jeudi 19 janvier 2012

Tamiflu : Tom Jefferson et Cochrane persistent. Les preuves d'efficacité manquent.


Les controverses concernant le rapport bénéfices / risques des neuraminidases (et du Tamiflu (oseltamivir) en particulier) sont un paradigme des contradictions, pour ne pas dire plus, de la Santé Publique à l'échelle mondiale. Tous les partenaires sont là : l'industriel (Roche), les Agences Gouvernementales françaises (AFSSAPS) ou internationales (OMS), les chercheurs dépendants, les chercheurs indépendants, les Key Opinion Leaders (KOL), les auteurs fantômes, les "nègres",  les "professeurs" qui commentent sur des données qu'ils n'ont pas consultées ou qui commentent à partir de données rapportées par d'autres professeurs qui n'ont pas eux-mêmes vérifié les données sources, les revues de commentaires, les journaux médicaux de commentaires, les journaux grand public, les citoyens et les prescripteurs qui ne savent plus à quel saint se vouer. Il y a aussi une vedette, Tom Jefferson, une organisation prestigieuse, la Collaboration Cochrane, et le sentiment moutonnier que jamais rien ne changera.
Un nouveau rapport (payant) vient de paraître (LA) et vous trouverez ICI des auto commentaires puisque la Collaboration Cochrane assure elle-même son service après vente, ce qui, après tout, est normal. On conçoit que l'énormité du travail effectué, à savoir analyser les données sources (raw data), tenter de récupérer celles des études non publiées, de nouveau meta analyser à partir de la première publication, demande du temps, de l'argent et du personnel mais il n'en est pas moins paradoxal que les publications sont payantes alors que cet essai a été aidé par un organisme public britannique.

Revenons aux faits (et nous passerons ensuite aux controverses) :
  1. Les auteurs indiquent à partir des données dont ils disposaient (ils n'ont pu obtenir que 25 des 67 études qu'ils avaient identifiées --38 %-- comme pouvant contribuer à alimenter l'analyse) que le Tamiflu réduit les symptômes de la grippe de 21 heures mais qu'il ne diminue pas le taux d'admissions à l'hôpital et qu'il n'a pas été possible, en raison de la qualité des données, de donner des informations sur le fait qu'il puisse ou non réduire le taux des complications
  2. Les auteurs se posent également des questions sur le mode d'action de l'oseltamivir et notent que dans les groupes traités le taux d'anticorps anti virus était plus bas contrairement à  ce qui était avancé, à savoir que la molécule n'agirait pas sur le taux d'anticorps. Ce qui pose évidemment le problème de la sensibilité aux infections dans les années à venir. Cochrane pose la question suivante : “How is it possible that oseltamivir prevents cases of influenza when part of the definition of prevented cases in oseltamivir trials was based on absence of antibody response?”.
  3. Ainsi, contrairement à tout ce que les experts nous serinent, contrairement à tout ce que la DGS nous envoie comme communiqués, il n'y a aucune preuve tangible de l'efficacité du tamiflu dans la prévention des complication graves de la grippe.
  4. Aucune étude convaincante n'existe pour étayer le fait que le tamiflu diminuerait la circulation du virus mais cela n'empêche pas l'OMS de le proclamer. Quant à la DGS française elle a montré combien la lecture des articles comme l'AMM des produits lui importaient peu pour promouvoir la prescription de Tamiflu aux sujets contacts.
  5. La gestion des effets indésirables par Roche et par l'un des investigateurs principaux (Professeur Fred Hayden) est pour le moins surprenante : pas d'analyse des données concernant les sorties d'essai...

Les controverses et les questions se situent à plusieurs niveaux :
  1. La rétention d'information de la part de la firme Roche sur les données sources. Un échange de courriers parus dans le BMJ entre Tom Jefferson et Roche ne manque pas de piment (LA) : Roche a fini par adresser des résumés d'articles, considérant que c'était suffisant pour l'analyse de la Collaboration Cochrane
  2. L'impossibilité de consulter les données des études non publiées. A ce sujet il est évident que le choix de Roche est un choix industriel et que la censure de ces données doit être considéré comme  anormal mais... humain. Il ne faudrait pas croire non plus que les études censurées soient forcément des études de bonne qualité méthodologique : elles pourraient être tout à fait ininterprétables et leur censure pourrait venir aussi du fait que Roche n'aimerait pas que l'incompétence des concepteurs d'études éclate au grand jour, non seulement les cadres de l'entreprise mais les investigateurs fantômes, c'est à dire les experts qui ont signé mais n'ont rien compris à l'affaire.
  3. Le poids des Agences gouvernementales. Deborah Cohen rapporte dans le BMJ (ICI) la saga de la recherche des preuves. Elle souligne en particulier le contenu d'un communiqué paru en janvier 2011 et signé du CDC d'Atlanta (Chimioprophylaxie de la grippe) qui rapporte telles quelles les données de Roche affirmant que le tamiflu entraîne un risque de pneumonie :   50% less than among those receiving placebo and 34% lower for those at risk of complications . Données que la FDA ne confirme pas sur la base des mêmes publications. Le CDC affirme une baisse de 50 % des hospitalisations sous tamiflu (mais ce n'est pas significatif). Le CDC continue également de citer des articles publiés dans le Lancet ou le JAMA qui n'ont pas été écrits par leurs auteurs comme Roche l'a avoué (Cohen D. Complications: tracking down the data on oseltamivir. BMJ2009;339:b538.). 
  4. Le poids des experts sans données sources. Tom Jefferson analyse très bien ce problème : (LA). Cela commence par la publication d'articles dans des revues prestigieuses, articles écrits par les experts internes des industriels, signés par des porte-voix, KOL, puis par des citations de ces articles par d'autres professeurs qui "oublient" les liens de sponsorisation des articles dits princeps en les prenant pour argent comptant et en feignant qu'il s'agit de données qui émanent d'eux-mêmes.
  5. Les liens et conflits d'intérêt : nous avons déjà vu les investigateurs fantômes, les auteurs fantômes mais, dans le cas du tamiflu il y a aussi le passage de Roche à l'OMS et retour avec des experts qui, non contents d'être aveugles ou sourds, n'oublient pas de monnayer leur KOL ego. Arnold Monto et surtout Fred Hayden qui est à la fois Conseiller au département de la Santé (américain), KOL à l'OMS et... coordinateur du Welcome Trust pour la grippe... (ICI)
On le voit, les faits et controverses sont têtus, et les "recommandations" de la DGS, soutenues en cela par les publications de l'InVS, et relayées par le Haut Conseil de Santé Publique (voir ICI sur ce blog) sont toujours aussi claires : tamiflu, tamiflu, tamiflu. Les Autorités françaises ne savent pas lire, ne savent pas raisonner, restent dans leur bulle de certitudes. Affligeant.

Jefferson T, Jones MA, Doshi P, Del Mar CB, Heneghan CJ, Hama R, Thompson MJ. Neuraminidase inhibitors for preventing and treating influenza in healthy adults and children - a review of clinical study reports. Cochrane Database of Systematic Reviews 2012; Issue 1. Art. No.: CD008965. DOI: 10.1002/14651858.CD008965.pub2.

2 commentaires:

  1. "Le CDC affirme une ...baise... de 50 % des hospitalisations sous tamiflu "

    Vite Doc envoyez-moi deux comprimés
    ;)

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  2. Merci pour ce commentaire coquin.
    A l's dans les baskets.

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