Brancard articulé |
Je lis par hasard et avec retard un billet de novembre 2017 (ICI) sur le site La Mine (LA) (1) qui est intitulé "L'immobilisation en pré-hospitalier : il est temps de tout changer" et je m'interroge.
Je m'interroge tristement car ce billet est symptomatique d'un fait qui est peu connu, négligé, caché, refoulé, car il touche au quotidien de nombre de soignants : des pratiques médicales adoptées par tous et toutes de façon consensuelle sont très souvent fondées sur des croyances plus que sur des preuves solides.
Je ne suis pas urgentiste, je ne sauve pas des vies, je ne suis qu'un médecin généraliste à qui il arrive de sauver des existences (2), mais ce billet est (encore) tristement symptomatique des pratiques en médecine et j'ajouterai lourdement, en santé publique : la façon dont les consensus se construisent.
Le billet illustre de façon convaincante le livre de Cifu et Prasad "Ending medical reversal" (LA) (3) dans lequel les deux auteurs rapportent combien un pourcentage important (62 %) de pratiques de soins standard ayant pignon sur rue ne sont pas fondées sur des preuves et comment des essais contrôlés bien menés ont montré qu'elles étaient erronées, combien de temps il a fallu pour revenir en arrière et comment faire pour que cela ne se reproduise pas.
La "standardisation" de soins (on parle de façon moderne de la construction des pratiques) qui seront réfutés par la suite (ou non) comporte donc 3 étapes :
- Une étape de validation fondée sur des données d'un faible niveau de preuves
- Une étape de réfutation fondée sur au moins un essai d'un meilleur niveau de preuves
- Une étape de remise en question des données initiales dont la durée peut être très longue en fonction de nombreux facteurs (refus de reconnaître ses erreurs ou de se remettre en question, intérêts économiques, résistance au changement, et cetera)
Pour y remédier il serait utile
- De ne pas prendre de décisions hâtives sur la foi d'essais "prometteurs", "hype", "de bon sens", mais dont la méthodologie, les critères d'appréciation, la significativité statistique/clinique est peu pertinente, et cetera (4)
- De pratiquer des essais contrôlés dans des pathologies courantes où le consensus semble établi mais où le niveau de preuves est faible, voire très faible, afin de mettre fin à des pratiques inutiles, coûteuses, voire dangereuses.
- De faire preuve de réactivité quand des données solides remettent en question des pratiques infondées.
Ce billet est donc éclairant à plus d'un titre.
D'abord, il est chimiquement pur par rapport à l'industrie pharmaceutique (dans ma grande naïveté je n'ai même pas de doute sur l'industrie des matériels : y aurait-il des pressions commerciales et financières pour la vente de colliers cervicaux (5) ?)
Il pourrait être assimilé à ce qui s'est passé lorsque des lanceurs d'alerte ont réfuté la recommandation consensuelle et meurtrière de coucher les nourrissons en procubitus : voir LA. (6)
Le billet indique que la décision internationale d'immobiliser les blessés en préhospitalier s'est faite à partir d'une revue rétrospective états-unienne menée en 1979 comprenant 300 patients : le niveau de preuves était pour le moins faible mais on peut dire a posteriori (c'est donc facile) que cela reposait sur le bons sens et des chiffres qui semblaient définitifs puisqu'ils allaient dans le sens recherché (ICI).
Le billet évoque aussi les lanceurs d'alerte qui n'ont pas été écoutés (mais on peut dire aussi que l'histoire ne retient que les lanceurs d'alerte qui avaient raison et qu'on ne parle jamais de ceux qui avaient tort et qui sont sans doute beaucoup plus nombreux !) et il est clair que l'analyse rétrospective est toujours aussi démonstrative dans le sens de "Il ne faut pas avoir raison trop tôt" et "Comment se fait-il qu'on ne les ait pas écoutés ?".
Là où cela devient encore plus intéressant c'est que le billet, outre une analyse des risques de l'immobilisation qui paraît pour un profane extrêmement convaincante, indique que le tournant intellectuel de la remise en question de l'immobilisation pour tous, indépendamment des différentes expériences individuelles des praticiens, se fonde sur une étude de 1998, non randomisée, non contrôlée, comparant de façon encore une fois rétrospective et post hoc de choux et de carottes, à savoir une population états-unienne et une population malaisienne (tout le monde sait combien les deux systèmes de santé sont identiques tant en termes de prise en charge, d'assistance aux blessés, de matériel et de formation des professionnels de santé...) qui comprenait 334 patient immobilisés au Etats-Unis d'Amérique et 120 non immobilisés en Malaisie (p = 0,02)
Et voilà qu'à partir, entre autres, de ces données et d'une réflexion sans doute scientifiquement fondée les recommandations norvégiennes paraissent en 2017 (LA). Je suis bien incapable de juger de leur validité, mais je remarque qu'elles ne sont pas plus fondées sur des preuves de haut niveau que celles de 1979.
L'auteur du billet parle de bon sens, de praticité, d'évidence et, manifestement, il s'enflamme avec prudence.
On espère que les Norvégiens ont raison et que cela pourra permettre de sauver des vies et d'éviter des séquelles post traumatiques.
Mais il manque toujours un essai contrôlé.
Il sera intéressant de noter la réactivité des différents systèmes de soins, d'analyser les résistances, de surveiller l'apparition de nouveaux lanceurs d'alerte et de connaître la fin de l'histoire : ces nouvelles recommandations ne seront-elles pas un jour critiquées, non parce que la science aura fait des progrès comme le disent les optimistes, mais parce que des études convaincantes viendront "dire" la médecine en écartant ce qui avait été pris pour "scientifique".
Voici les conclusions du billet de Rhazelovitch :
- Le collier cervical et la planche d’immobilisation ont un très mauvais pouvoir d’immobilisation.
- Leur pose plus prolongée que le temps d’une simple extraction, expose à des complications et effets délétères, qu’on ne retrouve pas chez des patients non immobilisés.
- L’immobilisation passive par cale-tête ou maintien manuel (MILS), ou dans certains cas en posant la tête dans un oreiller, puis le repos sur un matelas simple ou un matelas-coquille, sont des procédés qui marchent mieux et qui sont plus physiologique que les dispositifs vus plus haut.
- L’immobilisation du rachis est, et reste, une recommandation forte des traumatisés du rachis, le problème n’est pas là, il est dans la nature des dispositifs que l’on utilise qui doivent changer, et respecter la position naturelle et les positions de confort de nos patients.
- Rien ne doit jamais retarder la réalisation de gestes vitaux.
Notes :
(1) Où il assez malaisé de savoir qui écrit, d'où c'est écrit, même si, dans le milieu tout le monde doit savoir qui est rhazelovitch (mais pas moi et pas les lecteurs lambda). C'est dommage.
(2) Sauver des existences signifie sauver des modes de vie, ne pas médicaliser, faire de la prévention quaternaire, soigner, et cetera.
(3) Comme d'habitude je m'auto-cite, ce qui est mal, mais ce qui fait gagner du temps à tout le monde.
(4) Un article récent dans le BMJ (ICI) rapporte que plus de 50 % des produits ayant obtenu une AMM en Allemagne entre 2011 et 2017 n'apportaient aucun bénéfice. On m'objectera que ce n'est pas tout à fait la même chose de "n'apporter rien de nouveau" comme dit la Revue Prescrire et d'être délétère ou dangereux mais cela illustre, comme le rapporte l'excellent François Maisonneuve en son blog (LA) la très mauvaise régulation du marché des médicaments.
(4) Un article récent dans le BMJ (ICI) rapporte que plus de 50 % des produits ayant obtenu une AMM en Allemagne entre 2011 et 2017 n'apportaient aucun bénéfice. On m'objectera que ce n'est pas tout à fait la même chose de "n'apporter rien de nouveau" comme dit la Revue Prescrire et d'être délétère ou dangereux mais cela illustre, comme le rapporte l'excellent François Maisonneuve en son blog (LA) la très mauvaise régulation du marché des médicaments.
(5) Un collier cervical coûte 10,55 euros mais j'ignore combien en sont vendus chaque année.
C'est marrant, dès que l'on se penche sur un aspect particulier de la médecin (qu'on ne reste pas sur les généralité que la médecine sauve DES (lesquelles?) vies) on arrive au fait qu'elle navigue à vue et institutionnalise des choses fausses en les érigeant comme dogme grâce à une science fantasmée.
RépondreSupprimerAlors que tout le monde sait que la plus grande invention de la médecine, ce qui a sauvé le plus de gens, c'est juste se laver les mains. Et que si on regarde les inventions qui ont marqués (par exemple les antibiotiques, la pratique médicale a massacré l'invention en créant à cause de son usage irraisonnée les résistances qui ont sélectionnées les souches les plus virulentes). Combien de morts de maladie nosocomiale déjà ?
herve_02
Bonjour et merci pour ce commentaire.
RépondreSupprimerMon billet peut en effet paraître enthousiaste sur des notions elle-même de faible niveau, mais les conséquences qu'ont ces constats (dont je relativise sans m'en cacher la faiblesse en terme de niveau de preuve dans mon article), est sans commune mesure avec l'usage qui a été fait des études princeps des années 70-80, et n'a pas du tout la même finalité pratique.
-Les études originelles sont de l'observationnel: un constat simple de données brutes, en laissant les causes et facteurs influençant les résultats à l'imagination de chacun. Là dessus ce sont bâties des recommandations extrêmement restrictives qui concernent en 2019 (50 ans après) tous les patients traumatisés modérés à graves pris en charge par des secouristes, on parle de dizaines, de centaines de milliers de patients chaque jour dans le monde entier.
-L'étude retrospective malaisienne, malgré ses limites, est une des seule étude à l'époque ciblant cette fois spécifiquement cette problématique, dans un contexte de vacuité bibliographique proche du zéro absolu. Le niveau de preuve part donc de "rien", pour arriver à "très faible".
-Toutes les autres études abordées dans mon billet, dont certaines prospectives, ne montrent pas qu'on sauve ou ne sauve pas les patients, elles montrent simplement que ce qu'on fait n'immobilise pas ET est parfois physiologiquement délétère.
Or avant de monter une étude, ou de rechercher un bénéfice en médecine, on s'attelle déjà à établir une cohérence externe. Ces études malgré leur niveau de preuve très faible à faible, sont peu informatives sur le réel pouvoir de tel nouveau dispositif ou projet du futur pour empêcher les lésions médullaires... leur intérêt n'est pas là, il est de montrer que les mesures qu'on utilise actuellement n'ont aucune cohérence externe, et donc pas n'ont pas de sens telles qu'on les pratique.
Je vous engage à lire mes échanges dans les commentaires sous l'article en réponse à un intervenant me disant "il faut plus d'étude/un essai contrôlé randomisé avant de dire que ce n'est pas bien", moi ce que je dis c'est que non, il ne faut pas un essai contrôlé randomisé pour arrêter des pratiques qui n'auraient de base jamais du être démarrées en l'état. C'est un peu comme si je commercialisais ex-nihilo de l'extrait de camomille en disant que ça traite le cancer sans l'ombre d'une preuve et avec un succès commercial retentissant, et qu'on répondait dans 20 ans, malgré aucune preuve d'efficacité de mon produit mais de petites séries rétrospectives et prospectives d'insuffisance rénale aiguë et de diarrhées à la camomille, qu'il fallait faire des RCT pour arrêter de traiter les cancers à la Camomille au nom du principe de précaution et parce qu'on faisait ça depuis longtemps.
(partie 2):
RépondreSupprimerCe principe ne peut s'appliquer quand on a tout faux à notre copie depuis le départ. C'est une erreur de penser que les Norvégiens (ou mon billet) préconisent de changer une pratique erronée sur de faibles données, pour d'autres pratiques basées sur de quasi aussi faibles études. Ils proposent juste d'en revenir simplement à la racine: à la cohérence externe.
Cette cohérence externe, c'est ce qu'on aurait du faire il y a 50 ans, c'est à dire partir d'un postulat à la fois logique en apparence, et qui n'a pas de raison de faire plus de mal selon les données actuelles de la science: "immobiliser une lésion rachidienne devrait éviter la douleur et les lésions medullaires - la morbi/mortalité."
Nous partons donc du même postulat qu'auparavant. Seulement nous nous basons sur la -faible- littérature obtenues depuis, et nos réflexions combinées, pour les mettre en œuvre différemment et sous un nouveau jour: ne pas agresser la physiologie et la statique du traumatisé, proposer le même objectif mais avec plus d'efficacité, et sans les facteurs démontrés comme délétères.
Ce n'est donc pas d'un virage à 180° dont nous parlons... nous parlons de la même chose, le même but, les mêmes postulats, mais en faisant littéralement voler en éclat toute une base, toute un socle branlant et mal conçu, qui aujourd'hui encore est la base pratique mais aussi la base légale de l'immobilisation, qui envoie des confrères en contentieux au tribunal pour des éléments issus de traditions et non de science.
Les nouvelles recos norvégiennes que j'aborde dans mon billet, sont prudentes et pragmatiques, pas dogmatiques. Si vous y prêtez attention, nous ne proposons rien de nouveau, nous proposons au contraire moins (moins de dispositifs d'immobilisation agressifs, un retour à des procédures plus simples, une perte de certaines indications, et un allègement des procédures). Car d'un point de vue cohérence externe, il n'y a absolument aucune raison valable de penser que ce qu'on fait actuellement fonctionne, et que ça ne fera pas plus de mal, ce que nous voulons absolument éviter. On sait juste que notre projet d'immobiliser sera mieux desservis par ces nouvelles procédures, sans les effets délétères observés sur les dispositifs les actuels.
Nous proposons de reprendre à zéro une science intelligente dans l'immobilisation. Alors, et seulement alors, les études pourront commencer...
Merci de l’intérêt porté au blog en tout cas.
Rhazelovitch
Merci pour ces commentaires pertinents.
RépondreSupprimerBonjour
RépondreSupprimerIl y a des évidences se sont parfois contredite par la suite donc je serais prudent, mais.
L'immobilisation sur une planche ?
Ce que je remarque modestement, c'est que la courbe naturelle de la CV montre que quand on est sur un plan dur, le corps repose sur le haut des fesses, sur le haut du dos et sur l'occiput.
La courbe naturel de la jonction dors-lombaire se retrouve dans le vide donc pour chaque cahot de la route, une mobilisation d'un foyer de fracture peut se produire et être aggravant. Comment savoir si la lésion est induite par le traumatisme ou l'addition de la lésion initiale et la mobilisation d'un foyer de fracture à chaque cahot.
Le coller cervical ?
On demande aux secouristes de l'installer pratiquement systématiquement. Ne pas le faire s'expose à recevoir la foudre.
Donc le patient ayant un TC avec trouble de la conscience se retrouve avec un collier rigide qui entraine une agitation qui va à l'inverse de l'objectif recherché.
Les nouvelles recommandations me paraissent être plus logique tout en se méfiant du message reçu par les premiers intervenants qui risquent de l'interpréter comme "plus besoin d'immobilisation.