lundi 31 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : La session cancer du poumon : deuxième partie. 42

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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La session cancer du poumon : deuxième partie.


La machine est bien huilée et les organisateurs connaissent le boulot sur le bout des doigts. Par ailleurs, ils ne marchent pas sur des œufs mais sur une solide moquette bien épaisse qui est celle de la croyance quasi unanime des cancérologues sur l’efficacité du dépistage du cancer du poumon par scanner basse intensité chez les gros fumeurs. Il y a bien quelques têtes brûlées qui ont des avis contraires mais il est difficile d’exprimer de tels avis sans se faire traiter de charlatan ou d’ennemi du progrès, ce qui rend les carrières difficiles. Il existe aussi des personnes comme François Brébant, Pierre Gers ou Florence Maraval qui osent parler, et il serait fastidieux de vous présenter les quelques oiseaux rares qui pensent comme eux, et sont persuadés que ce dépistage est peu convaincant et que l’on va dépenser beaucoup d’argent, mobiliser beaucoup de professionnels pour des résultats décevants et entraîner surtout l’annonce de diagnostics désastreux et la pratique de traitements lourds à des patients qui n’en auraient pas eu besoin.

Leur ami Brent Marshall, un ténor épidémiologiste non-médecin et statisticien occupe une position particulière : il est à la fois membre de l’ASCO et activiste anti-dépistage. Mais il n’a pas encore reçu de balle dans la tête et il est écouté, même s’il n’est pas suivi et si les fabricants de scanners, les scannerologues, les oncologues et les pneumologues le détestent. Pendant la période Covid il a occupé une position médiane, ce qui aux Etats-Unis est assez difficile à comprendre, entre Trump, Fauci et DeSantis, et il a droit à une session de vingt minutes. Le trio des Français n’apprend rien qu’ils ne sachent sur l’étude Nelson et ses analyses post hoc sinon, comme d’habitude, que le pourcentage de surdiagnostics a été mal et sous-évalué.

Marshall est peu interrogé car ses challengers savent qu’il a réponse à tout et qu’il connaît le sujet mieux que quiconque. Il en est désolé car son style direct et son sens de la repartie infaillible, il en est fier et il aimerait qu’on puisse le remarquer.

Maraval à Gers : « Ca sert à quoi, tout ça ? » Il hausse les épaules parce qu’il y a longtemps qu’il a cessé de lutter. Tout comme Brébant qui constate avec plaisir que l’impuissance avouée des deux autres justifie sans doute qu’il ait accroché son gauchisme présumé au porte-manteau du fric. La morale et l’éthique ont eu raison de ses habitudes de vie. Il lui semble de plus en plus compliqué de s’opposer aux théories ambiantes qui flattent les financeurs, les revues et ses confrères. Il va se laisser porter par le courant et ne sera pas un rebelle. Un rebelle dans sa tête et dans les quelques réflexions qu’il peut lâcher ici ou là pour montrer son indépendance et son intelligence. Il ne lui reste plus, et il y arrivera, de décrocher le titre envié et le salaire colossal de directeur médical de la Firme M*** Quoi d’autre ?

Les partisans français du dépistage sortent gonflés à bloc de cette session de pneumologie. Comment le Ministre de la Santé pourrait-il refuser un tel programme politique ?



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dimanche 30 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : La session cancer du poumon : première partie. 41

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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La session cancer du poumon : première partie.


La session cancer du poumon est très attendue. Rappelons aux profanes et aux autres que le cancer du poumon, en général, est une saloperie, qu’il existe des exceptions mais, et il est toujours à craindre qu’une lectrice ou un lecteur soit lui-même atteint de ce cancer, il faut donc prendre des précautions, c’est une saloperie et les taux de survie sont faibles quand il n’est pas possible d’enlever un morceau de poumon, et même dans ce cas.

La session est très attendue car il existe de nouveaux traitements prometteurs et que sur la base de certains essais et de certaines expériences individuelles, des malades qui auraient dû y passer il y a cinq ans sont encore vivants.

Elle est aussi très attendue car on attend les résultats d’études complémentaires portant sur le dépistage ciblé du cancer du poumon chez les grands fumeurs. Les études précédentes avaient montré une diminution de la mortalité relative grâce au dépistage. Il n’est pas possible ici de détailler les polémiques qui ont cours sur le dépistage des cancers en général, du sein, du col de l’utérus, du colon et de la prostate. Les tenants du dépistage (et tous ne sont pas membres de l’Église de Dépistologie) insistent sur les données classiques « plus c’est petit, plus c’est curable », « mieux vaut enlever une tumeur avant qu’elle ne devienne méchante… » « on n'a jamais vu un cancer qui régressait » et cetera. Les opposants à certains dépistages ont l’inconvénient de ramer à contre-courant et leurs deux arguments essentiels sont les suivants : la mortalité globale, toutes causes confondues, n’a jamais été diminuée et il existe des risques de surdiagnostic. La notion de surdiagnostic en cancérologie est difficile à comprendre : un surdiagnostic c’est découvrir une réelle tumeur cancéreuse qui n’altèrera pas la santé du ou de la patiente dans tout le cours de sa vie. C’est tellement contre-intuitif que mêmes les docteurs en médecine ont du mal à saisir le concept. Il est même un ancien président du Conseil de l’ordre des médecins qui avait écrit à propos des tumeurs indolentes « Quant aux chimiothérapies, il vaut mieux en faire trop que pas assez » !

Mais il est une chose dont Brébant et Gers, qui connaissent parfaitement les enjeux de la dépistologie, sont persuadés : le dépistage ciblé et généralisé du cancer du poumon va être institué et une fois qu’il sera en route il deviendra impossible de le déloger. Parce qu’il s’agit d’une décision politique et que tous les politiques savent que le dépistage, coco, c’est politiquement correct et électoralement indépassable.

Pardon pour ces digressions inutiles puisqu’il faudrait un traité entier pour expliquer à beaucoup de cancérologues que le dépistage présente des inconvénients majeurs. Alors, le grand public…

La grande artillerie est présente : les pneumologues, les cancérologues (voire les oncologues), les scannerologues, les fabricants de scanner, les marchands de traitements, les financiers.


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vendredi 28 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : John Davies fait le show. 40

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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John Davies fait le show.


François Brébant n’a pas le temps de faire de l’introspection sur être gauchiste ou ne pas l’être. Il a du mal à tout assumer mais sa femme est d’accord : on a besoin d’argent et on en fait ce qu’on veut, peu importe l’idéologie (Mathilde Brébant s’est convertie plus rapidement que son mari au capitalisme). Flanqué de Florence Maraval et de Pierre Gers, Brébant fonce vers la salle de la présentation de l’essai pivot piloté entre autres par Marie DeFrance et pour lequel la Versaillaise a des craintes.

L’essai PDMM (pour Putain de Merde de Molécule) est bancal depuis le début mais il y a un moment où certains membres de la firme vont se risquer à en parler officiellement, d’abord en interne, puis en externe. Il faudra trouver un ou une volontaire pour faire le job et Marie DeFrance en tremble d’avance. Sa spécialité dans la firme, mais tout le monde ne le sait pas avec autant de certitude, est quand même de faire porter la responsabilité des erreurs qu’elle a commises sur des tiers avec une mauvaise foi inébranlable et de s’attribuer des succès auxquels elle n’a pas participé au mépris des collègues qui ont fait le job.

La professeure Mariam F Stonehenge est le pur produit de la méritocratie états-unienne. Est-il possible de dire qu’elle ressemble tellement à l’image qu’elle veut se donner d’elle-même et à celle que les autres ont fini par accepter, que c’en est une caricature ? Issue d’une famille de « grands » médecins elle a su, grâce à son intelligence, son travail forcené et… ses relations, monter dans la hiérarchie harvardienne avec une grande élégance et dans son service d’hémato-cancérologie remarquablement classé chaque année par U.S. News & World Report dans les quatre ou cinq meilleurs du pays, elle a développé un département d’essais cliniques réputé et efficace qui rapporte énormément d’argent à l’hôpital. Elle est donc bien vue par les administrateurs, l’industrie pharmaceutique et les patients (car, contrairement à ce portrait peu flatteur d’arriviste, elle est une excellente médecin).

Malgré les défauts de l’étude elle fait une présentation parfaite qu’elle a répétée cent fois avec un accent bostonien qui remplit d’aise et de contentement les Anglo-saxons et les autres.

Quant à John Davies, un petit bonhomme ventripotent, la barbe châtain roux en bataille, les cheveux frisés un peu trop longs et un début de rhinophyma qui colle à son personnage, il attaque frontalement l’essai avec un enthousiasme qui enchante la salle.

Stonehenge est contrainte de tendre l’oreille car l’anglais du Gallois ressemble à ce que l’on entend les soirs d’ivresse dans les pubs de Cardiff après une victoire du XV du poireau contre celui de la rose. Les critiques sont si violentes que le modérateur sur l’estrade est obligé d’intervenir : « Sir, un peu de retenue, on pourrait croire que vous faites preuve de misogynie, si je puis me permettre… - Vous ne m’avez donc jamais entendu critiquer une étude mal foutue présentée par un mâle… Diriez-vous que je n’aimerais pas les hommes ? » 



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jeudi 27 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Les essais cliniques zombies. 39

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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Les essais cliniques zombies.


Peu importe qu’il s’agisse d’un nouveau traitement pour le lymphome discuté dans ce pro/con et modéré par Pierre Gers, il s’agit d’un prétexte. Un prétexte métaphorique sur les nouveaux traitements en médecine et sur le contexte plus général des publications tel qu’il est décrit par David Semiov.

Les décisions de prises en charge en oncologie comme en médecine se font depuis l’époque moderne et en théorie sur la base des résultats obtenus dans les essais cliniques. Ces essais cliniques, sont menés dans leur immense majorité par les industriels qui commercialisent les molécules qu’ils testent. Mais le fait que les essais ne soient pas menés par un industriel ne rend pas les essais plus exacts ou plus valides car l’hubris des chercheurs est au moins aussi important que les appétits financiers des firmes.

Florence Maraval parle à François Brébant dans une allée du congrès à la sortie du pro/con : « Dès 2020, un anesthésiste, John Carlisle, avait dénoncé les articles qu’il appelait zombies c’est-à-dire ceux pour lesquels il n’était pas possible de vérifier les données individuelles des patients inclus dans les études. Entre 2017 et 2020, je dis cela de mémoire, vingt-cinq pour cent des articles soumis au journal Anaesthesia étaient, lorsque les données de base étaient accessibles, des études truquées. »

Brébant connaît ces chiffres. Il attend la suite. « Or, ces études truquées ont été publiées et elles servent de base aux recommandations des agences gouvernementales, des sociétés savantes ou des comités Théodule sponsorisés par les fabricants de molécules innovantes. – Vous êtes une gauchiste. – Non. J’essaie de démêler le vrai du faux. – Et ? – Et ? Eh bien, rien. Le système des publications d’articles scientifiques en médecine est soumis à la loi des éditeurs d’articles. Toujours de mémoire, le groupe Elsevier a un chiffre d’affaires annuel d’environ trois milliards de dollars, et une marge bénéficiaire de 40 % ce qui est énorme comparé aux géants de la tech. – Et ? – Et tout le monde est dans le business, l’auteur qui publie, le laboratoire qui promeut, l’éditeur qui profite, mais pas les malades. – Vous y allez fort ! » Gers, les joues en feu à la suite du pro/con qui s’est passé merveilleusement car les deux futurs tsars de l’oncologie états-unienne se sont étripés avec un art consommé de la repartie, arrive à n’en pas perdre une miette malgré les saluts qu’il rend à tous les congressistes qui le félicitent en passant près de lui.

Florence Maraval : « Une gauchiste vous dirait que Richard Smith ou Peter Gøtzsche considèrent que l’industrie pharmaceutique se sert des éditeurs comme Elsevier pour blanchir ses études zombies… et avec l’aide des relecteurs d’articles qui en font assez pour ne pas laisser d’énormes erreurs rédactionnelles et pas assez pour ne pas se mettre à dos les éditeurs le jour où ils voudront publier. » Gers : « Joli ! »

François Brébant se rappelle la période où il était gauchiste avec presque des larmes dans les yeux.

Il n'aura pas les couilles d'être lanceur d’alerte...



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mercredi 26 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Pro/con. 38

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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Pro/con.


La nuit a été difficile pour tout le monde ou presque (et encore ne savez-vous pas tout) mais cette journée de samedi promet de grandes décharges d’adrénaline pour Gers qui anime un pro/con et pour Brébant qui va, entre autres, superviser la présentation de Gunther Frick. Ils participeront aussi à un grand meeting sur le traitement du cancer du poumon qui promet d’être une joute splendide entre les partisans/non partisans du dépistage dudit cancer et un festival critique lors du dévoilement des données d’essais cliniques concernant de nouveaux traitement innovants annoncés déjà par la presse grand public comme des game-changers. La presse économique est plus mesurée car elle ne voudrait pas que ses clients soient déçus par une montée des actions qui ne serait pas à la hauteur des chiffres de survie promis…

Les pro/con sont une grande spécialité anglo-saxonne. Pierre Gers est sur scène, debout sur un podium, avec à sa droite un pro (c’est-à-dire un pour) et à sa gauche un con (c’est-à-dire un contre) d’un nouveau traitement du lymphome. Les deux intervenants ont droit à cinq écrans chacun pour développer leurs arguments et ces dix écrans ont été soumis par avance au Frenchie afin qu’il vérifie par avance que les données indiquées sont justes, non tronquées et présentées avec objectivité. C’est un exercice difficile pour notre ami car ces deux hommes, outre le fait qu’ils sont de jeunes ténors de leur spécialité et connaissent les publications, les traitements, les controverses sur le bout de leurs doigts, représentent des intérêts très forts tant académiques qu’industriels. Philip Henderson de Johns Hopkins University à Baltimore est le représentant zélé du mainstream oncologique et ses éditoriaux fréquents et enthousiastes dans la presse sponsorisée par l’industrie sont toujours à la gloire de l’innovation, du progrès et de l’avenir radieux des malades alors que José Lopez de UT Southwestern Medical Center à Dallas tente, tout en ménageant sa carrière, d’être le plus objectif possible dans la critique des essais cliniques et des procédures qui sont mises en place un peu partout dans le pays et dans le monde. Lopez n’est pas sur la ligne de David Semiov pour des raisons de développement personnel (il ne voudrait pas être un rebelle affirmé) mais également parce qu’il croit, lui, que l’on peut améliorer le système de l’intérieur. Dans la vraie vie Henderson et Lopez se fréquentent et ne cessent de se taquiner, voire plus, via les réseaux sociaux et les éditoriaux dans des journaux médicaux destinés autant aux cancérologues qu’aux gestionnaires de fonds de pension mais aussi aux médecins lambda états-uniens comme aux patients fortunés qui pourraient ne pas choisir la Mayo Clinic pour se faire soigner de leur lymphome.

Gers ne peut cependant connaître tous les sous-entendus de cette joute de petits coqs dont les objectifs universitaires ne seront peut-être pas atteints mais dont les comptes en banque sont déjà hype. Il est parfois difficile, en France, de savoir ce qui se passe dans l’hôpital d’à côté, alors, les guerres picrocholines états-uniennes...



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mardi 25 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : La nuit de tous les dangers. 37

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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La nuit de tous les dangers.


Tout le monde commente la lecture de David Semiov avec gourmandise. « Il raconte toujours la même chose… C’est un complotiste… Comment peut-il dénoncer les conflits d’intérêts en étant lui-même payé par une fondation privée qui finance aussi des activités douteuses ?... » Mais la majorité des congressistes, les sachants comme les ignorants, ceux qui ont travaillé avant de venir, ceux qui travaillent sur place et ceux qui sont là pour le plaisir, ne pensent qu’à une chose : avec qui vont-ils passer sexuellement la fin de la soirée ?

Brébant comme Gers, sans compter les autres, trouvent que l’auteur y va un peu fort, tous les congrès et séminaires de travail ne sont pas des foires sexuelles en plus d’être des foires commerciales ! On connaît aussi des congressistes du bout du monde ou de Romorantin qui se morfondent dans leurs chambres en lisant le dernier livre de Pierre Lemaitre ou en regardant des conneries sur leur tablette. Pas tous, comme on dit. L’auteur y va un peu fort car imaginons un peu que les femmes respectives de nos deux héros lisent « Le congrès à Chicago » et identifient leurs maris à ces deux personnages de roman ! Ils auraient beau protester, dire qu’il n’est pas vrai, qu’après avoir mangé une pizza à Pizzeria Uno ou chez Giordano’s ou un hot dog chez Portillo’s, ils se sont retrouvés au lit, Gers avec Edmée Vachon (que son mari nous pardonne) après avoir fait des avances, pour rire, à Florence Maraval et Brébant avec Sophie Branus (idem pour le mari) qui ne regrette pas d’avoir abandonné un obscur PU-PH futur chef de service ayant autant de charme qu’un document de la HAS. Milstein retrouve sa jeunesse avec Ursula après avoir avalé son tadalafil quotidien. La professeure Marie Carmichael qui, après avoir trop mangé en compagnie d’autres cancérologues invités par un laboratoire danois et après avoir repoussé les avances d’un directeur du marketing entreprenant, est allée retrouver son étudiante favorite pour une courte nuit trop arrosée. John Williams a fini la soirée dans une boîte de go-go danseuses où il a distribué des dollars dans les soutiens-gorges et les petites culottes en voulant faire oublier qu’il est impuissant depuis de nombreuses années. 

Mais tout cela n’est pas vrai, tout cela ne s’est pas passé, que les partenaires restés en France de tout ce beau monde, à part Cora Milstein, se rassurent, ce n’est que le fruit de l’imagination de l’auteur, il s’agit de vantardise des uns et des autres pour faire les malins et les malignes, rien de ce qui a été écrit, et ne parlons pas de Durand, de Sophie Bouloux ou de B., de Claude Martin ou de Steiner ou de une telle ou untel, ne va se passer réellement dans toutes les chambres d’hôtel de Chicago, il y a des gens vertueux et responsables qui savent résister aux tentations de l’industrie et de la chair… Madame Brébant comme Madame Gers peuvent dormir sur leurs deux oreilles, toute ressemblance avec des personnages authentiques ou des expériences vécues ne seraient que le fruit du hasard ou de l’imagination délirante d’un auteur en mal de copie. 


(Pour ceux qui ont manqué les épisodes précédents, c'est LA)


lundi 24 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : David Semiov enfonce le clou. 36

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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David Semiov enfonce le clou.


David Semiov est persuadé qu’il ne lui arrivera pas, comme s’il enquêtait sur les trafics d’armes ou sur la corruption à Malte, d’être renversé par une voiture, de tomber d’un balcon ou de prendre une balle dans la tête, mais il se méfie quand même. Ce n’est jamais arrivé à sa connaissance dans le domaine de la santé mais il suffit d’une première fois et il préfèrerait que cela ne commence pas par lui.

« … il est probable qu’environ cinq mille articles pourraient être rétractés dès aujourd’hui des grandes revues qui donnent envie à tout chercheur d’être publié. Ce qui devrait vraiment nous inquiéter, mais j’enfonce des portes ouvertes, c’est la facilité avec laquelle de nombreux prescripteurs de la planète, influencés par les commerciaux des industriels et des éditeurs, adoptent de nouvelles thérapeutiques sur la foi, si j’ose dire encore, d’études trompeuses, truquées, manipulées, et dont les critiques sont rarement publiées dans ces mêmes revues. Insistons sur le rôle des réseaux sociaux qui sont à la fois un relai pour les firmes vantant leurs produits, des études, je l’espère non flouées, l’ont démontré, mais aussi, parfois, le seul moyen pour les commentaires d’être vus et mieux vus que dans des revues protégées par des murs payants… Ce qui est encore plus inquiétant c’est le temps qu’il faut, parfois infini, pour qu’après rétractation d’un article, les prescripteurs cessent de prescrire des produits prétendument innovants… Ce qui incite les chercheurs et les industriels à continuer de publier… Enfin, mon inquiétude vient aussi d’un double processus concernant les essais cliniques. D’abord, les protocoles d’essais sont de plus en plus compliqués à mettre en œuvre, en raison de directives tatillonnes, parfois absurdes et souvent contradictoires, ce que les firmes ne cessent de dénoncer au nom de la simplification de l’accès à l’innovation, mais elles ne disent pas que cela les protège des petites start-ups qui n’ont pas les moyens de les appliquer. Ensuite, les critères d’efficacité des produits tels qu’imposés par les mêmes agences d’enregistrement, ne cessent d’être moins pertinents et exigeants, ce qui conduit à des approbations plus rapides, moins contrôlées et plus douteuses… » (la salle prend sa respiration)

« Puisque je suis devant un public d’oncologues, je pourrais multiplier les exemples où la baisse d’exigence des critères aboutit à des aberrations thérapeutiques et peu de profit pour les malades. (murmures). Voulez-vous, encore une fois que nous parlions des rapports non causaux entre la survie sans progression et l’espérance de vie globale ? Il me paraît nécessaire d’allier deux principes : la prévention quaternaire, c’est-à-dire renoncer à prescrire quand on n’est pas certain que cela sera bénéfique pour le patient et le conservatisme médical qui procède de la même logique, c’est-à-dire continuer de prescrire des thérapeutiques éprouvées tant qu’un nouveau traitement ne s’est pas montré supérieur… »

Une question dans la salle : « Merci pour cet exposé brillant. Pourriez-vous nous dire pourquoi votre activité est sponsorisée par la Fondation J and A Cheers ? »



(Pour reprendre depuis le début : c'est ICI)


dimanche 23 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : David Semiov. 35

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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David Semiov.


De nombreux activistes de la cancérologie, c’est-à-dire des personnes qui n’ont pas comme éléments de langage, le progrès, l’innovation, le changement de paradigme, sont venus assister à la présentation de David Semiov à l’hôtel Marriott. Mais ils ne sont pas les seuls. Des représentants de l’industrie pharmaceutique (le premier qui dit Big Pharma et ici Big Onco est considéré comme un complotiste anticapitaliste et comme une personne indigne de parler de cancérologie) sont également là car Semiov a l’art d’appuyer là où cela fait mal, ce qui donne des idées aux membres des firmes. La conférence s’intitule « Big Data, Big Lies ».

« … le principal problème des publications scientifiques aujourd’hui vient de leur manque d’indépendance…il est désormais très compliqué, voire impossible, de travailler en certains domaines, et le fait que nous soyons réunis ici à l’occasion de l’ASCO… pour faire des recherches il faut de l’argent et l’argent provient des firmes qui souhaitent promouvoir leurs produits… le fait que je sois un journaliste, un journaliste scientifique, est un handicap car un journaliste ne peut être qu’un journaliste dans l’esprit des chercheurs… et ils n’ont pas tort… j’ai donc plusieurs raisons de ne pouvoir être entendu, dont celle d’être prétendument un ennemi de l’industrie pharmaceutique, un activiste anti système ou un dangereux dynamiteur de l’organisation de la santé.... je voudrais encore une fois clarifier mon point de vue avant de vous montrer les derniers chiffres de la fraude scientifique... (murmures dans la salle) … Ma position est claire, tout le monde devrait la connaître depuis longtemps, même si elle a évolué au cours des années : je me moque du capitalisme ou de tout autre système de fonctionnement des sociétés, je m’intéresse aux recherches scientifiques dans le domaine de la médecine et, plus généralement dans le domaine du soin, car ces recherches sont à la base des prises en charge qui sont proposées aux citoyens qu’ils soient bien portants ou malades… Il vaudrait mieux que ces recherches soient de bonne qualité, qu’elles permettent aux soignants de faire des choix judicieux, c’est-à-dire que leurs validités intrinsèque et extrinsèque soient scientifiquement non attaquables… C’est loin d’être le cas…

« …et donc, notre groupe s’attache à tenter de comprendre pourquoi ce n’est pas le cas, depuis la conception des protocoles, le déroulement des essais, leurs interprétations statistique et clinique, leur publication et leur influence sur les autorisations données par les agences gouvernementales… Cela devrait être le job de l’Etat que de contrôler l’activité des firmes dont l’objectif, ce qui n’est pas honteux, est de gagner de l’argent. Tout le monde ne pense qu’à gagner de l’argent… et l’Etat ne fait pas le boulot… La corruption du système est à la hauteur des enjeux financiers. Rappelons que le complexe santéo-industriel représente plus d’argent que le complexe militaro-industriel aux Etats-Unis et fait l’objet de moins de scénarios violents, criminels et complotistes à Hollywood… 



(Pour lire Le Congrès depuis le début : ICI)


vendredi 21 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : La présentation non mouvementée de Pierre Gers. 34

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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La présentation non mouvementée de Pierre Gers.


Gers passe en quatrième position dans la session consacrée aux traitements du cancer du ***. La salle est aux trois-quarts pleine car la Firme 1 a battu le rappel des oncologues français et états-uniens afin de la remplir. L’État-major des équipes franco-états-uniennes de ladite Firme est là au grand complet car la présentation des résultats de l’étude fait partie de la politique de communication pour obtenir le plus tôt possible une autorisation de mise sur le marché délivrée aux Etats-Unis par la FDA puis en Europe par l’EMA, l’agence européenne. Tout est normalement cadenassé des deux côtés de l’Atlantique et les experts des différentes commissions sont au taquet pour approuver.

Pierre Gers devrait savoir tout cela mais il ne se doute pas de l’ampleur de la corruption qui règne dans les différentes agences gouvernementales. Il connaît des experts nuls, des experts marrons, le milieu est petit, mais il n’est pas au courant de la façon dont les choses se passent réellement. Il est possible que Gunther Frick, qui présentera demain la deuxième étude pivot sur le trouduculsimab, soit moins naïf et qu’il soit même au centre d’un réseau créé par les grandes firmes pour obtenir ce qu’elles veulent de la FDA : argent gloire et beauté.

Quoi qu’il en soit, il arrive à la présentation de Pierre Gers faite dans un anglais parfait sans la moindre trace d’accent (les anglophones natifs en arrivent à douter qui fait douter du pays d’origine de l’orateur, ce qui pouvait lui arriver de pire : elle passe sans anicroches. Il parle clair, les écrans sont magnifiques, le choix des résultats impressionnant et les deux plaisanteries qu’il a soigneusement choisies pour mettre l’auditoire dans sa poche, l’une au début, l’autre pour conclure, font réagir les participants avec un conformisme étonnant.

Quant aux questions posées par les congressistes, elles sont d’une désespérante monotonie et d’un manque d’alacrité phénoménal, on dirait que Gers n’intéresse personne et que les défauts du protocole qui sautent aux yeux pour un non-profane aient été laissés de côté dans le but de ne pas faire de vagues. 

Les représentants de la Firme sont aux anges car ils s’attendaient à une séance plus tendue, à des questions vicieuses des concurrents, à des allusions perverses à certains aspects des résultats, mais non, rien. Toute la préparation de Gers avec Brébant et les répétitions du dernier moment n’auront servi à rien : les mauvaises questions n’ont pas été posées et le modérateur, un oncologue de Dallas est tellement content qu’il passe à la présentation suivante en délivrant un merci discret à Gers, le Frenchie qui n’a même pas l’élégance de parler avec l’accent de Maurice Chevalier.

Brébant colle une grande tape dans le dos de Gers sans lui dire ce qui est en train de se préparer. Chaque chose en son temps.

- On se faisait des films…

- Oui. Tout ce boulot pour presque rien.

- C’est parce que nous étions prêts qu’il ne s’est rien passé.

Brébant est pourtant préoccupé. 




(Pour lire depuis le début, c'est LA)

                    

jeudi 20 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Avant la présentation de Pierre Gers. 33

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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Avant la présentation de Pierre Gers.


C’est le vrai début du congrès pour Pierre Gers. Il fait sa présentation pour la Firme 1 de Brébant (la molécule s’appelle le trouduculsimab) lors d’une séance qui débute à 13 heures 15. Le déjeuner va être bref et léger, un sandwich dans un couloir, car il faut auparavant rencontrer les techniciens de la salle pour s’assurer que le PommeLivreAir est compatible (il y a toujours des surprises informatiques). 

La salle est une demi plénière, environ 2000 personnes si elle est bondée, elle le sera presque mais Gers n’éprouve aucun trac. Il est prêt. Personne d’autre que lui, sinon François Brébant, ne connaît mieux que lui les tenants et les aboutissants de l’essai clinique dont il rédige à la fois le rapport final (pour sa partie) et l’article. En réalité, il ne connaît pas tout sur l’étude, et notamment une ou deux manipulations statistiques pour rendre les chiffres encore plus beaux, malgré toute l’attention qu’il a portée aux différents documents que la Firme lui a donnés. 

Sa matinée est compliquée car il veut quand même assister à des sessions qu’il trouve importantes malgré l’insistance de Brébant qui désire faire une dernière répétition devant quelques membres de la Firme dans une des suites de leur hôtel. Il finit par s’incliner. Mais à huit heures du matin. Les répétitions, mais Gers n’est pas capable de tout remarquer, faites devant les membres des staffs sont une leçon de sociologie entrepreneuriale. Il y a ceux qui savent, ceux qui ont le pouvoir, ceux qui mettent leur grain de sel, ceux qui tentent de marquer leur territoire, ceux qui ne pensent à rien mais qui font semblant de penser, et cetera. C’est donc pénible. Quand il n’y a pas des remarques (déplacées) sur la couleur des diapositives ou sur la casse utilisée… Gers qui n’avait pas le trac commence lui-même à se mettre la pression de façon inconsciente et d’autant plus que Gunther Frick a été convié pour se mettre dans l’ambiance et ajuster sa future présentation. La répétition aurait dû l’aider, elle le paralyse. 

Quant à Edmée Vachon, dont on saura plus tard qu’elle est en relations directes avec le CEO de la Firme 1 pour des contrats de développement, elle a décidé de ne pas lâcher Gers d’une semelle et jusqu’au soir quand il ira se reposer après une journée aussi éprouvante.

A vingt heures, il y aura une présentation à l’Hôtel Marriott de David Semiov, celui qui a fondé le site « Data Lies », qui parlera sans cesse et pour la millième fois de toutes les manipulations des auteurs d’articles pour truquer les résultats des études qu’ils publient, avec ou sans firmes pharmaceutiques pour les aider. Gers s’y est inscrit. Il espère que la directrice de Gustave Roussy n’a pas eu la même idée que lui. Mais participer elle-même à une telle réunion serait reconnaître l’importance de Semoir, il n’y aura donc qu’un sous-fifre de l’IGR pour recueillir des informations sur l’état d’esprit des gauchistes états-uniens. Quant à Brébant, il se moque de Semiov comme de sa première randomisation.



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mercredi 19 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Marketing mix journalistique. 32

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

32

Marketing mix journalistique.


Tout le monde s’accorde à dire, même ceux qui ne comprennent pas bien l’anglais et qui n’ont fait aucun effort pour ne pas s’endormir pendant les présentations, ceux qui ont fait semblant de comprendre la polémique Williams Fallahi, ceux qui n’ont pas pris de notes, ceux qui ont pensé à autre chose, que cette demi-journée a été riche d’enseignements. 

Bouloux, la journaliste du Monde a bouclé et adressé son premier article titré « L’ASCO, la messe de l’oncologie » où elle répète son marronnier des années précédentes sur les formidables avancées des traitements contre le cancer, les fantastiques progrès en termes de survie, sur les cancers diagnostiqués tôt qui guérissent… Nous sommes passés de l’heure de la survie à celle de la guérison et les spécialistes de la question, ceux de l’Institut Curie comme celles de l’Institut Gustave Roussy qu’elle a interrogés, assènent que si les gouvernements veulent bien investir massivement, prévoient le cancer disparaîtra dès le milieu du vingt-et-unième siècle… 

Durand a enregistré une courte vidéo pour Santé Matin où il développe la même ritournelle sur les biomarqueurs qui permettront, dans un avenir proche, de détecter les cancers avant même qu’ils ne se déclarent, avec les conséquences que l’on en tirera pour la santé humaine… On imagine les patients actuellement en chimiothérapie, radiothérapie et autres gracieusetés, voire ceux qui regardent la télévision dans leurs chambres peintes en bleu pâle dans une unité de soins palliatifs, qui savent qu’ils vont mourir pour rien, comme les morts du 11 novembre 1918, parce qu’ils sont nés trop tard et qu’ils n’ont pas pu profiter des dernières données de la science qui bannira la mort par cancer.

Gers a travaillé tard pour envoyer son premier compte-rendu de congrès à Allo ASCO qui paraîtra en ligne au milieu de l’après-midi et qui sera repris par plusieurs organes de la presse médicale sponsorisée, celle qui ne dit que du bien des molécules, qui ne parle jamais des effets indésirables et a fortiori pas de leurs éventuels dommages collatéraux et dont les articles élogieux sont accompagnés de publicités achetées par les laboratoires concernés.

Milstein, épuisé par le décalage horaire, Ursula et le poids des responsabilités, est allé dîner dans un restaurant célèbre de Chicago avec le PDG de la Firme et deux collaborateurs qui n’ont cessé de lui cirer les pompes en lui promettant un avenir encore plus radieux mais il n’a cessé de penser à sa présentation en redoutant des questions tordues auxquelles il a ensuite rêvé toute la nuit.

Brébant a téléphoné à sa femme, il était sept heures du matin en France, pour lui dire que tout allait bien avant de faire frénétiquement le tour des chaînes en se demandant à quel moment il allait trouver le sommeil.

Quant à Madame Cora Milstein, la femme de Norbert, elle est arrivée incognito à Chicago avec son grand fils et elle loge dans un hôtel discret du loop.


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mardi 18 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Fallahi versus Williams : dégâts collatéraux. 31

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

31

Fallahi versus Williams : dégâts collatéraux.


Au Sports Bar près de McCormick les conversations vont bon train. L’intervention d’Afshâr Fallahi est au centre de toutes les propos. Des oncologues français se sont réunis pour boire un coup alors qu’il est deux heures du matin à Paris et n’en reviennent pas. Qui aurait pu, en France, interpeler le tsar de la cancérologie dans un congrès ? Les écrans sont remplis d’images des play-off de la NBA. Guthi, un Indien qui a appris le français à Pondichéry avant d’émigrer : « Ici, le monde de l’oncologie est fragmenté et les places ne sont pas acquises. Il est possible de voir émerger des jeunes loups qui veulent bousculer les mecs en place. Il y a plus de 13 000 oncologues et partout dans le pays ! Se faire remarquer attire l’attention de tous, des universitaires comme des industriels qui aiment les rebelles, ce qu’ils appellent la fameuse disruption qui mène à Steve Jobs, il leur arrive donc de tenter le coup en pensant qu’ils pourraient émettre une idée ou deux qui pourraient aboutir à un blockbuster… » 

Pour des membres de l’industrie comme Brébant, cette intervention musclée d’Afshâr Fallahi est un signal fort et une alerte maximale : il est nécessaire de rendre les présentations encore plus blindées et parfaites même s’il n’est plus possible de modifier les protocoles, pour être prêts à affronter de telles attaques. Si le jeune oncologue a osé réagir contre un des pontes de la cancérologie états-unienne dont les pots-de-vin industriels se mesurent en centaines de milliers de dollars annuels, d’autres sont capables de le faire plus facilement lors de présentations faites par des Européens. 

Milstein est inquiet. Il a passé un coup de fil à Gers comme aux représentants de la Firme afin d’organiser une réunion de plus pour bien se caler. Il a la trouille de se planter et surtout d’avoir à affronter une salle hostile avec des questions compliquées pour lesquelles il aura du mal à répondre, certes pour des raisons scientifiques mais aussi à cause de la langue. Une des solutions, mais elle est difficilement envisageable, serait que Pierre Gers se charge de l’affaire… Milstein ne pourrait s’y résoudre. Les représentants de la Firme pensent qu’Afshâr Fallahi s’est plus tiré une balle dans le pied qu’il n’a fait du mal à la molécule présentée : le boulot des firmes est justement de passer outre et de communiquer du lourd à la valetaille qui n’est pas au courant des intrigues de couloir. Des conférences, des dîners, des voyages, des cadeaux et de la visite médicale rapprochée permettront aux prescripteurs d’oublier Afshâr Fallahi et de le faire passer pour un vulgaire empêcheur de tourner en rond. Ce sera donc Milstein qui présentera et la Firme se fait fort de le préparer jusqu’au dernier moment à être le brillant patron qu’il se pense être. Finalement Afshâr Fallahi permet à l’industrie de remettre à leurs places les patrons qui pensaient être intouchables et pouvoir se passer de la force de frappe marketing des industriels. 

Quant à François Brébant, il rêve qu’un cancérologue français puisse avoir en public les couilles d’Afshâr Fallahi. Ce serait un merveilleux sujet de papier, pense-t-il, pour Bouloux et Durand… Mais les journalistes grand public n’ont justement pas de couilles.


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lundi 17 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Un Français parle aux Français. 30

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

30

Un Français parle aux Français.


Il est temps de se précipiter dans une salle annexe, les horaires sont serrés, où va avoir lieu la présentation d’un ponte français de la cancérologie sur les possibilités des biomarqueurs comme facteurs prédictifs de la survenue des cancers. Cette branche de la recherche a toujours suscité de nombreuses attentes et de nombreux financements. Qu’y a-t-il de plus excitant qu’à défaut de prévenir les cancers on puisse les détecter le plus tôt possible et les traiter avant même qu’ils ne se manifestent ? C’est du Philip K. Dick et tous les PDG de la planète Pharma rêvent d’être à l’origine d’un coup marketing, ce que les marketeurs à court d’idées appellent un changement de paradigme qu’ils auraient nommé Minority Report… Mais les plus intéressés par ces idées millénaristes, la suppression du cancer à l’horizon 2030 ou à l’horizon 2050, ce sont désormais les richissimes propriétaires des GAFAM, les Bill Gates, Mark Zuckerberg ou Jeff Bezos, ils ont tous dans la manche un projet Zéro Cancer comme pour eux-mêmes une ambition d’immortalité qu’ils réaliseraient dans une planète du système solaire… Les super riches se croient au-dessus des terriens du commun.

La salle est petite, l’assistance clairsemée et la langue la plus entendue est le français. Les grandes institutions gauloises ont battu le rappel mais le résultat n’est pas à la hauteur des ambitions de notre orateur dont l’ambition planétaire et l’ego démesuré se heurtent à deux difficultés insurmontables et corrélées : un accent déplorable en anglais et une absence de fluidité dans la langue de Springsteen qui frise l’aphasie.

Encore une fois, et François Brébant en est le premier conscient, il existe en France d’excellents chercheurs, d’excellents cliniciens, d’excellents orateurs, en français comme en anglais, mais tout ce beau monde est barré par une élite autoproclamée qui se préoccupe peu des conditions de travail, des conditions salariales et des moyens qui pourraient être mis à la disposition de ces vaillantes petites mains qui pourraient redorer le prestige de services vieillissants.

Qui aurait eu le culot, l’audace, l’insolence, l’impertinence, le chutzpah en quelque sorte, de dire à Dupont-Gauthier qu’il aurait mieux valu que sa présentation fût faite par un de ses PUPH, Merlan, par exemple, qui parle un anglais parfait, il a passé un an à Dallas comme résident, sa mère est anglaise, qui connaît les dossiers des biomarqueurs dix fois mieux que son patron parce que c’est lui qui a mené les recherches, fait la bibliographie, initié une thèse d’Etat, écrit l’abstract et le texte de présentation que son patron a appris par cœur et qu’il est en train de rédiger l’article que l’on tentera de faire paraître dans une revue à fort facteur d’impact ? Qui ?

Dupont-Gauthier n’est pas dupe mais il ne peut faire autrement que se mettre en avant. Cette présentation sera mauvaise sur des données de qualité mais pas de première qualité et seuls les Français de la salle en profiteront pour s’en moquer en douce. Comment peut-on être mauvais à Paris et bon à Chicago ?



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dimanche 16 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : John Williams se défend. 29

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

29

John Williams se défend.


Le modérateur, Michael-Ren Kurosawa, est un oncologue d’une quarantaine d’années connu dans le milieu pour ses positions centristes, c’est-à-dire qu’il accepte de participer à des essais cliniques car il n’est pas possible de mener des recherches cliniques sans recevoir de l’argent de l’industrie, car les budgets publics fédéraux sont limités et car le faible nombre d’équipes élues élimine de nombreux oncologues de talent comme de nombreux oncologues plus médiocres... C’est un pragmatique car il se permet d’accepter de l’argent des industriels et de les critiquer. Le problème de cette attitude tient à la position du curseur à la fois pour les industriels et pour les puristes. Aaron Goldstein n’est pas loin de son collègue Brébant dans la salle. Ils se font un signe amical de la main, le pouce dressé. Goldstein défend l’idée à l’intérieur de la Firme 1 qu’il est nécessaire de ne pas se couper de conseils universitaires comme Michael-Ren Kurosawa ou Afshâr Fallahi en raison de leur intelligence, de leur agilité conceptuelle et de leur capacité à déceler au premier coup d’œil ce qui cloche dans un protocole tout en proposant des solutions, mais certains de leurs collègues et plus largement dans l’industrie pensent qu’il ne faut pas introduire de loups dans la bergerie et qu’il ne faut travailler qu’avec des moutons bien-pensants. Quant aux puristes, ceux qui ne viennent pas à l’ASCO ou qui s’y rendent à leurs propres frais, s’ils sont trop intransigeants, ils sont condamnés à ne plus faire de recherches et à n'écrire que des éditoriaux ou des articles critiques sur les travaux de leurs collègues, sans montrer leur propre savoir-faire…

« Afshâr Fallahi vous a posé des questions sur la méthodologie de l’essai. Merci pour la bonne tenue de cette séance de lui répondre. » Williams se crispe mais la salle est tellement grande, il y a environ trois mille personnes, que peu de congressistes le remarquent. « Afshâr Fallahi a eu raison d’avoir remarqué quelques imperfections méthodologiques mais vous conviendrez que les résultats obtenus sont une telle révolution, un tel changement de paradigme, un tel espoir, qu’il vaut mieux se tourner vers l’avenir que de se pencher sur des détails… J’ajouterais que l’éthique voulait que nous fassions un cross-over tant l’efficacité du wallstreetgenumab était patente… »

Afshâr Fallahi agite la main afin de pouvoir reprendre la parole mais son temps est passé et il a juste le temps d’ajouter avant que le micro ne soit coupé « … nous attendons des éclaircissements… » Un autre congressiste prend la parole en commençant par remercier l’orateur et en continuant par des éloges sur cette percée dans le monde du cancer. Amen. Le modérateur n’a même pas le temps de donner la parole à ses deux collègues assis à côté de lui qu’il annonce déjà la prochaine oratrice car le temps imparti est passé.

Une petite cour se forme autour d’Afshâr Fallahi qui est coutumier de ce genre d’interpellations. Brébant voit cela de loin et dit à sa voisine dans le brouhaha de la salle : « Penses-tu qu’Afshâr Fallahi deviendra un jour un John Williams ? … - Tu es pessimiste… - Réaliste. »


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jeudi 13 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : John Williams est challengé. 28

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

28

John Williams est challengé.


La présentation de John Williams, ce n’est pas le compositeur de musiques de films, mais il est aussi célèbre que lui dans la communauté oncologique mondiale, se fait dans une grande salle bondée : il faut y être pour voir et écouter le stand-up d’un des tsars des tumeurs solides. Les gens sont debout, adossés aux murs, assis par terre et on s’attend à ce que la sécurité vienne évacuer avant qu’un incendie émotionnel ne se déclare… La majorité des présents ont lu le titre de l’abstract ou sa conclusion voire seulement les communiqués de presse triomphalistes du laboratoire qui sait que le marketing des produits commence bien avant que les molécules n’aient fait la preuve de leur efficacité. Il s’agit d’un essai contrôlé d’une nouvelle molécule, le wallstreetogenumab, dont l’objectif est d’améliorer la survie dans un cancer non opérable, tueur à 95 % entre trois et six mois. Les visiteurs et les visiteuses médicales de la Firme 5, ce que l’on appelle les Key Opinion Leaders, ont commencé le boulot depuis longtemps, des articles dithyrambiques ont été publiés dans le Wall Street Journal, le Financial Times, le Nihon Keizai Shinbun et autres revues scientifiques mondiales comme Les Echos ou La Tribune en France…

Le nœud papillon parfaitement ajusté (Brébant dit à Florence Maraval : « Il les porte autour du cou »), John Williams, avec au premier rang une nuée d’assistants, commence son exposé. La salle retient son souffle. Le discours est rodé, le passage des diapos sur les deux écrans est parfait, on voit à peine qu’il s’agit de Power Point, il plaisante entre deux, il est sérieux le plus souvent et il termine cette hymne au wallstreetogenumab par un trait d’humour dont les Anglo-saxons ont le secret. De nombreux intervenants se sont rangés derrière le micro posé debout dans l’allée centrale.

Un questionneur non identifié : « Merci John pour cette étude magnifique qui donne enfin un espoir… » Un autre : « Ces résultats magnifiques nous donnent une claque… » Afshâr Fallahi (un jeune type de UCLA) connu pour ses éditoriaux percutants : « … il est assez étonnant que le signataire des guidelines de l’ASCO ait mené un essai qui contrevient à toutes les recommandations qu’il a préconisées… » (Mouvements houleux dans la salle…) « … le groupe contrôle est sur dosé pour augmenter les effets indésirables, la survie est exprimée en pourcentage relatif, il n’y a pas d’échelle de qualité de vie et nous manquons de données contrôlées au-delà de trois mois… Avec une survie augmentée de deux mois, ce qui serait considérable s’il s’agissait d’années, on est en droit de savoir si les patients sont morts en souffrant deux mois de plus… » Williams est furieux et s’agite derrière son pupitre. « Y aurait-il deux poids et deux mesures ou deux professeurs John Williams, celui qui fait des recommandations et celui qui mène des essais ? » Williams : « Je remercie notre jeune collègue pour ses commentaires. Cet essai est pourtant une innovation majeure, une révolution qui profitera à nos malades. » Le modérateur intervient…



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mercredi 12 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Brébant est débordé. 27

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

27

Brébant est débordé.


François Brébant a le même objectif que son nouvel ami Pierre Gers : profiter au maximum du congrès pour découvrir des données nouvelles, écouter des présentations brillantes, découvrir des nouveaux intervenants, sentir les tendances, apprécier les questions et les réponses des concurrents, parler avec des pointures en tentant de découvrir quel est le vent dominant, mais il est aussi là pour préparer l’avenir de sa firme, prendre des contacts, organiser des réunions informelles, diriger des réunions stratégiques, s’occuper du board nord-américain, faire sa propre publicité pour se faciliter la vie. 

Lui-aussi aimerait bien courir de salle en salle, évitant les fâcheux et les casse-pieds et tenter de refaire le monde avec les ténors de la spécialité. Mais son objectif majeur est que les présentations de Gers et de Frick se passent le mieux du monde afin que les deux futurs articles signés par l’un et par l’autre soient publiés dans le même numéro du prestigieux New England Journal of Medicine au moment de l’autorisation de la molécule par la FDA. 

Il y a beaucoup d’argent dans la balance et c’est aux US que tout va se jouer. Son alter ego et pourtant chef états-unien, Aaron Goldstein, est un type charmant qui bosse comme un malade (et ne le fait même pas savoir) et qui aimerait bien que Frick écrase Gers au congrès, pas trop quand même pour le bien de la molécule, mais surtout qu’il soit prêt avant pour soumettre le texte.

Goldstein est une caricature de médecin états-unien qui a dû servir de modèle à la fois pour Taub et Sheperd et dont le prix de ses vêtements pourrait suffire à nourrir une région d’Éthiopie pendant un siècle. Goldstein aime bien Brébant et les deux hommes, au lieu de courir dans les couloirs, sont assis dans un coin de salle avec un retroplanning devant les yeux. Goldstein est un légitimiste et un bureaucrate efficace. Peu d’imagination, pas de folie, mais un respect des règles et une observance des directives à toute épreuve. C’est sa marque de fabrique. Et sa force. Alors que Brébant, le moins rigolo de l’équipe française, passe pour un fou furieux pour les Etats-uniens…

Goldstein comme Brébant sont préoccupés par PV qui a fait des commentaires cinglants sur les deux essais de Frick et Gers, en critiquant violemment la méthodologie et notamment la qualité du bras comparatif et le principe du cross-over. PV est connu de toute la communauté oncologique pour être un emmerdeur de première classe et nul doute qu’un de ses sbires viendra poser des questions embarrassantes après les deux présentations. Le fait que PV soit désormais perçu comme covido-sceptique aidera sans doute la molécule à s’en sortir.



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Milan Kundera (premier avril 1929 - 12 juillet 2023)

Le kitsch fait naître tour à tour deux larmes d'émotion. La première larme dit: Comme c'est triste, la mort de Milan Kundera !
 La deuxième larme dit: Comme c'est beau d'être ému avec toute l'humanité à la pensée de la mort de Milan Kundera !
Seule cette deuxième larme fait que le kitsch est kitsch.



 

A l'angle du Boulevard Diderot
Et de la rue de l'Opéra
Un homme aux manières de séducteur
Converse en un français très sentimental
Avec deux jeunes femmes
Plutôt belles
Une blonde et une brune
Assises à la terrasse
D'un café littéraire
Deux grandes jeunes femmes à la mode
Une Italienne et une Bohémienne
Qui montrent avec élégance
Leurs jambes hâlées
Croisées
Excitantes


Mais l'homme est le seul sur cette terrasse
Très parisienne
A leur parler et à ne pas les regarder
Concentré sur ce qu'il dit
Pour ne rien dire
Evitant leurs corps parfaits de jeunes femmes
Fatales
Occupé à parler pour les séduire
Ces deux jeunes femmes qui sourient d'être jeunes
Et belles
Assises à côté de cette homme plus âgé qu'elles
Qui parle avec accent
Dans ce qui n'est pas sa langue maternelle
Qui parle de sa voix douce et légère
A ces deux jeunes femmes qui l'écoutent
Et font semblant
Insouciantes
De croire à ce qu'il dit
Alors qu'elles se savent déjà séduites
Par le séducteur
Aux manières de séducteur
Persuadées d'avance
Par le rythme de ses phrases
Et la délicatesse de son timbre
Ne se demandant même pas
Les ingénues
A laquelle
De la brune Romaine
Qui s'appelle Tamina
Et qui n'a jamais lu Milan
Ou
De la blonde Praguoise
Qui s'appelle Jenufa
Et qui n'a jamais vu Milan
Il téléphonera ce soir
Et à qui il proposera
En italien pour l'une
Et en tchèque pour l'autre
De partager la soirée
Ou la vie
En leur parlant de sa même voix douce et légère
Et en continuant d'écrire des romans
Où elles se chercheront en vain
Des romans écrits d'un style aérien
Pour parler
Avec détachement
De sujets légers et profonds comme :
Comment séduire deux jeunes femmes
Belles et grandes à la terrasse d'un café
Parisien
En faisant plaisir à l'une et à l'autre ?
Comment faire semblant d'être un séducteur
Quand ce sont les jeunes femmes
Grandes, belles et fatales
Qui vous ont séduit avant même d'avoir esquissé
Le moindre geste de séduction ?
Ou encore :
Comment être un romancier célèbre
Et passer inaperçu
Dans sa vie et dans ses romans ?


Le séducteur séduit
Se regarde
Assis à la terrasse d'un café
Avec deux jeunes femmes
Qu'il trouve belles et séduisantes
Et il se promet
Tout en continuant de parler de sa voix
Douce et légère
Que jamais il n'osera
Romancier pudique
Raconter dans un roman
L'histoire d'un séducteur
Attablé avec deux jeunes femmes à la mode
A la terrasse d'un café parisien 
L'une parlant italien
Et l'autre dans la langue maternelle du séducteur écrivain
Dans laquelle il n'écrit plus


Les deux jeunes femmes séduites
Regardent le romancier séducteur
Qui s'écoute parler
Assis à la terrasse
Ensoleillée
D'un café littéraire parisien
Avec deux jeunes femmes
Qu'il trouve belles et attirantes
Et se promet de continuer à n'être qu'un romancier respectueux
De la vie des humains
Qu'il fréquente
Ou qu'il a fréquenté
A Prague
Comme à Paris
Ou ailleurs
N'importe où
Entre Diderot et Opéra

Zak Menkiewicz

(Octobre 1993)


mardi 11 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : La Firme Quatre lance une molécule. 26

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

26

La Firme 4 lance une molécule.


La Firme Quatre, une firme nippo-états-unienne aux dents rayant le parquet et dont le sens éthique a depuis longtemps été oublié malgré son slogan répété à longueur de communiqués à l’intention des boursiers, des actionnaires, des décisionnaires de santé, des assureurs, des médecins et des malades, « La Science au service des patients », est en effervescence car, demain, l’étude-pivot de sa molécule phare, son futur blockbuster, doit être présentée en plénière par Kenzo Unisawa, un cancérologue de l’université de Kyoto dont la réputation est bien établie dans le monde fermé des essais cliniques de mauvaise qualité et dont la fluidité en anglais ne cache pas un accent à faire mourir de honte Maurice Chevalier… La partie US de la firme a bien essayé de convaincre le siège de la Firme Quatre à Okinawa qu’un autre intervenant servirait mieux les intérêts de tous, cela a été considéré comme un crime de lèse-nipponité. 

Il existe dans la Firme Quatre une multitude d’avis sur la molécule, le nipponumab, allant de l’enthousiasme le plus débridé à la crainte la plus irraisonnée. Les enthousiastes ont forcément raison car il est nécessaire que tout le monde regarde dans la même direction, c’est-à-dire celle des profits maximums, que la moindre réserve exprimée en public pourrait interférer avec le niveau des rémunérations et parce que les enthousiastes le font avec tellement de cœur qu’ils en oublient sans se forcer tout esprit critique. Les craintifs ont au contraire bien tort car la Firme Quatre a développé un tel réseau d’influences, a arrosé tellement de médecins, d’administratifs, de membres de commissions, a favorisé tant d’essais cliniques inutiles largement payés pour s’implanter ici et là dans de nombreux hôpitaux du monde entier qu’il serait étonnant que la reconnaissance du ventre ne joue pas à plein.

Les champions du marketing-mix ont appliqué leurs recettes, coché toutes les cases (en s’inspirant des fameux articles de Weiner et al parus dans le New England Journal of Marketing), respecté la hiérarchie des institutions, des hommes, des tâches, mobilisé toutes les ressources de l’entreprise, tous les contacts, tous les relais, tous les personnels amis de la Firme Quatre à l’intérieur du complexe mondial santéo-industriel, à coups de pré-rapports, de pré-abstracts, de communiqués de presse à l’intention des journaux économiques, des journaux médicaux, des journaux grand public, en insistant lourdement sur le fait que le cancer est féminin, que la santé des femmes bla-bla, que c’est une opportunité unique… Quant aux futurs prescripteurs, dont ceux de l’ASCO, ils n’ont pas été oubliés et nul ne doute qu’une invitation à un concert de Paul Simon pendant le congrès n’apparaîtra pas dans EurosForDocs … Enfin, les patients-experts sont de tournée… Mais il y a encore du marketing-mix à venir.


(Pour lire depuis le début : LA)


lundi 10 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : La course dans le centre des congrès. 25

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

25

La course dans le centre des congrès.


A partir de maintenant Pierre Gers se met à courir. Il doit courir pour aller de salle en salle, d’étage en étage, de salle plénière en salles annexes, en foulant la moquette épaisse et criarde qui recouvre le sol, en tentant de ne rien oublier, de noter tous les détails qui tuent, de serrer les mains qu’il faut, de rencontrer les personnes ad hoc. En cancérologie, toutes les disciplines médicales et chirurgicales participent, toutes les sensibilités sont présentes, toutes les tares des sous et des sur spécialistes sont évidentes, les préjugés comme les sous-entendus, les rancunes comme les vengeances et, par-dessus tout, l’envie et la jalousie. 

La liste des sujets abordés est impressionnante en ce vendredi 2 juin (à partir de 13 heures) : les cancers héréditaires, construire un partenariat avec les patients, cancer du sein (plusieurs sessions), cancer du poumon, tumeurs hématologiques, leucémies, myélomes, cancers en neurologie, en gastro-entérologie, sarcomes, thyroïde, nouvelles thérapeutiques (et comment les intégrer dans la pratique), biomarqueurs, ORL, pancréas, chirurgie cancéro-gynécologique, parcours des patients atteints de métastases, comment faire une présentation, immunothérapie, lymphomes, sarcomes encore…

Il y a de quoi être étourdi et ce d’autant que tous les sessions ne se valent pas, que certaines sont désespérément inintéressantes, mal fichues ou bien fichues mais présentées par des vedettes dont tout le monde sait soit qu’ils modifient les résultats pour qu’ils soient « parlants », soit qu’ils sont meilleurs en congrès que dans leurs services, que tel chirurgien qui fait la malin avec une vidéo est considéré dans son hôpital comme un médiocre opérateur… A propos des médiocres B. a décidé, il l’attendait lors de la distribution des badges, de coller aux fesses de Gers, « Ça ne te dérange pas ? », que répondre ?, l’envoyer paître ? B. ne le fait pas par malice mais parce qu’il sait que Gers l’emmènera aux bons endroits et qu’il pourra pallier ses défaillances en anglais, le cas échéant. Ce qui est plus amusant : ils rencontrent Florence Maraval, une Marseillaise qui portera toute sa vie sur la conscience les raoulteries de la Cannebière, et qui est la plus charmante des oncologues, c’est-à-dire cortiquée, à jour de la littérature et fan du Choose Wisely qui fait défaut à nombre de ses collègues, à défaut d’être la plus sexy des cancérologues… 

- Tu sais où tu vas aller ?

Elle montre à Gers la liste des sessions qu’elle a cochées et surtout les heures de présentation.

- Je vois que l’on est sur la même page.

La course commence.

Et Gers sait que si B. sera un boulet pendant cet après-midi, Florence Maraval sera un plaisir pour écouter, partager, commenter et prendre des notes.



(Pour lire depuis le début : LA)


dimanche 9 juillet 2023

Bilan médical du lundi 3 au dimanche 9 juillet 2023 : euthanasie et Alzheimer avancé, médecine générale en Ecosse, dépistages.

 

Le service public en train de sauver la médecine générale.

249. Euthanasie en cas d'Alzheimer avancé.

Un tweet d'un gériatre des hôpitaux.


Vous pouvez suivre le fil de discussion : LA

Quelques réflexions : 

  • L'euthanasie, selon la définition historique retenue par Wikipedia (voir ICI l'article) "désigne le fait d'avoir une mort douce, qu'elle soit naturelle ou provoquée". Cette définition est surprenante.
  • Les définitions modernes de l'euthanasie sont multiples et variées. Retenons encore celle de Wikipedia : "l'euthanasie est décrite comme une pratique (action ou omission) visant à provoquer — particulièrement par un médecin ou sous son contrôle — le décès d'un individu atteint d'une maladie incurable qui lui inflige des souffrances morales ou physiques intolérables."
  • Dans le cas de la maladie d'Alzheimer qui nous occupe se posent les problèmes de la mémoire (la personne malade ne reconnaît pas, ici, son mari), à peine celui du consentement puisqu'il n'est pas possible de communiquer, celui des directives anticipées et comment elles sont formulées et comment elles sont interprétables, de la souffrance de la personne malade (elle ne se rappelle pas mais quel est son monde, comment vit-elle cet isolement), de la souffrance des aidants (ici encore son mari) et :
  • La position idéologique des médecins et les risques médico-légaux : l'euthanasie est actuellement considérée par assimilation comme un homicide (article 221-5 du code pénal : "Le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre. Il est puni de trente ans de réclusion criminelle." Et l'on apprend dans le fil que le gériatre sus nommé est contre l'euthanasie
  • La souffrance des médecins et des personnels de soins non médecins, notamment dans UHR (unités d'hébergement renforcées)

L'avis de la famille mais plus encore des aidants familiaux est primordial s'il n'existe pas de directives anticipées ou s'il en existe.

Ma conclusion provisoire (je vous donnerai plus tard ma solution que j'espère élégante mais pas définitive) : Il n'est pas possible de demander à un soignant d'euthanasier un patient mais il est indispensable qu'un soignant puisse donner les instructions à la famille.

(PS du 15/07/2023 : L'Académie nationale de médecine se "rallie" à l'idée d'un "droit" à l'"assistance au suicide" : LA.) 


250. Médecine générale chez les British (et ici une Ecossaise écrit).




Les habitué.e.s de cet blog connaissent Margaret McCartney dont j'ai déjà commenté les livres (LA).

Elle publie un article dans le Financial Times (LA) qui s'inscrit dans le contexte du NHS britannique mais qui va bien au-delà tant l'universalité de la crise de la médecine générale dans les pays développés est à son comble quels que soient les systèmes d'accès aux soins et de rémunération des médecins, une crise qui est aggravée (ou provoquée) par le fait que les jeunes diplômés ne s'y engagent plus et qui se traduit par un surcroit de travail pour les médecins installés et un délai d'attente augmenté pour les patients.

L'indice de satisfaction du public pour le NHS n'a jamais été aussi bas : 35 %

Elle nous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître où les médecins généralistes étaient proches des populations, connaissaient les conditions socio-économiques de l'endroit où ils étaient installés et suivaient les patients depuis le berceau jusqu'à'à la mort.

Il ne s'agit pas de dire "C'était mieux avant" mais d'affirmer qu'une telle médecine de proximité n'est plus possible : 40 % des MG qui ont abandonné l'ont fait pour cause d'épuisement professionnel ; 61 % des MG de plus de 50 ans veulent arrêter dans les 5 ans.

Les MG britanniques consultent en moyenne 50 patients par jour et exercent le plus souvent comme contractant du NHS dans des cabinets qui tiennent plus de la petite entreprise que de nos cabinets libéraux avec des médecins partenaires, des salariés professionnels de santé ou non.

L'objectif des autorités de santé est de passer ces médecins contractants au salariat.

Margaret McCartney est contre. Elle cite pourtant l'exemple danois (LA) où les salaires des MG sont supérieurs à ceux des médecins hospitaliers et où la médecine générale est le centre des soins. Nous y reviendrons un jour.

Quoi qu'il en soit Margaret McCartney est contre le salariat bien qu'il propose en théorie une charge de travail de 25 patients par jour avec un horaire hebdomadaire de 37,5 heures. Mais, selon elle, cela va coûter beaucoup d'argent et, surtout, cela inaugure le sytème de la médecine supermarché disparition des cabinets petites entreprises au profit de cabinets succursales gérés par des groupes financiers. Elle rappelle que cette médecine générale est fondée sur l'accès aux médecins, n'importe quel médecin, mais pas sur l'accès aux soins du berceau à la mort.

Les études montrent que lorsqu'un ou une patiente est suivi.e par le même médecin, l'espérance de vie est augmentée et les coûts secondaires de soins diminués. Elle insiste sur le rôle des MG pour absorber les demandes non urgentes et les demandes ne nécessitant pas un adressage, prendre en compte l'incertitude, ce qui entraîne de prendre mieux soin des patients polymorbides et, en n'adressant pas plus, de désengorger l'aval.

Les solutions qu'elle propose pour rendre la médecine générale plus attractive et moins génératrice d'épuisement au travail, sont malheureusement connues et peu révolutionnaires. On sait cela par coeur. Moins de paperasse, moins prescrire de molécules mal validées, moins prescrire de tests inutiles insuffisamment validés.

Elle est pessimiste.

Elle dit : la médecine générale n'est pas le problème mais la solution.

(Et c'est pareil à San Francisco : ICI)


Avant

1948


Après





251. Le dépistage chez des personnes non symptomatiques : une méta-analyse.

L'article est ICI.

Est-ce que le dépistage diminue la mortalité liée au dépistage ?

Dans quelques cas.

Est-ce que le dépistage diminue la mortalité globale ?

Rare ou jamais


Les donneurs de leçon (de Bordeaux)

Les détails sur Chronimed : LA