"... les hommes moyens dont l'esprit est surexcité mais incapable de se libérer dans la création, éprouvent le désir de se donner en spectacle." Robert Musil (1880 - 1942).
Je venais à peine de terminer le post de Docadrenaline intitulé Tabou (ICI) en m'étant fait la réflexion que, décidément, chacun voyait midi à sa porte et que les réflexions de Robert Musil sur l'inutilité de demander aux gens de parler de leur activité professionnelle tant ils se trompent sur leur rôle réel dans leur milieu et dans la société en général sont toujours aussi actuelles, que je me suis rappelé cette histoire qui s'est produite il y a environ deux ans.
Monsieur A, 59 ans, dont je suis le médecin traitant depuis environ 15 ans, hypertendu traité, fumeur, dyslipidémique traité, hyperuricémique non traité, en surpoids, arrive en urgence au cabinet (pendant mes consultations sur rendez-vous) pour de violentes douleurs abdominales. C'est le jour de congé de mon associée et nous le faisons s'allonger dans sa salle d'examen, je l'examine, et je conclus de façon rapide qu'il s'agit d'un problème coronarien. J'appelle l'hôpital situé à six ou sept minutes en ambulance de mon cabinet, je parle au médecin du smur qui m'envoie un médecin dans les dix minutes.
Ce sont les pompiers qui arrivent en premier, vous savez les gens avec de grosses chaussures de sécurité crottées qui salissent le lino, la moquette et le reste. Un petit jeune frais émoulu de ses trois semaines de formation médicale me dit bonjour (une chance folle) et interroge le patient après que je lui eusse donné quelques données cliniques (j'ai l'impression d'être un paramedic dans Urgences qui fournit des renseignements à Carter ou à Greeen) et il conclut de façon péremptoire à l'absence de douleurs constrictives, il connaît par coeur sa question de pompierat, le thorax, le cou, les bras, les bracelets et il me délivre un sourire goguenard.
Question : pourquoi n'y a-t-il pas d'ECG à mon cabinet ? Réponses : quand je me suis associé il n'y en avait pas (et j'ai commencé en partageant un bureau) ; l'hôpital est à six minutes du cabinet ; quand j'ai pensé en acheter un je me suis rendu compte que mes compétences techniques avaient faibli de façon dramatique.
Puis arrive l'infirmière du smur avec un "assistant". Je lui raconte mon tableau clinique sous le regard toujours aussi goguenard du jeune pompier. Elle n'y croit pas à cette affaire. Elle pense qu'il s'agit d'un début de gastro. "Mon" patient n'est pas d'accord mais son inquiétude grandit. Une voie d'abord veineuse est installée, les électrodes sont mises en place. C'est alors que le grand chef docteur arrive, un collègue à qui j'ai déjà écrit des courriers me plaignant du manque de retour d'informations après intervention, désagréable le collègue, il ne me dit pas bonjour, la valetaille cela reste à l'office, il ne dit jamais bonjour, jamais content, toujours insatisfait, et il écoute le récit déformé de mes propos par l'infirmière du smur. L'ECG sort : infarctus postéro-latéral.
Je me fais engueuler parce que je n'ai pas appelé plus tôt, "on" me demande pourquoi je n'ai pas d'ECG au cabinet, l'infirmière du smur me fait un (petit) sourire et le jeune pompier goguenard, qui ne s'est rendu compte de rien et qui continuera de réciter son bréviaire lors de la prochaine intervention, vient me demander des précisions sur mon nom, mon numéro de téléphone et sur le poids de mon âge, et je lui dis d'aller voir ma secrétaire pour l'interrogatoire d'identité.
Il n'y a pas de leçons à tirer de tout cela.
Le nombre de fois où je me suis trompé et où mon intervention ne s'est pas traduite par un diagnostic utile...
Je n'ai retenu que le mépris.
Et s'ils savaient, ces braves gens des pompiers, ces braves gens du smur, ce brave type de chef du smur aimable comme les amortisseurs d'une ambulance, comme je ne les méprise pas mais comme je les plains. Comme je les plains de mépriser les autres car qui méprise les autres se méprise soi-même. Je les plains vraiment.
Bonjour, vous connaissez surement la première phrase du chapitre sur les douleurs thoraciques de Axel Ellrodt: "La plupart des patients hospitalisés pour une suspicion d'ischémie aigüe n'en ont pas. Ce n'est pas déshonorant, c'est comme ça." J'ai pas mal de couples d'amis med G-urgentistes,et je pense que la compréhension des spécificité et difficultés de chacun de nos métiers n'est pas impossible, évidemment. Quant aux cons, burn-outé ou pas, quel que soit leur bord, ils le resteront et il y aura toujours des spé qui nous dirons d'un air paternaliste et faux cul "mais c'est pas grave, c'est bien, tu essayes"...gerbant. Cela dit, tant que certains de nos confrères continueront à gerber aux urgences leurs patients sans courriers ou alors "Pb maintien domicile+AEG" illisible, l'ensemble de la profession ne bénéficiera pas d'un apriori positif et respectueux inconditionnel de la part des urgentistes/hospitaliers.
RépondreSupprimerJe suis d'accord.
RépondreSupprimerJ'avais étudié, dans une autre vie et il y a longtemps, quand l'informatique ne permettait pas encore d'écrire des courriers tapuscrits, les courriers des MG adressés aux urgences et j'avais été sidéré par le dilettantisme, le manque d'égards et, pour tout dire, la négligence incompétente des adresseurs.
Mais j'avais aussi constaté que certains urgentistes ne lisaient même pas le courrier adressé par le MG et que cela pouvait conduire à des gags peu amusants.
L'adressage des patients aux urgences est une tâche complexe car les subtilités (?) des engrenages administratifs et réglementaires échappent aux praticiens lambda.
L'appel de l'interne des urgences au médecin traitant pourrait parfois paraître une perte de temps et la preuve de l'incompétence scripturale du MG mais elle rend les situations plus faciles et la compréhension des cas s'en trouve souvent améliorée.
Aucun de mes patients ne va aux urgences, sauf si c'est une décision de sa part au milieu de la nuit, sans un courrier tapuscrit.
J'essaie.
Bonne journée.
En fait ces problèmes de compréhension et de mépris entre équipes ne sont effectivement pas du tout localisés à la médecine.
RépondreSupprimerJe vis exactement la même chose dans le monde de l'informatique.
- Les hotliners râlent parce qu'on ne les tiens jamais au courant de rien alors qu'ils sont en première ligne face aux clients.
- Les admins système se plaignent que la hotline leur transmet des demandes qui pourraient être résolues en 10 mn par n'importe quel hotliner, et que les chefs de projet ne les font participer que sur des tâches subalternes et inintéressantes.
- Les architectes et chefs de projets prennent des décisions et imposent de nouvelles technologies sans aucune étude de l'existant ou de la pertinence de ce qu'ils installent. Poussés par des décideurs financiers à aller le plus vite possible et au moins cher possible.
Voilà, on est tous dans le même bateau, et pourtant on retrouve une sorte de "mini lutte des classes" assez insupportable.
Sauf que dans notre cas il n'y a pas de vie humaine en jeu. Et du coup, ça aide à relativiser en fin de journée.
Chez un de mes employeurs on a tenté de régler le problème en faisant assoir tout le monde autour d'une table pour en parler. Ça a été un désastre. Tout le monde jouait à "c'est moi le plus malheureux", on a passé 2H en réunion pour peut-être 10 mn constructives.
Je ne sais pas en médecine ce qu'on vous apprend, mais en formation d'informatique, on ne parle jamais de la communication inter équipe. Parler de ce qu'on fait pour mieux mettre en valeur son boulot, ça oui. Mais parler aux autres, de façon efficace, factuelle, et avec tact, ça non.
Y'a des cons partout, parmi mes semblables aussi, évidemment. De plus je crois que la connerie peut atteindre les meilleurs d'entre nous tous, par moments. Visiblement ce jour là vous avez eu affaire à ce qu'il y a de plus pathétiquement cow-boy dans la médecine d'urgence préhospitalière.
RépondreSupprimerMon post et son complément, intitulé "Réponse" ( http://wp.me/s2MdNW-reponse ) ne se voulaient pas être une déclaration de guerre, au contraire. Je trouvais injuste qu'on lise partout des histoires où le SAMU est clairement le mauvais objet, alors que malgré nos défauts et les attitudes parfois exécrables de certains d'entre nous, j'ai envie de croire que nous ne sommes pas tous, ni tout le temps, à jeter.
Surtout j'estime que maintenir une animosité perpétuelle entre nous est non seulement stérile, mais délétère au final dans l'accomplissement de nos métiers, alors que notre but à tous, est de rendre le meilleur des services à nos patients.
Voilà tout.
NB : pour ce qui est de l'ECG au cabinet de MG, et pour en avoir pas mal discuté avec mes maîtres de stages installés, je ne crois pas non plus que cela soit indispensable, ni même utile, surtout lorsqu'une structure hospitalière est à proximité, comme vous le dites. Je partage avec vous l'idée que le plus important reste la clinique.
Bonne journée.
Adré.
@Docadrénaline
RépondreSupprimerIl faut que les choses soient dites.
Si on ne les dit pas elles nourrissent la rancoeur.
Tout le monde a besoin du smur et du samu.
Je suis le premier à savoir mon incompétence en médecine d'urgence, plus par éloignement que par goût. Je ne l'ai jamais pratiquée du tout.
J'ai pourtant été interne six mois aux urgences de porte de chirurgie et le souvenir que j'ai du moi de cette époque est catastrophique. C'est pourquoi j'ai fui l'hôpital.
Sans compter mon inexpérience de jeune médecin qui savait protocoliser (on balbutiait, c'était en 1978) mais qui ne connaissait rien à la pharmacologie clinique ou aux relations médecins malades...
Cela fait 34 ans que je suis installé à Mantes et c'est toujours une souffrnce pour moi que de me rendre à l'hôpital voir un malade tant je me sens étranger à tout cela, on est loin du smur, tant je me sens décalé par rapport à cette machine médico-administrative et combien ce que je sais en médecine paraît tellement inutile au milieu de tant de certitudes.
Vis à vis des hospitaliers je suis respectueux mais pas déférent et les conflits que je perçois, la mise en place de "nouveaux" traitements chez "mes" malades, nouveaux traitements peu éprouvés, me rendent... malades.
Bonne journée et bons dialogues.
Dans ce billet vous évoquez aussi l’attitude des pompiers. Ce n'est pas le centre de votre article, mais vous l'évoquez par la bande.
RépondreSupprimerNon médecin, j'ai eu, à plusieurs reprises, à accueillir des équipes de pompier : ils ne font pas dans la dentelle !
je plussoie plus plus !
RépondreSupprimerpar contre: docdu16 est le seul généraliste de France dont aucun patient ne va aux urgences (sauf nuit sans qu'il le sache): là ça vaut d'être nommé généraliste de l'année....
t lambert