Introduction.
Je ne suis plus abonné à la Revue Prescrire depuis que je n'exerce plus.
C'est à dire depuis que je ne prescris plus.
C'est logique.
Mais il y a une autre logique. Quand j'étais encore abonné à la Revue Prescrire, cela faisait longtemps que je ne la lisais plus ou que je la parcourais d'un oeil distrait car elle ne me calculait plus. Elle ne correspondait plus à rien de concret pour mon exercice de médecin généraliste.
La rubrique des nouveautés concernait des molécules -mab et autres prescrites initialement par des spécialistes hospitaliers et dont, moi, généraliste, n'en avait plus la gestion, sinon celle des possibles interactions médicamenteuses et des éventuels effets indésirables.
Invalidation externe
La revue Prescrire n'y est pour rien : ce n'est pas elle qui tient l'agenda des nouvelles molécules. Et les nouvelles molécules suivent les lois du marché pharmaceutique. C'est en effet l'industrie pharmaceutique qui tient les manettes de la Santé publique en développant des traitements qui concernent des marchés porteurs, des marchés rentables, des marchés à fortes marges, des marchés parfois orphelins (qui sont des marchés porteurs et rentables pour de multiples raisons que Marc André Gagnon, qui a déjà été l'invité de la Revue Prescrire, a souvent développées), mais pas seulement.
Les traitements immunologiques dominent le marché dans toutes les spécialités médicales, parce qu'elles ont montré, pas toujours, un rapport bénéfices/risques favorable et ensuite parce qu'elles obtiennent des prix démesurés.
Le marché qui domine le marché, c'est la cancérologie, spécialité hybride qui ne tient aucun compte des médecins traitants et qui obtient des AMM à la pelle à des prix défiant toute concurrence. Au nom de l'innovation.
Invalidation interne
Mais surtout : il y avait de moins en moins de médecine dans la Revue Prescrire. Et quand il y en a, c'est souvent de la médecine peu praticienne, peu pratique, très littéraire, non opérationnelle, non validée par l'expérience interne des rédacteurs.
Les relecteurs de la Revue Prescrire le savent bien : les critiques médicales qu'ils adressent sur des points pourtant cruciaux ne sont (pratiquement) jamais pris en compte par la rédaction.
La revue Prescrire est dominée par les pharmaciens.
Ce n'est pas une critique, c'est un constat.
Les pharmaciens ne font pas de médecine praticienne.
Il y a de moins en moins de médecins prescripteurs dans la rédaction de Prescrire.
Une carence originelle
Les médecins spécialistes non médecins généralistes ne sont pas abonnés à la Revue. Ou très peu.
C'est normal : la Revue été fondée pour échapper à l'emprise académico-universitaire et pour ouvrir le champs des prises en charge par les soins primaires non étudiées par les essais cliniques ou par les médecins hospitaliers. Exemple que j'aime beaucoup et qui m'avait été raconté par un des fondateurs lors d'un entretien : "Pourquoi prescrit-on des semelles orthopédiques ?"
Cette carence est expliquée, entre autres, par le fait que les hospitaliers ont des fonctions de recherche, qu'ils ont du mal à accepter la critique de la recherche, et qu'ils pensent que l'EBM est un mirage puisqu'ils croient à l'Eminence Based Medicine, à l'avis d'experts, aux bruits de couloir dans les services et aux opinions du patron. Et à leurs intuitions personnelles.
J'exagère à peine.
Source : LA |
Un manque de réactivité.
La persistance d'une édition papier old school, l'indigence longtemps coupable de la version électronique, la dégradation constante de la qualité des Tests de lecture (antipédagogiques, aussi pertinents que des QCM d'ECN, c'est dire) de plus en plus payants font que les abonnements à la revue (les derniers chiffres sont légèrement en hausse... + 0,7 %) sont stables mais que la lecture est en baisse (expérience interne et constats chez de nombreux collègues qui n'ouvrent même plus la Revue).
C'est triste.
Il n'y aura plus que des agences gouvernementales infiltrées, entrées par l'industrie, inféodées au pouvoir politique, croupions, et seules quelques voix isolées se feront entendre mais le combat sera perdu.
Sur X, Linkedin et sur les différents réseaux sociaux ne donneront leurs avis que les médecins influenceurs (PU-PH, employés de l'industrie, chercheurs en quête de financements labos, ...) qui ne déclarent pas leurs liens d'intérêts et qui ne s'expriment pas encore, sauf erreur, sur Tik Tok, mais déjà sur Instagram.
Et cet avis sera toujours favorable aux molécules fabriquées par des laboratoires auxquels ils sont tenus par des accords financiers (pas forcément sur ces molécules mais sur d'autres) et qui n'oseront pas être défavorables de peur que les autres laboratoires craignent de leur donner de l'argent pour des études de seeding (d'implantation ou de pur marketing) ou pour animer (donner la bonne parole) dans un restaurant ou dans une salle de Novotel devant des collègues épuisés par leur journée de travail.
Il ne faut pas que cela arrive.
Episode 2 à venir :
Je partage ton analyse, et ton expérience. J'ai découvert Prescrire lors de mes remplacements. J'y ai trouvé (enfin !) une revue qui m'aidait dans mes décisions. La diffusion, puis la généralisation d'internet, l'ouverture de Pubmed ont apporté d'autres sources d'informations, relativisant peu à peu l'utilité de la revues Prescrire. J'ai conservé mon abonnement longtemps, d'abord pour son utilité dans la formation des internes, ensuite par militantisme. En effet, comme toi je pense nécessaire l'existence d'une revue critique des pressions de l'industrie pharmaceutique. J'ai cessé mon abonnement avant ma retraite par manque d'intérêt pour les publications de la revue, pour les raisons que tu as citées, mais aussi parce que je regrettais le nombre un peu trop important des autocitations dans la deuxième partie de la revue. Il n'en reste pas moins que la présence de Prescrire est utile, nécessaire.
RépondreSupprimerComment faire pour faire revenir des medecins prescripteurs dans la rédaction de la revue et faire revenir de la médecine pratique et opérationnelle ? Des médecins généralistes seraient intéressés et disponibles pour le faire ? Cela pourrait être utile à tous les lecteurs de la revue. Pouvez-vous donner un exemple ? Catherine pharmacienne savoyarde
RépondreSupprimerA mon sens ça fait un temps que prescrire a oublié ce qu'est un généraliste de premier recours. Donc oui, sa disparition est programmée. Ca n'aura pas été faute d'avoir essayé, d'avoir lu, d'avoir parfois rempli des qcm, de payer les abo par militantisme et de s'être pris quelques volées de bois vert pour avoir émis un avis contraire ici et là, par pure ignorance du terrain de sa part. Tant pis...
RépondreSupprimertl