samedi 9 juillet 2011

Madame A est informée. Histoires de consultation 90.


Madame A m'annonce d'emblée qu'elle ne va pas bien.
Je l'écoute sans anticiper.
Madame A est une femme filiforme qui souffre de lombalgies et de cervicalgies associées à une névralgie cervicobrachiale particulièrement casse-pied. Depuis des années. Madame A fait d'incessants aller et retours entre son médecin traitant et son, si j'ose dire, rhumatologue traitant. Elle a aussi vu un neurologue, on ne saurait assez s'entourer d'avis expertaux, quand tout doute est permis au royaume de la douleur incessante, supportable mais irritante.
Madame A a lu avec son mari la liste des 77 médicaments qui ont été soumis par l'AFSSAPS à une surveillance renforcée (ICI sur le site de l'Express, le site de l'AFSSAPS étant assez peu convivial) dont le Rivotril (clonazépam pour les décéistes, variété de médecins qui, par convictions anti capitalistes, par rigueur scientifique, par passion snobinarde nomade, mondialiste ou internationaliste, par suivisme élitiste, par mimétisme de gauche, et cetera, et cetera, a décidé que le nom de marque était une hérésie absolue et que la DCI ou Dénomination Commune Internationale était à la fois le canon des élégances, la preuve d'une supériorité intellectuelle infinie et la raison d'être du prescripteur avisé, mais, nous y reviendrons un jour de façon plus argumentée) qui lui a été prescrit un jour (et il y a longtemps) par un neurologue conseillé par son médecin traitant et represcrit par le docteurdu16 à des doses ridicules (sept gouttes par jour). Elle a donc décidé d'arrêter d'elle-même et progressivement. Je résume : arrivée à deux ou trois gouttes de rivotril (une misère) elle a décidé de prendre un comprimé de Stilnox (zolpidem toujours pour les décéistes distingués) car elle commençait à ne plus dormir le soir (et, accessoirement, à avoir un peu mal). Le Stilnox est celui de son mari qui en avait jadis pris (c'est moi qui lui en avais prescrit car je suis aussi le médecin traitant du mari) et qui, sur mes conseils prodigués d'emblée, avait arrêté tout de suite de peur de devenir dépendant.
Je ne sais pas si vous arrivez à me suivre mais je rappelle aux débutants, à ceux qui pensent que la médecine générale est un exercice de santé et que le discours des patients est clair et compréhensible comme un livre de Guillaume Musso ou aussi mal dit ou écrit qu'un livre de Marc Levy, que le scénario d'une consultation de médecine générale est parfois déconcertant, mal fichu et ne s'éclaire parfois qu'à la toute fin de consultation qui, comme dit partout, dure cinq minutes et ne permet, paiement à l'acte oblige et dans le meilleur des cas (médecin en secteur opposable), que de récolter, si j'ose dire, que 23 euro, quoi qu'on fasse, dise ou suppute...
Donc, vous avez Madame A, 56 ans, qui décide de son propre chef de cesser de prendre du rivotril, sept gouttes le soir, de s'arrêter progressivement, et, le sommeil disparaissant, de s'auto-administrer du Stilnox prescrit initialement à son mari pour compenser le manque de sommeil.
J'écoute la patiente.
Madame A : "Ben, au début, tout allait bien, je dormais parfaitement puis, tout d'un coup, le Stilnox n'a plus fait d'effet. Et, si je reviens vous voir, c'est pour vous demander ce que je dois faire... J'avais bien envie de reprendre du Rivotril... Cela fait quand même huit jours que je ne dors plus..."
Je me racle la gorge, je me demande ce que je vais bien pouvoir lui dire.
a) Agressif : Voilà ce que c'est de se livrer à l'automédication !
b) Docte : Vous avez un médecin traitant, il eût mieux valu le consulter avant.
c) Arrogant : On se rappelle enfin que l'on a un médecin...
d) Compatissant : Allons, allons, ne nous énervons pas, nous allons régler ce petit problème.
e) Rassurant : 7 gouttes de Rivotril, c'est quand même pas la mort...
Je me rappelle aussi que j'ai prescrit un médicament de la liste des 77 (c'est ma culpabilité). Mais cette liste a été bien utile quand je voulais me débarrasser de médicaments prescrits par des spécialistes...
Donc, cette patiente ne dort plus depuis qu'elle a baissé les doses de Rivotril puis elle a dormi sous Stilnox puis s'est arrêtée de dormir.
L'ombre tutélaire de Peter Falk domine cette consultation.
Je lui explique d'abord quels sont les effets indésirables possibles du Rivotril et j'ajoute, à la dose que vous preniez, bon, passons, mais je lui explique aussi pourquoi on s'attarde en haut lieu sur ce médicament : parce que des patients sont devenus accrocs, parce que des patients en ont fait un usage intempetisf, parce qu'il y a des toxicomanes qui que...
Je lui dis que je ne m'explique pas non plus la raison pour laquelle le Stilnox est devenu inefficace.
Je lui dis que, si elle veut, elle peut reprendre progressivement le Rivotril jusqu'à atteindre la dose qui la fera dormir, que cela ne me dérange pas, mais qu'il est possible que le Rivotril disparaisse un jour et que nous aviserons en amont.
Elle me dit qu'elle avait pensé faire cela.
Puis, pour changer de sujet, pour éviter peut-être qu'elle me pose la question qui tue, à savoir "Pourquoi m'avez-vous laissé prendre et continuez-vous de me laisser prendre un médicament de la liste des 77 ?", je lui raconte une histoire vraie. Monsieur C, un patient en qui j'ai toute confiance, un médecin généraliste à la retraite, m'a dit qu'il avait eu une expérience de ce type avec le Stilnox : A partir du moment où le pharmacien lui avait donné le générique du Stilnox, du zolpidem truc muche chouette, il avait cessé de dormir. Et pourtant le docteur C est tout à fait persuadé (au contraire de moi) de l'équivalence des génériques.
Madame A me regarde comme si je venais de fixer l'oeuf de Colomb.
"Oui ?" fais-je.
"Vous savez", me dit-elle, "je vais vous raconter comment cela s'est passé : quand j'ai décidé de prendre du Stilnox c'est en fait ma belle-mère qui m'en a donné et quand sa boîte a été terminée, j'ai pris le Stilnox de mon mari qui est en fait du zolpidem machin chose..."
Silence.
Digressions du bon docteurdu16.
Bon, les tenants des génériques comme les décéistes vont me tomber sur le mou et me fournir tous les arguments possibles et imaginables, les arguments de Small Pharma, les laboratoires génériqueurs, pour me dire que ma patiente est une folle cinglée. Et ils auront tort. Elle n'est pas une folle cinglée.
Je vais écrire un article sur les génériques dont le titre sera : Les génériques : une catastrophe industrielle, scientifique et économique."
A bientôt.

(Photographie : Chicago. Docteurdu16)

11 commentaires:

  1. J'attends le billet sur les génériques avec impatience. D. Dupagne nous en a promis, il me semble, un aussi qui ne vient pas.
    Ce qui m'ennuie dans ma spécialité, envers de ce qui peut apparaître comme un avantage, est que sa spécificité entraine un spectre thérapeutique étroit et peu important pondéralement en terme de médicaments de pratique de ville.
    Vous m'interessez donc, là aussi.
    NP

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  2. Ce qui m'interpelle toujours dans ces histoires d'individus qui ne dorment pas/plus ou dorment mal c'est que la seule réponse qu'on leur fournie c'est un médoc.

    C'est marrant qu'à aucun moment on se demande "Pourquoi donc Madame A ne dort-elle plus ?".

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  3. Un coup d'oeil sur la BDM de l'assurance maladie permet de voir que les génériques du Stilnox (ils sont nombreux) semblent avoir la même composition que l'original.

    Cette enquête avait bien démarré et était digne de Sherlock Holmes.

    Mais la question suivante pourrait être plutôt: pourquoi deux médicaments ayant la même composition exactement ont des effets différents? Existe-t-il des raisons objectives (modes de fabrication, pureté des composants?).
    La réponse à cette question, si une telle différence se retrouvait dans une étude respectant toutes les règles de l'art, aurait plus d'importance et d'incidence que de savoir si les médicaments originaux sont mieux ou pas que les génériques qui est un débat plus idéologuque que scientifique.

    Il ne faut pas se laisser intimider par les anticapitaliste primaires.
    CMT

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  4. @ Anonyme numéro 2 (ne pourriez-vous pas prendre un pseudo dans le genre Ane ô Nimes...).
    Bien sûr que j'ai posé la question... Mes posts ne sont pas des verbatim à partir de bandes magnétiques.
    de toute façon, l'ostracisme vis à vis des hypnotiques me rend fou : j'ai des patients qui dorment bien avec des hypnotiques depuis des années, pourquoi leur demander s'ils ont eu de mauvaises vibrations lors d leur vie intra utérine. Donner un hypnotique est plus anodin que d'aller fouiller l'oedipe et les confidences sur l'oreiller... Mais on peut en reparler...

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  5. @ CMT : je crois surtout que Stilnox a eu beaucoup de mal à "sortir" en DA vs placebo. Alors entre deux génériques... Et comme la doxa dit que tout se vaut : va pour la doxa.

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  6. A JCG
    "je crois surtout que Stilnox a eu beaucoup de mal à "sortir" en DA vs placebo." [???]
    Euuuuhhh...sans doute.
    No comprenot muy bien.

    Ou alors..je croyais que vous ne vouliez pas donner des placébos à vos patients?
    CMT

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  7. @ Céemmeté.
    Je voulais dire ceci : lors de l'obtention de l'AMM de Stilnox, il a été difficile de prouver la supériorité du zolpidem vs placebo mais cela a été fait (ouf !). Je ne prescris donc pas de placebo (ouf !). Mais cela m'arrive quand même... Il serait donc très difficile de prouver la non différence entre Stilnox princeps et zolpidem duschmoll... Donc, personne ne le fera.

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  8. Puisque nous sommes ds les hypnotiques, je prends un Noctran depuis 25 ans...Mais, puisque ce médicament va disparaitre en octobre 2011 ,me voilà en sevrage du Noctran....et c'est l'enfer pour arreter .. symptomes de manque très durs.J'ai déjà essayé 2 façons de diminuer progressivement, mais il y a toujours un moment ou ça coince.
    Si vous avez des idées, je suis preneuse !
    DB

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  9. dites c'est la foire aux anonymes ici !
    comme NP le 1er anonyme j'attends avec impatience le billet sur les génériques.j'étais plutôt pour et j'ai un gros doute depuis constatation de pb avec le levothyrox générique (sur qq patientes) . c'est peut etre dejà chez vous que j'ai laissé ce lien (un peu fouillis et ancien à ce sujet
    http://www.jacques-lacaze.com/article-medicaments-generique-une-mise-point-39352801.html )
    pour ce qui concerne ma spé je ne perdrai peut être pas mon energie à me battre contre un générique de collyre antibio ou anti herpes mais je ne tenterai pas l'expérience du générique sur un glaucomateux.les génériqueurs ne sont ni des bienfaiteurs de l'humanité ni des sauveurs des comptes de la sécu.
    sinon j'ai bien aimé votre réponse quant au dilemne :"fouiller l'oedipe ou prescrire un hypnotique..."

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  10. Loubet Dominique12 juillet 2011 à 10:01

    Joli billet.
    Et nous voilà reparti dans ce vaste débat sur les génériques, vaste hypocrisie économique qui ne profite qu'à l'industrie. (encore un gaucho ?).
    Le plus simple aurait quand même été que le princeps baisse de prix de façon importante à la fin du brevet, empêchant, ou limitant au mieux, la panoplie de génériques dont, me semble t'il, l'obligation d'équivalence ne porte que sur la molécule et non sur les excipients.
    Dans l'histoire, les dindons de la farce sont, comme à chaque fois, les patients et les prescripteurs de base.
    DL

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  11. je suis par principe d'accord avec vous sur l'efficacité des générique. Mais j'ai une blague à ce sujet. Un jour on me prescrit de l'Advil 400 pour des mots de tête. Sachant que l’ordonnance est renouvelable une fois. La première fois je prend de l'advil le vrai: aucun soucis cela fonctionne. La seconde fois je prend le générique de l'Advil: le mots de tête sont juste atténués (alors qu'avec l'advil ils disparaissent) et en plus je me tape une infection urinaire. Mais à part cela lorsque j'explique cela à mon toubib il me dit que c'est dans ma tête !

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