lundi 17 janvier 2011

MEDIATOR : COMPLEMENT D'ENQUETE (SUITE ET PAS FIN)


L'affaire Mediator dont je vous ai déjà parlé ici le 14 octobre dernier est pleine de rebondissements.
La parution du rapport de l'IGAS que vous pourrez lire ici, et avec ses annexes si le coeur vous en dit, éclaire une partie du problème : celui de l'AFSSAPS et celui des laboratoires Servier.

Les politiques ne peuvent laisser tomber l'affaire, notamment Xavier Bertrand dans la majorité, à la fois juge (maintenant) et partie (quand il était Ministre de la Santé) et le cardiologue Gérard Bapt dans l'opposition qui va mener une enquête parlementaire.

Un certain nombre de médias ont analysé l'affaire et j'en retiens deux : Mediapart et Marianne dont je vous livre deux commentaires très documentés, le premier et le second, qui montrent que les journalistes peuvent faire du bon travail... quand ils enquêtent...

Mais le résumé (très long) de l'affaire par Marc Girard est un modèle du genre. Il retrace les arcanes de l'affaire avec une précision exemplaire. Il répond à nombre de questions que personne n'a encore évoquées, il lève l'équivoque sur le rôle de Lucien Abenhaim, et cetera, et cetera.
Voici le résumé des questions que pose Marc Girard et auxquelles il répond :

Pour l’essentiel, ces mensonges et contre-vérités sont les suivants :

  1. les effets cardio-pulmonaires des fenfluramines relèveraient d’une toxicité de classe désormais bien connue qui toucherait les anorexigènes amphétaminiques ;
  2. grâce à l’étude IPPHS dirigée par L. Abenhaim, ces effets toxiques auraient été reconnus "sans ambiguïté" ;
  3. cette étude aurait permis aux autorités françaises de prendre "immédiatement" les mesures de santé publique qui s’imposaient ;
  4. l’impeccable réactivité des autorités françaises s’opposerait à l’incurie des Américains qui auraient autorisé la dexfenfluramine malgré les résultats défavorables de l’étude IPPHS ;
  5. la base de données de la CNAM d’où sont sorties les récentes "études" ayant permis de confirmer et de quantifier la toxicité de Médiator correspondrait à une innovation remarquable qui bouleverserait les méthodes de travail habituelles en pharmaco-épidémiologie ;
  6. la courageuse obstination d’un pneumologue brestois à permis de contrer les intérêts de Servier et de faire retirer Médiator du marché français.

Puis, si vous souhaitez, une fois n'est pas coutume, voir de l'information grand public de qualité satisfaisante, mais située dans un champ particulier de l'affaire, voir la vidéo de TF1 qui est d'une grande clarté (merci à Alain Braillon de me l'avoir transmise) : ICI.

Tout cela ne serait rien sans la responsabilité des prescripteurs qui, sans vouloir rendre leur culpabilité moins importante, et il y a eu des prescripteurs "honnêtes" et d'autres, obésologues et autres "spécialistes" du surpoids plutôt filous (on espère, non, je ne ris pas, que notre Roselyne Glaxo nationale n'ait pas pris et mediator et isoméride à s'en faire péter les valves...), prescripteurs donc qui ont été bombardés d'informations contradictoires et d'alertes plus ou moins cachées, plus ou moins fondées et, surtout, en bons médecins non spécialistes de la pharmacologie clinique et encore moins de la pharmacovigilance, se sont fiés aux Agences et aux Autorités qui ne retiraient pas le médicament du marché. Car, il faut le dire, au delà des polémiques, l'AFSSAPS a détruit pour longtemps la parole publique en termes de médicaments, elle a taché pour longtemps le rôle de service public auquel elle aurait dû se cantonner en ne prenant pas la défense des patients (les obèses ne sont pas encore malades, me semble-t-il) et en se réfugiant derrière l'intérêt des firmes françaises (pour sauver des emplois dans les circonscriptions sensibles).

J'espère que les lecteurs de ce blog se rappelleront ce que nous disions au moment de la "pandémie grippale" de l'an passé et combien les rapports rassurants de l'AFSSAPS et de l'INVS et les propos lénifiants de la DGS paraissent maintenant inquiétants eu égard ce qui n'a pas été fait pour le Mediator.



5 commentaires:

  1. Je crains que Marc Girard n'ait raison concernant l'aspect orchestré de toute cette affaire. Le scandale me paraît un peu trop maîtrisé par les politiques. Rien n'arrive jamais par hasard, surtout après 50 ans de parfaite harmonie entre Servier et les autorités.
    Pour voir si j'ai bien compris, je révise ma leçon:
    acte 1: en 1963 le laboratoire Servier introduit sur le marché le premier anorexigène (coupe-faim) le Ponderal ou fenfluramine. Les premières alertes de pharmacovigilance concernant la toxicité cardio-vasculaire de cette molécule apparaissent au début des années 80. Néanmoins, d'autres molécules ont été ou vont être introduites qui sont des variantes ou des précurseurs de la norfenfluramine, dérivé actif de la fenfluaramine ayant un effet cardio-toxique: en 1976 le Mediator ou benfluorex introduit comme antidiabétique, en 1985 l'Isoméride (desfenfluramine)introduit comme coupe-faim
    acte 2: une étude française menée à Béclère du début des années 90 démontre la cardio-toxicité spécifique des fenfluramines. Cela tombe mal alors que Servier essaie de vendre ses coupe-faim aux Etats Unis et d'obtenir l'autorisation de la Food and Drug Aadminstration
    acte 3: Servier finance une étude IPPHS qui amalgame l'ensemble des anorexigènes pour en démontrer la cardio-toxicité de classe. Lucien Abenahim co-signe cette étude et divulgue une interprétation selon laquelle l'hypertension artérielle pulmonaire serait le propre de l'ensemble des anorexigènes mais ne parle pas de la cardio-toxicité valvulaire spécifique des fenfluramines. Néanmoins les fenfluramines auraient un avantage sur les autres anorexigènes, d'après lui, ce ne sont pas des amphétamines et elles ne génèrent donc pas de dépendance.
    Acte 4: sur la base de cette étude on restreint sévèrement, en 1995, l'utilisation de l'ensemble des anorexigènes. Nénamoins l'Isoméride obtient une AMM aux Etats Unis à l'arrachée la même année. Mais la FDA lui rétire cette AMM dès 1997 par suite de la révélation de cas de valvulopathies qui lui sont imputables par une cardiologue de la Clinique Mayo. Comme les restrictions ne s'adressent en France qu'aux médicaments classés comme coupe-faim, le Mediator n'est pas concerné puisqu'il est présenté et autorisé comme anti-diabétique. Ceci malgré le fait que dans l'organisme le benfluorex est transformé en norfenfluramine, la même molécule que celle qui dérive du Pondéral.
    acte 5: un an après le retrait d'AMM du Mediator un scandale médiatique éclate sur des révélations de la CNAM.
    Des molécules présentées comme ayant un avantage par rapport aux amphétamines alors que ce sont elles-mêmes des amphétamines, un anti-diabétique qui n'en est pas un...les vérités scientifiques du moment semblent bien dépendre de la profondeur du prote-feuille et de la longueur du bras de celui qui y a intérêt
    question 1: comment peut-on restreindre ou interdire l'utilisation de médicaments sur la foi de leurs seules indications sans prendre en compte leur structure chimique et leur devenir pharmacologique?
    question 2: quand la fébrilité médiatique sera retombée, qui va se porter candidat à la succession de Jacques Servier? quand on le saura on saura aussi pourquoi (pour qui) les autorités se sont réveillées après 30 ans de sommeil profond. Et ce n'est certainement pas pour les victimes du Mediator
    question 3: est-ce qu'on ne nous aurait pas monté une belle histoire avec des méchants, des gentils et plein de rebondissements?
    Du pain et du cirque vous dis-je.
    Un point sur lequel je ne suis pas d'accord: les éventuelles 300 000 hospitalisations annuelles ne sont pas dues à un médicament (un à la fois) mais surtout à des interactions médicamenteuses. 20 décès et 100 hospitalisations par an me paraît un argument suffisant pour retirer un médicament qui ne sert à rien quelque soit l'opportunisme des décisions qui ont été prises.
    CMT

    RépondreSupprimer
  2. Alors, en clair un diabétique qui a eu ce médicament comme traitement n'a pas eu de traitement réel/ efficace contre le diabète? C'est bien ca?

    Chantal

    RépondreSupprimer
  3. @ Chantal
    Le Mediator ne seravait à rien, j'en ai bien peur. Antidiabétique oral inefficace et anorexigène dangereux.

    RépondreSupprimer
  4. C'est expliqué dans le rapport de l'IGAS et je pense que c'est intéressant de rentrer un peu dans les détails. Les trois molécules, fenfluramine (Pondéral), dexfenfluramine (Isoméride) et benfluorex (Mediator) dérivent de la norfenfluramine. La norfenfluramine elle-même dérive et est très proche de l'amphétamine. Le laboratoire cherchait initialement à synthétiser à partir de l'amphétamine une molécule qui n'ait pas les effets secondaires de l'amphétamine tout en fonctionnant comme coupe-faim. Tout ça n'a pas grand chose à voir avec l'idée qu'on se fait de la recherche. Cela ressemble plutôt à de la cuisine. On prend une molécule (la norfemfluramine dérivé direct de l'amphétamine) on la modifie et on voit ce que ça donne. On fait des essais au hasard. Cela pourrait encore ressembler à de la science si l'on procédait avec rigueur et honnêteté pour l'évaluation des molécules ainsi synthétisées. Mais clairement les laboratoires ne font pas de la science: ils font du commerce. Donc, bien que cette molécule, le benfluorex (futur médiator) ne se distingat pas des deux autres, le Ponderal et l'Isoméride, ni dans sa structure chimique, ni dans ses effets démontrés (anorexigène),ni dans son devenir pharmacologique (une fois dans l'organisme elle est transformée en norfenfluramine, ce parent proche de l'amphétamine ayant un effet de coupe-faim) ils ont décidé de la présenter comme ayant une action sur le métabolisme des triglycérides et des glucides. Je crois qu'ils voulaient simplement occuper ce créneau commercial. Et c'est sous cette étiquette que le benfluorex a reçu une AMM. Bien en a pris aux laboratoires Servier car grâce à ce simple étiquetage qui n'était qu'un subterfuge marketing, puisque les bénéfices du Médiator pour les diabétiques n'ont jamais pu être établis, le Mediator a pu traverser sans encombre toutes la période pendant laquelle les anorexigènes ont été mis à l'index.
    C'est comme ça que ça fonctionne. Les laboratoires ne font pas de la science, ils jouent aux apprentis sorciers en fonction de leur stratégie commerciale.
    Les médecins qui prescrivent hors AMM se comportent aussi comme des apprentis sorciers et ne sont pas plus légitimes sur le plan scientifique qu'un magnétiseur ou un homéopathe quelconques.
    CMT

    RépondreSupprimer
  5. @Merci docteurdu16 pour cette réponse. Alors, mon père n'était pour rien quand sa glycémie était toujours trop haute. Il a eu ce médicament pendant des années,avec un autre pour diminuer un peu plus, en fait jusque peu avant sa mort.

    Merci, c'est seulement pour comprendre un peu l'affaire Médiator. Comprendre et tenter de ne pas se faire avoir une autre fois, si possible - aussi en tant que malade (ou la personne qui avale les médicaments) que de comprendre la réponse du milieu médical.

    Bonne journée

    Chantal

    RépondreSupprimer