jeudi 30 janvier 2014

Ennuis mortels lors de la (non) remise de la Pilule d'Or Prescrire


Je me suis rendu ce jour Espace Saint-Martin pour assister à l'une des réunions annuelles Prescrire.

Réunion en trois parties.

Première partie (mortels effets indésirables) : Victimes de médicaments : sortir du déni sociétal pour mieux soigner.

Une dame anglaise parlant français, Millie Kieve, mère de victime, nous a fait écouter "Les voix des victimes" (ICI). Elle représente l'association APRIL (adverse psychiatric reactions information link) (LA) Discours compassionnel et ascientifique digne d'une réunion paroissiale. Nous avons cependant appris que sa fille avait eu une dépression lors de la prescription de Diane 35 prescrite pour une maladie fibrokystique de l'ovaire (imaginaire, nous a-t-elle précisé). Les crétins qui disent qu'il n'y a qu'en France que Diane 35 posait problème... en sont pour leurs frais.

Une juriste présidente de l'association "Amalyste" (ICI et sponsorisée par Groupama), Sophie Le Pallec, a fait un exposé (Gueules cassées du médicament : d'épreuves en épreuves, LA), au début pleurnichard, avec photographies ad hoc de malades exposant les problèmes jurifdiques des patients ayant subi un syndrome de Lyell et de Stevens Johnson pour se faire indemniser de leurs lésions. Elle a parlé du recueil des données, de l'imputabilité, des signaux et du déni des médecins ainsi que de la méchante industrie pharmaceutique et de la nécessaire déclaration des effets indésirables par les patients. Elle a oublié de dire, quelqu'un l'a signalé dans la salle, que la majorité des syndromes de Lyell et de Stevens Johnson sont dus à 4 molécules : tetrazepam, allopurinol, lamotrigine et bactrim.

Enfin, Bruno Toussaint, directeur éditorial de Prescrire, nous a servi la soupe gnangnan Prescrire (catho de gauche à mon avis mais, vu le décor de la salle, parpaillot de gauche serait plus approprié) sur "D'abord ne pas nuire ; puis comprendre et agir" (ICI). Il nous a parlé du DES sans nous dire que la France (je veux dire les gynobs français) ont été à la pointe de la khonnerie puisque, sachant tout, ils ont continué d'en prescrire alors que c'était inefficace et dangereux. Il nous a aussi parlé du vioxx sans nous dire qu'il y a eu zéro mort en France (l'esprit français ou la victoire de la pharmacologie à la française?). Couplet sur le Mediator avec couplet secondaire sur le suffixe -orex qui aurait dû alerter tout le monde. Les professeurs de pharmacologie et de diabétologie (pour les professeurs d'obésologie nous seront muets) étaient-ils an orexiques ? Et il a terminé sur les pilules de troisième génération que l'on aurait dû ne pas prescrire. Il en conclut qu'il faut écouter les victimes des médicaments. Ouaip. Ecouter signifie aussi déclarer les effets indésirables. 

Lors des questions de la salle l'incontournable députée européenne Michèle Rivasi a mis en avant la possibilité qu'ont désormais les patients européens de signaler eux-mêmes les effets indsésirables en oubliant de préciser que l'Europe avait lâché la pharmacovigilance à l'industrie dans le cadre vide d'EudraVigilance (LA) (le fameux Paquet pharmaceutique de 2008). Un intervenant pharmacovigilant a souligné combien la déclaration par les patients des effets indésirables était de la poudre aux yeux qui allait augmenter le bruit de fond et empêcher de recueillir les vrais signaux.  Bruno Toussaint n'a pas été d'accord. Le père de Marion Larat, victime  de Méliane, est intervenu pour dire combien les choses avançaient et il a semblé très optimiste pour la simple raison que les informations étaient désormais données aux médecins. Il ne connaît sans doute pas l'inertie du milieu médical. Le professeur Giroux, pharmacologue à la retraite, a souligné combien la pharmacologie clinique n'était pas enseignée à la faculté et, en privé, m'a dit que cela allait en se détériorant. Irène Frachon a parlé, à la suite de Sophie Le Pallec, de la difficulté qu'avaient les victimes du mediator à se faire reconnaître et indemniser, et que le doute bénéficiait plutôt à l'industriel. Juste un point : la responsabilité des industriels, des agences, des prescripteurs est engagée, sans nul doute, mais, dans le cas du mediator, et c'est une expérience personnelle, des patientes se sont détournées de nous parce que nous leur refusions le mediator ou allaient se le faire prescrire ailleurs sans nous le dire. La responsabilité de patientes informées est aussi engagée. Jean Lamarche, pharmacien d'officine, rebondissant sur les propos d'un responsable d'association, a souligné combien les pharmaciens étaient démunis contre les ordonnances erronées, les ordonnances bourrées d'interactions médicamenteuses potentielles, les ordonnances de produits hors doses, hors AMM ou franchement dangereux.

Voici ce que j'aurais pu ajouter si j'avais eu le temps (je n'ai évoqué que quelques points durant mon intervention).
  1. Très souvent les effets indésirables graves que l'on retrouve (avec difficulté) après commercialisation avaient été signalés et / ou évoqués (et enterrés) dans les dossiers d'AMM malgré le nombre étique de patients observés. L'exemple du pandemrix que Marc Girard m'avait signalé en son temps, à savoir 9 morts dans les essais pré AMM,  a illustré à la fois la naïveté des autorités compétentes et des relecteurs indépendants et la notion de sérenpidité car le pandemrix a peut-être entraîné des morts (jamais comptabilisés par la pharmacovigilance internationale) mais a entraîné des narcolepsies de novo (?)
  2. Madame Kieve a dit que seulement 10 % des effets indésirables étaient signalés mais elle est loin du compte ! J'ai estimé personnellement qu'un effet indésirable grave pour 511 était effectivement déclaré et des données anciennes parlaient de 1 déclaré pour 4610 ! Le billet sur mon travail est ICI.
  3. La déclaration des effets indésirables des médicaments n'est pas tout : il faut aussi que l'imputation se fasse. Et là, le classement vertical est extrêmement fréquent. Cela dépend également de la qualité des informations recueillies. Disons que les pharmacovigilants font de la rétention dans le public et de la destruction dans le privé. 
  4. Qui sont les plus responsables juridiquement ? Les firmes, les agences ou les prescripteurs ? Il semble que, finalement, ce soient les prescripteurs, isolés, sans l'assistance de cabinets d'avocats, qui soient les plus facilement attaquables.
  5. A aucun moment n'a été abordé le problème paradoxal des attaques portées de toute bonne foi contres des produits "anciens", dont les effets indésirables sont connus, répertoriés et étudiés, attaques dont les firmes profitent pour promouvoir de "nouveaux" produits, moins bien étudiés, aux effets indésirables potentiellement plus graves, et dix fois plus chers...

Deuxième et troisième partie : les (mortels) prix Prescrire.

Je suis toujours étonné que Prescrire continue d'appuyer sans nuances et avec son zèle idéologique obstiné la prescription en DCI (dénomination commune internationale) (prescrire en DCI c'est la sécurité des patients, prescrire en DCI c'est combattre le méchant capitalisme, prescrire en DCI c'est assurer des traitements pour les plus pauvres de la planète) et attribue des prix du conditionnement aux laboratoires méritants alors qu'il n'est pas possible, en prescrivant en DCI, de choisir son conditionnement. Comprenne qui pourra. Mon attitude : ne prescrire que le boîtage que l'on connaît. Bon, j'entends déjà les commentaires... Comme je ne peux faire confiance à chacun des pharmaciens chez lesquels vont mes patients je suis obligé de contrôler la délivrance de cette façon. Mais je n'ay arrive pas souvent.

Donc, cette année encore : pas de pilule d'or.

Mais "cité au palmarès", et en DCI imprononçable ou inécrivable : vaccin méningococcique conjugué  A, C, W135, Y. Je ne dirai rien sur le vaccin lui-même mais je dirai cependant ceci : s'il est un domaine où le conditionnement joue un rôle majeur, c'est bien celui des vaccins. Qui vaccine contre la grippe sait en double-aveugle de quelle aiguille il s'agit...

Dernier point pour conclure ce mortel palmarès : dire qu'il y a panne de l'innovation dans l'industrie pharmaceutique est peut-être vrai, les méchants chercheurs qui ne trouvent rien, et nul doute que big pharma investit surtout sur les marchés porteurs, c'est à dire avec grosses plus-values possibles, mais la raison principale évidente, me semble-t-il, est la suivante : l'amélioration constante de l'espérance de vie dans les pays "développés" est devenue asymptotique et la mortalité évitable est liée à des facteurs personnels (fumer, boire, manger) et / ou environnementaux au sens large. L'hygiène est supérieure à la médecine (ne le dites pas trop, les néo libéraux de tout poil, de droite, de gauche, d'extrême droite et d'extrême gauche vont vous tomber sur le rable au nom de la liberté de choix des consommateurs, oui, oui, j'ai bien écrit, des consommateurs) et le sera longtemps sur les prochaines années. L'arrêt du tabac a des conséquences plus favorables que la lobectomie sur l'espérance de vie des populations. Dans les pays dits moins développés, et pour certains, pré pasteuriens, les médicaments ont encore leur chance en raison des risques infectieux majeurs (qui ont disparu dans les zones développées). Mais une autre raison, pas secondaire du tout, est la suivante : big pharma investit sur des domaines porteurs où les investissements sont raisonnables (essais cliniques a minima), les marges majeures (en raison des prix exigés), les leaders d'opinion facilement démarchables, les associations de patients demandeuses, les agences peu regardantes, les médecins hospitaliers seuls intéressés... Vous avez deviné de quoi je veux parler ? Des anti cancéreux ! Une journée et demie de survie en plus et 1000 euro par jour le traitement. Vous rajoutez le domaine des vaccins, mêmes caractéristiques que précédemment, en rajoutant ceci : les vaccins ne sont pas généricables. La marge nette est de 98%

Bon, belle journée à l'Espace Saint-Martin (le buffet de petits fours était sympa. Mais comme je suis abonné à Prescrire je me suis dit que je mangeais mon argent) car, ne l'oublions pas, la Revue Prescrire a apporté la lumière à nombre de médecins, dont moi, voir le billet précédent (LA), qui n'avaient pas conscience de la nécessité d'un lieu critique capable d'exprimer la résistance à l'absence d'un enseignement indépendant de la médecine, la résistance aux instances gouvernementales incompétentes et la résistance aux efforts de big pharma pour cacher la vérité de ses produits en corrompant le milieu.

(Je ne vous ai pas parlé du représentant de Glaxo, un poème, il a failli me convaincre de sa bonne foi, LOL, la mission de big pharma dans le domaine de la pharmacovigilance, c'est comme si la revue Que Choisir, qui était associée à la journée Prescrire, était publiée par le MEDEF)
(J'ai discuté avec des gens charmants dont Alain Braillon qui m'a dit tout le bien qu'il pensait de l'e-cig : re LOL)
(Toutes les communications sont en accès libre sur le site Prescrire : LA)

Illustration : le cimetière juif de Prague.

dimanche 26 janvier 2014

Une invitation à déjeuner.


Mon ami le docteur B me demande l'autre matin si je veux venir les rejoindre déjeuner avec les docteurs C, D et E. Sympa, mais il ajoute que c'est un labo qui invite. Il sait que je ne le fais plus depuis un moment. Je lui dis que ça me fait hièche. Il me dit que je n'aurai qu'à payer ma part.
Je réfléchis.
J'ai envie de déjeuner avec D que je n'ai pas vue depuis longtemps. Quant aux autres, ce sont de très bons copains.
Le labo qui invite, c'est un petit labo, enfin, il ne fait pas partie des majors. Comment se fait-il qu'il ait encore un budget pour inviter des médecins à déjeuner ?
Ma position est claire : je ne réponds plus à ce genre d'invitations.
J'ai entendu dire que certains collègues acceptaient effectivement ces invitations et payaient leur part.
Ouais. Je n'y crois pas beaucoup. Non pas que les collègues mentent mais je me vois, manger, me dépêcher, à midi il y a toujours quelqu'un qui arrive en retard et un autre qui doit partir plus tôt, je serai pressé de retourner à ma consultation, le premier rendez-vous est à 13 H 30, je devrai me lever à quinze, demander au restaurateur combien je lui dois pour ce que j'ai mangé et le quart de la bouteille de vin que j'aurai bu en commun, un compte d'apothicaire.
Eh bien, c'est non.
Je rappelle B qui me dit "T'es con, tu fais bien des histoires, tu crois que je vais me laisser influencer par la nana et que je vais prescrire ses produits parce que j'aurai été invité ? C'est mal me connaître." Moi : "Oui, il y a un risque"

Je ne voudrais pas me faire passer pour un père la pudeur, pour un donneur de leçons ou pour un pur esprit.
J'ai longtemps reçu la visite médicale, pendant beaucoup plus longtemps que la période durant laquelle je lui ai refusé mon cabinet.

D'abord sans aucune réticence. Je ne voyais pas où était le mal. Jeune médecin incomplètement formé, à Cochin il y avait bien, à l'époque, des cours de pharmacologie clinique mais des cours de thérapeutique, que nenni, j'arrivais dans le monde réel où les acromégalies étaient rares (j'avais été l'externe de consultation privée du professeur Laroche où défilaient des acromégales, des cushings, des addison,...), les lupus très fréquents (j'avais été externe dans le service de rhumatologie du professeur Amor, remarquable clinicien où les staffs étaient consacrés à de rares maladies pour lesquelles, à l'époque, les traitements étaient soit peu efficaces, soit peu établis soit expérimentaux...), et cetera. En gros, mais ce n'est pas le sujet de ce billet, quand je suis sorti de la Faculté, en 1979, j'était prêt à tout et, en réalité, prêt à rien. J'étais donc ravi que des jeunes femmes et des hommes moins jeunes (à moins que cela ne soit l'inverse) m'apprennent les phlébotoniques, les anti hypertenseurs (c'était le début des produits "modernes", l'arrivée du captopril), les anti vertigineux, les vincamines, les dérivés de l'ergot de seigle, le tanakan, les "pommades", et cetera.
Puis en commençant à me poser des questions. Je ne savais pas à l'origine ce qu'était un essai contrôlé et, pour des raisons que j'expliquerai plus tard, je m'y suis mis. Et, du coup, les aides visuelles colorées me paraissaient moins colorées et plus sombres, et je regardais plus le décolleté ou les jambes des visiteuses que je ne me passionnais pour les produits, quoique, quoique, dans cette période j'étais encore animé par la frénésie  de la prescription, un syndrome = un médicament, une plainte = un médicament, une demande de patient = un médicament, ayant encore besoin de consolider ma clientèle à un moment où la concurrence entre médecins faisait rage. Si je commençais à réaliser que la visite médicale, les repas de labo (et je dois dire que j'étais assez content de me faire nourrir gratuitement dans des restaurants réputés où je ne serais jamais allé, non par manque de moyens, mais peut-être par manque d'esprit de découverte, et parfois avec ma femme...), les réunions de Formation Médicale Continue sponsorisées, les visites elles-mêmes, les prospectus, les recommandations bidons, les conférences de consensus autoproclamées, les études d'implantation pou faire prescrire des boîtes et grassement rémunérées, les études promotionnelles dont les dossiers patients étaient remplis en direct par la visiteuse et / ou le visiteur (on me dit que les dossiers de patients dans le cadre du ROSP sont remplis en direct par la DAM de la CNAM qui ressemble de plus en plus à une VM), c'était quand même trop, je ne réalisais pas combien cela m'influait.
Puis j'ai franchi le pas. Je me suis bien entendu demandé comment j'allais faire sans les post-it, les blocs, les spéculums, les otoscopes, les abaisse langues, les invitations à des week-ends de golf (je n'y joue pas), les dîners-ébats, les certificats pré imprimés, les tensiomètres, les couteaux suisses, ...
Ce n'est qu'ensuite que j'ai réalisé et que j'ai théorisé sur le influences néfastes de ces contacts ponctuels. Les malins et les affranchis me diront que j'ai mis le temps et que j'avais la tête bien dure pour ne pas avoir réalisé plus tôt. Ils auront raison.

J'ai donc refusé de déjeuner et j'ai ainsi échappé à la tentation. J'ai aussi échappé à mes certitudes dans le style "A moi on ne me la fait pas. Je suis un roc." Tu parles.

Autre chose encore : je ne me suis rendu compte que bien longtemps après que j'ai refusé tout repas sponsorisé que ces repas étaient profondément impudiques. Nous mangeons entre confrères, payés par l'industrie, avec un visiteur ou une visiteuse qui fera ensuite un rapport de réunion, et nous parlons accessoirement de médecine, de confrères, sous le regard et avec les oreilles de big pharma qui n'en perdra pas une miette, nous médisons, c'est le sport confraternel et nous disons du bien de nous en passant, nous qui avons la clairvoyance. Le secret médical, la confraternité, ils se sont évaporés. 

Ce billet est une ébauche et ne prétend pas à l'exhaustivité.
J'ai déjà écrit sur les liens et conflits d'intérêts (ICI par exemple) et Marc Girard a écrit un billet éclairant (LA). 
Je parlais donc du quotidien et non des grands principes. 

(Eugène Delacroix (1798 - 1863) - Faust et Méphistophélès 1826 - 1827)

jeudi 23 janvier 2014

Brefs commentaires à propos de l'ère de la télésurveillance dans l'apnée du sommeil.


L'article du docteur Dany Baud se suffit à lui-même (voir ICI pour se le remettre en bouche ou pour se le passer en boucle ad nauseam). Voici un éclairage plus médecine générale.

(Je vous donne à lire le texte de l'arrêté modificateur du 16 janvier 2013 : ICI.)

Le disease mongering, la stratégie de Knock ou la fabrique des maladies (ICI). 

L’appareillage massif des ronfleurs, et c’est avec la plus mauvaise intention du monde que j’emploie un terme profane (admettez que je connaisse la différence entre ronflements et SAOS), cache quelque chose. Quand une maladie fait irruption de façon aussi violente dans les salles de consultation, il y a souvent un loup. Comme toujours en médecine, et quelles soient les pathologies, l’ange finit par faire la bête : pour soulager d’authentiques « malades » on lance le filet du dépistage et on ramène des petits poissons, les plus nombreux, qui n’avaient jamais rien demandé à personne et pour qui l’intérêt d’un traitement est faible, voire contre productif. C’est à dire que le SAOS est une entité connue, définie, il existe des critères précis, mais que l’on finit par assimiler tous les ronfleurs à la SAOS, c’est à dire à tous les appareiller. J’exagère ? Oui, puisqu'existent des critères diagnostiques. J'ai mauvais esprit.

Les pneumologues à la manoeuvre.

Le SAOS a changé de paradigme et le corps du malade a été transféré des cabinets d’ORL aux cabinets de pneumologie. Les opérations jadis effectuées par les ORL, encore pratiquées dans de rares cas, sont tombées en désuétude : s’agit-il de raisons scientifiques ou s’agit-il de raisons commerciales ? Un des points qui n’a pas été abordé par le docteur Baud est le poids des malades appareillés dans le chiffre d’affaire (vous avez bien lu) de certains pneumologues : cela peut atteindre 40 % (comme dirait wikipedia : à vérifier). Et dans certains endroits le patient est trimballé de spécialiste en spécialiste, le médecin traitant étant mis sur la touche. Combien de pneumologues ont-ils réagi comme le docteur Baud ?


Un nouvel intervenant jusque là caché : big matériel.

On savait déjà combien le marché de la santé publique ne se limitait pas à l'industrie des médicaments (big pharma) et que le dépistage du cancer du sein, par exemple, avait en sous main les fabricants de mammographes. Mais désormais on se rend compte que les grands groupes industriels non pharmaceutiques (Air Liquide par exemple) ont pris la relève de big pharma là où il n'y a pas de médicaments. Le marché de la télé surveillance intéresse aussi les sociétés de soins à domicile, les hébergeurs de données, les marchands de consommables (il faudra jeter un oeil sur ces coûts indirects), et cetera. Tous ces gens là se tiennent par le bout du nez. Quand on jette un oeil rapide sur la littérature internet on est frappés de voir que le nombre des intervenants est faible, qu'ils se refilent les marchés, qu'ils s'entendent, et cetera. Et la CNAM marche.

La collecte des données individuelles.

Fournir des données à la CNAM, semble-t-il anodines, l'heure du coucher, l'heure du lever en pleine nuit, la quantité de sommeil, sa qualité, par l'intermédiaire d'une société privée paraît anodin à tous nos concitoyens qui sont les premiers à hurler contre la NSA. Cela paraît anodin pour le CNIL. Cela apparaît anodin pour le Conseil National de l'Ordre des Médecins. Tout baigne. Une fois que les sociétés de recueil des données seront implantées dans les chambres à coucher, nul doute que d'autres applications seront mises sur le marché qui pourraient intéresser (au sens propre comme au sens figuré) les cardiologues, les rhumatologues ou d'autres spécialistes de la chronicité. Et le rêve des Big Data serait réalisé (aurons-nous le temps d'écrire un billet sur l'imposture des Big Data ?)

Les patients et les associations de patients.

Le texte de Saout, Cerisey et Bertholon (ICI) a déjà été analysé par CMT dans les commentaires du billet précédent (LA). Il s'inspire largement du texte de Dany Baud mais, comme disent les Anglo-saxons, les auteur ont oublié l'éléphant dans la pièce. C'est à dire la sponsorisation des associations de patients par big pharma. Christain Saout était jusqu'il y a peu de temps au CISS dont vous pouvez voir ICI la liste des partenaires, Catherine Cerisey est une e-patiente très impliquée dans Octobre Rose et des agences de communication (voir LA son blog), et David Romain Bertholon est directeur général d'EmPatient (LA) dont voici la liste des partenaires (LA). 
Dans la télé surveillance des malades atteints de SAOS il semble que les associations de patients aient eu des positions contrastées, que certaines se soient pourvues devant le Conseil d'Etat et d'autres, pas.


La télémédecine.

C'est le truc à la mode. A la mode parce que c'est facile de lever des fonds pour créer des sociétés. C'est moderne. Eh bien, la télémédecine est intéressée (encore au sens propre et au sens figuré) par la télé surveillance. Une petite sauce d'empowerment et un peu d'Education Thérapeutique, la tarte à la crème (avec, j'oubliais, l'entretien motivationnel), de la médecine d'aujourd'hui. L'Education Thérapeutique, une bonne idée à l'origine, n'est plus seulement donner les moyens au patient ou au malade de vivre avec sa maladie de la meilleure façon possible qui soit et selon ses valeurs et préférences, mais aussi d'éduquer les praticiens à être éducateurs thérapeutiques (rendre experts des médecins lambda) et, surtout, à faciliter l'observance...  c'est à dire à faire vendre des boîtes ou des embouts... (on me dit dans l'oreillette que la télésurveillance est en train de s'implanter dans les EHPAD pour, je cite, analyser les causes de chute des personnes âgées).


La médecine économique.

Et derrière tout cela il y a la rationnalisation des dépenses de santé. Sous prétexte que l'appareillage des patients SAOS coûte cher on veut éliminer les fraudeurs et récompenser les kapos. On sait que certains voudraient que les fumeurs soient pénalisés financièrement parce qu'ils sont malades d'avoir fumé (ne pas traiter "gratuitement" une BPCO ou un cancer du poumon) ou d'avoir bu mais on pourrait arriver au non remboursement des anti hypertenseurs sous prétexte qu'ils ne sont pas pris... peut-être avec des piluliers électroniques. Ou au non remboursement de l'appareillage des SAOS sous prétexte qu'ils n'auraient pas maigri (contrôles électroniques du réfrégirateur avec hébergeurs de données auchaniens). Les citoyens sont responsables de leurs maux, au nom du libéralisme néo (rawlsien) : les citoyens sont capables de choisir de fumer ou dene pas fumer, d'être gros ou non, et donc d'être malades ou non.


Un étrange absent : le web 2.0.

Où est le débat public sur un sujet aussi sensible ?

Un reportage récent sur France 2 : LA
(Illustation Photo transmise par l'agence nord-coréenne KCNA montrant une foule réunie le 29 mars 2013 à Pyongyang
afp.com/Kns) Ai-je atteint le point Stalwin ?

samedi 18 janvier 2014

L'ère de la télé surveillance est en route. A propos de l'apnée du sommeil. Un texte du docteur Dany Baud.


Je publie un texte du docteur Dany Baud qui me paraît essentiel. Je tenterai de le commenter dans le billet suivant.

Télésurveillance obligatoire des patients atteints de Syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS) et traités par ventilation en Pression Positive Continue (PPC).

Qu’il soit nécessaire de justifier le sentiment d’indignation suscité par une loi manifestement inique et liberticide place celui qui s’est trouvé à l’instant indigné dans une situation de totale incompréhension, doublée si ses pairs ne trouvent rien à redire, de celle de profonde solitude. C’est dans ces sentiments que m’a plongé cette décision de placer des individus dont la seule faute était d’être atteint d’une maladie chronique, sous surveillance électronique comme il est fait par le bracelet du même nom pour les délinquants. Que certains quels qu’ils soient et quelle que soit leur position sociale puissent s’arroger le droit de rentrer dans l’intimité de « la vie des autres » sous prétexte d’avancées techniques et au seul argument de prétendus avantages économiques est dans un pays démocratique comme la France parfaitement inadmissible.    

 Odieux agenda et hidden agendas

Le SAOS est une maladie caractérisée par des arrêts respiratoires au cours du sommeil responsables d’une fatigue, d’une somnolence et parfois compliquée de maladies cardiovasculaires. Ce syndrome est fréquent, il touche  2 à 5% de la population adulte en France et environ 500 000 patients sont traités par PPC (générateur de débit d’air délivrant une pression continue  aux voies aériennes supérieures par l’intermédiaire d’un tuyau  et d’un masque adapté au nez du patient). Le traitement est assuré par des prestataires de service (les mêmes que ceux ayant en charge l’oxygénothérapie et la ventilation à domicile). Il donne lieu à une dépense importante et croissante estimée à plus de 400 millions d’euros/an, soit 40% du coût total de la liste des produits et prestations  remboursables (LPPR) pour les maladies respiratoires. L’observance des patients traités par PPC est bonne et même meilleure que l’observance médicamenteuse constatée au cours des maladies chroniques (75% versus 50%).
Jusqu’à maintenant pour bénéficier d’une prise en charge de cette PPC, le diagnostic de SAOS devait être affirmé par un enregistrement de la respiration au cours du sommeil (polysomnographie ou polygraphie ventilatoire) et le patient devait utiliser sa PPC au moins 3 heures/nuit, tracées en mémoire de machine. Le forfait facturé à la Sécurité Sociale (SS) par le prestataire est actuellement de 21 Euros /semaine  pour un prix de machine  difficile à connaître précisément car variable selon le volume acheté et négocié par ces mêmes prestataires aux fabricants  mais se situant entre 300 et 600 euros sans compter le consommable. L’achat direct de ces machines est inaccessible aux patients qui de fait sont captifs du système en place.
Le renouvellement de cette prise en charge était conditionnée à cette utilisation minimum de
3 heures par nuit et à la constatation par le médecin de l’efficacité clinique de ce traitement instrumental. En cas de défaut d’observance persistant, c’est dans le cadre de la consultation  médicale que  le médecin demandait  la suspension du traitement après concertation avec son patient.
En pratique, un certain nombre de patients non revus systématiquement par leur médecin avaient une PPC dont ils ne se servaient peu. La lenteur de communication de cette information par le prestataire (autrefois tenu à 2 passages par an) et l’absence de réactivité de certains médecins faisaient que le traitement était suspendu avec retard avec pour conséquence une perte financière pour les organismes payeurs.
Pour remédier à ce problème, ces derniers ont imaginé avec les prestataires, les fabricants de matériels, les hébergeurs de données électroniques, un système de télésurveillance permettant de suivre en temps réel l’utilisation de la machine par le patient. C’est dorénavant au prestataire de suspendre le remboursement du traitement après avertissements et propositions correctives shuntant ainsi le médecin prescripteur prévenu de la procédure mais mis devant le fait accompli.
Cette mesure a fait l’objet d’un arrêté (09.01.13) précisant les modalités de la télésurveillance et les sanctions progressives en cas de défaut d’observance. Ce dernier a donné lieu à une  demande d’annulation portée par la fédération des patients insuffisants respiratoires (FFAAIR) auprès du Conseil d’Etat qui n’a pas abouti au motif que cette annulation viendrait contrarier l’activité économique des fabricants de matériel et des prestataires, dont Philips, Resmed, et le leader mondial des gaz pour l’industrie Air Liquide qui a repris ces dernières années une partie importante de la prestation notamment associative et réputée à but non lucratif. Ce premier arrêté a néanmoins été abrogé du fait que la CNIL n’avait pas  été consultée sur sa  conformité aux  lois sur l’informatique et les libertés. On notera que le fait que seul cet argument économique ait pu être avancé par les représentants du Ministère de la Santé et de l’Economie, sans qu’il n’ait jamais été question de l’intérêt des patients, est pour le moins choquant. Après que cet avis a été donné, un nouvel arrêté a été promulgué sans changement notable par rapport au premier à quelques détails techniques prés, la CNIL ne s’étant pas prononcée sur le caractère motivé ou non de celui ci. Sa mise en œuvre est aujourd’hui effective.

 Cet arrêté et son application posent des questions multiples au plan éthique, juridique et économique. Il est notamment en contradiction avec la loi de 2002 garantissant les droits des malades.
 -En effet cette télésurveillance inaugure une modification du système de remboursement des soins qui pour la première fois serait dépendant de l’observance. Réservé aux seuls patients porteurs de SAOS, il est pour eux discriminatoire, stigmatisant et inégalitaire puisque non appliqué aux autres types de prestations et aux autres malades.
 -Par ailleurs et c’est probablement la faute inexcusable de cette loi, c’est qu’elle impose au malade qu’elle brutalise en l’assimilant  à un délinquant potentiel, une sorte de bracelet électronique l’assignant à domicile ou tout au moins le géolocalisant et enregistrant les détails de ses nuits : heure de coucher, de lever, durée totale passée au lit. Ces données sont ensuite récupérées chaque jour par un hébergeur dont le rôle est de les transmettre à la SS. On imagine facilement quel usage pourrait être fait de ces informations emblématiques de la vie privée par diverses officines (assurances, employeurs, police, juges, avocats…).
 -Enfin, différents acteurs (fabricants de matériel, prestataires) viennent par cet arrêté prendre la place du médecin du patient mettant en péril la relation médecin-malade, seule garantie  éthiquement fondée pour décider d’une prestation médicale et de son arrêt éventuel qu’elle soit remboursable ou non. Les précédents désastreux sur le plan sanitaire et financier de la vaccination antigrippale H1N1 organisée par le ministère de la santé  en dehors du parcours de soins habituel et de la relation de confiance entre le patient et son médecin n’a pas servi de leçon.

Faire des économies et mieux traiter les patients ?
On ne peut qu’approuver et soutenir la volonté de l’état de maîtriser les dépenses imputables au traitement du SAOS. Par contre la stratégie qu’il a mise en place pour y parvenir a de quoi surprendre. Ainsi se focalise-t-il sur l’extrême pointe émergée de l’iceberg en tentant de réduire le délai de désappareillage des patients inobservants sans s’attaquer au prix réellement exorbitant d’un traitement  qui une fois accepté et régulièrement suivi et point important, définitif, ne nécessite que peu ou pas de surveillance. Sur le plan strictement économique comme l’a souligné la FFAAIR, on comprend mal qu’on puisse espérer réduire les dépenses en ajoutant au prix de la PPC celui  de la mise en place des mouchards de télétransmission même si les prestataires se trouvent selon cette loi, obligés d’en assumer  le coût. On remarquera d’ailleurs que ces dispositifs sont fabriqués à la fois par les fabricants de machine et certains industriels exerçant aussi comme prestataire. Sans parler de son caractère humiliant et dévalorisant particulièrement mal vécu par les malades, on peut raisonnablement questionner le bien fondé d’une surveillance sur des dizaines d’années de milliers de patients parfaitement observants et corrigés par leur PPC de façon quasi immuable. Le phénomène de rente que constitue le fait de facturer à la SS plus de 1000 Euros par an pour la location d’une machine amortie de longue date et un seul passage annuel au domicile de ces patients ne semble pas avoir attiré l’attention de nos brillants économistes de la santé.
Quant à la plus value médicale d’une surveillance quotidienne pratiquement en direct  de la durée d’utilisation de la PPC  et si la CNIL en laisse la possibilité, des données que sont le degré de correction du SAOS et le niveau des fuites au masque, est dans la pratique sans réelle pertinence. Nous avons accès depuis longtemps à ces données stockées sur les cartes mémoires de ces appareils que nous analysons avec nos patients à chaque consultation. Mais en vérité, une fois trouvé le masque  adapté au visage du patient, l’habitude venant, au bout de quelques mois, 6 au maximum, ces informations n’ont ensuite que peu d’impact sur les réglages et la conduite du traitement, le patient utilisant son appareillage comme d’autres leurs lunettes. Faire penser qu’il faudrait « monitorer » et surveiller les patients souffrant de SAOS traités par PPC comme des malades de réanimation n’a tout bonnement aucun sens.
Au total, en y regardant de plus près, la raison essentielle  de la télésurveillance semble être la télésurveillance. Elle bénéficiera à l’évidence aux professionnels de ce secteur d’activité et ce n’est pas par hasard que l’on voie les grands de la téléphonie monter à l’assaut de ce marché. Elle constitue également une stratégie de «  pied dans la porte » qui ne peut que nous inquiéter pour l’avenir sur les conditions d’accès aux soins et de leur prise en charge.

Pour finir, cette loi est emblématique des  politiques nouvelles qui ont déjà atteint de multiples secteurs de la société et qui s’en prennent aujourd’hui à la médecine. Elles sont la conséquence de  la dérive technico-scientiste caractérisant les utopies totalitaires qui finalement sont au service de l’argent et de ses représentants que sont l’industrie et la grande distribution. Leurs élaborations et applications reposent en partie sur des fonctionnaires zélés dont le sentiment de toute puissance n’a d’égal que l’opacité des fonctionnements. Elle est  relayée sur le terrain par des experts que des intérêts particuliers poussent à entretenir le mythe du progrès.
Aussi aujourd’hui pour penser la médecine, il est préférable de sortir de son champ. Les travaux des philosophes qui nous sont proches comme Michel Foucaud montrant  que la traçabilité est devenue la forme moderne de la punition, devraient aider à voir l’évidence  des caractères liberticide et inacceptable de certaines lois comme celle qui fait l’objet de cette protestation. De même ceux de Jocelyne Porcher sur la mécanisation et l’industrialisation de l’élevage des animaux associant réglementations barbares, novlangue « ad nauseam », maltraitance généralisée et burn out des professionnels, nous offrent un nouveau cadre de réflexions d’une pertinence aussi inattendue qu’essentielle. Comme d’autres dans d’autres secteurs, nous, médecins, allons vers une médecine hors sol et délocalisable où la relation médecin malade ne sera plus qu’une double exclusion. En vérité nous sommes passés du temps des lumières à celui des projecteurs ; on ne regarde que ce qui est montré et se retourner vers la source lumineuse nous éblouit ou nous aveugle.

Docteur Dany Baud, pneumologue, chef de Service au Centre Hospitalier Spécialisé en Pneumologie de Chevilly Larue, membre et ancien responsable du groupe Education Thérapeutique au sein de la Société de Pneumologie de Langue Française (SPLF)

(Illustration : Le siège de la National Security Agency dans le Maryland (USA))

jeudi 16 janvier 2014

Les dangers de l'utilisation du tramadol (bis, ter, quater repetita). Histoire de consultation 160.


Le fils de Madame A, 92 ans, m'appelle des urgences pour me dire que sa mère est tombée et qu'elle est actuellement dans un box.
Ce n'est pas la première fois qu'elle fait une chute (la troisième, je crois) mais je n'ai jamais pu vraiment savoir ce qui se passait : une baisse de tension, un problème vasculaire ? Il n'y a jamais eu de signes neurologiques focaux au décours. La PA est généralement équilibrée avec de petites doses d'un "vieil" inhibiteur de l'enzyme de conversion.
Le surlendemain le fils m'appelle pour me demander de passer au domicile de sa mère pour savoir ce qu'il est possible de faire. A son avis elle aurait dû rester, ce qu'elle a refusé, et je sens qu'il aimerait que je la réadresse.
Pas de compte rendu des urgences. Je peux cependant consulter les résultats de la prise de sang qui montre une petite anémie microcytaire. Le médecin traitant se débrouille.
Madame A est pâle, je la connais depuis exactement 34 ans, je peux donc évaluer de façon comparative la couleur de son teint, le niveau de sa conscience, l'éclat de son regard.
Je suis triste de la voir ainsi. Je suis plutôt pessimiste.
L'examen est rassurant malgré le regard vague et le manque d'entrain de la patiente. Je n'ai droit à aucun sourire. La patiente a mal à son genou : il existe un volumineux hématome du cul-de-sac sous quadricipital. L'examen neurologique ne montre aucun déficit.
Nous envisageons d'emblée avec les enfants qui sont là les démarches administratives à entreprendre, l'Apa (LA), la télé alarme, et cetera. Je mâche, avec enthousiasme, le futur travail de l'assistante sociale.
Sur la fin, les consultations de médecine sont comme les séries policières, c'est le moment où l'on commence à entrevoir la vérité, la belle-fille me montre l'ordonnance de sortie des urgences.
Nous tenons le MacGuffin (ICI) ! Le deus ex machina ! La clé du mystère.
Le docteur senior des urgences a prescrit du tramadol LP 100 mg ! Voir ICI, LA ou ICI.
Je ne m'étonne plus que la patiente soit dans le gaz...

Je reviens une semaine après chez Madame A.
La famille est là. La patiente est souriante, elle plaisante, le teint est plus rosé, le regard est vif. L'hématome a commencé lentement à diminuer en s'écoulant le long des gaines. La douleur persiste. "Il faudrait me donner plus fort que le doliprane" me dit la patiente. Ouais. Je lui explique que la réaction qu'elle a faite au tramadol ne m'encourage pas à lui donner d'autres opiacés pour des douleurs du genou qui vont disparaître dans les jours suivants. "Serrer les dents", lui dis-je en plaisantant. Ma dernière heure est arrivée : si le syndicat de l'hédonisme généralisé apprend que j'ai prononcé cette phrase sacrilège à une jeune femme de 92 ans, si les producteurs de réglettes EVA (échelles visuelles analogiques) sont mis au courant, si l'association pour la disparition de la douleur (Non à la douleur !), si la Ligue de Protection des Personnes Agées Maltraitées, me lisent, je suis bon pour la justice, la Cour Européenne des Droits de l'Homme, que sais-je encore ?
Bon. On ne sait toujours pas pourquoi elle s'est cassée la bouille trois fois, mais, rassurez-vous, le grand orchestre des examens complémentaires est en route...
Pour ce qui est de l'administratif : ça roule aussi. On répartit les présences au domicile de Madame A entre aide ménagère, auxiliaire de vie et famille...

Mais, vous l'avez compris, le message subliminal de ce billet est : les urgentistes, arrêtez de donner des opiacés à longue durée d'action à des personnes âgées qui viennent de tomber, dont on ne connaît pas les tenants et les aboutissants de la chute et qui, finalement, n'ont presque pas mal.
Un bandeau affiché sur le mur de la salle de repos des urgentistes ne serait-il pas le bienvenu dans tous les services d'urgence programmées ou non de France ?

Illustration : pavot.

dimanche 12 janvier 2014

Les dangers de l'utilisation d'un placebo (bis, ter, quater repetita). Histoire de consultation 159.


Monsieur A, 46 ans, a été opéré de son rachis lombaire au décours d'une défenestration accidentelle et avinée il y a déjà trois ans. Il marche désormais avec une béquille, est en invalidité, suit des séances de kinésithérapie et combat son addiction avec succès et sans baclofène.
Il lui arrive d'avoir des "blocages"douloureux de son rachis lombaire accompagnés de spasticité des deux membres inférieurs qui "passent" volontiers avec une corticothérapie ponctuelle et des antalgiques codéinés dont je me méfie en raison d'un autre passé addictif.
Cet homme est intéressant au sens où les discussions que nous avons ensemble au cabinet indiquent une intelligence supérieure à la normale, nonobstant le fait qu'il n'a pas fait d'études supérieures et, peut-être, grâce au fait qu'il n'a pas fait d'études supérieures. Avant son accident il était grutier.
L'autre jeudi, mon jour de congé, il a appelé le cabinet car il souffrait atrocement de douleurs lombaires depuis la veille et mon associée a proposé de le voir mais il a refusé.
Le samedi il m'a appelé pour me dire qu'il allait mieux.
Il m'a raconté qu'il avait contacté "son" chirurgien qui lui a dit de passer à la clinique où il avait été opéré (à environ 40 kilomètres de son domicile). Son frère l'y a emmené (sans bon de transport).
Lui : J'ai été soulagé immédiatement.
Moi : Qu'est-ce qu'ils vous ont fait ?
Lui : Ils m'ont perfusé un nouveau produit, m'a dit le docteur B. Cela a marché au bout de deux heures...
Moi : Un nouveau produit ?
Lui : Oui. Il faudra que vous lui demandiez ce que c'est pour la prochaine fois que cela m'arrivera. Car cela fait un sacré déplacement. 
Moi (prudent) : Il peut s'agir de produits hospitaliers...
Quelques jours après, Monsieur A a pris rendez-vous au cabinet et nous reparlons de son cas.
Il marche comme avant sa crise, c'est à dire lentement, avec précaution, une seule canne, mais il est venu à pied et il a marché environ 1500 mètres sans pratiquement s'arrêter.
Lui : Vous avez téléphoné au docteur B ?
Moi : Oui.
Lui : Il vous a donné le nom du produit ?
Moi : Oui.
Lui : Alors ?
Moi : Alors, ben, c'est un produit que l'on ne peut utiliser en ville. C'est embêtant.
Lui : Le docteur B ne peut pas vous le fournir ?
Moi : C'est compliqué.
Vous avez deviné de quoi je veux parler. J'ai appelé le docteur B qui m'a répondu goguenard qu'il avait perfusé du sérum américain... 
Moi : Vous me placez dans une situation difficile.
Lui : Oui, mais je l'ai soulagé.

J'ai déjà évoqué plusieurs fois le problème de l'utilisation des placebos en médecine. Notamment ICI où j'en soulignais les dangers pour le patient et pour le médecin.
J'ai eu l'occasion de défendre mon point de vue sur différents forums ou blogs et il m'a semblé que l'opinion générale des intervenants (je ne parle pas des autres) ne m'était pas favorable.
Voici un exemple de billet de blog sur farfadoc (LA) et les commentaires.

Pour provoquer, je dirais ceci (tout en ayant précisé qu'il m'arrive encore sciemment de prescrire des placebos à mes patients, depuis du tanganil dans des vertiges qui seraient "passés" tout seuls jusqu'à des antibiotiques dans une bronchite virale particulièrement cognée, personne n'est parfait et personne ne peut résister, tout le temps, à la pression du patient qui veut un traitement, mais disons que je me soigne lentement, je ne suis pas si autoritaire que cela à mon égard, je tente de me calmer) : l'utilisation consciente d'un placebo est, très simplement, une manifestation subtile (mais parfois brutale) du paternalisme médical. Dernier point : il ne faut pas confondre l'effet placebo et l'utilisation d'un placebo.

(illustration : chaman amazonien)

mardi 7 janvier 2014

Politiques mondiales du médicament : la régulation indésirable. Par CMT : Claudina Michal Teitelbaum

Une édifiante histoire canadienne.





Quand je pense au Canada, je pense aux paysages paradisiaques des grandes étendues sauvages, quasi désertiques, s’étendant à perte de vue. Je pense aussi au froid. Et je pense à la démocratie.
Au plan de la démocratie, le Canada est, dans mon esprit et celui de beaucoup de Français, à mettre sur le même plan que les pays scandinaves ou la Suisse.
Petit pays par le nombre d’habitants, 33 millions, le Canada est un grand pays par son étendue, quinze fois celle de la France. Il est formé de dix provinces fédérées jouissant chacune d’une  large souveraineté,  car élisant leur propre parlement et possédant chacune son propre gouvernement. Les compétences du pouvoir souverain des provinces s’exercent dans des domaines comme la santé, l’éducation, la justice, les programmes sociaux…  Le reste du Canada est composé de trois territoires placés sous l’autorité du gouvernement fédéral.
La plus occidentale des provinces canadiennes, bordant le Pacifique, est la Colombie Britannique (British Columbia ou BC, en anglais), une province de 4,6 millions d’habitants, ayant pour langue officielle l’anglais,   dont la capitale est Victoria et la plus grande métropole Vancouver, qui regroupe à elle seule la moitié de la population de la province.
A l’époque des faits que je vais relater, pendant les premiers mois de 2012, c’était Mike de Jong qui était Ministre de la santé. Celui-ci appartient au parti libéral de Colombie Britannique qualifié de « conservateur » et décrit comme soutenant des politiques néo-libérales. Ce parti est aux manettes de la Colombie Britannique depuis 2001 et son action a été marquée par les dérégulations, la réduction des aides sociales,  les réductions d’impôts et la privatisation à prix soldé de certaines  entreprises publiques. Depuis septembre 2012 Margaret MacDiarmid, du même parti, lui a succédé à ce poste.
C’est dans cette province que s’est produite une attaque sévère et sournoise aux politiques de régulation du marché du médicament, mettant potentiellement en danger la santé et la sécurité des citoyens.

Mes sources
Pour une fois je ne vais pas multiplier les recoupements car, d’une part, il n’y a pas pléthore de commentaires dans la presse canadiennes sur cette affaire, et c’est un des faits inquiétants : le silence relatif  de la presse.
D’autre part, deux enquêteurs « au-dessus de tout soupçon », se sont chargés du travail.
Il s’agit , pour le premier, d’Alan Cassels, chercheur canadien en politiques du médicament de l’Université de Victoria BC, auteur de  « Selling sickness » en 2005 (qu’on peut traduire par « vendre des maladies » ou « façonnage de maladies »)en collaboration avec Ray Moynihan, journaliste d’investigation australien. Voici une présentation en français de son livre  par Med’ocean , l’association de médecins réunionnaise  (http://www.medocean.re/wp-content/uploads/Reunion-FRENCH-1-June-2013-no-photos-AB_05-30.pdf) . Alan Cassels a écrit, en mars 2013, un article rendant compte de cette affaire,  intitulé « The best place on earth (for pharmaceutical companies) » (« Le meilleur endroit du monde (pour les compagnies pharmaceutiques) »), où il faut peut-être voir une référence ironique au «Meilleur des Mondes » de Aldous Huxley. Son article a été publié dans le magazine Focus online ( http://focusonline.ca/?q=node/516) .

Le deuxième investigateur est Paul Christopher Webster,  journaliste indépendant natif de Colombie Britannique, auteur de documentaires et récompensé à plusieurs reprises par sa profession pour son travail de journaliste d’investigation (http://www.paulcwebster.com/)  , et  notamment pour l’article que je résume ici, daté d’avril 2013. Cet article a  été publié dans le magazine de Vancouver, Vanmag,  et est intitulé « Is the government  gagging BC’s drugs safety scientists ? » (« le gouvernement veut-il bâillonner les chercheurs qui évaluent la sécurité des médicaments ? ») (http://www.vanmag.com/News_and_Features/The_Back_Peddling_of_BCs_Drug_Safety_Programs).

Le contexte international du marché du médicament : la bulle pharmaceutique.

Franz Kafka (1883 - 1924)

Pour une meilleure compréhension des enjeux de cette succession d’évènements extrêmement troublants pour une démocratie, il est intéressant d’avoir une idée du contexte qui est celui du marché mondial du médicament tel qu’il s’est transformé pendant ces quinze dernières années. Je vais  tenter de résumer ces transformations de manière synthétique.
A la fin des années quatre-vingt-dix, début des années  deux-mille, la concentration du marché du médicament avait atteint son apogée puisque 98,7% du chiffre d’affaires de l’industrie pharmaceutique était réalisé dans les pays les plus riches, tandis que les dix premiers laboratoires pharmaceutiques représentaient à eux seuls 45,7% du chiffre d’affaires mondial du médicament (http://apps.who.int/medicinedocs/pdf/s6160e/s6160e.pdf).
Néanmoins, au même moment,  et pour la première fois, toutes les conditions étaient réunies pour que ce marché connaisse des mutations majeures, avec pour conséquence une fin de la suprématie des plus grosses multinationales pharmaceutiques, aussi appelées, par un raccourci, Big Pharma, simultanément à une diminution vertigineuse des dépenses de santé des pays riches, et à une diffusion massive des médicaments essentiels dans les pays pauvres.
En effet, à une panne durable de l’innovation, reconnue par les analystes sérieux du domaine, depuis les années quatre-vingt, s’ajoutait la fin prévisible des brevets de nombreux médicaments parmi les plus innovants ou les plus vendus dans le monde, source de rentes pour les grosses firmes qui en possédaient les brevets, tandis que certains pays émergents, notamment l’Inde, le Brésil et la Chine, étaient en train d’acquérir de véritables capacités industrielles de production de médicaments, annonçant une rude concurrence pour Big Pharma, et la possibilité, pour les pays les plus pauvres, d’avoir accès aux médicaments à des prix abordables.
Les brevets des médicaments les plus vendus tombant dans le domaine public les uns derrière les autres, la diffusion mondiale des génériques, aurait donc dû se traduire, à la fois par un meilleur accès aux médicaments pour les pays pauvres, et par un effondrement du marché mondial du médicament en valeur, avec des économies substantielles pour les pays riches. En effet, d’après IMS Health, multinationale privée spécialisée dans l’analyse prospective du marché de la santé  et, désormais, principal fournisseur mondial de ce type de données, pour un dollar investi dans les génériques, trois dollars sont économisés, en moyenne sur les médicaments sous brevet.
Rien de tout cela ne s’est passé, et le marché mondial du médicament a continué à croître en valeur de manière exponentielle, en particulier dans les pays riches, où les dépenses ont atteint des sommes difficilement soutenables pour des économies supposées en crise. Tandis que, d’un autre côté, malgré une diminution modeste de la concentration en pourcentage du chiffre d’affaires sur les dix premières firmes mondiales, la valeur du chiffre d’affaires détenu par ces très grosses firmes a explosé.
 En termes globaux, le chiffre d’affaires mondial de l’industrie pharmaceutique est passé de 82 Mds (milliards) en dollars courants en 1985 à 327 Mds en 1999 puis  à 856 Mds en 2012 .  De ces 856 Mds 77%, soit 660 Mds de chiffre d’affaires, est réalisé dans les pays riches (d’après le rapport de l’OMS, the World medecine situation en 2004 et les chiffre d’IMS Health pour 2012).
Si la révolution du marché mondial du médicament n’a pas eu lieu, c’est que Big Pharma a su forger une stratégie,  trouver des alliés et multiplier les tactiques pour éviter la concurrence des pays émergents et la baisse des prix des médicaments dans les pays riches . Elle a ainsi déjoué toutes les prévisions et largement conforté une position oligopolistique sur le marché du médicament.
Parmi les tactiques mises en oeuvre, nous pouvons citer en premier lieu les négociations menées au sein de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) lors des cycles de négociations internationales d’Uruguay et de Doha de 1986 à nos jours. L’un des principaux objectifs de ces négociations dans le volet concernant le marché du médicament, était d’amener les pays émergents à adopter une législation les obligeant à respecter les brevets des grosses firmes ayant leur siège dans les pays riches. Pour mener ces négociations au sein de l’OMC, les pays du G8 disposaient de moyens sans commune mesure avec ceux des pays en développement, aussi bien financiers qu’ en fonctionnaires et négociateurs. Tandis que les multinationales disposaient de régiments d’avocats-conseil et de lobbyistes.
Les négociations ont été longues, mais les pays émergents ont fini par céder. L’Inde a été, en 2005, parmi les derniers pays à avoir adopté une législation protégeant les brevets. Cela a eu pour conséquence de freiner durablement la concurrence faite par ces pays à Big Pharma mais a aussi limité, dans une large mesure, l’accès des pays les plus pauvres aux médicaments.
Ainsi, contre vents et marées et malgré la concurrence de gros producteurs dans les pays émergents, la concentration en valeur du marché du médicament sur quelques multinationales ayant leur siège dans les pays riches s’est maintenue pendant le début du vingt-et-unième siècle.
En 2012, les  dix premières firmes pharmaceutiques par le chiffre d’affaires avaient leur siège dans cinq pays (Etats Unis, Suisse, Royaume Uni, France, Israël) et représentaient à  elles seules  354,5 Mds de dollars de chiffre d’affaires, soit 41,4% du marché mondial du médicament.


Une deuxième tactique mise en place par Big Pharma pour s’opposer à la diffusion des génériques s’est concrétisée par l’explosion des demandes d’autorisation de mise sur le marché pour des me-too.
On peut définir les me-too comme des médicaments de marque brevetés proches de médicaments de référence déjà existants, n’apportant pas d’amélioration significative au plan thérapeutique. Mais les me-too présentent un grand intérêt pour les firmes pharmaceutiques. Car en les introduisant sur le marché au bon moment, avant que le brevet du médicament de référence ne soit caduc, et en utilisant toute la puissance de feu de leur service marketing, les me-too leur permettent de concurrencer efficacement les génériques du médicament de référence et de récupérer les parts de marché détenues par celui-ci au bénéfice du me-too, qu’elles se chargent de faire passer pour des innovations majeures auprès des patients et des médecins.
Les me-too permettent donc de déposer des nouveaux brevets avec très peu d’efforts de recherche, et, grâce à la complaisance des agences de contrôle et d’évaluation et aux carences de la régulation, ont permis à certaines firmes de toucher le jackpot à peu de frais. On peut citer, à titre d’exemple parmi tant d’autres, l’Inexium®, ou ésoméprazole, des laboratoires Astra Zeneca, laboratoire britannique né de la fusion entre Astra laboratoire suédois et Zeneca, et septième laboratoire mondial par le chiffre d’affaires en 2012. L’Inexium a avantageusement pris la suite du Mopral ®, oméprazole, dont il est un isomère (une molécule ayant la même formule chimique brute mais une disposition spatiale différente). L’ésoméprazole ou Inexium®, commercialisé en France en 2002, était, en 2006, au deuxième rang mondial pour le chiffre d’affaires généré, rapportant 6,7 Mds de dollars à Astra Zeneca, c'est-à-dire jusqu’à 20% du chiffre d’affaires de la firme (http://pharmacoclin.hug-ge.ch/_library/pdf/cappinfo51.pdf ). Pourtant, la spécialité avait été classée comme ayant une ASMR (Amélioration du Service Médical Rendu) de niveau IV, c'est-à-dire mineure, par la HAS (Haute Autorité de Santé). Son rapport coût/bénéfice a été notamment critiqué par la revue Prescrire (http://www.prescrire.org/aLaUne/dossierEsomeprazole.php) .  En France, c’est notamment par le biais des prescriptions hospitalières que l’Inexium avait conquis des parts de marché (http://boree.eu/?tag=inexium ).
 Pour éviter la générication de ses médicaments, Big Pharma brouille aussi les pistes, en multipliant les brevets (par exemple, en déposant des brevets qui concernent la forme galénique) pour les médicaments sous brevet existants, afin de rendre ceux qui peuvent être génériqués plus difficilement identifiables.
Pour contrer le développement d’un marché  des génériques indépendant de leur sphère d’influence, les plus grosses multinationales pharmaceutiques peuvent créer aussi leur propre division génériques, comme Zentiva pour Sanofi. Ou bien peuvent racheter les droits sur des génériques a d’autres laboratoires, comme l’a fait Pfizer en 2009 (http://www.20minutes.fr/article/554383/Economie-Pfizer-se-renforce-dans-les-generiques.php) .
La lutte des multinationales pharmaceutiques n’est pas tant contre les génériques que contre la baisse de leur chiffre d’affaires que ceux-ci pourraient provoquer. La stratégie de Big Pharma s’est avérée, à cet égard, tout à fait efficace, puisque aux Etats Unis, où, en 2010, les génériques représentaient 71,2% des médicaments prescrits, les dépenses médicamenteuses ont continué à progresser à grande vitesse (http://www.uspharmacist.com/content/s/253/c/41309/  ).
Une troisième tactique consiste à s’attaquer à la cible des ventes, c’est à dire aux patients, en élargissant cette cible, et donc le marché. C’est le sujet du livre d’Alan Cassels , « façonnage de maladies », évoqué plus haut. Grâce, bien souvent, à la complicité des sociétés savantes, notamment aux Etats Unis, dont les recommandations concernant les maladies servent habituellement de référence aux pays européens, nous avons assisté à une extension accélérée du champ de la pathologie , tout particulièrement dans les pays riches.
Un exemple parlant est fourni par le DSM, Diagnostic and statistical manual, conçu comme un guide diagnostique  qui classe les pathologies psychiatriques par catégories en fonction de leurs symptômes. La conception  de ce manuel veut qu’un ensemble de symptômes soit nécessaire et suffisant pour définir un trouble psychiatrique. Un traitement médicamenteux est généralement associé aux pathologies ainsi définies. Les DSM est mis à jour par la Société américaine de psychiatrie. Plusieurs versions de ce manuel sont parues ces dernières décennies, la dernière étant le DSM-5, en 2013. Ce que les critiques reprochent  à ce manuel est le fait  que pour certains items, les critères diagnostiques sont si larges et vagues, qu’ils ne permettent absolument pas de distinguer le physiologique du pathologique. On peut aussi lui reprocher de postuler, par un raccourci qui n’a rien de bien scientifique mais qui reflète plutôt les conflits d’intérêts des auteurs, qu’un ensemble de symptômes est en lien avec un désordre neurobiologique. Le risque, sous la pression constante du marketing de Big Pharma, est celui d’un glissement perpétuel vers un élargissement de la population diagnostiquée comme souffrant de troubles psychiatriques. Ce qui revient à une augmentation du chiffre d’affaires généré par la vente de psychotropes  pour les firmes mais entraîne un accroissement des risques pris par une population dont les symptômes plus ou moins rigoureusement identifiés par les médecins, ne correspondent en réalité à aucune maladie psychiatrique.
 Un exemple paradigmatique de dévoiement de la médecine induit par cette approche est donné par le TDAH (Trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité), trouble décrit par le DSM, supposé être d’origine neurobiologique, et pouvant être suspecté devant tout enfant plus ou moins agité. La pression de Big Pharma sur les médecins et les parents et les pressions sociales de recherche de performance se conjuguant, on en est arrivés aux Etats Unis à une situation où 3,5 millions d’enfants et adolescents sont traités  et où 15% des lycées ont été diagnostiqués comme atteints de ce trouble. Les personnalités du monde médical et de la recherche sont de plus en plus nombreuses à dénoncer cet abus (http://www.nytimes.com/2013/12/15/health/the-selling-of-attention-deficit-disorder.html?_r=0 ). Le marché des enfants commençant à s'épuiser on commence à investir le marché des adultes...
Une autre tactique pour élargir la population cible des traitements, est la modification des seuils des critères intermédiaires qui servent de repère pour la prescription de traitements au long cours, comme dans le diabète, l’hypercholestérolémie ou l’hypertension. Depuis les années quatre-vingt-dix, les seuils de traitement pour ces pathologies ont été constamment revus à la baisse (http://dartmed.dartmouth.edu/winter10/html/changing_the_rules.php).
 A ce sujet, je me contenterai de citer le dernier épisode en date, où la Société américaine de cardiologie a été prise en flagrant délit de partialité pro-pharma. Non seulement les critères de prescription des statines, médicaments contestés mais très profitables prescrits pour faire baisser le cholestérol, ont été modifiés par cette société savante hors de tout fondement scientifique en 2013, mais l’outil proposé aux médecins pour calculer le risque et évaluer l’intérêt de la prescription de statines s’est avéré biaisé. D’après des épidémiologistes renommés tels Nancy Cook aux Etats Unis, le calculateur fourni aux médecins par la Société américaine de cardiologie surévalue la population supposée relever du traitement d’après les critères définis arbitrairement par cette même société de 75 à 150%. (http://www.nytimes.com/2013/11/18/health/risk-calculator-for-cholesterol-appears-flawed.html?pagewanted=1&_r=1& ). On comprend mieux quel est l’intérêt pour Big Pharma de ces subterfuges, dès lors qu’on sait que les anticholestérolémiants représentaient en 2012, la deuxième classe thérapeutique en valeur du marché mondial du médicament, soit 3,6% de ce marché ou 30 Mds de dollars.
Il faut aussi mentionner, au titre de la recherche d’une extension du marché du médicament,  la multiplication des recommandations de dépistage systématique des cancers, souvent fondées sur des avis et des études biaisés, qui augmentent artificiellement la fréquence de certains cancers comme celui du sein, sans que les bénéfices desdits dépistage ne soient démontrés (http://docteurdu16.blogspot.fr/search/label/CANCER%20DU%20SEIN ).
Enfin, quatrième tactique et non la moindre, le développement de marchés de niche, domaine  qu’on pourrait aussi appeler » le  marché de l’espoir » ou « le marché des médicaments de la dernière chance ».
Les médicaments de niche s’adressent à des maladies graves pour lesquelles on ne dispose pas de traitement efficace.
Ces médicaments de niche sont souvent des biomédicaments définis comme des médicaments faisant appel à une source biologique pour la fabrication de leur principe actif, et issus des biotechnologies.  Un exemple de biomédicament est l’Avastin ® ou bévacizumab, du laboratoire suisse Roche, qui a obtenu l’AMM européenne en 2005. Mais les médicaments de niche peuvent aussi être des médicaments de synthèse, créés par synthèse chimique, comme le tamoxifène. Cette dernière molécule est sur le marché depuis 1976 et est donc commercialisée en tant que générique.  On lui attribue une part importante de la réduction de mortalité par cancer du sein dans les pays développés observée dans les années 90.
Le problème des biomédicaments destinés aux maladies graves c’est que, au nom de l’urgence qu’ils sont censés traiter et de leur caractère supposé innovant, ils bénéficient de procédures accélérées de mise sur le marché et tendent donc à banaliser ce type de procédures. D’après Donald Light et Joel Lexchin , des chercheurs s’intéressant au marché du médicament, 44% des médicaments postulant pour une AMM auprès de la FDA (Food and Drug Adminsitration) entre 2000 et 2010, ont bénéficié de procédures prioritaires.
 Les biomédicaments bénéficient aussi d’un regard particulièrement bienveillant des autorités de contrôle, qui aboutit à ce  que des bénéfices totalement marginaux et contestables, comme une augmentation de la survie de quelques semaines dans le traitement du cancer, sont considérés comme significatifs, et surtout suffisants pour que les autorités leur accordent une AMM ainsi que des prix de vente tout à fait exorbitants. Prix qui sont généralement remboursés par les assurances publiques ou privées, selon les cas et les pays.
 Néanmoins, on doit constater qu’à des effets thérapeutiques qui peuvent être parfois assez spectaculaires, comme en rhumatologie, sont associés des effets indésirables non moins spectaculaires, ce qui limite beaucoup l’intérêt de ces médicaments.
Mais ces effets indésirables ne seront mis en évidence, bien difficilement à vrai dire, qu’après la mise sur le marché de ces médicaments, ce qui peut provoquer, au nom de l’espoir, des véritables hécatombes. La FDA a considéré que c’était le cas pour l’Avastin, qui ne bénéfice plus de l’indication de traitement du cancer du sein métastasé depuis 2011 aux Etats Unis, en raison de ses effets indésirables provoquant une surmortalité des femmes traitées sans bénéfice observable (http://www.fda.gov/newsevents/newsroom/pressannouncements/ucm280536.htm). L’Avastin est toujours indiqué en Europe et en France dans le cancer du sein métastasé.
A la faveur de l’apparition des biomédicaments et de leur coût, les médicaments contre le cancer sont devenus la première famille thérapeutique par le chiffre d’affaires dans le monde  et représentent 4,3% du total du marché du médicament, soit 36,8 Mds de dollars, avec d’excellentes  perspectives de croissance dans les toutes prochaines années, d’après IMS Health.

Une des clés de compréhension du succès des stratégies imaginées par Big Pharma, est que le terme innovation, qui est un terme vague et n’est défini nulle part, est devenu un véritable sésame, un mot magique qui permet de traverser toutes les barrières du contrôle sans encombre et d’obtenir des prix de vente exorbitants à l’origine de dépenses insoutenables pour les finances publiques et pour les patients.
Le résultat de la combinaison de toutes les tactiques mises en œuvre par Big Pharma, est que le marché est inondé de nouvelles spécialités, apportant peu de bénéfices mais dont les effets indésirables ne sont pas correctement évalués par les essais cliniques menés par les laboratoires et visés superficiellement par les agences lors de procédures d’autorisation accélérées.
Des médicaments de plus en plus nombreux touchant des populations de plus en plus importantes dans un temps de plus en plus court, voilà qui justifierait une régulation et des contrôles accrus.
C’est exactement le contraire qui se passe, comme nous allons le constater.

Voici donc notre histoire canadienne, telle que racontée par Paul C. Webster et Alan Cassels.

Au sein du Ministère, une division du médicament efficace, indépendante et… très dérangeante.

Malcom Maclure


Au début de l’année 2012, dans le Ministère de la Santé de British Columbia, cette province canadienne autonome, il y avait une petite équipe, d’à peine sept personnes, impliquée dans l’évaluation des médicaments. Cette équipe était composée, notamment,  d’un chercheur de renommée internationale  Malcolm Maclure, formé à Harvard et Oxford, détenteur d’une chaire prestigieuse de pharmacovigilance à l’Université de British Columbia (UBC), qualifié par un autre chercheur renommé David Henry, de l’Institut pour les sciences evaluatives cliniques de Toronto, de personne totalement intègre, et de chercheur de tout premier plan. Il y avait aussi dans cette division Ron Mattson, un manager de projets de recherche, ou encore des économistes comme Bill Warburton et sa femme, Rebecca Warburton. Cette petite équipe menait de front, et en collaboration avec des chercheurs indépendants de l’université de Columbia appartenant à la Thepateutic initiative (TI), des recherches sur de nombreux médicaments dont l’efficacité ou la sécurité pouvait être mise en doute.
Le pouvoir de cette division était grand, puisque le résultat de ses recherches se traduisait directement  par des décisions de prise en charge ou non de médicaments par le système d’assurances public, appelé Pharmacare, système d’assurance public prenant en charge les prescriptions pour les personnes éligibles, ou par des retraits d’indication d’un traitement dans des pathologies où la recherche démontrait un mauvais rapport bénéfice/risque.
Pour mener ces recherches, l’équipe s’appuyait aussi sur un réseau fédéral d’évaluation des médicaments bénéficiant de financements publics, le Drug Safety and Effectiveness Network (DSEN). Elle comptait aussi sur un outil particulièrement performant, un outil de recueil et de traitement des données concernant les médicaments appelé Pharmanet. Cet outil, créé en 1996 dans la province de Colombie Britannique grâce à un financement public, était qualifié d’unique, car il permettait de centraliser toutes les informations concernant la consommation de médicaments par chaque citoyen de Colombie Britannique. Il constituait ainsi la base de données la plus complète et fiable de la consommation de médicaments au Canada. Parmi les acteurs ayant accès à ces informations, outre les pharmaciens et les médecins, le personnel de la division d’évaluation des médicaments du Ministère de la Santé, qui pouvait les utiliser, une fois anonymisées, pour des études  d’évaluation de sécurité ou d’efficacité réelle des médicaments.
Entre 1996 et 2003, les dépenses de médicaments par personne avaient doublé en Colombie Britannique, d’après un chercheur en politiques sanitaires de l’UBC, Steve Morgan. Et cette augmentation était avant tout due à la prescription de médicaments me-too, dont le prix était en moyenne quatre fois plus élevé que leurs équivalents généricables.
A partir de 2008, le travail de la division d’évaluation du médicament du Ministère de la santé, s’était traduit par une diminution des dépenses de 500 millions de dollars chaque année. Néanmoins les dépenses, en 2012, atteignaient 575 dollars par personne et par an, soit 398 euros (à titre de comparaison, les dépenses par personne en France étaient de 531 euros en 2010, et ont depuis continué à augmenter) dont environ 274 dollars pris en charge par Pharmacare. Cela faisait tout de même de la Colombie Britannique la province la moins dépensière en matière de médicaments.
En 2008, alors que les tensions entre la division chargée d’évaluer les médicaments et le gouvernement libéral ne cessaient de croître, le gouvernement décida de la création de  la Pharmaceutical Task Force ou groupe de travail sur les médicaments, décrit comme contrôlé par l’industrie pharmaceutique, pour enquêter sur le travail de la Therapeutics Initiative (http://www.ti.ubc.ca/about ), le groupe de chercheurs indépendants évaluant les médicaments à l’Université de Colombie Britannique. Cette équipe de chercheurs est plutôt renommée mondialement, et est connue, notamment, pour avoir été l’une des premières à alerter au sujet du Vioxx, cet anti-inflammatoire du laboratoire Merck, qui aurait provoqué des dizaines de milliers de décès prématurés aux Etats Unis, du fait de ses effets indésirables, notamment cardiaques, occultés par le laboratoire fabricant.
L’un des membres du groupe de travail mandaté par le gouvernement canadien pour mener l’enquête, Russell Williams, un lobbyiste connu oeuvrant pour Big Pharma, a exprimé publiquement son opinion selon laquelle le groupe de recherche universitaire indépendant devait être restructuré ou remplacé.

Le démantèlement du système d'évaluation du médicament en Colombie Britannique.

Il faut croire que quatre années de travail ardu n’ont pas suffi au groupe de travail contrôlé par l’industrie pharmaceutique, sans doute aidé par des armées d’enquêteurs privés,  pour trouver la faille qui lui aurait permis d’en finir avec l’indépendance des chercheurs chargés de l’évaluation du médicament d’une manière qui présente un semblant de légitimité démocratique.
A l’été 2012, Ron Mattson, 59 ans , manager de projet à la division d’évaluation du médicament et travaillant depuis 27 ans au ministère, est convoqué dans le bureau de son chef qui lui annonce qu’il est renvoyé. A la même période, Malcolm Maclure, le chercheur de renommée internationale âgé de 60 ans, en voyage à l’étranger, reçoit un coup de fil lui annonçant son licenciement.
Au total, ce sont sept employés de la division qui seront licenciés, dont Roderick McIsaac, un doctorant qui faisait des recherches sur les médicaments pris en charge par Pharmacare pour l’arrêt du tabac, comme le Champix. Celui-ci se suicidera en janvier 2013.
Le ministère et les enquêteurs se montrent très avares d’informations sur les raisons de ces licenciements qui sont officiellement annoncés par la ministre de la santé, successeur de Mike de Jong, Margaret McDiarmid en septembre 2012. D’après elle l’enquête aurait commencé en avril, et les charges porteraient sur la gestion des données anonymisées des patients inclus dans la base de données Pharmanet. L’utilisation de ces données auraient fait l’objet d’une conduite répréhensible de la part des employés de la division d’évaluation des médicaments lors des études menées avec l’équipe de recherche universitairede la Therapeutics Initiative. En un mot il y aurait eu une violation indue de l’anonymat.
Mais d’après le Sergent Duncan, de la Police Royale Montée Canadienne, au moment où la ministre annonçait les licenciements, le gouvernement avait encore à « complètement préparer l’affaire ». Ce qui signifie, en d’autres termes, que le gouvernement ne disposait d’aucun élément tangible pour étayer ses accusations.
Le licenciement des employés donna un coup d’arrêt aux recherches de la division en coopération avec les chercheurs de l’université de Colombie Britannique. Parmi celles-ci les recherches sur les médicaments remboursés pour l’arrêt du tabac menées par Roderick McIsaac, mais aussi des recherches de grande envergure  sur les médicaments indiqués dans la maladie d’Alzheimer, dirigées par Ron Mattson, et également des recherches sur les médicaments prescrits à 63% des femmes enceinte, pour certains desquels, parmi les plus prescrits, des données sur la sécurité faisaient défaut.
En même temps, et sans le justifier clairement, le gouvernement de Colombie Britannique bloqua l’accès à la base de données PharmaNet pour l’ensemble des chercheurs du Canada. Plus exactement la gestion de l’accès à ces données fut confiée à un certain Bruce Carleton, un professeur de pharmacologie de l’université de Columbia. Celui-ci se montra si parcimonieux et arbitraire dans la gestion des autorisations d’accès aux données qu’il contribua à bloquer une bonne partie des recherches canadiennes d’évaluation des médicaments, pour lesquelles PharmaNet était un outil essentiel. Notamment les recherches du réseau fédéral d’évaluation des médicaments, le DSEN.
 Un des chercheurs de premier plan de la Therapeutics Initiative de l’université de Colombie Britannique, Colin Dormuth, qui a, lors de ses précédentes recherches, apporté un éclairage sur des aspects essentiels concernant la sécurité des médicaments utilisés, par exemple, dans le TDAH, dans l’acné, ou sur les opioïdes, s’est plaint, pour sa part, d’avoir dû débloquer 100 000 dollars pour acheter aux Etats Unis des données qui n’étaient plus accessibles au Canada et sans lesquelles le travail de son équipe n’aurait pu  se poursuivre.
 Le comportement de Bruce Carleton, le nouveau gestionnaire de PharmaNet,  finit par provoquer des protestations de la FIPA (association pour la défense de la liberté d’information et  pour la protection de la vie privée) et de l’l’Association des médecins canadiens (http://www.cmaj.ca/content/185/9/E377 ) et déclencha une commission d’enquête dirigée par la commissaire Elizabeth Denham, du bureau d’Information et de protection de la vie privée. Celle-ci rendit des conclusions en juin 2013.  Elle qualifiait les procédures de gestion des données mises ne place par Bruce Carleton de  « lourdes et bureaucratiques » et disait  que cet état de fait était probablement dû à un souci excessif de protection de la vie privée, aux dépens de l’intérêt scientifique et pour la santé publique des données. Elle émettait également des recommandations pour faciliter l’accès aux données.
Une fois les premiers moments  de sidération et d’incompréhension passés, une fois que les employés de la division d’évaluation des médicaments eurent compris qu’il ne s’agissait ni d’un malentendu, ni d’une maladresse, ils portèrent plainte contre le gouvernement de Colombie Britannique pour licenciement abusif et pour diffamation, dans le cas de Malcolm Maclure.
Le gouvernement  de Colombie Britannique reste silencieux et l’affaire suit son cours…

The business must go on

Alan Cassels nous apprend, que dans le même temps où se déroulait cette déplorable affaire, le 19 juin 2012, le Ministre de la Santé, Mike de Jong, était à Boston au Congrès Mondial pour la Biotechnologie Globale, fréquenté par des chefs d’Etat, et annonçait en grande pompe la création d’un Centre pour la Recherche et le Développement des Médicaments (CDRD), sis dans un immeuble flambant neuf de 35000 mètres carrés, et bénéficiant de financements publics à hauteur de 54 millions de dollars. Le site internet du tout nouveau centre explique aux visiteurs : « notre mission est de minimiser les risques [pour les investisseurs] des molécules issues de la recherche financée par des fonds publics et de les transformer en investissements viables pour le secteur privé ».
 Dans une interview Mike de Jong avait confié que son gouvernement avait le souci de fournir « le bon environnement » pour le développement du marché du médicament en Colombie Britannique.
Le bon environnement, en effet.

Conclusion en forme de satire

Nous, Français et Européens, devrions méditer sur les enseignements à tirer de cette affaire. A l’évidence la Colombie Britannique, avait pris beaucoup de retard en matière de politique du médicament. Une petite équipe soudée de chercheurs et économistes indépendants, une collaboration fructueuse avec des chercheurs universitaires indépendants, des crédits publics, des outils performants comme PharmaNet, un réel pouvoir de décision… bref,  rien de tel pour vous fiche en l’air un profitable marché pharmaceutique. Indubitablement la Colombie Britannique donnait un très mauvais exemple aux administrations, aux chercheurs, et aux citoyens du monde entier.
En Europe et en France, cela fait longtemps que nous avons résolu ces problèmes. En organisant le transfert de la gestion de la pharmacovigilance à l’industrie pharmaceutique, grâce à Eudravigilance, en confiant l’essentiel des décisions d’autorisation de mise sur le marché à la commission européenne, bien connue pour ses positions pharma friendly, en morcelant les différents aspects de l’évaluation des médicaments et en diluant les responsabilités, en rendant totalement opaques les mécanismes de fixation des prix, en coupant les crédits aux services publics et chercheurs indépendants pour les verser aux partenariats public-privé oeuvrant dans la recherche de médicaments « innovants »… En vertu de quoi : observez le résultat ! Le marché européen et français du médicament se porte bien. Excellemment bien ! Dommage qu’on ne puisse pas en dire autant des malades et des finances publiques.
Je suis vraiment désolée pour nos amis canadiens. Et je tiens à leur dire que, en France, nous avons à leur disposition, s’ils le désirent, tout un échantillonnage de professeurs et d’experts aux compétences aussi discutables que leurs  conflits d’intérêts sont certains. Tellement nombreux, d’ailleurs, ces conflits d’intérêts, qu’ils en arrivent à se neutraliser mutuellement.

Ils se tiennent à leur disposition selon les besoins. Plus exactement selon les besoins du plus offrant.  Amis canadiens, il ne faudra pas hésiter à faire appel à eux pour rattraper votre retard.