Affichage des articles dont le libellé est PRASAD VINAY. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est PRASAD VINAY. Afficher tous les articles

jeudi 18 novembre 2021

La présentation des données est un sport incertain : à propos du port du masque en milieu communautaire (53 % d'efficacité).



Avertissement : selon la bonne vieille formule stalinienne "Il vaut mieux avoir tort avec ses amis que raison avec ses ennemis" et son équivalent sartrien et apocryphe (voir LA) "Il ne faut pas désespérer Billancourt, jamais je n'aurais dû écrire ce billet.

Un article paraît le 18 novembre 2021 dans le BMJ : ICI.

Je choisis un passage des résultats.
Eight of 35 studies were included in the meta-analysis, which indicated a reduction in incidence of covid-19 associated with handwashing (relative risk 0.47, 95% confidence interval 0.19 to 1.12, I2=12%), mask wearing (0.47, 0.29 to 0.75, I2=84%), and physical distancing (0.75, 0.59 to 0.95, I2=87%). 

Eric Topol, sur twitter, commente ainsi (je donne le titre et vous pouvez consulter ICI ses tweets et les commentaires) :


(Eric Topol a reçu en 2020 et selon le US Sunshine Act 338 000 dollars de l'industrie : LA.)

Je me rends compte qu'un article du Guardian du 18 novembre 2021 (LA) cite l'article du BMJ avec comme titre : 

et je découvre dans ma boîte mail un commentaire (LA) de Vinay Prasad qui s'intitule : 


(Vinay Prasad n'a pas reçu d'argent de l'industrie pharmaceutique en 2020 mais il est "financé" par une fondation (Laura and John Arnold Foundation) qui lui a versé 2 millions de dollars en 2017 pour enquêter sur les pratiques de soins qui ne "marchent" pas.)

A noter qu'Eric Topol n'aime pas beaucoup Vinay Prasad : LA.

Ian T. Liu et Vinay Prasad ont publié le 8 novembre 2021 un long papier sur l'efficacité du port du masque en tissu pour freiner l'épidémie de Covid : LA.

Quoi qu'il en soit Vinay Prasad affirme que le chiffre de 53 % a autant de valeur que 80, voire 95 % d'efficacité.

La seule étude randomisée (mais non aveugle) est un essai paru en décembre 2020 (ICI) qui comparait le nombre d'infections par le Covid avec ou sans port de masques (chirurgicaux) avec un cut-point de 50 % :  il n'était pas significatif. 

Commentaire de VP :

The only other completed RCT during the pandemic, DANMASK was null as to the effect of surgical masks, and had been powered to detect a 50% reduction. At the time, many complained DANMASK was underpowered. Masks worked, but not that well, they argued. Yet, it appears now DANMASK was adequately powered if one is to believe the 53% estimate. So which is it? Was DANMASK adequately powered or not? Is 50% plausible or not?

Vous lirez ses provocations concernant la comparaison masques/ivermectine, c'est savoureux.

Sa conclusion : 

DANMASK, which was underpowered, obviously. We might as well give up entirely; throw away evidence based medicine, rip up Sackett’s writings, and let the makers of the Impella tell us how well the product works. We can abolish the FDA while we are at it, and delete clinicaltrials.gov. Preregistration of RCT is a waste of time. Even RCTs are a waste of time. Scientific truth is just what people believe is true, and critical appraisal only applies to claims embraced by the other tribe or members of the other political party. Let’s call it: the new normal.


Conclusion : Il ne s'agit pas d'affirmer ici que le port du masque, en général, ne sert à rien. Ce serait contre-productif. On peut dire ceci : le port du masque (chirurgical) en milieu fermé "semble" être une des mesures capables de freiner la propagation du virus (pour le reste : infections, infections sévères, hospitalisations simples, en soins critiques, en réanimation, avec ou non intubation, décès... c'est sans doute un pari qu'il faut tenter) mais c'est surtout la combinaison avec les autres mesures-barrières et avec la vaccination (modalités multiples à définir) que l'on peut promouvoir (la théorie du moindre risque) en espérant que les intuitions de bon-sens seront corroborées un jour par des essais contrôlés de qualité. Mais il faut également que la présentation des résultats au "public" soit honnête (au risque de désespérer Billancourt) et ne pas utiliser des arguments d'autorité pour tordre le cou aux données qui ne sont pas favorables à ce qui semble être l'évidence.

Illustration : Fantomas



jeudi 3 septembre 2020

MALIGNANT, le dernier opus de Vinay Prasad. Comment une mauvaise politique et des preuves de mauvaise qualité nuisent aux patients souffrant d'un cancer.



Lire ce livre est un bonheur tant le style est limpide, l’anglais évident, le propos clair, l’enthousiasme communicatif, l’absence d’animosité élégante et les exemples choisis pertinents. Mais cette lecture est aussi un véritable calvaire pour le praticien (et pour le citoyen).

Ce que nous apprenons ou réapprenons, ce que nous découvrons ou redécouvrons, ce que nous constatons ou re constatons, ce qui est mis en lumière et ce que nous avions oublié, ce que nous nous étions caché et qui réapparaît, dévoile un système effrayant de noirceur, d’avidité, d’appât du gain et de gloire, de fraudes scientifiques, de manques à l’éthique, de mépris des citoyens malades, de conflits d’intérêts majeurs, un système qui pourrait apparaître comme une dystopie mais qui est le passé, le présent et sans doute l'avenir de l’oncologie.

Vinay Prasad, avec son air de ne pas y toucher, n’oublions pas qu’il fait partie du milieu, qu’il n’est pas un lanceur d’alertes, c’est un révélateur, peut-être même un dénonciateur, qu’il n’est certes pas rétribué par l’industrie pharmaceutique mais qu’il a reçu deux millions de dollars en trois ans de la part de la fondation Laura and John Arnold (ICI), décrit des pratiques, celles de la recherche de molécules en préclinique jusqu’à leur commercialisation en oncologie, qui sont détestables. Détestables pour les patients qui souffrent, des patients instrumentalisés par l'espoir, les médicaments miracles, les déclarations tonitruantes, les mensonges, les non-dits, et, finalement, des patients livrés à une machine qui broie.

Tout ce qui est excessif est insignifiant, pourriez-vous d'emblée dire et ainsi cesser de lire ce résumé d'un livre capital. Mais, malheureusement, ce qu'écrit Vinay Prasad, et il existe dans ses articles, dans sa bibliographie, des centaines de thèmes qu'il n'a pas explorés ici, est devant nos yeux : il suffit de lire, de regarder, de comprendre, et la majorité d'entre nous, les praticiens, nous ne le faisons pas. Nous nous laissons faire. A tous les niveaux. Sans oublier les progrès formidables en cancérologie qui ont été accomplis dans la prise en charge de certains cancers avec des résultats sur l'espérance de vie et la qualité de vie des patients.

Car ce livre, malgré la noirceur de ce qu'il décrit, est surtout une oeuvre salutaire brillante et éclairante.

Vinay Prasad ne nous dit pas que tous les oncologues, tous les onco-hématologues, sont malhonnêtes, il nous dit que le système est vicié, il nous décrit des pratiques qui, depuis les phases 1 jusqu’à l’approbation par la FDA et la fixation des prix des molécules, sont contraires à l’intérêt des patients, commercialiser des molécules inefficaces et dangereuses, contraires à l’intérêt des contribuables états-uniens, commercialiser des molécules inefficaces et dangereuses à des prix ahurissants (en moyenne 100 000 dollars par an pour un traitement), contraires à la méthodologie scientifique, commercialiser des molécules qui n'ont fait ni la preuve de leur efficacité (et a fortiori de leur efficience) ni de leur absence de toxicité, contraires à la morale commune, commercialiser des molécules sur la base d'avis corrompus par l'argent des développeurs de molécules.

Vinay Prasad rapporte des faits, cite des molécules, met le système à plat et, surtout, propose des solutions.

C'est une leçon d’anatomie, tel un légiste il dépèce le système, il désarticule les différentes phases de la procédure industrielle, c'est une leçon de physiologie, il investigue les processus qui animent le grand corps décisionnel des différentes administrations états-uniennes, c'est une leçon de médecine au lit du malade, tel un interniste il diagnostique les maux et les maladies qui conduisent à toutes ces anomalies de fonctionnement, c'est une leçon de morale, tel un éthiciste il pointe du doigt les endroits où les consciences font fi des malades, mais surtout, c'est une leçon de thérapeutique, tel un praticien, il suggère des traitements.

Vinay Prasad est pourtant un OVNI, un OVNI que les responsables de la santé états-unienne et que les oncologues de tous les pays regardent de loin, au télescope, ils auraient trop peur en s’approchant de lui de devoir remettre en cause leurs pratiques qui leur semblent naturelles, dans le sens du progrès et de l’enrichissement de tous, trop peur de se faire contaminer par les idées de bon sens et d’éthique scientifique qui devraient présider à l’amélioration de la survie et de la qualité de vie des patients souffrant d’un cancer.

Pourtant, avec malice, il donne des pistes à l’industrie pour lui éviter de perdre de l’argent (et par la même occasion d’en gagner un peu plus) et pour la remettre dans le sens de la morale, il donne des pistes pour que les patients souffrant d'un cancer puissent être mieux pris en charge, soulagés et traités, et surtout pour que la recherche et le développement des futures molécules ait pour objectif d'améliorer la survie globale des patients et leur qualité de vie d'une façon cliniquement pertinente et non seulement statistiquement pertinente.

Il n’est pas seul à défendre de pareilles idées dans le monde de l’oncologie, et plus généralement dans le monde des essais cliniques, nous citerons John Ioannidis, Ben Goldacre (dont les livres recensent depuis longtemps les mauvaises pratiques d'essais cliniques dans tous les domaines de la médecine) ou Peter Goetzsche, ses pairs, mais la liste de ses fellows serait trop longue pour que la rapporte ici. Qu'ils m'en excusent.

Comme il ne s’agit pas d’un livre profane et que les exemples que je pourrais extraire du livre pour illustrer la perversion du système seraient trop techniques et ciblés, je vais résumer la pensée prasadienne et je laisserai le nom des molécules aux oncologues et onco-hématologistes.

S'il n'y avait qu'un chapitre à lire, ce serait le chapitre 2 concernant les critères de substitution (pp 23-51). 

Il rend compte de la problématique actuelle de l'oncologie. Adam Cifu a écrit : "Un critère de substitution est quelque chose que le patient ne savait pas important jusqu'à ce qu'un médecin lui dise que cela l'était."
1) Le taux de réponse est fondé sur la diminution de la taille de la tumeur qui a été fixé arbitrairement à 30 % Arbitrairement pour des raisons techniques (le pied à coulisse de nos ancêtres) mais sans corrélation aucune avec une quelconque amélioration clinique pour le patient. 2) La durée de la réponse est le temps que met la tumeur à grossir plus de 20 % par rapport à l'évaluation initiale : le lien avec une plus longue survie est ténu. 3) Les autres catégories de critères de substitution sont le temps au bout duquel survient un événement : la survie globale n'est pas un critère de substitution, c'est le critère majeur de l'oncologie associé avec la qualité de vie. Mais il existe des critères de substitution pour cette survie globale (Overall survival) : 3) a. Le plus célèbre est le PFS (Progression Free Survival) qui est un critère composite : le temps au bout duquel plusieurs faits peuvent survenir : le décès du patient, l'apparition d'une autre tumeur au scanner ou l'augmentation de la taille de la tumeur de plus de 20 % Mais c'est un critère arbitraire car une augmentation de diamètre constatée dans un plan peut signifier une augmentation de 173 % en volume ! 3) b. Le Disease Free Survival (DFS) est aussi un critère composite : le temps au bout duquel le patient meurt et/ou apparaît une rechute. Il est utilisé dans le cas où une tumeur a été enlevée et où on ne sait pas s'il va ya avoir une rechute. Mais c'est aussi un mauvais critère : l'exemple du cancer in situ est développé par Vinay Prasad. 3) c. Nous citerons également l'event-free-survival (EFS), Time to Progression (TTP) et Relapse-Free-Survival (RFS). En conclusion (mais Vinay Prasad donne de nombreux exemples précis où ces critères de substitution ont échoué) : "Quand des études de qualité ont été faites elles montrent majoritairement qu'il existe une faible corrélation entre les critères de substitution et la survie globale des patients."


Voici un résumé succinct de ce que pourrait être une volonté politique et scientifique pour développer la recherche clinique en cancérologie, et permettre à tous d’en profiter et finalement aider les patients porteurs d’un cancer.

Premier point : Indépendance.

L’argent de l’industrie du cancer pervertit les chercheurs, les cliniciens, les responsables académiques, les agences gouvernementales, les patients, les associations de consommateurs, le public. L’argent versé ne favorise pas l’esprit critique et conduit à l’utilisation de molécules marginales dont les preuves d’efficacité ne sont pas pertinentes pour les patients.

Vinay Prasad prend l'exemple de la façon dont les conflits d'intérêts peuvent influencer les six différents groupes de votants du Oncology Drug Advisory Committee qui décide de la commercialisation d'une molécule. 1) Les employés de la FDA doivent ne pas avoir de conflits d'intérêts au moment du vote. Plusieurs enquêtes ont montré qu'après leur départ de l'agence entre 37 et 68 % des employés votants trouvent un poste dans l'industrie. L'avenir d'un employé de la FDA est donc essentiellement de travailler pour l'industrie (revolving door) 2) Les votants de l'ODAC : en 2006 un article du JAMA révélait que 70 % d'entre eux présentaient au moins un conflit d'intérêt. Une réforme est survenue et désormais, aucun conflit d'intérêt n'est retrouvé au moment du vote mais 27 % des votants ont précédemment reçu de l'argent d'industriels dont les molécules étaient examinées devant le comité (revolving door passé et à venir) 3) Les industriels : pas de commentaires : ils défendent leurs molécules. 4) Mais ils ont le droit d'inviter des experts qui sont en général des géants de l'oncologie. 92 % d'entre eux reçoivent de l'argent de l'industrie et, en moyenne, 35 000 dollars. Les voix majeures de l'oncologie sont donc payées par l'industrie de l'oncologie et la quantité d'argent qu'ils reçoivent est corrélée avec le nombre de leurs publications et leurs facteurs d'impact. La question est : qui a commencé ? 5) Les patients et groupes de patients : 19 % présentaient un conflit d'intérêts entre 2009 et 2012 6) Le public. Une étude a montré que sur 103 personnes du public qui ont pris la parole devant le comité 30 % recevaient de l'argent soit directement, soit par l'intermédiaire des associations auxquelles ils appartenaient et, bien plus, 92 % des intervenants étaient pour la commercialisation des molécules, 6 % étaient neutres et 2 % contre.

Deuxième point : Les preuves. Mesurer ce qui importe et le faire de façon juste.

Pour développer un plan cancer qui réussisse il faut produire des preuves de grande qualité et obtenir des résultats qui comptent pour les patients : améliorer leur espérance de vie globale et leur qualité de vie.

Les preuves doivent être recherchées avec des essais randomisés bien faits sans arrière-pensées (équipoise).

Ce qui signifie (1) entreprendre des essais de non infériorité seulement quand le jeu en vaut la chandelle : par exemple si la nouvelle molécule est moins chère, moins toxique, ou plus pratique que les anciennes ; (2) être certain  que les changements de posologie dus aux effets indésirables sont justes et appropriés ; (3) comparer une nouvelle molécule par rapport au meilleur standard de soin existant (sur 95 essais randomisés menant à une commercialisation, 17 % avaient un bras contrôle inapproprié) ; (4) et utiliser le cross-over  de façon correcte : jamais dans un essai pour prouver l'efficacité d’une molécule mais toujours dans un essai qui tente de montrer qu’une molécule est efficace plus tôt dans le traitement.

Vinay Prasad donne des exemples nombreux sur des protocoles ni faits ni à faire, sur des protocoles biaisés, sur des résultats fondés sur des critères fallacieux, les fameux critères de substitution, sur des protocoles menés à l'encontre de l'état de l'art sur des protocoles menés hors Etats-Unis sur des patients qui ne sont pas états-uniens... Imagine-t-on aujourd'hui que l'on développe une molécule anti hypertensive en ne mesurant que la pression artérielle, en menant un essai de non infériorité sur six mois contre une molécule bétabloquante, et en affirmant que cette étude permet de diminuer la morbimortalité liée à l'hypertension ? C'est ce qui se passe en oncologie.
Comme il n'est pas possible de tout passer en revue voici un exemple de biais méthodologique relevé par Bishal Gyawali et Alfredo Addeo en 2018  :
Douze essais négatifs de phase 3 publiés dans des "grands" journaux pour de nouvelles molécules : 1 essai a été mené sans essai de phase 2, 3 ont été menés malgré des résultats négatifs en phase 2, 5 malgré des résultats de phase 2 non concluants et 3 conduits après une phase 2 positive ! 

Troisième point : Pertinence. Nos études doivent aider le patient "moyen" souffrant de cancer. 

Il faut se concentrer sur le patient moyen et non se fonder sur des essais effectués chez des personnes jeunes et en « bonne santé » hors cancer où les bénéfices obtenus sont maigres et où la prescription à des personnes plus âgées et plus fragiles pourrait entraîner une toxicité gommant les maigres effets obtenus. Les essais doivent s'intéresser à tous les patients âgés avec comorbidités et valider qu'ils sont effectivement efficaces sur de larges échantillons en situation réelle communautaire. La FDA doit approuver des molécules pour les citoyens et non pour des patients idéalisés.

Quatrième point : Accessibilité. Les thérapeutiques efficaces doivent être largement disponibles. 

Une molécule non disponible n’est pas un meilleur traitement du cancer que pas de molécule du tout. Il y a de nombreuses solutions pour faire baisser le prix des molécules anti cancéreuses.

Il faut d’abord souligner la nécessité de séparer le soin de la recherche. Le soin est financé par les gouvernements, les sociétés d’assurances et par les dépenses personnelles. La recherche est fondée sur la recherche publique, les compagnies biopharmaceutiques et les fondations non gouvernementales. 
Aux États-Unis d’Amérique les dépenses de santé représentent 3500 milliards de dollars soit 10 000 dollars par personne tandis que le budget de la recherche atteint 110 milliards de dollars, soit 300 dollars par personne (industrie pharmaceutique : 71 milliards, National Institutes of Health, 39,2). En d’autres termes le budget de la recherche représente grossièrement 3 % des dépenses de santé. 
Personne ne connaît le bon ratio. 
En revanche il apparaît que la recherche tente de s’approprier les ressources du soin pour se financer. Notamment le séquençage des tumeurs pour chaque personne atteinte d’un cancer, ce qui signifie donc faire financer par le soin des interventions non démontrées… 
Il est certain que la recherche doit être plus financée mais pas en affirmant que des procédures incertaines « marchent ».

Cinquième point : Perspectives. Le pipeline pré-clinique doit être développé.

Seules 5 % des hypothèses physiopathologiques conduisant à des conséquences cliniques voient le jour.
Il faut financer le pré clinique, ne pas tout investir dans des hypothèses hasardeuses (bien que la sérendipité soit une des options de la recherche) comme l'oncologie fondée sur le génome, il faut aussi financer la recherche fondamentale sans objectifs cliniques évidents, favoriser les jeunes chercheurs, envisager de nombreux systèmes d'allocations des ressources dont l'établissement d'une loterie... Page 245 Vinay Prasad propose même un essai randomisé (4 bras d'intervention et un bras contrôle) pour décider quel type de financement de la recherche favoriser.

Sixième point : Agenda. L'horizon général des essais cliniques en oncologie doit encourager la contribution des participants.

Vinay Prasad : il est nécessaire de minimiser les biais dans les essais en cancérologie, de poser les bonnes questions et dans le bon ordre, afin d'en faire profiter les patients souffrant de cancer. Il est possible d'imaginer un système formel, international, sans conflits d'intérêts à un niveau gouvernemental pour encourager les essais de qualité, les nouvelles molécules, la non duplication des essais, l'investissement dans des indications rares.

***

Je terminerai, mais je n'ai pas cité les dizaines de molécules pour lesquelles la FDA a donné son approbation et pour lesquelles elle n'aurait pas dû le faire, par les mirages de la médecine de précision, le hype du hype. Selon le NCI Match Trial (mené au niveau fédéral) en 2017 seuls 495/4702 (10,5 %) des patients qui ont été inclus dans le Next Génération Sequencing ont pu être associés à une molécule. L'essai MOSCATO-1 a montré que sur 1000 patients inclus 200 ont pu être associés à une molécule et que seuls 22 ont eu une réponse complète ou partielle. Soit 2 % de chances de voir une réduction de la taille de la tumeur ! Rappelons qu'avec de vieilles molécules cytotoxiques le taux est de 10 à 20 % lors de cancers récidivants.

Je vous conseille de lire ce livre avec lenteur pour regarder autrement vos futurs patients porteurs d'un cancer et regarder avec plus d'attention les comptes-rendus des Réunions de Concertation Pluridisciplinaire, pour suivre le cheminement de vos patients traités depuis le diagnostic jusqu'à la guérison et, malheureusement, les soins palliatifs.




jeudi 27 juin 2019

Existe-t-il un débat sur l'oncologie en France ?

Les publications du laboratoire Roche entre 2008 et 2017 (dont oncologie)

Non.

En France l'oncologie est un domaine protégé.

Cadenassé.

99,9 % des oncologues français ne publient pas d'articles réflexifs sur leur spécialité.

Et toute personne, non oncologue, qui se permettrait de réfléchir sur cette spécialité sera renvoyée dans les cordes.

La réflexion sur la pratique de l'oncologie pourrait être :
  1. Scientifique
  2. Médicale
  3. Philosophique
  4. Epistémologique
  5. Ethique
  6. Sociétale
  7. Economique

Les oncologues français (99,9 %) et les hémato-oncologues français (99,9 %) ont des certitudes :
  1. Le dépistage des cancers sauve des vies
  2. La décision partagée fondée sur des données solides est un fantasme 
  3. Le sur diagnostic des cancers est une invention des épidémiologistes
  4. Le sur traitement des cancers n'existe pas
  5. Le rapport bénéfices/risques des procédures anticancéreuses est toujours bon 
  6. Les essais cliniques de non infériorité fondés sur des critères de substitution ne sont pas critiquables.
  7. Le critère du Progression Free Survival est un excellent outil d'évaluation des anti cancéreux 
  8. Les critères de jugement des anti cancéreux que sont la survie globale et la qualité de vie sont accessoires
  9. La médecine de précision/personnalisée est l'avenir de l'oncologie
  10. Le cancer va disparaître à plus ou moins longue échéance
  11. L'industrie pharmaceutique ne les influence pas
  12. Les réunions de concertation pluridisciplinaires d'où sont exclus les patients et les médecins traitants sont indépendants de l'industrie pharmaceutique
  13. Les soins palliatifs, c'est le plus tard possible.
Bien entendu la France de Tchernobyl (celui où le nuage de la corruption ne passe pas) est un cas à part.

Dans d'autres pays où les technolâtres technicistes progressistes fascisants (c'est ainsi que certains s'appellent) exercent moins leur pouvoir (celui de nommer les ministres de la santé, les directeurs généraux de la santé, les directeurs d'agences gouvernementales, les chefs de service, les PU-PH, celui de rémunérer les Key Opinions Leaders -- en français les Manipulateurs d'opinion--), où l'industrie pharmaceutique est tout aussi puissante (avec ses boards rémunérateurs qui sont comme des jetons de présence pour les membres des comités exécutifs des grands groupes capitalistes), il existe des oncologues, voire des hématos-oncologues qui publient des articles, qui réfléchissent, qui s'interrogent, qui interrogent le public profane, sur l'oncologie en tant que discipline médicale et sociétale.

Ce discours, mon discours est éminemment complotiste. Ce sont les technolâtres qui le disent. Lire cet article sur les réseaux d'influence de 3 grandes firmes pharmaceutiques : LA

Le fait que le manque de réflexion soit inversement proportionnel au degré de corruption est un hasard.

Voici pour nos oncologues français un article de Vinay Prasad (ICI) qu'ils ont lu d'un derrière distrait (ou non pas lu, le nom même de l'auteur leur donnant des démangeaisons), qu'ils n'ont pas commenté dans le British Medical Journal pour ne pas faire effet Streisand, un article qui ne sera pas non plus commenté à la machine à café de l'Institut Gustave Roussy ou de l'Institut Curie.



Voici quelques morceaux choisis.

Do cancer drugs improve survival or quality of life?

...between 2008 and 2012 the US Food and Drug Administration approved most uses of cancer drugs without evidence of survival or improved quality of life (67%, 36/54).1 Among the 36 such approvals, only five (14%) uses were shown later to improve survival compared with existing treatments or placebo after a median of 4.4 years on the market.

In their study of cancer drugs approved by the European Medicines Agency between 2009 and 2013, 57% (39/68) had no supporting evidence of better survival or quality of life when they entered the market. After a median of 5.9 years on the market, just six of these 39 (15%) agents had been shown to improve survival or quality of life.

The expense and toxicity of cancer drugs means we have an obligation to expose patients to treatment only when they can reasonably expect an improvement in survival or quality of life.

Ceci n'est que le début d'une série d'articles sur l'oncologie.

Illustration tirée de cet article : ICI

dimanche 9 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Adam Cifu et Vinay Prasad. #16

Ce livre est un bijou. Il est écrit dans un anglais fluide et il ne fait pas seulement que poser un constat, il propose des solutions, en termes d'enseignement notamment.

Prasad Vinayak and Cifu Adam S. (2005). Ending medical reversal. Improving outcomes, saving lifes. Baltimore: Johns Hopkins University Press, 264 pp.

Il exprime ceci : trop souvent des procédures, des traitements sont mis en place sans que nous disposions de véritables preuves que cela fonctionne. Il s'en suit que lorsque les preuves d'une efficacité contraire sont réunies (des essais contrôlés par exemple) les auteurs déplorent qu'il faille très longtemps pour que les promoteurs/utilisateurs de ces traitements reviennent en arrière (gna gna gna, entre mes mains blanches, pures et expérimentées, ça marche et, d'ailleurs, les patients en redemandent) pour des raisons multiples (ne pas se dédire, ne plus profiter de la manne financière de ces procédures, mais aussi refuser les preuves contraires à ses propres croyances fondées sur l'ego et l'aveuglement).



Ainsi, lorsque l'on abandonne certains traitements, et les deux auteurs en citent 146, cela pourrait être, comme veulent le croire les optimistes, parce que les données de la science ont changé, eh bien non, c'est que souvent il n'y avait pas de données de la science lors de leur instauration et de leur popularisation !

Les deux auteurs demandent donc qu'avant de mettre en place des procédures lourdes, coûteuses et qui touchent une population saine, comme dans le cas des dépistages, on prenne le temps de réaliser des études sérieuses sur le sujet. Voir ICI pour le dépistage.

Mais aussi pour toutes les autres indications. Ils ont analysé les procédures en cours à partir d'essais publiés dans la presse médicale sérieuse : les résultats des procédures validées est ahurissant : de 38 à 54 % des procédures courantes sont effectivement prouvées par des essais validés : voir LA.

Vinay Prasad est un activiste dans le domaine de l'hémato-oncologie, des praticiens de ce type manquent cruellement en France : voir LA. Il exerce à Portland (Oregon)

Adam S Cifu est professeur de médecine interne à l'université de Chicago.

Un dernier exemple, tiré de ce livre et de celui de Margaret McCartney (LA), The patient paradox : le conseil de faire dormir les nourrissons sur le ventre date de 1958, les chercheurs ont commencé à se poser des questions en 1970 et ont publié un article demandant que l'on ne couche plus les nourrissons sur le ventre et ce n'est qu'en 1991 que le gouvernement britannique a pris fermement position sur cette question ! Combien de sur mortalité de nourrissons depuis 1958 ?

Les auteurs :

Vinayak K. Prasad (1982 - )





Adam S Cifu (1967 -)
PS du 11 juin 2019 : en complément : 396 pratiques médicales qui ont été invalidées : ICI

mardi 22 mai 2018

La médecine m'inquiète : microf(r)ictions (96)

100 % des pratiques homéopathiques sont non validées

Mais qu'en est-il de l'évaluation des pratiques médicales standardisées et/ou consensuelles non homéopathiques ? Nous envisagerons ici les pratiques "admises" et non les pratiques "innovatrices" non encore complètement évaluées.

Et en effet il y a plus d'essais dans la littérature qui testent des innovations que d'études qui apprécient des pratiques de soins standardisées.

Prasad et Cifu (1) ont analysé 2044 articles parus dans le New England Journal of Medicine entre 2001 et 2010. 

Parmi les 1344 articles qui étudiaient une pratique médicale, 363 (27 %) concernaient des pratiques standards. 

138 articles (38 %) confirmaient l'intérêt de ces pratiques.
146 articles (40,2 %) montraient que ces pratiques n'étaient pas plus efficaces ou pires que les précédentes ou que pas de traitement du tout.
79 articles (21,8 %) ne pouvaient conclure. 
Les auteurs en concluaient que seules 38 % des thérapies standards étaient efficaces !

38 % des pratiques non homéopathiques académiques sont validées.


Un projet du BMJCE (British Medical Journal Clinical Evidence) a lui analysé 3000 pratiques médicales. Il en a conclu que 35 % de ces pratiques sont prouvées (ou probablement prouvées), 15 % sont délétères et 50 % n'ont aucune efficacité démontrée.

35 % de 3000 pratiques médicales non homéopathiques sont validées


Prasad et Cifu ont réanalysé  50 % des pratiques à l'efficacité incertaine et montré que 38 % de celles-ci pouvaient être cependant considérées comme validées. Ce qui conduit à 54 % de pratiques validées.


Après réévaluation 54 % des pratiques médicales non homéopathiques sont validées.



Une étude australienne (2) a évalué 5209 articles concernant des pratiques médicales et a identifié 156 pratiques potentiellement inefficaces ou non sûres.

Il y avait des similitudes entre les résultats australiens et ceux de Prasad et Cifu mais aussi des discordances liées sans doute au fait que le contexte des pratiques était différent : 10 ans de NEJM pour les premiers et le corpus complet de la médecine pour les deux autres. Mais surtout : différences entre pratiques hospitalières et communautaires.

(1) Prasad VK, Cifu AS. Ending medical reversal: improving outcomes, saving lives. Baltimore (USA): Johns Hopkins university press;2015.
(2) Elshaug A, Watt A, Mundy L, Willis CD. Over 150 potentially low-value health care practices: An Australian study. Med J Aust. 2012;197(10):556-560

PS du 30 mai 2018. Il est amusant de voir que ces données sont citées par Aurélie Haroche dans le JIM (ICI) comme pouvant être rattachées à la démarche qualité.

vendredi 12 janvier 2018

L'histoire des gants et des blouses.


Il faut se méfier du bon sens en médecine.

Lors de la pseudo pandémie de grippe AH1N1 on avait dit, tout le monde disait, que les mesures barrières, se laver les mains, porter un masque, ne se discutaient pas. Comme la vaccination et le tamiflu. Il paraît clair que se laver les mains après avoir examiné un malade, se laver les mains avant d'examiner un patient, sont de bonne clinique. Mais il ne faut pas confondre la théorie et la pratique, c'est à dire la réalité des "vraies" circonstances de la vie avec de "vraies" gens.

Récemment la ministre de la Santé a déclaré, au nom du bon sens, que la vaccination antigrippale obligatoire, elle était pour. Elle n'a pas d'essais concluants, elle n'a que sa croyance, elle n'a que ses bonnes intentions. Les bonnes intentions ne sont pas suffisantes.


Laissez moi vous raconter une histoire récente.

Celle des gants et des blouses.

Je l'ai pêchée dans l'excellentissime livre de Cifu et Prasad, Ending Medical Reversal (ICI).
Les deux auteurs rapportent au chapitre 5 que ce ne sont pas seulement des traitements, des procédures, des tests ou des matériels qui sont administrés à des patients, des centaines de patients, voire des millions de patients alors que l'on n'est pas certains qu'ils sont efficaces, voire même que  certains sont persuadés, l'Arrogance Based Medicine, qu'ils sont certainement efficaces avant même de les avoir testés et, bien plus, qu'il n'est donc pas nécessaire (voire dangereux, une perte de chance affirment-ils) de les tester.

On découvre chez un patient hospitalisé pour leucémie, Monsieur A, que sa peau est infectée par un entérocoque résistant à la vancomycine (et à d'autres antibiotiques). Monsieur A ne présente aucune pathologie liée à cet entérocoque qui vit sur sa peau comme un commensal, ainsi que d'autres bactéries.

Branle-bas de combat : afin de protéger les autres patients de cet hôpital et éviter la propagation de cette bactérie, mais pas pour protéger Monsieur A, les médecins et les infirmières qui le soignent doivent désormais, avant d'entrer dans sa chambre, revêtir une blouse jaune en papier et enfiler des gants.

Monsieur A est énervé par cette procédure. Pour de nombreuses raisons.

Bien qu'enfiler une blouse et des gants ne dure qu'une minute, cela a l'air d'embêter tout le monde.
Il remarque que ceux qui respectent l'esprit de la procédure se comportent différemment, soit en faisant très attention, soit en s'asseyant sur son lit au risque de contaminer leurs pantalons.

Il y en a qui oublient la procédure, qui entrent en vitesse pour régler la perfusion ou aller déposer/chercher un plateau repas ou qui s'asseyent et parlent.

Mais aussi : il suspecte que les médecins viennent moins souvent le voir et notamment cette jeune femme médecin qui avait pris l'habitude, avant de rentrer chez elle, d'aller le voir, de s'asseoir et de parler. Désormais elle lui fait un hello derrière la vitre.

Monsieur A demande un jour à un médecin combien coûtent les blouses et il lui répond "plusieurs dollars", ce qui lui paraît exagéré car ce ne sont, selon lui, que des serviettes en papier géantes.

Un soir il trouve une étude sur internet qui montre que les médecins vont moins souvent voir les patients en isolement. Cela confirme ce qu'il pensait mais il se dit qu'il peut tolérer cela puisque cela protège d'autres patients.

Monsieur A meurt de sa leucémie un an après que le diagnostic a été porté.

Par la suite deux articles sont publiés qui l'auraient mis en colère.

En 2011, des auteurs montrent que ce même type de procédure (blouse et gants) ne diminue pas la transmission d'entérocoques vancomycine résistants ou se staphylocoques dorés methicilline résistants dans des services de soins intensifs (étude contrôlés avec 3000 patients, 19 centres) : voir ICI.
Une deuxième étude d'une tout ausi grande importance montre la même chose : voir LA

Monsieur A avait donc raison d'être énervé : les mesures barrières qui ont été mises en place ne servaient à rien pour les autres malades et lui ont pourri la vie.

Cet exemple est typique des procédures systèmes qui sont implantées avant même que l'on sache si elles atteignent leurs objectifs et qui, selon une évaluation avant/après (sans études contrôlées) dans un centre, sont généralisées à un pays tout entier.

Mais le pire : malgré des preuves contraires de leur efficacité, les procédures systèmes de bon sens, ici les mesures barrières, ne sont pas abandonnées par leurs partisans parce qu'elles auraient pu marcher si elles avaient été faites différemment ou étudiées autrement. C'est un vieil argument.

Les procédures systèmes adoptées après un essai dans un seul hôpital jugé par des chiffres avant/après (sans groupe témoin) entraînent des dépenses inutiles, un gaspillage de temps et, surtout, empêchent de s'intéresser à d'autres procédures qui pourraient, elles, être efficaces (comme l'utilisation de lingettes de désinfection : voir LA)

Cele ne vous fait pas penser à plein de trucs inutiles, que l'on continue à faire, par habitude, par croyance ou pour ne pas importuner les chefs qui ne peuvent admettre leurs erreurs (sinon en les imputant à leurs subordonnés).


jeudi 30 novembre 2017

Ending medical reversal / Pour en finir avec les volte-face thérapeutiques en médecine


Je suis en train de lire Ending Medical Reversal de Vinayak Prasad et Adam Cifu dont je vous ferai sans doute un compte rendu complet. Et élogieux (j'ai des réserves sur certains points, bien entendu).

Les volte-face thérapeutiques ne sont pas ce que nous croyons intuitivement, c'est à dire, pour résumer : il existe des pratiques médicales que nous abandonnons parce qu'il est démontré ensuite qu'elles sont inefficaces ou parce que la science a trouvé mieux d'un point de vue efficacité et/ou conceptuel. Un exemple ? Un nouvel anti hypertenseur prouve qu'il fait aussi bien sur les chiffres tensionnels que le précédent mais il montre également qu'il protège la santé du patient : moins d'AVC, moins d'infarctus, et cetera. On peut dire que les données de la science ont évolué parce que le nouveau critère n'est plus Baisse de la pression artérielle mais protection cardiovasculaire.

Pour les deux auteurs, en finir avec les volte-face thérapeutiques signifie qu'il faut agir en amont pour éviter que des pratiques médicales ne deviennent la règle alors qu'elles n'ont pas démontré leur efficacité.

Ils insistent également sur ceci : quand il est démontré qu'une pratique largement répandue, et depuis de nombreuses années et sur des milliers ou des centaines de milliers de malades, n'est pas plus efficace qu'un placebo, elle n'est pas toujours abandonnée immédiatement. Pourquoi ?

Ils insistent encore sur ceci : quand il est avéré qu'une pratique fait plus de mal que de bien (le dépistage du cancer du sein par mammographie chez les femmes entre 40 et 49 ans) il est difficile de l'abandonner comme ça. On ne se demande pas pourquoi on l'a instituée mais comment on va faire pour la désinstituer sans perdre la face.

Mais il ne faut pas croire que cela n'arrive qu'aux autres, que cela n'est le fait que des institutions ou que c'est à cause de l'industrie pharmaceutique ou de l'industrie des matériels ou des méchants experts.

Je vous donne des exemples tirées de ma pratique.

Lors de mon installation en septembre 1979, mon dernier poste était Faisant Fonction d'Interne dans un service de neuro-chirurgie : les PL étaient mon domaine, et cetera. J'aimais bien manier les aiguilles.

Eh bien, au cabinet, j'ai très rapidement pratiqué des épidurales dans l'indication sciatique, des injections intra-articulaires de corticoïdes dans les genoux (comme d'ailleurs des infiltrations extra-articulaires : tendinite de la patte d'oie), et des infiltrations extra-articulaires des coudes (épicondylites). J'ai aussi infiltré des canaux carpiens, des aponévrites plantaires, et cetera. Sans oublier, et nous en reparlerons sans doute, les infiltrations intra et extra articulaires de l'épaule.

Aujourd'hui je ne pratique plus d'épidurales, non pour d'initiales raisons scientifiques mais parce qu'il y a déjà très longtemps j'avais vu que mon assurance civile professionnelle ne me couvrait pas. Je ne pratique plus d'injections intra articulaires dans le genou pour des raisons légales et pour des raisons scientifiques : cela ne "marche" pas. Je ne pratique plus, ou presque, d'infiltrations des épicondyliens après que j'ai expliqué au patient.e quels étaient les résultats à un an (autant de malades douloureux et impotents que les patient.e.s aient ou non été infiltré.e.s).

Je raconte cela avant-hier à l'un de mes collègue spécialiste. Il me dit ceci : il y a dix ans j'ai vu un orthopédiste qui m'avait demandé de le rappeler dans la semaine pour me faire opérer d'un ménisque. Je ne l'ai jamais rappelé. Je n'ai plus mal depuis dix ans. Je lui réponds ceci : il y a 9 ans j'ai fait une sciatique L4L5 hyper algique. Mes amis généralistes, rhumatologues, neurologues, tout le monde m'a dit que je devais me faire opérer. J'ai résisté. Aucun traitement antalgique ne me soulageait. J'ai tout arrêté. Je me suis arrêté de travailler huit jours. Mes muscles fondaient. Un collègue radiologue m'a infiltré dans l'espace foraminal (des études récentes ont montré que cela n'avait pas montré son efficacité) et 36 heures après je reprenais le travail. Un collègue médecin du sport m'a félicité de ne pas m'avoir fait opérer et il m'a donné des conseils d'auto kinésithérapie. J'ai un peu forcé et j'ai récupéré mon jambier antérieur en trois jours (et accessoirement mon quadriceps homolatéral car l'atteinte radiculaire était mixte). Je continue à faire du sport.

Ainsi, dans mon cabinet, et au delà des problèmes légaux, j'exerçais des pratiques qui n'avaient pas fait la preuve de leur efficacité mais qui me paraissaient intuitivement justifiées : Ego Based Medicine. Cela me valorisait, j'obtenais des résultats (rappelons que l'effet placebo est en moyenne de 30 % quelle que soit la pathologie et que dans le domaine de l'antalgie il peut atteindre 70 à 80 %), les gens se donnaient le mot, et cetera.

Je suis revenu en arrière.

Mais, je le rappelle, j'ai fait volte-face non parce que des pratiques justifiées ont été invalidées par la science et sont devenues injustifiées mais parce que des pratiques injustifiées ont été confirmées dans leur injustifiabilité.

La critique principale est celle-ci : s'il avait fallu attendre des justifications scientifiques pour l'utilisation de l'aspirine dans les céphalées ou en prévention cardiovasculaire on aurait laissé souffrir et/ou mourir beaucoup de gens. OK. Mais c'est aussi l'exception.


Voilà un début d'introduction à ce livre que je vous conseille d'acheter.







mercredi 26 juillet 2017

Vinay Prasad sur les débats qui animent twitter


Vinay Prasad fait un travail magnifique d'éclaircissement sur un certain nombre de faits qui agitent les sphères de l'oncologie, du dépistage, des traitements, du coût des traitements. Je ne le connais pas personnellement mais je lis ce qu'il écrit (il écrit beaucoup). Il nous enthousiasme sur le niveau de réflexion que des médecins, dans leur propre spécialité, ici l'hématologie et l'oncologie, peuvent atteindre  dans un système de santé aussi étranger au nôtre que celui des Etats-unis et nous déprime quant à l'absence de médecins critiques dans notre propre pays. @VinayPrasad82 pour le suivre sur twitter.




Voici la traduction d'un tweet qui m'avait bien plu. 

Le dépistage des cancers n'a jamais démontré sauver des vies, ce qui signifie améliorer la mortalité globale, et a des conséquences néfastes majeures incluant des faux positifs et des sur diagnostics et nous devons le juger par des preuves provenant d'essais randomisés. Voir ICI pour l'article original (sur abonnement) et LA pour un commentaire. [1]


Le coût des médicaments est hors de contrôle, il n'est pas régi par les forces traditionnelles du marché, il est mauvais pour les patients et la société, et des réformes sont nécessaires (LA).

La FDA états-unienne a assoupli les standards d'autorisation de mise sur le marché fondée sur des critères de substitution (ce qui, en soi, n'est pas la fin du monde) mais en les couplant avec l'abandon des études marketing post commercialisation, ce qui est mauvais pour les patients (ICI). [2]

Le financement de la recherche est majoritairement non fondé sur les preuves et arrose de façon disproportionnée les mêmes fausses  idées et les mêmes personnes (LA). [3]

L'oncologie de précision et les autres "traitements personnalisés" paraissent magnifiques mais manquent de données robustes issues d'essais randomisés.  Le seul essai dont nous disposons est négatif ( LA). [4]

Les nouvelles molécules sont souvent annoncées comme des miracles mais la réalité est typiquement qu'il y a un certain nombre de réserves majeures, de distorsions dans le protocole, des biais et des manipulations derrière tout cela (ICILA, et encore LA). [5]

Les conflits d'intérêts sont vraiment un problème. 


Notes.

[1] Rappelons qu'en France les résistances sont fortes et que l'INCa a exercé des pressions intolérables pour que l'on n'abandonne pas en rase campagne le dépistage organisé du cancer du sein.
[2] les études post marketing (après commercialisation) ne paraissent pas devoir être très conclusives puisqu'elles sont menées dans l'immense majorité des cas par l'industrie pharmaceutique voir ICI ; mais, pire encore, quand les études post commercialisation montrent des résultas négatifs, les produits ne sont pas retirés du marché.
[3] Les recherches sont menées en fonction des marchés porteurs (nombre de patients putatifs élevé) et/ou dans des marchés de niche où le faible nombre de patients traités sera dans un premier compensé par des prix très élevés et dans un second par une extension des indications (alias saucissonnage). Voir à ce sujet l'excellente communication de Marc-André Gagnon lors des Pilules Prescrire 2015 : ICI.
[4] L'oncologie de précision est pourtant considéré comme l'avenir de l'oncologie par tous les experts mais les experts sont surtout payés par l'industrie pour des opérations promotionnelles justifiant a priori une efficacité non démontrée et l'obtention de prix faramineux.
[5] Big Onco organise une messe annuelle sous le patronage de l'ASCO durant laquelle elle fait du pré marketing à base d'abstracts aux résultats rarement confirmés, de communications tronquées et truquées à laquelle est convié le gratin des oncologues et le gratin des journalistes internationaux.

dimanche 10 janvier 2016

Edition spéciale : pourquoi le dépistage du cancer n'a jamais montré qu'il "sauvait des vies" et ce que nous pouvons faire à ce propos.

Vinay K Prasad MD, MPH
Jeanne Lenzer freelance investigative journalist
David H Newman Associate professor Emergency Medicine

Vinay Prasad, Jeanne Lanzer et David H. Newman ne sont pas des Français. Et d'ailleurs ils n'écrivent pas en français (voir ICI).

Ils ont écrit dans le British Medical Journal un article clair, sans pathos, qui pose, comme d'habitude, plus de questions qu'il ne résout de problèmes parce que nous avons été formatés, médecins (durant nos études) comme patients (dans la "vraie" vie), par le story telling cancérologique, disons en français le roman oncologique, qui dit ceci : plus un cancer est petit moins il est grave, plus on le diagnostique tôt plus on le détruit vite, l'histoire naturelle du cancer est linéaire, un cancer ne meurt jamais tout seul, les effets indésirables des traitements valent le coup si on sauve une vie et, enfin, les effets indésirables du dépistage sont rarissimes.

C'est le bon sens des oncologues et ceux qui n'ont pas de bon sens sont des demeurés, et cetera.

Je ne vais pas réitérer un éternel exercice d'auto-flagellation à la française mais convenons que les Français universitaires n'écrivent pas comme Prasad et Newman : ils auraient trop peur de déplaire, de ne pas obtenir de poste, de ne pas toucher de subventions, de ne pas être invités au Téléphone Sonne ou au Magazine de la Santé. Vous me dites qu'il y a des exceptions ? Sans doute : elles confirment la règle. 
Quant à Jeanne Lanzer, journaliste, nul doute qu'elle ferait tache dans le paysage audiovisuel et scriptural français et qu'il serait difficile de la caser à côté, par ordre alphabétique, de Hélène Cardin, Michel Cymes, Jean-Daniel Flaysakier, Gerald Kierzek, Jean-François Lemoine, Danielle Messager ou Jean-Yves Nau...

Quoi qu'il en soit, les médecins généralistes, espèce en voie de disparition, ces braves médecins traitants, ces crétins de proximologues, ces abrutis de pivots du système, sont confrontés tous les jours à la pression des autorités de santé (sic) puisque leurs patients reçoivent à domicile, ce qu'ils appellent des convocations, pour faire des mammographies (dépistage organisé), des recherches de sang dans les selles, des bilans périodiques de santé, des objectifs de Santé publique, tout en écoutant les conseils de dépistage tous azimuts des gynécologues (un frottis par an, une mammographie dès 40 ans), des patients experts (la mammographie m'a sauvée), des primes à la performance, et cetera. Sans compter le dépistage du cancer du poumon par scanner basse intensité qui est en train d'arriver en grande pompe.

Quant aux spécialistes, c'est un cas d'école, insistons sur le fait que Vinay Prasad est hématologue et oncologue et que David H Newman est urgentiste, ils sont toujours et à 99 % (que les rebelles lèvent le doigt) pour le dépistage et même dans des domaines où il n'est pas recommandé : tous les urologues (ou presque) sont fans de PSA, tous les radiologues (ou presque) sont fans de mammographie, tous les pneumologues ou presque sont fans de scanner basse intensité, tous les gastro-entérologues sont pour l'hemoccult et maintenant son super remplaçant, tous les oncologues (ou presque) sont fans de tout, ... et cetera.

L'article est très bien fait sur le chapitre résultats. Pour les propositions, c'est encore flou et/ou hypothétique...

Que nous disent les trois auteurs ?

Le dépistage du cancer en général pourrait ne pas réduire la mortalité totale. 

Deux explications "évidentes".

1) Parce que les études dont nous disposons ne sont pas formatées pour détecter de telles différences.
2) parce que la diminution de la mortalité spécifique serait contrebalancée par les effets délétères du dépistage.


L'étude du Minnesota (Minnesota Colon Cancer Control Study) a duré 30 ans ! Elle consistait à rechercher annuellement le sang fécal dans le groupe dépistage en comparaison avec le groupe contrôle. Résultats : le dépistage diminue significativement le nombre de décès dus au cancer du colon (mortalité spécifique) : 64 décès/100 000 de moins (128 vs 192/100 000) ; mais on constate : 2 décès/100 000 de plus dans le groupe dépisté que dans le groupe contrôle (7111 vs 7109/100 000) pour la mortalité globale. Ces résultats sont conformes à ce que l'on savait déjà sur la question (études antérieures).

Ces résultats défavorables (plus de décès dans le groupe dépistage) sont probablement liés à l'utilisation de tests entraînant des faux positifs, au sur diagnostic, et aux incidentalomes (1).

C'est pourquoi, le dépistage du cancer de la prostate par dosage annuel du PSA a été abandonné (2), tout comme celui du cancer des poumons par radiographies simples, ou celui du neuroblastome par tests urinaires.

Les essais de dépistage montrant une diminution de la mortalité doivent être analysés avec prudence.

Une étude américaine (NLST) (LA) montrant que le dépistage du cancer du poumon par scanner à basse intensité par rapport aux radiographies du thorax diminue chez les gros fumeurs les mortalités spécifique (20 %) et globale (6,7 %) paraît d'un très bon niveau de preuves mais doit être examinée avec précaution (voir LA). 

D'abord, la radiographie pulmonaire n'est pas un bon comparateur. Le meilleur comparateur aurait dû être : la routine. (Une étude danoise menée dans ces conditions a même montré significativement plus de morts dans le groupe dépisté que dans le groupe contrôle (61 vs 42) ICI). 

Ensuite, la diminution de la  mortalité globale dans le groupe scanner dépasse les gains en mortalité spécifique (87 décès en moins dus au cancer du poumon et 123 décès en moins dus à d'autres causes) : il est difficile de croire que c'est le scanner thoracique (qui a permis la diminution des décès dus à d'autres cancers ou à l'amélioration du statut cardiovasculaire) qui explique ces 36 décès de moins. Si l'on considère que l'amélioration de la mortalité non due au cancer du poumon est un hasard, les différences de mortalité globales disparaissent entre les deux groupes (p=0,11). 
Il faudrait ainsi pouvoir disposer d'un essai montrant que la baisse de la mortalité spécifique est assez importante pour entraîner la baisse de la mortalité totale, ce qui n'est pas le cas. 

Enfin, le bénéfice annoncé sur la mortalité par cancer du poumon en utilisant le scanner, soit 12 000 décès évités annuellement aux EU doit être balancé par la survenue de 27 034 complications majeures survenues après un test positif.

L'agence américaine USPSTF a considéré que l'étude NLST était sans doute une anomalie puisqu'une analyse de 60 000 patients inclus dans des essais randomisés et à qui était pratiqué un scanner thoracique ne vivaient pas plus longtemps que ceux du groupe contrôle.

La perception des bénéfices du dépistage du cancer est surestimée dans l'opinion publique 

Les exemples les plus évidents concernent la mammographie, le PSA ou le frottis du col utérin (4).
Les avocats du dépistage surestiment souvent les bénéfices en utilisant la peur (ou en la créant : fear mongering).
D'autres, dont les auteurs, insistent sur le fait que la décision partagée dont être l'objectif, ce qui signifie tenter d'être honnête.
Ils donnent l'exemple du cancer du sein et de la recommandation du Swiss Medical board de ne pas conseiller ce dépistage (LA).
Ils rappellent les travaux de la Cochrane nordique sur la question (ICI).

Les dommages

Il faudrait quand même plus parler des dommages lorsque les études montrent aussi peu de bénéfices. Sur 57 études de dépistage primaire seules 7 % quantifient le sur diagnostic et 4% les faux positifs. Les chercheurs devraient en tenir compte.
Les auteurs rapportent des données convaincantes concernant le cancer du sein (4).
Ils rappellent que dans le dépistage du cancer du poumon par scanner l'étude NLST mentionne un taux de sur diagnostic de 18 %, et qu'il est de 33 % dans le cadre du cancer du sein (voire de 50 % pour les carcinomes in situ).

Que faire ?

La réalisation d'essais permettant de déceler des variations de mortalité globale nécessiterait 10 fois plus de patients. Pour le cancer colorectal il faudrait 4,1 millions de patients enrôlés pour démontrer une diminution de la mortalité globale contre 150 000 pour la mortalité spécifique. Cela nécessiterait un budget de 0,9 milliard d'euros...
Mais mener des essais identiques sur des registres de patients diminuerait considérablement les coûts : 50 dollars par patient selon une étude prospective récente intitulée : The randomized registre trial -- The next disruptive technology in clinical research ? (ICI) Un essai randomisé sur registre  coûterait le prix d'un essai "normal".
Ce serait un progrès de tenter de tels essais plutôt que de poursuivre des essais dont on sait à l'avance qu'ils ne feront pas avancer la Santé publique.
L'adoption par Medicare du dépistage du cancer des poumons par scanner basse intensité coûterait 6 milliards de dollars par an.
Les essais devraient d'abord cibler les populations à haut risque pour s'intéresser ensuite aux populations moins exposées (5).

(on répète que les auteurs sont moins convaicants quand il s'agit de proposer...)

Conclusion

Nous encourageons les soignants à être francs sur les limites du dépistage -- les dommages sont certains, mais les bénéfices en termes de diminution de la mortalité totale ne le sont pas. Refuser le dépistage peut être un choix raisonnable et prudent pour de nombreuses personnes.

Nous appelons à de meilleurs critères de preuves, non pour satisfaire à des critères ésotériques, mais pour rendre possible une prise de position partagée raisonnable entre médecins et patients. 
Comme le dit souvent Otis Bradley (American Cancer Society) : "Nous devons être honnête à propos de ce que nous savons, de ce que nous ne savons pas, et de ce que nous croyons simplement."


Notes :

(1) Rappelons la différence entre faux positif et sur diagnostic : un faux positif signifie qu'un test est positif alors que la personne n'est pas atteinte de la maladie. Un sur diagnostic signifie que le test diagnostique un cancer qui n'aurait jamais menacé le pronostic vital.
(2) Abandonné officiellement par les sociétés savantes et pratiqué of the records par les urologues (l'Association Française d'Urologie n'est pas claire sur le sujet)
(3) Humphrey L, Deffeback M, Pappas M, et al. Screening for lung cancer: systematic review to update the US Preventive Services Task Force recommendation. Agency for Healthcare Research and Quality, 2013.
(4) Les lecteurs de ce blog, pardon pour les autres, comprendront que nous ne développerons pas ces sujets que nous avons si souvent traités.
(5) Rappelons aux 3 auteurs que c'est ce que fait déjà big pharma dans les essais contrôlés en  ciblant les patients les plus atteints où les résultats sont plus faciles à obtenir et en élargissant facilement des extensions d'indications grâce à la "fiablesse" des experts.