Une révolution est en marche !
Que se passe-t-il ?
J'ai trouvé un article bien fait dans Medscape (ICI), revue sponsorisée d'accès gratuit après enregistrement :
Screening for Lung Cancer Based on 'Strongest Evidence'
dont voici, entre autres, la phrase forte :
The brand-new guidelines from the National Comprehensive Cancer Network (NCCN), the first to be published by a national advisory group, strongly recommend the use of low-dose computed tomography (LDCT) screening for select individuals at high risk for the disease. For the target group of heavy smokers 55 to 74 years of age, regular annual LDCT scans are recommended
Pour ceux qui n'en croiraient pas leurs yeux, cela signifie que des Etats-Uniens recommandent fortement, c'est même une recommandation de grade 1 (ce qui est rare, le NCCN ne donnant pour la mammographie et la colonoscopie qu'une recommandation de grade 2A), de faire pratiquer annuellement un scanner faible dose dans le groupe à risque des gros fumeurs (30 paquets-années) âgés de 55 à 74 ans même s'ils ont arrêté de fumer depuis 15 ans.
Cette recommandation est liée à un essai randomisé (National Lung Screening Trial) qui a été arrêté en cours de route (voir l'article LA et des commentaires ICI) après 8 ans et qui incluait 53000 patients. Le groupe scannerisé avait un examen tous les ans pendant trois ans puis en "reprenait" pour 5 ans. L'essai arrêté montrait, selon ses auteurs, une réduction relative de la mortalité dans le groupe "dépisté" de 20 % avec une diminution de la mortalité toutes causes de 7 % alors que la mortalité par cancer du poumon représentait 25 % de l'ensemble.
Ce qui a conduit à des déclarations fracassantes de la part des expérimentateurs et de certains commentateurs dans le genre : This is "a seminal moment" for the lung cancer community, the Lung Cancer Alliance declared in a press release. It also quoted James Mulshine, MD, from the Rush University Medical Center in Chicago, Illinois, as saying: "With this positive trial result, we have the opportunity to realize the greatest single reduction of cancer mortality in the history of the war on cancer."
Ils n'ont pas froid aux yeux !
Mais cette recommandation est encore théorique. Nombre de problèmes ne sont pas encore réglés. Et pas des moindres.
D'abord, il faut savoir que des essais précédents n'avaient pas été aussi concluants. Ensuite, d'autres essais ont montré que le sur diagnostic lié à la réalisation d'un scanner comme moyen de dépistage du cancer du poumon oscillait selon les cas entre 25 et 70 % Enfin, et surtout, avant de se lancer dans le dépistage organisé il est nécessaire de savoir à quel âge il faut commencer, à partir de quelle consommation de tabac, au bout de combien de scanners il faut s'arrêter de dépister, quels sont les dangers des radiations, quid de l'observance pour les résultats, quid de la normalisation des examens, quid de la dangerosité des biopsies, quid du coût-efficience, quid des retombées économiques, et cetera.
Nul doute que les courbes bien connues d'incidence et de mortalité du cancer du poumon (ICI figure 1 page 45) vont changer avant même que le dépistage organisé ne soit mis en place : l'incidence va augmenter considérablement, la mortalité va stagner et les experts en concluront au fait que prendre à temps le cancer sauve des vies quelle que soit la non amélioration des thérapeutiques. Et le sur diagnostic pourra être envoyé à la trappe.
Car de telles annonces vont, avant même que des conséquences puissent en être tirées, avant même que l'esquisse de programmes de dépistage généralisé ne soient mis en place, engendrer un surcroît de dépistages individuels et de dépenses (rappelons qu'un scanner pulmonaire est facturé aux Etats-Unis entre 300 et 350 dollars, ce qui n'est pas le cas en France mais ce qui va entraîner des dépassements d'honoraires...) tant et si bien que les études qui suivront seront très difficiles à mener, groupe sans dépistage versus groupe avec dépistage, tant il y aura contamination des groupes théoriquement non dépistés.
Il s'agit désormais d'une course de vitesse pour imposer ce dépistage.
Les lobbies seront en première ligne : radiologues (voire scannerologues), pneumologues, oncologues, radiothérapeutes, chimiothérapeutes, fabricants de scanners, fabricants d'appareils de radiothérapie, fabricants de médicaments, fabricants de rêves.
Ces lobbies de la prévention (et je ne confonds pas prévention et dépistage bien que les définitions de l'OMS soient suffisamment floues pour "enfumer" tout le monde) n'auront pas de mal à convaincre les politiques, les associations, voire Big Tobacco (on rappelle ici qu'une des premières grandes études testant le scanner comme moyen de dépistage du cancer du poumon était sponsorisée entre autres par les industriels du tabac : International Early Lung Cancer Action Project (I-ELCAP) reported in October 2006 in the New England Journal of Medicine (2006;355:1763-1771), de mettre le paquet.
Si j'ai un conseil à vous donner : investissez dans les fabricants de scanners, investissez dans les SEL de radiologie, dans les cliniques de radiothérapie, et cetera.
J'imagine que les lobbies sont en train de préparer le terrain en France. Je leur propose le plan d'action suivant :
- Arroser les key opinions leaders (KOL) américains à l'origine de l'essai
- Faire rencontrer les KOL américains et européens avec les futurs key opinions leaders français choisis par Big Pharma parmi les experts les plus compétents et les plus compliants de la pneumologie française, de la radiologie, de l'oncologie, de la radiothérapie, de la thoracologie...
- Animer un groupe d'étude réunissant tous les acteurs du secteur
- Informer les parlementaires sur le manque de scanners en France
- Réunir dans des dîners en ville des membres de la DGS, de l'INCa, du HCSP, afin de préparer l'opinion
- Prévenir les ARS que le nouveau monde allait arriver : faire de l'annonce, de l'annonce, de l'annonce.
- Convaincre des journalistes influents d'inviter le professeur Khayat au Téléphone Sonne sur France Inter ou le professeur Even au Monde de la Santé ; des papiers dans Le Figaro ou dans Le Monde seraient les bienvenus. Bien entendu des "nègres" écriraient des dossiers de presse prêts à l'emploi ; les journalistes médicaux de la presse sponsorisée "écriraient" également des papiers
- Mettre sur le coup l'INVS qui produirait des données ad hoc justifiant de la future politique
- Fabriquer une lettre Infopoumon sur le modèle d'Infovac pour "guider" les futurs dépisteurs
- Commencer des essais cliniques en arrosant les meilleurs services de l'hexagone avec des promesses de publication en anglais dans les meilleures revues internationales ou en français dans des feuilles de choux impressionnant le Rotary ou le Lion's Club
- Préparer des diaporamas power point pour les différents médecins qui interviendront au palais des Congrès de Paris ou à celui de Romorantin...
- Editer des plaquettes d'information à destination des médecins généralistes, piliers du système de santé
- Faire entrer le nombre de patients fumeurs ou ex fumeurs ayant un médecin traitant dans les objectifs de la Nouvelle Convention capéifiée
- Surveiller la vente des quatre-quatre aux alentours des cliniques de radiothérapie ou des cabinets de scanneropulmonodépistage.
Le veau d'or (Nicolas Poussin en illustration) du dépistage est en marche.
Une nouvelle sous-spécialité va être identifiée (elle existe déjà mais à faible échelle) : la nodulologie pulmonaire. Et cela va générer du chiffre !
S'agit-il d'une prophétie ou d'une réalité déjà en marche ?
NB : Je vous propose de lire le commentaire de CMT à la suite de cet article. Il montre combien la réalité dépasse la fiction. Le texte, rapporté par CMT, est particulièrement éclairant (ICI) et illustre le point 2 de "mon" plan d'action. Merci également de citer le travail de Bernard Junod qui, décidément, est un empêcheur de penser en rond.
NB : Je vous propose de lire le commentaire de CMT à la suite de cet article. Il montre combien la réalité dépasse la fiction. Le texte, rapporté par CMT, est particulièrement éclairant (ICI) et illustre le point 2 de "mon" plan d'action. Merci également de citer le travail de Bernard Junod qui, décidément, est un empêcheur de penser en rond.
Super post, bravo pour la campagne de marketing. J'ai déjà écrit un post qui y ressemblait beaucoup intitulé "Reimbursement strategy" ici:
RépondreSupprimerhttp://philippehavinh.wordpress.com/2011/06/06/reimbursement-strategy/
Regardez aussi ce petit film ci dessous intitulé "Lung Cancer Screenings Might Save Lives", vous y verrez la campagne déjà en marche aux USA:
http://www.mefeedia.com/news/41305284
Certes, beaucoup de questions encore à définir :
RépondreSupprimer- à partir de quelle consommation proposer un dépistae
- quand ? combien de temps ? jusqu'à quand ?
- les modalités techniques de ces scanners et la conduite à tenir en cas de découverte d'une image pulmonaire (intérêt du TEP scanner pour éliminer des faux positifs ?)
Mais il faut rappeler qu'actuellement, ces pathologies ont grosso-modo une médiane de survie à 10-12 mois et un taux de survie à 5 ans de 10-12%... Les pogrès thérapeutiques en terme de chimiothérapie, rayons ou agents ciblés n'ont pas été majeurs comparés à d'autres néoplasies.
Bref, beaucoup de questions sur les modalités mais une idée de dépistage à ne pas jeter aux orties sous des prétextes idéologiques...
@ Picorna : c'est erroné de parler de prétextes idéologiques me concernant. Les prétextes idéologiques sont du côté des enthousiastes : on fonce et on verra après. Ce qui permettra de ne plus pouvoir faire d'études sérieuses puisque le dépistage individuel aura commencé... Je crois qu'il faut lire l'article non publié encore de l'essai randomisé. C'est là que nous commencerons à y voir plus clair. Mais il est possible que le scanner pulmonaire ait un avenir... Le PSA aussi.
RépondreSupprimerBernard Junod citait une étude japonaise que voici Sone S, Takashima S, Li F et al. Mass screening for lung cancer with mobile spiral
RépondreSupprimercomputed tomography scanner. Lancet 1998, 331 (9111):1242-5 qui montrait que le dépistage par scanner spiralé était effectivement très efficace pour détecter des petites tumeurs mais que lorsque deux groupes l’un de fumeurs et l’autre de non fumeurs étaient soumis au dépistage, le nombre de tumeurs dépistées pour 1000 était sensiblement le même dans le groupe des fumeurs et de non fuemeurs, alors même que les fumeurs ont 10 à 20 fois plus de risques de développer des cancers symptomatiques et mortels. Cela mettait donc en évidence un risque très important de surdiagnostic.
Si l’on regarde le cas du cancer du col, exemple de succès du dépistage, ce cancer présente un certain nombre de caractéristiques dont la lenteur d’évolution, l’excellente connaissance de son histoire naturelle avec des étapes évolutives bien définies et, notamment, la possibilité de distinguer clairement le moment où le cancer devient invasif (franchissement de la membrane basale), et une efficacité très importante du traitement à un stade précoce.
Si la médiane de survie n’est que de 12 mois, à quel rythme faudrait-il faire ce dépistage ? Tous les trois mois ?
Le cancer du poumon ne présente pas ces caractéristiques.
En outre, l’irradiation due à un scanner thoracique est équivalent à 300 radios pulmonaires et comporte un risque de mortalité non négligeable de l’ordre de 1 pour 1000.
Voici un article d’une revue helvétique qui a fait une bonne synthèse du sujet :
http://revue.medhyg.ch/print.php3?sid=31413
Et voici la version francophone de la plaquette de l’association qui va mener la campagne pour banaliser le dépistage par scanner du cancer du poumon http://iaslc.org/assets/IASLC-CT-Screening-Statement-French.pdf .
Bien noter les noms pour se les rappeler quand ces kol vont prendre la parole dans les médias, sans déclarer leurs conflits d'intérêts, pour faire l’apologie du dépistage. En France, Elisabeth Brimbilla au CH de Grenoble.
@Docteurdu16 : c'est bien ce que je dis, c'est beaucoup trop tôt pour proposer un dépistage, on n'a pas encore l'article (des fois ça change quand on a les détails), on ne sait pas réellement à qui, quand, comment et jusqu'à quand dépister...
RépondreSupprimerJe ne fais pas entrer d'idéologie mais si ce type de dépistage (quand même assez irradiant) est efficace, on le saura assez tôt vu les courbes de survie (parce que c'est ce qui compte le plus non ?) et surtout il faudrait plusieurs études concordantes pour pouvoir un tel dépistage, de nombreux collègues (univers... oups pardon pas de délation) lisent un article et foncent sur une nouvelle thérapeutique, un nouveau protocole etc.. sur la base d'une étude démentie quelques temps plus tard par d'autres études (voir par exemple l'intérêt des corticoïdes dans le SDRA en réa avec toutes ses études contradictoires...
Voici la publication princeps de l’étude citée dans la plaquette et qui nuance déjà nettement l’enthousiasme débordant affichée par l’association ad hoc, l’IASLC, pour la prévention de la mortalité par cancer du poumon grâce au dépistage généralisé par scanner spiralé : http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1102873
RépondreSupprimerL’étude NLST a été menée d’août 2002 à avril 2004,c'est-à-dire sur 20 mois. C’est bien court pour une étude qui prétend servir de base pour la banalisation du scanner comme moyen de dépistage du cancer du poumon.
Elle comprenait 53 454 participants. Le problème étant que les précédentes études avec un nombre plus réduit de participants même triés sur le volet (des très gros fumeurs fumant depuis longtemps) n’avaient réussi à mettre en évidence aucun bénéfice. Elle est financée par l’Institut National du Cancer, et on sait, expe français, quels sont les conflits d’intérêts de ces instituts avec les multinationales pharmaceutiques et avec les fabriquant d’appareillages, le cancer étant une niche d’investissements particulièrement fructueuse et permissive en matière d’expérimentation directe à grande échelle, notamment pour des de médicaments issus des biotechnologies (cf déconfiture récente d’Avandia dans le cancer du sein aux Etats Unis pour absence de preuves d’efficacité et excès d’effets secondaires).L’étude NLST a été arrêté précipitamment. A cause de ses excellents résultats ou parce que les médiocres résultats se détérioraient rapidement avec le temps ?
A chacun de juger de l’excellence des résultats obtenus. Sur 53 454 patients de 55 à 74 ans randomisés pour être dépistés par scanner spiralé « faible dose » (notion controversée à voir avec radiologues) : le dépistage était tout de même positif pour 24,2 % des patients soumis au CT scan sur 26 722. Cela fait tout de même 6466 patients dépistés positifs. Et était positif pour 6,9% des patients dépistés par radio pulmonaire sur 26 732 soit 1844 patients. La radio pulmonaire est considérée comme un moyen non efficace de dépistage.
RépondreSupprimerParmi les 6466 patients dépistés par scanner après des angoisses et des examens invasifs pour vérification 96,4% se sont avérés être des faux positifs, soit 6233. Restent 233 vrais positifs mais dont les cancers n’étaient pas forcément destinés à évoluer ou qui seraient peut-être morts d’autre chose (n’oublions pas qu’il s’agit de gros fumeurs en plein dans les âges de mortalité précoce pour cause cardio-vasculaire). 6233 ont subi des examens inutiles. Parmi les patients dépistés par radio 94,5% étaient des faux positifs (1,9% de faux positifs en moins et sur un nombre total bien inférieur que celui du groupe soumis au scanner). Cela fait 1742 faux positifs sur 1844 et donc 102 « vrais cancers » mais plus gros donc qui ont plus de risques d’être mortels.
La réduction de la mortalité par cancer du poumon, d’après cette étude serait de 20% avec IC de 6,8 à 26,7 et significatif à p 0,004. Mais on vient de voir que cette réduction est un artéfact créée par le biais qui consiste à ne pas prendre en compte que beaucoup parme les petits cancers détectés n’auraient pas été mortels. C’est tellement vrai qu’au bout de 20 mois seulement d’un essai arrêté précipitamment la réduction de la mortalité globale n’est , elle que de 6,7%. IC 1,2 à 13,6 et significatif à p= 0,02 avec un IC qui se rapproche dangereusement du zéro, c'est-à-dire en clair, aucun bénéfice sur la mortalité globale.
LA CAUSE EST ENTENDUE. COMME POUR LE GARDASIL IL NE S’AGIT PAS DE TROUVER UNE SOLUTION A UN PROBLEME DE SANTE PUBLIQUE, IL S’AGIT DE TROUVER DES PATIENTS POUR UNE TECHNIQUE, DES DEBOUCHES LUCRATIFS POUR DES PRODUITS DE SANTE.
A Picorna : il n’ya aura pas de nouvelle étude. Cela fait des années que les groupes industriels concernés financent des études pour mettre en évidence un quelconque bénéfice. Désormais est entré dans la phase, « promotionnelle » à grand renfort de lobying et de conflits d’intérêts. Et pour la vraie prévention, du tabagisme comme du cancer du col par le dépistage organisé, nous sommes bien entendu très conscients de l’extrême importance de les mettre en place, mais, comme cela ne fait pas marcher le commerce, il est urgent d’attendre.
Le dépistage du cancer du poumon par scanner se fait depuis quel age normalement? et c'est pas trop cher?
RépondreSupprimerSi le scanner est accessible dans les pays développés, ce n'est pas le cas dans les pays pauvres et en voie de développement. Le coût est également un obstacle majeur à cette thérapie malgré son efficacité
RépondreSupprimer@ Louvea : aucun dépistage prévu actuellement. Sauf de façon sauvage.
RépondreSupprimer@ Mutuelle Santé
Le scanner n'est pas une thérapie...