mardi 19 avril 2011

IDEOLOGIE DE LA LOMBALGIE - HISTOIRES DE CONSULTATION 78

Portefaix à Istambul avec son patron.

Monsieur A, 30 ans, manutentionnaire (en réalité responsable de magasin payé comme un manutentionnaire et effectuant aussi un boulot de manutentionnaire), long passé de lombalgique, a pris rendez-vous aux aurores pour me montrer le scanner que je lui ai prescrit avant mon départ en vacances. Il est arrêté jusqu'à ce jour et il s'agit d'un arrêt de travail. Je le regarde marcher pendant qu'il entre dans mon bureau : il a des difficultés.
Je lis ce que j'ai écrit dans son dossier : "Lomboradiculalgies droites avec trajet évoquant une symptomatologie L4L5, pas de troubles sensitifs ou moteurs distaux, les douleurs radiculaires dominant le tableau sur des lombalgies peu intenses. Scanner demandé en raison de la répétition des épisodes douloureux et l'apparition d'une radiculalgie vraie."
"Comment ça va ? - Mal. Je n'arrive pas à marcher, la nuit, c'est terrible, je ne trouve pas de position."
J'ai toujours été embêté par Monsieur A à qui j'ai pratiqué DT Polio (eh oui, cela existait encore) et Rouvax (vous savez, le vaccin qui ne donnait aucun effet indésirable local et général selon ses fabricants et qui, lors de l'apparition des vaccins "modernes" est devenu "indésirable" en raison des effets locaux et généraux qu'il provoquait) quand il était petit car j'ai toujours trouvé qu'il en faisait trop chaque fois qu'il souffrait de lombalgies. Mon remplaçant avait noté dans le dossier "Il exagère..." et je pensais, un peu de même. Quoi qu'il en soit, Monsieur A, que j'appelle par son prénom, Y, est à mon goût trop souvent lombalgique. Il existe aussi, c'est mon côté "freudien", une insatisfaction au travail en raison de sa non reconnaissance professionnelle, qu'il dit, et de son salaire qu'il trouve, comme tout un chacun, insuffisant en proportion des services qu'il rend à son entreprise (c'est toujours la même chanson et vous ne serez pas étonné que l'auteur de ces lignes ait souvent le beau rôle, comme si, lui aussi, rendait des services incomparables à l'état de santé du Val Fourré).
Donc, je suis embêté avec cet homme jeune, pas bête du tout, à qui j'ai suggéré, il y a déjà longtemps, de faire tout (formation, et cetera) pour s'éloigner de la manutention. "Mais, vous comprenez, docteur, à mon âge, avec les enfants, ce n'est pas très facile...", je suis embêté car il me semble que tout ce que j'ai lu sur la gestion des lombalgies, je ne le fais pas ou, pire, je n'arrive pas à le faire en raison d'une sorte d'empathie trop forte à l'égard de cet homme jeune "que j'aime bien" : il me semble que je ne lui rend pas service.
Le scanner (je reproduis le résumé) : "Hernie discale L4L5 droite ayant migré dans l'espace foraminal avec contact probable avec la racine S1 expliquant la symptomatologie."
Bon, il y a concordance anatomo-clinique, ce n'est déjà pas mal pour un "simulateur".
Mais les spécialistes des lombalgies récidivantes ou non savent mieux que moi que le problème ne se situe pas là. Encore que... La concordance anatomo-clinique est aussi une raison de chronicisation de la douleur et de l'arrêt de travail.
"Il y a un truc que je ne comprends pas, on dirait que tu vas plus mal que l'autre fois... - Oui, j'ai horriblement mal. "
A l'examen il existe effectivement, et je suis étonné de la rapidité de l'évolution (j'ai vu le patient il y a exactement treize jours), une difficulté à marcher sur les talons et une petite atrophie du jambier antérieur (d'autant plus objectivable que le patient est droitier).
Mais enfin, rien de très inquiétant malgré tout.
Je vais prolonger le patient (eh oui, c'est mal) et je vais envisager une infiltration foraminale scanno-guidée (malgré les données divergentes de la littérature).
Mais l'histoire n'est pas finie.
Car le patient me dit, que pendant mes treize jours de vacances, il a vu le médecin du travail (j'avais écrit un courrier à ce médecin dans le cadre d'une visite de pré-reprise) qui l'a agressé : 1) Ce n'est pas la peine de faire un scanner ; 2) Il faut reprendre le plus vite possible. Disons quand même que lorsqu'il a été vu par ma consoeur il ne s'était pas "aggravé" et que les douleurs étaient lombaires et radiculaires droites modérées à moyennes. Il me montre le certificat établi par le médecin du travail indiquant "Une possible reprise du travail dans l'entreprise à un poste sans manutention et sans port de charges..."
Mais l'histoire n'est pas finie.
Pendant la consultation ma secrétaire m'indique qu'il y a un courrier qui vient d'arriver de la CPAM et qu'elle me l'apporte. Le médecin conseil stipule que l'assuré social, Monsieur A, peut être considéré comme consolidé à la date de ce jour et le médecin conseil m'engage à rédiger les papiers ad hoc.

Commentaires :
1) J'ai du mal à gérer les lombalgiques en général et j'ai tendance à les arrêter plus longtemps que nombre de mes confrères (expérience du groupe de pairs). Est-ce dû à un problème particulier de ma part tendant à culpabiliser devant les douleurs physiques dues au travail ou à culpabiliser par rapport à ce que l'on appelait, avant, la classe ouvrière ? A moi Freud, deux mots !
2) Le dogme, faire reprendre le plus tôt possible les lombalgiques, est probablement justifié par nombre d'essais et les réflexions d'Agnès et de Philippe Nicot m'ont fait énormément progresser sur la voie de la compréhension des phénomènes et notamment ICI, mais il ne doit pas être considéré comme une référence "morale" ou éthique dans les relations avec les patients.
3) Les examens complémentaires, comme le scanner ou l'IRM, ne sont pas inutiles, en sachant que la différence des coûts est minime quand on sait que des radiographies du rachis lombaire face profil sont presque toujours suivies d'un scanner et / ou d'une IRM.
4) Ce dogme peut aussi faire des ravages sur le plan social puisqu'il présuppose que le malade qui ne reprend pas est un feignant, que le médecin traitant qui prolonge est un incompétent, que les examens complémentaires sont un gâchis économique et que l'employeur est un saint.

Il ne me restait plus qu'à téléphoner au médecin conseil (ou plutôt à la plate-forme de la CPAM des Yvelines) afin de lui indiquer que les nouvelles données de la science (glup !) me faisaient proposer un nouveau projet thérapeutique (sic).

7 commentaires:

  1. Problème en relation avec le diagnostic de lombalgie "commune", encore enseigné couramment mais notoirement insuffisant. Quand elle est en relation avec le travail, la première consultation doit comporter un interrogatoire détaillé sur les conditions physiques et psychologiques du poste de travail aussi bien qu'un examen clinique précis. Cela évite de se retrouver 3 mois plus tard à découvrir que l'on est dans une lombalgie "refuge" plutôt qu'un conflit disco-radiculaire. Ce ne sont ni les signes neuro (souvent présents dès le début, perte de force et boiterie sont aggravés par le déconditionnement à l'effort plutôt que par une évolution neurologique) ni les résultats du scanner qui font renvoyer un patient au boulot, mais l'existence d'un conflit radiculaire clinique dont le Lasègue reste le meilleur signe. La plupart des gens ayant un scanner tel que tu le décrit vont s'améliorer en reprenant le boulot dans des conditions adaptées (poste aménagé, mi-temps thérapeutique). C'est le cas pour des artisans qui n'arrêtent pas leur activité pour des résultats souvent beaucoup plus catastrophiques. Les infiltrations sont des traitements initiaux d'un conflit disco-radiculaire, moins intéressants au bout de plusieurs semaines, et une foraminale présente suffisamment de risques pour qu'une tentative de résinsertion au travail soit préférable en 1ère intention. Dans une lombalgie qui traîne, rien ne vaut un oeil neuf sur le patient. N'hésite pas à travailler en équipe. Cordialement

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  2. @ JPL
    Très bien. Je te remercie. Mais dans le cas précis de ce patient il y avait eu une reprise du travail qui avait été très mal acceptée par les collègues qui lui conseillaient de revenir chez lui puisqu'il ne pouvait les aider dans les tâches les plus dures... Il y a donc aussi un problème de mentalité, surtout dans les petites entreprises mais aussi dans les grandes... Quant au cadre de l'accident de travail, il est encore plus complexe car le patient éprouve des sentiments complexes (responsabilité de l'employeur, de la société, et cetera...).
    Je connais les arguments et certains tenants et aboutissants mais l'affaire n'est pas toujours claire. Je ne suis pas toujours aidé par le médecin du travail et encore moins par le médecin conseil... Quant aux associations, elles ont parfois des objectifs troubles, syndicaux, et cetera, financiers...
    Mais je l'ai souligné : je ne suis pas à l'aise. Merci encore.

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  3. Avez vous déjà penser à l'ostéopathie pour traiter les lombalgie ? (si elle est bien d'origine discal et après imagerie, pour éliminer tous les diag différentiel qui pourrait le contre indiquer...) il me semble que parfois ça peut être une bonne alternative ou un complément aux infiltrations. Après ça ne s'applique pê pas à ce cas en particulier je ne m'y connais pas assez pour le savoir. Mais bon c'est vrai que quand c'est du au condition de travail ça ne solutionne probablement pas le problème à long terme..

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  4. Je comprends pas ce mélange entre lombalgie et radiculalgies - C'est pas le même tableau clinique.L'ostéopathie est totalement contre-indiquée dans ce tableau. C'est un bon truc pour les fonctionnels.

    JBC

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  5. Les patients qui sont renvoyés chez eux par le patron ou les collègues parce qu'ils ne peuvent pas bosser normalement sont, sans précisions supplémentaires, dans une mauvaise ambiance de travail, certainement pas solidaire.
    Le médecin le mieux placé pour en juger est le médecin du travail, encore faut-il qu'il ne soit pas débordé… et motivé par une lettre expliquant l'histoire et les constatations cliniques.

    Anonyme a une vision quelque peu simpliste de l'ostéopathie. Si la spécialité souffre de discours parfois ésotériques chez ses pratiquants, les techniques sont souvent remarquablement efficaces quand leur motivation biomécanique a été précisée, et ce aussi bien dans les lombalgies que les sciatiques, qui ne sont pas toutes des conflits disco-radiculaires même en présence d'une hernie. Dans certains conflits disco-radiculaires authentiques, les méthodes manuelles peuvent encore marcher, mais c'est plus délicat. Toutes ces pathologies sont mécaniques. Qui va penser qu'une prescription d'AINS sur plusieurs semaines est une approche plus intelligente ?
    Le diagnostic "c'est fonctionnel" ou "c'est dans la tête"… n'est surtout pas dans celle du médecin…

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  6. @ JPL
    Le médecin du travail n'est quand même pas Dieu Le Père et, quelle que soit sa compétence, il est contraint. Contraint par le lien de subordination avec son employeur, contrait par les conditions de travail elles-mêmes (dans une petite entreprise l'employeur préfère un salarié arrêté à un salarié amoindri et dans les grandes entreprises la culture n'est pas de proposer un poste différent, d'autant plus que c'est souvent prendre un poste moins exposé à un autre salarié qui n'a pas envie de donner le sien, fût-ce temporairement, et dans les entreprises moyennes, pardon si je simplifie, le nombre de postes de travail et la spécialisation des salariés rend une reprise "protégée" souvent difficile et parfois impossible).
    J'ai affaire, par ailleurs, à des salariés peu mobiles, dans le sens où, quasiment analphabètes, ils ne peuvent se reconvertir et le licenciement pour inaptitude au poste revient à les inscrire à Pôle Emploi pour un temps peu prévisible.

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  7. C'est bien pour cela qu'il faut être très parcimonieux avec les inaptitudes au poste, du moins les définitives, car les temporaires sont très utiles, ne pouvant justifier un licenciement.
    Je n'ai pas dit que le médecin du travail était doté de grands pouvoirs, simplement qu'il est le mieux placé, pour savoir si la cause du travailleur mérite d'être défendue ou si la situation est sans issue. Un bon médecin du travail est surtout un bon négociateur…
    Il existe de nombreuses situations comme celle que tu as décrite où le salarié devrait changer de travail, mais n'ose pas, et le médecin n'ose le conseiller. C'est le travers de l'assistance : elle enterre parfois les problèmes davantage qu'elle ne les résout.

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