mardi 26 juillet 2022

Plaques amyloïdes et Alzheimer. Histoire de santé publique sans consultation 6.

Jackson Pollock (1912-1956)
Number 1 - 1949


Les fraudes supposées sur l'origine supposée de la maladie d'Alzheimer (ICI) m'ont permis d'avoir des nouvelles de Monsieur A, 73 ans.

Monsieur A est un ancien patient qui m'a envoyé un mail avant-hier où il m'a parlé de ces fraudes (c'est un ingénieur qui lit l'anglais) et où il me dit qu'il va très bien et que son Alzheimer s'est évanoui.

Voici l'histoire.

Il y a environ deux ans, deux ans et demi, Madame A, qui est aussi une de mes patientes, me dit en consultation à propos de son mari: "La prochaine fois que vous le verrez au cabinet parlez-lui de ses pertes de mémoire, je suis inquiète..."

J'interroge Madame A sur ces pertes de mémoire : "Bah, vous savez, docteur, il ne sait plus où il met ses clés, il les cherche partout, il a besoin d'une liste pour aller acheter deux trucs au supermarché... Je crois qu'il commence un Alzheimer..." Elle ajoute : "Ne lui dites surtout pas que c'est moi qui vous en ai parlé..."

Quelque temps après, je reçois Monsieur A qui est hypertendu et qui a besoin de son médicament qui comprend deux molécules en un comprimé, et l'interroge (subtilement) sur la question. Il convient qu'il lui arrive d'avoir quelques oublis. "Mais rien de grave." Nous parlons aussi de l'essentiel.

Entre temps je discute avec le docteur B, un ami de longue date, qui me parle spontanément de Monsieur A et de ses oublis : ils font partie du même club de bridge et il sait que je suis son médecin traitant. J'interroge mon confrère qui m'affirme n'avoir rien remarqué au bridge et que c'est Madame A, également bridgeuse, qui lui en a parlé.

Monsieur A revient au cabinet pour passer un test de mémoire, le Mini Mental State dont il se sort avec un score maximum.

Ouaip.

Les mois se passent.

Mon collègue, le docteur B, m'appelle : "Tu sais, on avait parlé de A - Je n'en ai eu aucune nouvelle... - C'est normal, il a changé de médecin. - What ? - Oui, sa femme a trouvé que tu n'avais pas pris son cas au sérieux, elle l'a emmené voir C qui a prescrit une consultation dans un centre de mémoire, il a eu droit à un scanner et il y a des plaques amyloïdes partout. - Bof. - Comment ça ? Bof. Tu ne crois pas aux plaques amyloïdes dans l'Alzheimer ? - Je ne sais pas mais je connais mon patient et il n'a sans doute pas un Alzheimer." 

Le docteur B me prend pour un con. Il a lu le compte rendu du scanner qui signe le crime.

Ce qui m'inquiète, moi, c'est que "mon" patient n'est pas revenu me voir...

J'appelle le docteur C que je connais bien.

Je lui raconte l'affaire.

Quelques jours après Monsieur A est de retour au cabinet.

"Je ne savais vraiment pas quoi faire. Et j'en ai marre de faire des mots croisés, des sudoku et des mots fléchés. Ma femme m'emmerde. Elle m'oblige à faire ça pour que je ne perde pas la tête - Cela se passe comment au bridge ? - Parfait. On a gagné un tournoi au Chesnay. - Donc, j'en conclus que vous n'avez pas d'Alzheimer." 

Je marque une pause et lui demande : "Vous avez choisi ?"

Il me regarde en souriant. "Oui, j'ai choisi. Je garde ma femme."

Je ris. "Et les antidépresseurs ? - Le docteur C, et il m'a dit 'sur vos conseils', les a arrêtés et je garde un peu de seresta quand ça va pas".

Monsieur A n'allait pas bien quand il a commencé à oublier ses clés.

Monsieur A mène désormais une vie tranquille. 

A l'époque il s'est demandé si, malgré leurs longues années de mariage et sans motif particulier (il n'a personne, comme on dit), s'il n'allait pas se séparer de sa femme. Il s'est posé, l'âge avançant, des questions existentielles sur la façon de mener la dernière partie de sa vie. Il n'arrivait pas à trancher. S'est installé un état entre-deux, un peu de dépression, beaucoup d'anxiété. Et il a commencé à ne plus savoir où il posait ses clés. Comme il est ingénieur il a élaboré une théorie sur les capacités de sa mémoire vive, de son disque dur et tout le bla-bla. 

Maintenant, comme il a résolu son problème (sa femme sera la femme de sa mort après avoir été la femme de sa vie), il ne se pose plus de questions morales, presque plus de questions existentielles, enfin, c'est vite dit, et ses pertes de mémoire se sont envolées. 

Mais il a quand même, comme il dit, "des putains de plaques amyloïdes dans le cerveau".



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