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dimanche 3 novembre 2013

Que reste-t-il de nos amours ?


(Ce billet a été écrit pour qu'il soit lu en entendant Trenet chanter)
En revenant du cabinet en voiture l'autre soir j'entendais d'un tympan distrait Des clics et des claques sur Europe 1 (A voix nue sur France-Culture m'ennuyait profondément, l'entretien avec un musicien m'ennuyait encore plus sur TSF Jazz) où David Abiker et Guy Birenbaum faisaient la promotion d'Octobre Rose. Cette émission "branchée" avait promu il y a quelques mois et avec un enthousiasme digne de la Médecine 2.0 le site Doctissimo en vantant la qualité de ses informations et son interacivité avec les patients sans mentionner une seule fois que le groupe Lagardère (propriétaire d'Europe 1) était un gros actionnaire du site en question.
Les affaires sont les affaires.
Octobre Rose est une affaire qui marche et les journalistes de gauche et à la mode ne se posent aucune question à son sujet : la prévention, cela permet de ne pas être malade, c'est gratuit grâce à notre merveilleux système de santé (que quelques peuplades reculées nous envient encore), cela évite des mortes, cela rend les familles heureuses et permet aux femmes de continuer à jouer leurs rôles de femmes.
Disons également, pour être juste (mais pourquoi m'occuperais-je des gens dont, politiquement, je ne suis pas proche ?) que les journalistes de droite et à la mode pensent la même chose sur Octobre Rose.
Quand Octobre Rose approche (avec la vaccination anti grippale et les centres d'appel pour la kinésithérapie respiratoire) je me sens comme Marcello Mastroianni dans Une journée particulière, le film d'Ettore Scola (ICI), isolé, désespéré, quand tout le peuple est embrigadé pour défiler avec Mussolini, à ceci près, bien entendu, comparaison n'est pas raison, que personne n'est sur le point de venir m'arrêter pour me déporter, qu'Octobre Rose, ce n'est pas le fascisme, et cetera... Pardon pour ceux que je choque.


Et, nostalgique, je me rappelais mon installation en médecine générale le 5 septembre 1979, la veille de mon anniversaire (j'allais avoir 27 ans), installation pour laquelle je n'avais fait aucune étude de marché, aucun compte prévisionnel d'exploitation (ce que je n'ai toujours pas fait aujourd'hui) et où, pendant au moins trois ans (peut-être un peu plus), j'ai compris ce que signifiait la confraternité généraliste (je ne parle pas de mon associé qui fut parfait et qui continue de l'être maintenant qu'il est retraité) quand il fallait s'inscrire dans le tour de gardes, et quand je plafonnais à 10 actes par jour...
Nostalgique, je me rappelais ma sortie de Fac et de l'hôpital (je ne supportais pas son ambiance hiérarchique, la nécessité de cirer les pompes de ses chefs, le mépris pour les malades, le mépris pour le petit personnel, le machisme ambiant, les plaisanteries de salles de garde, les gens super réacs) quand je ne me posais aucune question, formaté que j'étais par l'enseignement, la préparation de l'internat, mes idées "progessistes", et que je lisais le Quotidien du Médecin comme s'il s'agissait du New England (que je n'avais pas lu une seule fois), Le Généraliste (s'il existait), Impact Médecin, que je recevais gratuitement comme je recevais gratuitement la visite médicale (dont, entre parenthèses) j'avais un besoin criant tant la formation aux médicaments était si nulle et étique, que je n'avais vu prescrire que deux ou trois anti hypertenseurs et que je ne connaissais (et je m'en désolais) aucun sirop anti tussif...

Que reste-t-il de nos amours / Que reste-t-il de ces beaux jours / Une photo, vieille photo de ma jeunesse / Que reste-t-il des billets doux / Des mois d'avril, des rendez-vous / Un souvenir qui me poursuit / Sans cesse

Eh oui,
  1. Je recevais assidûment la visite médicale
  2. Je lisais le Quotidien du Médecin et passait même des annonces pour trouver un remplaçant (et je recevais plus de 100 appels) qui était honoré à 50 %
  3. J'étais fier de prescrire le dernier anti hypertenseur du marché
  4. Je prescrivais des phlébotoniques en toute bonne conscience
  5. Je croyais très fort en la prévention
  6. Je ne me posais aucune question sur les prescriptions des spécialistes
  7. J'écrivais des courriers à la va vite et à la main à des spécialistes et sans parcours de soins
  8. Je vaccinais sans me poser de questions
  9. Je dosais le PSA sans me poser de questions
  10. Je prescrivais des fibrates en me prenant pour un pionnier qui avait lu des commentaires de seconde main sur l'étude de Framingham
  11. Je demandais aux parents de coucher les nourrissons sur le ventre
  12. Je demandais aux parents de décalotter les petits garçons à chaque bain
  13. Je n'avais rien contre les trotteurs
  14. Je confiais les hypertrophies bénignes de prostate aux urologues
  15. Je prescrivais des amphétames aux femmes qui voulaient maigrir
  16. Je prescrivais à tire larigot antibiotiques, corticoïdes, ventoline sirop, fluidifiants et séances de kiné aux nourrissons siffleurs
  17. Je prescrivais des semelles orthopédiques
  18. Je prescrivais de l'aspirine plutôt que du doliprane chez les enfants fébriles
  19. Je prescrivai de la calcitonine dans les syndromes algodystrophies
  20. Je prescrivais des antibiotiques dans les rhinopharyngites, les angines, les bronchites...
  21. Ad libitum
Il m'a fallu trois ou quatre ans pour que je me rende compte que l'on m'avait menti.
Mais le passage à la pratique de la remise en question (lectures de première main) a mis du temps à faire son chemin dans mon esprit. Il me fallait des armes, des ambitions et des objectifs. Il fallait que je me dégage de ma sujétion à la Faculté, de mon complexe d'infériorité par rapport aux spécialistes, de mes idéaux "progressistes".

Je voulais donc dire à mes confrères et futurs confrères qui sortent de fac ou qui vont exercer la médecine générale (mais aussi les médecines de spécialité) qu'ils sont mieux armés que moi le 5 septembre 1979. Mais qu'il reste beaucoup à faire pour lutter contre les mythes et les illusions.

J'espère qu'un blogueur (y aura-t-il encore des blogs ?) qui vient de s'installer comme médecin généraliste (il paraît qu'il y en a encore) ne dressera pas dans 34 ans la liste suivante des "évidences" qui sont devenues chimères (encore que je connaisse encore des confrères qui ne soient pas choqués par certains des 20 points précédents) :
  1. La prescription d'antibiotiques dans les otites
  2. La prescription de statines en prévention primaire
  3. La prescription de kinésithérapie systématique dans les bronchiolites
  4. La prescription de spiriva chez les bronchitiques chroniques
  5. La prescription de pilules de troisième et de quatrième génération comme moyen premier de contraception
  6. La pratique de l'épisiotomie  
  7. La prescription de xolair chez l'asthmatique
  8. La pratique de la viscosupplémentation
  9. Les traitements de troisième et quatrième ligne en cancérologie
  10. Le dosage de la vitamine D remboursé
  11. Les traitements de l'ostéoporose
  12. La vaccination par Gardasil
  13. La chirurgie bariatrique pour le traitement du diabète
  14. Le Dépistage Organisé du cancer du sein
  15. Le baclofène prescrit contre l'alcoolisme
  16. La maladie d'Alzheimer traitée par des pseudo anti Alzheimer
  17. La fibromyalgie considérée comme une maladie
  18. Le traitement des verrues vulgaires
  19. La vaccination contre la tuberculose
  20. La prescription d'antibiotiques dans les bronchites 
  21. Ad libitum
Il est même possible que la maladie d'Alzheimer ait disparu et que les Alzheimeroriums aient fermé...