Je rencontre une ex patiente dans les rues de Mantes.
On parle une heure.
Elle a 56 ans et après qu'on a évoqué sa famille, ses amis, les gens qu'on connaît en commun, ce qu'elle devient, ce que deviennent son mari (dont elle a divorcé), ses enfants (que j'ai suivis), ma retraite, et cetera.
Elle finit par me me dire : "Je suis embêtée parce que j'ai une hypertension...
- Ah, moi aussi.
- Vous ?
- Oui, pourquoi ?
- Vous n'êtes pas gros..."
("Mon" ex patiente ne me semble pas présenter un sur poids manifeste)
"Il n'y a pas que des gens gros qui sont hypertendus, il y a des maigres, des petits, des idiots, enfin, tout le monde...
- Mon médecin...
(Je ne lui demande pas qui est son nouveau médecin. Et comme cela vous ne le saurez pas.)
"... mon médecin m'a surtout dit que c'était un traitement à vie. C'est vrai ?"
Je lui raconte que le traitement de l'hypertension est souvent définitif à moins que l'on ne retrouve un facteur déclenchant traitable... Ce qui est rare.
Elle est déçue.
"C'est vrai que j'ai un cousin à qui on propose tout le temps de manger tant il est maigre et pourtant il a de la tension...
- Vous voyez...
- Et d'ailleurs, je vais vous dire ce qu'il m'a donné comme traitement..."
Elle a du mal à se rappeler (nous sommes dans la rue tout près de la Caisse d'Epargne, mais elle finit par retrouver, "... du propanolol pour les maux de tête et du lercan..."
Faut-il dire que mon non-verbal en a pris un certain coup ?
"Et vous prenez cela depuis combien de temps ?
- Un an.
- La tension ?
- Parfaite."
J'ai pensé à l'un de mes cardiologues favoris sur twitter sans compter à deux autres de mes cardiologues IRL valeureux et je me suis posé la question suivante : est-il possible en 2022 d'instaurer (c'est bien une instauration, j'ai vérifié) une bithérapie antihypertensive à base de propranolol (aucun intérêt de prescrire un bêta bloquant en première intention -- et encore moins celui-là-- dans l'hypertension) et de lercan (inhibiteur calcique qui n'a jamais fait la preuve de son utilité sur des critères de morbimortalité et qui devrait être réservé à une deuxième intention en cas d'oedème des membres inférieurs survenus sous amlodipine... mais ça, c'est mon avis personnel)
L'affaire Perronne en cours pose le problème de la confraternité qui est, semble-t-il, la valeur essentielle du Conseil de l'ordre des médecins. Il m'étonnerait pourtant que le fait de suggérer que le traitement de mon ex-confrère n'est pas tout à fait approprié (qu'en de termes choisis ces choses-là sont dites) puisse faire l'objet d'une plainte pour non confraternité après que mon ex-patiente sera allé raconter à son nouveau médecin les propos que j'aurais pu tenir.
Il est vrai que si je racontais en privé à l'un de mes collègues comment le docteur X traite les hypertensions (pardon pour la généralisation) en première intention, je pourrais utiliser un vocabulaire plus fleuri.
Que devais-je faire (sans connaître le contexte, bien entendu) ? Dire à la personne de changer de médecin au risque de lui faire douter encore plus de notre beau métier et l'inquiéter encore plus ? Lui demander le nom de mon confrère pour que je l'appelle ?
Je n'ai rien fait.
J'ai renoncé.
S'agit-il de l'esquisse de l'esquisse d'un processus de non-assistance à personne en danger ?
Mais.
Mais, et comme il ne s'agit pas d'un roman où les personnages ne peuvent lire le livre après qu'il est paru, je vais devoir renoncer à publier ce billet car la personne pourrait se reconnaître, je ne lui ai pas demandé l'autorisation de publier, et pourrait comprendre que son médecin est bon à changer et que son ex-médecin a violé le secret professionnel.
Enfin.
Enfin : Les recommandations médicales sont souvent discutables (conflits d'intérêts, compétence), et c'est un euphémisme, le fait de les suivre ce serait mieux que le contraire pour la santé publique.