mardi 12 juillet 2011

Le professeur Claude Béraud "sauve" l'assurance maladie.


Je viens de lire un article du Professeur Claude Béraud hébergé sur le site de Pharmacritique (ICI) et, bien que les commentaires soient à nouveau ouverts sur le site de Madame Elena Pasca, mon commentaire est trop long pour être publié et je n'aime pas être "modéré" au sens propre et au sens figuré.
Je vous demande donc de lire l'article sur le site et de revenir me voir.

L'article de Claude Béraud (CB), "Menaces sur l'assurance maladie : entre fictions et réalités.", et, avant tout, on peut se demander si l'auteur est un lanceur d'alerte (whistle blower) ou un repenti (pentito), je vous laisse choisir sans modération, est une accumulation de clichés, de dénonciations archi connues et nous laisse sur notre faim quant aux solutions possibles.
CB, qui tel Philippe Even, a occupé des postes éminents dans l'administration et dans le privé et ne s'est pas rebellé à l'époque pour des raisons que nous n'analyserons pas ici, se livre au sport favori des Français (mais pas seulement, des exemples étrangers du même type sont nombreux), l'autodénigrement désespérant et insoluble dans l'autosatisfaction. Tels ces experts, dont l'appartenance au lobby de l'automobile ne faisait aucun doute, qui prétendaient dans les années soixante à l'irréductibilité du nombre des morts (17500) sur les routes françaises pour des raisons franco-françaises anthropologiques liées à, je cite entre autres, l'esprit individualiste des Gaulois et leur rapport à la bagnole, et qui nient encore qu'il y ait moins de 4000 morts par an (chiffre de 2010) et que ce soit lié, entre autres, aux limitations de vitesse...
Mais revenons-en à notre Saint Jean Bouche d'Or et ce qu'il dit être les 4 causes principales de l'excès des dépenses de l'assurance maladie. (J'ajoute perfidement qu'il ne parle à aucun moment des dysfonctionnements qui pourraient exister à l'intérieur de cette noble institution).
  1. L'absence d'organisation du système de soins. Et là, contre toute attente, nous avons droit à une attaque en règle des médecins généralistes (MG) selon un procédé rhétorique extrêmement connu : il commence par assigner un rôle aux MG, rôle inventé par le donneur de leçons et authentifié par une référence américaine, qui est de "répondre durant 24 heures, 365 jours par an à la quasi totalité des soins et des urgences et de (...) coordonner les soins délivrés par les spécialistes et les hôpitaux." (Diable !) ; puis il constate que les MG ne le font pas ; puis il donne, comme il dit un, je cite, "bon exemple" (charité bien ordonnée commence par soi-même), celui de l'hospitalisation abusive des personnes âgées. Le professeur Béraud marche sur la tête. Il ne connaît ni les données démographiques, ni les donnée sociologiques, ni les données budgétaires.
  2. Les prescriptions non justifiées par les données scientifiques. CB entonne la vieille rengaine de l'incompétence, de la légèreté et de l'inconscience des médecins (que j'ai déjà dénoncées ici et là sur ce site), et je souligne que lorsqu'il était en poste il n'a rien fait pour s'y opposer. CB, ancien médecin conseil national de la Sécurité sociale (ça en jette !) ne dit pas un mot du CAPI (devoir de réserve), pas un mot de l'HAS (devoir de copinage), pas un mot de la vaccination anti grippale (devoir expertal), et, puisqu'il parle beaucoup des personnes âgées dans son papier, ne dit rien du scandale scientifique et financier de la prescription d'anticholinestérasiques dans la maladie d'Alzheimer qui sont non seulement des médicaments inefficaces et très coûteux mais sont aussi générateurs d'effets indésirables cardiovasculaires jamais recensés.
  3. La médicalisation des souffrances liées aux difficultés et aux contraintes de la vie quotidienne. Là, je ne sais pas s'il faut en rire ou en pleurer. Un tel tissu de contradictions, un tel manque de recul, une telle précipitation dans la dénonciation des médecins, et, vous l'aurez noté, des MG en particulier, ces espèces de sous hommes que l'on peut maltraiter comme l'on veut, me laissent indécis. D'un côté notre moraliste nous dit que l'on médicalise la vie et de l'autre que les MG, qui, on l'a vu, doivent être sur la brèche 365 jours par an sauf les années bissextiles, devraient mieux écouter les patients en prenant plus de temps, des patients qui souffrent parce que leur chef de service les harcèle, parce que leur compagnon les trompe, parce que leurs enfants leur disent merdre, en prenant plus de temps et sans prescrire de médicaments ; écouter les plaintes d'un homme dont la femme vient de le quitter n'est pas pour CB une expression sublime du disease mongering généralisé mais le rôle fondamental du MG... CB veut que les MG fassent de la médecine 24 heures sur 24 (sauf les jours de passage à l'heure d'été ou à l'heure d'hiver), de la vraie médecine s'entend, et leur demandent aussi d'être les rafistoleurs du système de production français, sans prescrire de médicaments, sans prescrire, j'imagine, d'arrêts de travail, sans prescrire d'examens complémentaires inutiles, c'est à dire se comporter en emplâtres sur jambes de bois au service des experts qui nous gouvernent et qui savent tout, aux experts qui défendent le droit de l'Assurance maladie à ne plus être solidaire, à faire de la visite médicale académique ou à supprimer le médecin référent...
  4. Le consumérisme médical, poursuit notre Candide, est un important facteur de croissance des dépenses de soin, notamment chez les personnes âgées. Mais comment ne pas y avoir pensé plus tôt ? CB est le seul à connaître la cause de tout, le deus ex machina de nos errements. Il critique donc les bilans de santé mis en place par l'Assurance maladie pour les nécessiteux et qui  sont élargis à tous les publics, privatisation oblige, il critique les campagnes de prévention (cancer du sein) mis en place par l'Assurance maladie et faisant l'objet de primes pour les médecins s'y prêtant, il critique les tests de mémoire qui sont au centre de la stratégie de prévention de la maladie d'Alzheimer et qui sont favorisés par l'Assurance maladie, il critique les mesures préventives non validées (vaccination anti grippale) destinées aux personnes de plus de 60 ans (en sachant qu'à partir de 65 ans le vaccin est vraiment inefficace) qui donnent aussi lieu à des primes pour les MG qui ont signé le CAPI.
Claude Béraud avait le pied dedans quand il exerçait ses fonctions à l'Assurance maladie ou à la Mutualité française et il a le pied dehors maintenant qu'il est retraité de ces mêmes organismes...
Le professeur CB sait tout, voit tout, entend tout, dit tout, mais trop tard. C'était quand il professait qu'il aurait dû dénoncer et ne pas participer à cette entreprise de gabegie intellectuelle et financière qu'il semble condamner désormais sans retenue.

Mais le professeur Béraud :
  1. Oublie les aspirations des Français au sacro-saint Droit à la santé, la République des Droits, que l'Etat de gauche ou de droite, l'Etat comme entité hypostasiée d'une volonté générale, leur a inculqué depuis des années au nom d'idées généreuses, l'Enfer est toujours pavé de bonnes intentions, d'idées qui se déclinent encore sous forme d'incantations vidées de leur sens (lutter contre les inégalités), que le citoyen devait vendre son âme à l'Etat qui allait, dans sa grandissime bonté, pourvoir à tout ; incantations humanistes dans le genre "La Santé n'a pas de prix", proposition malhonnête qui sous tend qu'il faut tout faire pour sauver une vie, commercialiser des anticancéreux de troisième ligne à des prix défiant toute concurrence et sans aucune garantie de sécurité d'emploi, et augmentant, dans des essais randomisés, l'espérance de vie de trois semaines (et là, je suis optimiste), à demander encore plus et encore plus de mammographes (CGR ?) pour dépister et dépister encore, à ne pas fermer des services de réanimation obsolètes où il y a plus de morts que de vivants à la sortie (exagéré-je ?) ; incantations humanistes dans le style "Il vaut mieux prévenir que guérir", incantation largement démentie par les faits et par Sackett (ICI), qui fait accepter n'importe quoi, du Gardasil au taux toujours plus bas de mauvais cholestérol. Et ainsi le citoyen a-t-il pactisé avec le Diable de la médecine toute-puissante qui fait dire à un maire de ville ou de bourgade que la lutte contre les inégalités signifie que des services d'urgence soient prêts chaque minute que Dieu fait à recevoir un malade souffrant de rhume et que le sérum physiologique devrait être remboursé pour les mêmes raisons.
  2. Oublie l'arrogance médicale qui participe à la confusion généralisée qui mélange sans discernement la médecine, l'hygiène, le mode de vie, l'anthropologie, la culture et les conditions de travail. L'arrogance médicale c'est considérer que tout ce qui est arrivé de bien à l'humanité (pas partout, cela va sans dire), je veux dire le recul de la mortalité infantile et maternelle, la disparition de certaines maladies, les progrès de la chirurgie, le contrôle des naissances, l'augmentation de l'espérance de vie brute et sans douleurs, mais la liste n'est forcément pas exhaustive, nous pourrions y passer la soirée, est lié à la compétence médicale. Ce tour de passe passe idéologique permet, comme on l'a vu, de tout commercialiser, de tout rentabiliser et, surtout, de ne pas s'interroger sur la validité des hypothèses de départ. Il est aussi trop tard pour revenir en arrière dans de nombreux domaines comme le dépistage de certaines affections.
  3. Oublie l'arrogance sociétale du lobby administrativo-industriel qui, au nom de la liberté, laisse passer les publicités diabétogènes (junk food) à la télévision et propose des diagnostics et des traitements aux diabétiques qui n'ont jamais été aussi nombreux, non seulement en raison du mode de vie pléthorique de nos sociétés, mais aussi en raison de l'abaissement des seuils permettant de considérer un individu bien portant comme un intolérant aux glucides. Ce sont les mêmes qui commercialisent Mc Do et qui vendent les antidiabétiques.
  4. Oublie le sort réservé à la médecine générale : pas d'enseignement à la faculté ; numerus clausus favorisant les spécialités universitaires ; allocation de ressources négligeable et diminuant au cours des années ; spécialistocentrisme ; hospitalocentrisme malgré les revers continuels de cette politique et le sort réservé aux hospitaliers qui souffrent encore plus que les MG.
  5. Oublie les dernières réformes (Agences régionales de Santé) qui sont magnifiques dans les intentions mais qui, en pratique, sont l'expression achevée de l'inorganisation administrative française : peuplement des bureaux dorés et dépeuplement des hommes et des femmes de terrain ; accumulation de couches administratives, de règlements incompréhensibles, de discours de la vitrine, de lâchetés vis à vis des personnels, d'amoncellements de privilèges pour les nantis... Gabegie générale en quelque sorte.
  6. Oublie surtout les liens d'intérêts qui corrompent la médecine et l'administration du haut au bas de la pyramide ; oublie les conflits d'intérêts qui rendent la médecine infréquentable et dont témoignent la composition des Agences dites gouvernementales qui ne sont que des Agences liées à Big Pharma par inconscience et inconséquence plus que par volonté délibérée. Pas un mot de CB. Et pourtant, dans ses différents postes, il a dû en voir des compromissions tacites, des chèques passés sous la table, des déjeuners et des dîners mangés aux frais de la princesse, des congrès payés pour la bonne cause de la science triomphante et des échanges internationaux entre spécialistes, des interventions de ministres pour ne pas pénaliser tel laboratoire installé dans sa circonscription, de diktats de la DGS inspirés par la Santé Publique...
Claude Béraud a raison d'écrire de longs articles dans Pharmacritique dans lesquels il se donne le beau rôle mais cette longueur ne fait que plus souligner les oublis d'un professeur qui fut aussi haut fonctionnaire et patron dans le privé.

Que le lecteur ne pense pas que je défende le système contre Claude Béraud, ce blog en est le témoignage, mais il y en a assez de ces discours convenus, les uns approbateurs, les autres critiques, qui ne font pas avancer le propos en enfumant le débat comme dirait ce bon Even, le spécialiste de l'enfumage.

Je terminerai donc par ce beau texte de David Sackett qui non seulement fut à l'origine de l'EBM mais aussi de beaux discours sur la médecine.

La médecine préventive est trois fois arrogante : Premièrement, elle est agressivement affirmative traquant les individus sans symptômes et leur disant ce qu'ils doivent faire pour rester en bonne santé... Deuxièmement elle est présomptueuse, persuadée que les actions qu'elle préconise feront, en moyenne, plus de bien que de mal à ceux qui les acceptent et qui y adhèrent. Finalement, la médecine préventive est autoritaire, attaquant ceux qui questionnent la validité de ses recommandations.

(Le martyre de Saint-Sébastien - Andrea Mantegna - 1431-1506)

6 commentaires:

  1. Vous ne vouliez pas être modéré et c’est réussi : vous n’êtes pas modéré du tout.
    J’avoue ne pas connaître le passif de Claude Béraud que j’ai connu pour ses textes qui m’avaient semblé une tentative de réflexion tout à fait louable.
    Je ne crois pas qu’on puisse parler d’une accumulation de clichés car, sur le rôle supposé du vieillissement dans le déficit de la sécurité sociale, sa réflexion est à contre-courant du discours officiel colporté par les médias.
    Le déficit de la Sécurité Sociale est de toutes manières une CONSTRUCTION due à des choix politiques dont le substrat est idéologique. Cela est décrit dans l’article sur le livre de Julien Duval.
    Sur beaucoup de points vous dites la même chose que Claude Béraud, vous le constaterez si vous considérez son texte plus calmement.
    D’un autre côté vous lui reprochez des choses justes comme de trop attendre des médecins généralistes.
    Mais sur beaucoup de points les contradictions que vous dénoncez dans son discours n'en sont pas mais sont plutôt des paradoxes : on peut penser, par exemple, qu’il faut des soins primaires performants pour prendre en charge les urgences et qu’il faut néanmoins ne pas pratiquer une médecine uniquement fondée sur la technique ou les médicaments et prendre le temps du dialogue avec les patients.
    Le point aveugle de sa démonstration (là où vient se nicher la fameuse dissonance cognitive à laquelle nul n’échappe), sont, c’est vrai, les conflits d’intérêts. Il parle de prudence des politiques là où moi je parlerais de choix idéologiques et de rapports de force.
    En résumé : vous avez raison il me semble sur certains points mais mettre Claude Béraud sur le même plan que Philippe Even me paraît un peu sévère.

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  2. Sur la médecine préventive cela demanderait plus de développements sur les points suivants :
    1 la capacité de toute société ayant des visées autoritaires à détourner le langage et les concepts à son propre profit. Il est vrai que le concept de médecine préventive qui comporte l’idée du bénéfice supposé pour la santé publique d’actes ou de modes de vie appliqués de manière systématique à un groupe s’y prête particulièrement. Le CAPI et la préconisation des dépistages systématiques du cancer du sein et de la prostate sont représentatifs de ce type de détournement. La différence entre une mesure préventive utile et qui conserve du sens se situant à trois niveaux je pense : premièrement la qualité du fondement scientifique de la mesure, deuxièmement elle ne doit pas limiter la capacité du médecin ou du para-médical qui la met en œuvre à réfléchir par lui-même et à prendre en compte les particularités et les valeurs du patient, troisièmement elle doit être subordonnée au respect de la personne et de ses choix ce qui implique une attitude bien spécifique de la part du prescripteur, très loin du dogmatisme et respectueuse du patient.
    2 l’idée que la liberté serait d’être livré à ses pulsions qui est implicite chez tous ceux qui s’opposent à toute mesure de médecine préventive et qui a la même origine que la pensée libérale qui promeut la croyance en la capacité des marchés à s’auto-réguler. Or, de plus en plus d’études et de publications font apparaître que la société de consommation s’emploie à prendre le contrôle de nos pulsions. Cette influence s’exerçant de manière encore plus radicale et délétère sur les populations plus pauvres et ayant un faible niveau d’études. S’abstenir de toute forme d’intervention c’est prendre acte et se résigner à cet état de fait.
    Le débat sur le rôle de la volonté, l’exercice du libre arbitre et la liberté individuelle est un vieux débat philosophique que je ne m’amuserai pas à essayer de trancher.
    Même si les mots ne sont que des mots, comme dans les belles phrases de David Sackett, je pense qu’il faut garder à l’esprit l’idée que la médecine préventive doit reposer sur des choix éclairés (scientifiquement éclairés) et l’exercice de la volonté individuelle. Avec au centre l’idée qu’il faut conserver aux individus leur statut d’être pensants et non les utiliser pour des objectifs qui les dépassent voire qui vont à l’encontre de leurs intérêts.

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  3. A lire de toute urgence:

    http://www.bedetheque.com/album-76220-BD-SOS-Bonheur.html

    http://fr.wikipedia.org/wiki/SOS_Bonheur

    Amicalement

    Marc

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  4. Bonjour,
    pour faire suite à votre dernière citation sur la médecine préventive:

    "Over the past several decades, there has been a shift in the kinds of patients seeking medical care.
    The progression has been from sick to early sick to well to worried well to worried sick."

    Ce qui peut se traduire par:
    "depuis plusieurs décennies, il y a eu un changement dans les types de patients recourrant à des soins médicaux. La progression a été de malade à malade précoce à bien portant à bien portant inquiet à malade inquiet.

    mais celà sonne mieux en anglais.

    source: http://www.medpagetoday.com/Columns/27492

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  5. Le "siphonnage" de la médecine de soins (dans tous ses aspects) par la médecine préventive est bien une évolution majeure de la médecine.
    Cela correspond à la tentative toujours renouvelée de la médecine de se donner une posture scientifique.
    Ou autrement dit de vider la substance de l'individu au profit de l'épidémiologie et des courbes statistiques.
    Dans ses conditions, on comprend mieux que le généraliste n'ait pas sa place.
    Il s'agit donc bien de l'application d'une idéologie...

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  6. Pour la maladie d'Alzheimer, la prochaine étape est représentée par les biotechnologies, voir mon post ici:
    http://philippehavinh.wordpress.com/2011/07/14/alzheimer-the-next-focus-of-biotechnologies/

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