jeudi 3 août 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : La patiente-experte. 45

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

45

La patiente-experte.


La directrice des opérations extérieures a compris que Marylène Beauregard n’était pas en grande forme. Elle s’approche d’elle, lui demande si ça va, l’autre fait oui de la tête, mais Annie Ferchaux fait ce qu’il faut : elle l’emmène vers les toilettes.

« Je suis désolée.

- Tu es désolée de quoi ?

- De ne pas me sentir bien.

- Nous avons fait beaucoup de choses depuis notre arrivée, le décalage horaire, les invitations, les restaurants, les sessions, les interviews… Il faut te reposer un peu. Tu es toujours sous Tamoxifène ? »

Les deux femmes se connaissent bien. Cela fait six ou sept ans que Marylène Beauregard, une solide femme de soixante-et-un ans que la maladie n’a pas détruite et que tout le monde peut considérer comme guérie de son cancer du sein, s’est engagée dans le combat pour l’aide aux femmes porteuses de ce cancer. Elle a créé une association avec trois « collègues » rencontrées à l’Institut Gustave Roussy, une association qui a eu du mal à démarrer, peu de compétences administratives pour les quatre femmes, peu de compétences informatiques pour créer le site et un sentiment d’abandon. Puis est arrivée Annie Ferchaux, par l’intermédiaire de l’Institut, une Annie Ferchaux droite dans ses bottes, honnête et consciencieuse, une pharmacienne de l’industrie reconvertie dans les relations publiques, qui a décidé d’aider l’association, Femmes avec le cancer du sein, connue désormais comme la FACC. Beauregard s’est investie parce qu’elle avait besoin qu’on les aide et Ferchaux lui a permis de faire de la publicité, de créer un site, de former un Comité scientifique, d’attirer des dons et notamment de la firme et de fréquenter les congrès. Elle et ses collègues avaient besoin de cela pour survivre. Elles avaient besoin de cela pour comprendre leur maladie, pour l’expliquer aux autres et pour que toutes ces femmes ne se sentent pas isolées psychologiquement et financièrement. Le succès de l’affaire a suscité des convoitises mais a surtout entraîné des vocations. Tant et si bien que la FACC est devenue un modèle et une grosse structure. Ce soir elle a décidé d’arrêter.

Elles sont sur la terrasse balayée par le vent.

Beauregard : « Tu sais, je suis fatiguée, je crois que j’ai fait le boulot, créé l’association, délégué à d’autres, je suis devenue patiente-experte, enseignante à la fac, j’ai bourlingué partout dans les congrès, mais ce soir, en voyant tous ces Messieurs trop sérieux, j’ai saisi que ma place n’était plus là, que je devais arrêter de me balader comme une marionnette de plateaux télés en estrades de facs, je vais me concentrer sur ma guérison… - Tu abandonnes ? – Non, je laisse la main à d’autres… Je me concentre sur moi-même, je prends ma retraite du cancer du sein… Je ne suis plus patiente donc je ne suis plus experte. – Tu ne veux pas retourner dans la salle ? – Si, je recommence à avoir faim. » 



(Pour lire Un Congrès à Chicago depuis le début, c'est ICI)


 


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