commentaire suite au billet du doc du 16
cité plus haut. Un médecin généraliste (MG) constate : « Elle [la médecine générale] est un
métier difficile, pas dans le sens que beaucoup pourrait imaginer : horaire,
stress etc. ; mais dans le sens où pour bien l'exercer il faut aller à contre
sens de l'exercice majoritaire. » Un autre médecin (Christiane) témoigne
de la pression exercée par ses pairs : « Ça fait mal de douter, j'ai
appris que parce que je tente de donner une information la plus objective
possible à mes patientes sur le dépistage que je ne ferai pas pour moi, pour
les autres médecins je passe pour une "criminelle". C'est aujourd’hui
que je l'ai appris, je suis triste. Ce serait tellement plus facile de les
prescrire sans discuter et à 40 ans, comme nos gynécologues chéris le
préconisent; de plus je ne me ferais jamais attaquer pour surdiagnostic, c'est
vraiment la solution de confort, je me demande si ça vaut la peine d'essayer,
je suis fatiguée ce soir ... »
Il paraît évident
que certains médecins, ceux qui sont informés, souffrent de cette pression à
promouvoir le dépistage. Et de l’autre côté du bureau de consultation, du côté
des patientes, que pense-t-on de l’attitude du médecin lorsqu’il joue
complaisamment son rôle de rabattant ? Témoignage de Blandine suite à la
Lettre ouverte de la Crabahuteuse à l’INCa au sujet des mammobiles[20] :
« Ahhhhhhhhhhhhhh ça fait du bien de vous lire
! Marre de claquer les portes des généralistes les uns après les autres, parce
que marre de m’entendre proposer puis vouloir « imposer » cette
foutue mammo que je ne ferais pas ! (et ce pour n’importe quelle consultation
sans aucun rapport avec le cancer du sein …). Et certains médecins ont beaucoup
de mal à entendre le NON, et quand vous voulez dégainer les études et infos que
vous avez rassemblées, le dit médecin vous retoque d’un « mais c’est qui a
fait dix ans d’études ? Vous ou moi ? Qui sait lire une étude médicale ? Vous
ou moi ? » … OK tu veux jouer comme ça au revoir Dr …j’ai changé une fois,
deux fois, trois fois de généraliste … ou plus. J’espace mes consultations et
me débrouille sans consulter – pas bien je sais, mais ras le bol de lutter
contre les moulins à vent …[21] »
La consultation de dépistage
Et pour les médecins qui se font tirer l’oreille à
parler de la mammographie même hors sujet, on va les y forcer un peu en créant
une consultation entièrement consacrée au dépistage. C’est ce que
réclame, entre autres, la Ligue contre le cancer. « Pour l'intérêt des
femmes, la Ligue contre le cancer demande une "consultation de
dépistage" par le médecin traitant », nous
annonce-t-elle le 1er octobre 2013[22], avant de nous expliquer pourquoi cette
consultation s’impose : « Depuis de nombreuses années, Octobre rose a
permis de briser les tabous autour du cancer du sein et de promouvoir le
dépistage. Mais aujourd'hui, avec la profusion des messages, des pratiques, des
émetteurs nous assistons à un essoufflement, une confusion voire une absence de
résultats. Pour mieux accompagner les femmes… Pour leur apporter une
information éclairée et exhaustive… Pour créer un parcours de dépistage
performant avec un suivi personnalisé… La Ligue demande pour les femmes
concernées la mise en place d'une "consultation de dépistage" avec
leur médecin traitant au début du parcours de dépistage, véritable temps
d'échanges et de dialogue. Ceci garantit une réduction des inégalités, une
bonne information de la femme qui peut alors avoir un choix éclairé, élément
clé partagé par et avec l'ensemble des acteurs de la lutte contre le
cancer. »
Cette
« consultation de dépistage » est-elle véritablement dans l’intérêt
des femmes ? Affaire à suivre…
[4] http://www.e-cancer.fr/publications/84-outils-medecins-traitants/713-le-medecin-traitant-acteur-du-depistage-du-cancer-du-sein
[7] « La mammographie reste un outil de dépistage efficace », Le Figaro, 3 février 2012
http://sante.lefigaro.fr/actualite/2012/02/03/17214-mammographie-reste-outil-depistage-efficace
[9] La Dépêche du Midi, 17 décembre 2010
[12] Il s’agit de Martine Rousseau, médecin généraliste, membre du COMUP
[14] The Patient Paradox : Why Sexed-Up Medicine is Bad for Your Health, Pinter & Martin, 2012
[19] http://www.lequotidiendumedecin.fr/actualite/sante-publique/la-has-plaide-pour-le-depistage-organise
[20] Nous parlerons de ce sujet et de ce billet dans la partie consacrée à l’éthique
Et bien entendu il faut aller voir sur le blog de Rachel Campergue : ICI
Même si les femmes ne profitent pas assez d'Octobre Rose, il faut reconnaitre que la campagne de prévention progresse chaque année. La mobilisation est de plus en plus importante, c'est ce qui compte !
RépondreSupprimerBonjour.
RépondreSupprimerD'une façon plus globale votre billet montre que les généralistes sont des relais efficaces pour faire passer dans le public un message, une idée et/ou un produit... La proximité, la durée des liens qui unissent le généraliste et ses patients, fondent la confiance.
Je crois que tous les généralistes se sont fait berner par les leader d'opinion et se sont fait le relais auprès de leur patients de notion douteuses, fausses ou encore à visée commerciale.
Cependant le capital de confiance des généralistes reste intact.
L'information est maintenant plus facilement disponible tant pour le professionnel que pour le public. Le public attend des professionnels d'être orienté dans ce flux d'information.
Une des nouvelles spécificité du généraliste est d'aider les patients à comprendre toutes ses informations.
Depuis plusieurs années, je constate de plus en plus que des collègues généralistes refusent le "prêt à penser et à prescrire" de l'industrie pharmaceutique. Les relations entre les généralistes ont aussi changé avec la création de groupe de pairs et des groupes qualités. Les généralistes ne sont plus isolés et échangent entre eux leurs connaissances et leurs expériences.
Ce regard critique est sans doute une des plus grande nouveauté en médecine générale. C'est aussi un pouvoir nouveau qui est en train de se structurer. la médecine générale doit pouvoir exprimer son expertise. C'est aussi une vraie nouveauté.
@Thomas
RépondreSupprimerJe ne sais pas si l'on peut vraiment considérer 1/que les femmes "profitent" d'Octobre Rose ;-). 2/ Que le dépistage est une prévention.
Par contre, effectivement la campagne de sensibilisation progresse chaque année dans le sens où elle est plus intense. Idem pour la mobilisation. Vous avez raison sur ces deux derniers points.
Rachel,
RépondreSupprimerThomas est un parasite qui est là pour faire de la pub. Il était inutile de lui répondre.
J'enchaîne sur ce que je voulais dire au sujet de la confiance, et de ses conséquences sur la santé publique.
La confiance. Voilà un très puissant relais de la communication marketing -les leaders d’opinion diraient des actions de santé publique-identifié comme tel par les opérateurs qui cherchent à imposer des pratiques de masse, que ce soit le dépistage des cancers du sein ou de la prostate ou qu’il s’agisse de généraliser des vaccins.
En fin de compte, ce qui différencie une intervention de santé publique utile d’une opération marketing qui a des chances d’être nuisible pour l’état de santé de la population visée c’est, premièrement, la fiabilité des données scientifiques sur lesquelles elle s’appuie (cela va de la conception des études à leur interprétation), deuxièmement, son inscription claire dans une action cohérente de santé publique au niveau d’un pays ou d’un territoire, cohérente d’un point de vue médico-économique et éthique, c'est-à-dire privilégier les actions dont on est sûr qu’elles ont le plus grand impact positif sur la santé d’une population et le moins d’impact négatifs, et troisièmement un encadrement réglementaire capable de garantir une cohérence éthique aux actions, pour empêcher que les « lois naturelles du marché » transforment des bonnes intentions dans un sens nuisible pour la santé (centres spécialisés dans le dépistage et le traitement du cancer comme en Suisse, qui « poussent à la consommation », article de Catherine Riva).
A chaque niveau et à chaque étape (fondements scientifiques, recommandations, mise en œuvre) les conflits d’intérêts peuvent détourner une action de santé publique de son but affiché.
Lorsque ce sont des acteurs privés qui recherchent leur plus grand profit à travers ces actions, ils cherchent des leviers pour maximiser les ventes. Les médecins sont généralement reconnus comme le meilleur levier, car ils ont la confiance des patients en tant que source d’information.
D’où l’importance pour les médecins de se protéger activement des conflits d’intérêts, parce que c’est à la fois la meilleure manière de mériter la confiance des patients, mais c’est aussi la meilleure manière de ne pas être de simples instruments aux mains de ceux qui cherchent à les manipuler.
En cancérologie tout cela a des conséquences extrêmement massives sur la santé publique qui se traduisent à la fois par des retards de mise en œuvre (du dépistage organisé du cancer du col, par exemple, peu intéressant pour les opérateurs financiers) et la mise en œuvre de campagnes nuisibles pour la santé.
En France la mise en œuvre des dépistages des cancers du sein et de la prostate a été à la fois non organisée et individuelle (laissée à l’initiative des médecins et des patients) et massive, dans un premier temps, ce qui est sans doute la meilleure garantie d’avoir tous les effets nocifs d’un dépistage mal évalué sans en retirer de bénéfices. Cela est dû sans doute aux particularités de la France, dénoncées depuis longtemps par divers acteurs : faible tradition de politiques de santé publique, qui peut avoir du bon, quand il s’agit de résister à des politiques nuisibles et du moins bon, médecine libérale revendiquant une liberté totale d’action et en même temps totalement livrée aux laboratoires en matière de formation, investissements massifs dans la médecine curative et faibles investissements dans la prévention.
Comment cela se traduit-il au niveau des conséquences sur la santé publique pour ce qui concerne le cancer ?
SUITE
RépondreSupprimerLa France est, d’après des rapports de l’INVS et de l’INCA, un des pays où l’on diagnostique le plus de cancers, par rapport à l’ensemble des pays de l’Union européenne, environ 20% de cancers en plus diagnostiqués chaque année chez l’homme et chez la femme, par rapport à la moyenne de l’UE.
L’augmentation d’incidence des cancers depuis 1980, incidence, c'est-à-dire les nouveaux cancers diagnostiqués est totalement attribuable, d’après l’INCA, en dehors des facteurs mécaniques comme le vieillissement et l’augmentation de la population, à l’augmentation des diagnostics des cancers du sein et de la prostate. Cette augmentation ne s’est pas accompagné d’une diminution de la mortalité (pour le cancer du sein elle est marginale, en France, au regard de l’augmentation des diagnostics qui ont doublé, et pourrait très bien être attribuée aux progrès dans les traitements, en particulier les progrès techniques). Globalement la moitié des cancers prévalents à 10 ans (nombre de cancers ayant été diagnostiqués depuis moins de 10 ans, ce sont environ 800 000 cancers, chez des personnes encore en vie) sont des cancers de la prostate pour l’homme, et des cancers du sein chez la femme. Cela signifie qu’il y a 400 000 personnes vivant en France qui ont eu un diagnostic de cancer du sein ou de la prostate depuis moins de 10 ans. Au moment du diagnostic, les cancers de la prostate représentent un peu plus du quart des cancers de l’homme et les cancers du sein représentent le tiers des cancers de la femme. Dans l’ensemble de la pop de plus de 15 ans, 3 millions ont reçu un diagnostic de cancer. Je prends soin de dire ont reçu un diagnostic, parce qu’il n’est pas du tout certain, pour beaucoup de ces personnes, que le cancer diagnostiqué se serait un jour traduit en problèmes de santé.
Cela a donc des conséquences extrêmement massives sur la santé des populations d’abord, on peut parler de catastrophe sanitaire et éthique, sur l’économie, arrêts de travail et invalidité, sur l’allocation des ressources de santé (allocations massives vers le traitement des cancers), sur l’organisation de soins (les hôpitaux et centres de traitement du cancer sont débordés et favorisent les soins à domicile), sur la répartition des dépenses de santé entre la ville et l’hôpital (dépenses médicamenteuses de ville dont l’augmentation est totalement imputable à la délivrance de médicaments prescrits en milieu hospitalier).
Donc, faire confiance est une nécessité pour l’être humain, surtout lorsqu’il se trouve fragilisé par des problèmes financiers ou de santé. Mais il faut bien se dire que la capacité de rester en bonne santé, va dépendre, et de plus en plus, non seulement de la capacité de mettre en œuvre des comportements sains favorables à la santé, mais aussi de la capacité de s’informer à des sources indépendantes et de faire preuve de discernement dans la participation aux campagnes de santé publique prônant des interventions potentiellement nuisibles pour sa propre santé.
Il existe encore parmi les médecins quelques « voyous de la pensée » qui refusent de devenir de la « chair à consensus », même si je comprends que Blandine ait de plus en plus mal à trouver parmi nos confrères des résistants (à la triple alliance, d’Homo economicus de Hobbes, d’Homo mediocris de Quetelet et d’Homo communicans Edward Bernays cf. post précédent sur Châtelet), pas trop fatigués le soir comme Christianne
RépondreSupprimerJe fais partie des rares médecins qui ont refusé les ROSP en grande partie du fait des « objectifs » mammo et vaccination. J’ai quand même reçu de belles affiches, des gadgets et des courriers et autres mails de l’ARS ,de l’Ordre ou même d’un syndicat professionnel. Je sais bien que les chiffres des opposants au ROSP et ceux des médecins qui essaient encore de réfléchir ne se recoupent pas (et que Docteur du 16 a une autre théorie sur ce point), mais j’ai bien peur que les chiffres de pourcentage de médecins plus cernés que concernés, eux, se recoupent,…Formindep et autres voix médicales, combien de divisions ??.( Prescrire nous a un peu laissé tomber sur la vaccination !!…)
Conscient de ces quelques îlots de refus du prêt-à-penser , Big Pharma va permettre aux pharmaciens (qui ont eux aussi leurs résistants) de vacciner à tout va, histoire de fluidifier un peu plus ce juteux marché et Octobre Rose va ratisser toujours plus large pour General Electric ou Philips (cf. le Sectra de Thierry Gourgues)
Le cabinet de médecine générale, cet anachronisme à la grande distribution de soins, va disparaitre comme l’épicier algérien du coin. Le (super)marché de la santé va aller jusqu’au cœur des villes traquer le dernier con-sommateur, dans des pharmacies devenues franchisées, comme il le fait pour l’alimentation, tout se met en place… Leclerc va bientôt vacciner moins cher que Carrefour.
Le (super)marché de la santé ira même traquer jusqu’au cœur de son foyer-Internet les cyber gédéons et autres turbo bécassines qui consulteront directement Google et ses médecins affidés, (ça y est, c’est déjà en marche) et recevront des alertes mammo, PSA, taux de cholestérol et rappel vaccinal at home. Vaccidération et mammotraffic glandoctriné sont en route… Elle est pas belle la vie ?
A Popper31
RépondreSupprimerLa disparition du médecin généraliste serait un non sens de santé publique. Malheureusement le ROSP a été un choix par défaut pour beaucoup de médecins (c’était voulu ainsi) et dont ils n’ont pas lieu de se plaindre en termes financiers puisqu’il a signifié un véritable treizième mois http://www.lesechos.fr/09/07/2014/lesechos.fr/0203631145346_medecins---le-revenu-des-generalistes-repart-a-la-hausse.htm.
Mais pour ce qui est de la tendance vers l’incitation à des démarches de santé inutiles, cela va même plus loin que ça. J’ignore si le médecin généraliste est encore considéré par les promoteurs institutionnels ou privés, d’octobre rose , comme un partenaire fiable en ce qui concerne le dépistage du cancer du sein mais je constate que pour la vaccination, il ne l’est plus.
Que ce soit par indifférence aux actions de santé publique en général, ou par un scepticisme réfléchi, les MG se sont avérés ne pas être de bons partenaires pour massifier la vaccination. Or, les laboratoires ont de grands projets concernant la vaccination, comme on peut s’en apercevoir en regardant les prévisions de croissance en chiffre d’affaires du marché mondial des vaccins, qu’ils ne sont pas prêts à abandonner.
Je crains qu’il ne faille prendre les propos de Marisol Touraine quand elle disait « La liberté s’arrête là où commence la santé publique et la sécurité de l’ensemble de la population» http://www.liberation.fr/societe/2014/10/09/refus-de-faire-vacciner-son-enfant-le-conseil-constitutionnel-invite-a-trancher_1118571 dans un sens très littéral, peut-être plus littéral qu’elle ne l’envisageait en le disant.
Il est probable que, malgré l’intérêt de plus en plus douteux pour la santé publique des vaccins récemment recommandés, les conditions réglementaires seront telles que refuser un vaccin que l’on juge inutile, donc inutilement dangereux, va nécessiter une démarche active de la part des patients et non pas simplement un refus passif.
C’est un sujet auquel je compte m’atteler quand je serai en vacances et que j’aurai plus de temps pour travailler.
@CMT, tu as tout à fait raison de parler de catastrophe sanitaire ET éthique. Et je ne perçois aucun ralentissement. Ce qui m’a frappé cette année, où peut-être y étais-je simplement davantage sensible, est la forte implication des « centres de lutte anti-cancer ». Mis à dessein entre guillemets dans la mesure où, bien au contraire, ils poussent au diagnostic des cancers, ce qui, comme tu le soulignes n’est absolument pas la même chose qu’un cancer déclaré cliniquement. Donc ces centres « anti-cancer », tous les centres Unicancer, les instituts Paoli Calmettes et Cie, sous couvert de compassion, font fructifier leur entreprise. Il y a peu, j’ai découvert que le bénéficiaire de la campagne « Soyons Cheyennes » demandant comme d’hab de donner « pour la recherche », n’était autre que l’Institut Gustave Roussy, établissement de soin tout ce qu’il y a de plus privé. J’ai été surprise que cela soit possible (inexplicablement, je suis restée naïve). « Donner pour la recherche » : une autre expression tarte à la crème qui revient en boucle lors des octobres roses... et toutes ces petites mains pleines de bonnes intentions qui participent et renforcent cette immense arnaque. Pénible à voir...
RépondreSupprimer@Popper31, merci de m’avoir fait découvrir Gilles Chatelet. Il sera l’un des deux auteurs à m’accompagner dans ma péninsule...