samedi 30 avril 2016

Code de bonne conduite en médecine (générale).

Antoine Deltour

Raphaël Halet
Le procès LuxLeaks est en cours au Luxembourg.
On accuse les deux lanceurs d'alerte, Antoine Deltour et Raphaël Halet, de vol, violation du secret professionnel et du secret des affaires, accès ou maintien frauduleux dans un système informatique, blanchiment et divulgation de secrets d'affaires.
Cela m'a fait penser à la médecine.
Pas ces accusations.
La suite.
La société PricewaterhouseCooper (PwC), dont ils étaient les salariés, avait édicté un code de bonne conduite (ICI). 
Ce code est assez surréaliste mais il faut se rappeler quand même que les activités de PwC étaient, semble-t-il, conformes au droit luxembourgeois.
Nous n'entrerons donc pas dans des discussions philosophiques portant sur les questions de respecter ou non une loi injuste ou de pouvoir être juste dans le respect de l'injustice, nous ne soulèverons pas non plus le problème de la banalité du mal (Hannah Arendt) ou nous ne nous demanderons pas Comment peut-on être luxembourgeois ?, mais nous nous amuserons en lisant le code PwC qui ressemble à de la banale novlangue.
Nous n'entrerons pas non plus dans le débat classique entre éthique et morale.
Je rappelle la phrase extraordinaire de René Girard : "L'éthique se résume au choix cornélien entre le sacrifice de soi et le sacrifice de l'autre." Et je retiens pour ma part le fait que la morale est ce qui régit nos rapports avec l'autre et l'éthique ce qui régit nos rapports avec nous-mêmes."

Voici donc, en anglais, les bases de ce que demande PwC à ses collaborateurs au moment de prendre une décision (l'éthique est pour PwC ce que j'ai appelé la morale).

Recognise the event, decision or issue. Are you being asked to do something that you think might be wrong? Are you aware of potentially illegal or unethical conduct on the part of others at PwC or a client? Are you trying to make a decision and are you unsure about the ethical course of action?
Think before you act. Summarise and clarify your issue. Ask yourself, why the dilemma? Consider the options and consequences. Consider who may be affected. Consult others.
Decide on a course of action. Determine your responsibility. Review all relevant facts and information. Refer to applicable PwC policies or professional standards. Assess the risks and how you could reduce them. Contemplate the best course of action. Consult others. 

Test your decision. Review the “ethics questions to consider.” Apply PwC’s values to your decision. Make sure you have considered PwC policies, laws and professional standards. Consult others–enlist their opinion of your planned action.
Proceed with confidence. Communicate decision and rationale to stakeholders. Reflect upon what was learned. Share your success stories with others. 
.
Et en voici le résumé en français  des questions éthiques à considérer lorsque l'on agit et que l'on travaille pour PwC :
  1. Est-ce cela s'oppose à PwC ou aux bonnes pratiques professionnelles ?
  2. Est-ce que cela vous paraît juste ?
  3. Est-ce légal ?
  4. Est-ce que cela pourrait se retourner contre vous ou contre PwC ?
  5. Qui d'autre pourrait être affecté par cela (collègues, clients, vous, et cetera)?
  6. Seriez-vous gênés si d'autres savaient que vous faisiez cela ?
  7. Existe-t-il une autre façon de faire ne posant pas un conflit éthique ?
  8. Comment cela pourrait apparaître dans la presse ?
  9. Qu'est-ce qu'une personne raisonnable pourrait en penser ?
  10. Pouvez-vous dormir la nuit ?
Cela me fait penser furieusement à notre pratique médicale et aux questions que nous nous posons chaque jour (que nous devrions nous poser chaque jour) en consultation ou, plus précisément, chaque fois que nous nous trouvons en position "morale" avec des patients.

On voit que le code de bonne conduite de PwC est, dans le cas de cette société dont le rôle est l'optimisation fiscale dans le respect des lois luxembourgeoises, une vaste rigolade éthique mais comment ne pas se poser de questions sur la possibilité qu'au sein de ce système créé pour corrompre la fiscalité et fonctionnant en ce sens, il n'existe pas des personnes honnêtes, je ne parle pas des deux lanceurs d'alerte en procès, des personnes qui soient vraiment honnêtes et qui, pour autant, ne soient pas des lanceurs d'alerte ? Et ne pourrait-on pas penser que les deux lanceurs d'alerte, avant d'être vertueux, étaient forcément déjà malhonnêtes puisqu'ils travaillaient chez PwC ? Et ne peut-on envisager que certains ou la plupart des employés de PwC se sentent vertueux en travaillant dans cette entreprise car ils pensent que l'optimisation fiscale est une forme de résistance contre le méchant Etat, un mécanisme de survie pour les riches ou, plus prosaïquement, parce qu'il faut bien gagner sa vie ? Ne sommes-nous pas, les uns comme les autres, immergés dans un système ou ligotés dans un réseau qui fait de nous, quoi que nous fassions, avoir un compte bancaire, posséder un smartphone, utiliser internet, des complices ? 


Revenons à la médecine.
Je me rappelle un de mes amis me disant ceci : "C'est drôle, tous les médecins ou pharmaciens qui travaillent pour les agences gouvernementales (l'HAS par exemple) sont à leurs propres yeux des gens vertueux et pourtant les décisions qui sont prises dans ces agences sont souvent immorales et erronées."
Je rappelle cette phrase de Pierre Bourdien tirée de Les modes de domination (Actes de la recherche en sciences sociales, n° 2-3, juin 1976, p 125) qui me semble particulièrement appropriée : "les effets idéologiques les plus sûrs sont ceux qui, pour s'exercer, n'ont pas besoin de mots, mais du silence complice".
Je me pose tous les jours ce genre de questions.
Pas vous ?

Post scriptum du 10 mai 2016 : l'affaire Baupin permet à tous de faire des commentaires clivants et l'on découvre comme par hasard "la vraie nature de Bernadette" chez tous les preneurs de position. Appliquons le code PwC à Baupin (et on me fait remarquer à juste titre qu'il existe une présomption d'innocence et qu'il est possible, la théorie du complot ou la bassesse du monde, c'est selon, qu'il s'agisse d'un règlement de comptes à usage interne et que certains à EELV fassent payer à Emmanuelle Cosse son passage au gouvernement, il semble pourtant que les témoignages soient concordants) et on est sidérés des réponses que Baupin pourrait donner (s'il est coupable des faits allégués).
Nous avons donc lavé notre conscience mais.
Mais sommes-nous bien certains qu'autour de nous nous ne fermons pas les yeux et que nous ne nous taisons pas par simple convenance personnelle ? Pour ne pas avoir d'ennuis.
Je n'ai pas assez de preuves, disons que je ne les ai pas cherchées, je n'ai pas assez de témoignages (il faudrait que j'aille les chercher, c'est à dire qu'il faudrait convaincre les patients de porter plainte), pour que certains médecins de mon coin cessent leurs pratiques délétères. Quand cela éclatera, et à condition que cela éclate, vous pourrez me reprocher de ne pas avoir eu le courage, l'arrogance, l'anti confraternité d'agir et de dénoncer.

jeudi 14 avril 2016

Un coup de gueule inacceptable. Histoire de consultation 190.

Les deux Frida. 1939. Frida Kahlo (1907-1954)

Madame A, 92 ans, vit seule dans un pavillon biscornu où les transferts sont difficiles. Elle est fragile.
Son traitement de base est : levothyrox, ramipril, forlax. Plus quelques babioles dont des plantes pour dormir.

Elle est tombée l'autre soir.
Grosse chute.
Son alarme de poignet a fonctionné.
Elle a été emmenée aux urgences par sa fille (59 ans) qui habite à 10 minutes de chez elle en voiture. Elle est restée au service porte une douzaine d'heures puis elle est revenue à son domicile.

Je viens la voir deux jours après.
La situation n'est pas fameuse : la patiente ne va pas bien, elle a mal au moindre mouvement, ne peut plus, dit-elle, dormir dans son lit à cause des douleurs et s'installe la nuit dans un fauteuil au rez-de-chaussée.
Il y a un monstrueux hématome qui est en train de descendre, les lombes sont très douloureuses, les côtes très sensibles. J'apprends ensuite que des radiographies ont été faites et qu'il n'y avait pas de fracture.
Pas de troubles sensitivo-moteurs des membres inférieurs.
Elle est affaiblie.

"Docteur, faites quelque chose, je souffre tellement."
Le traitement des urgences : 4 g de doliprane et 2 comprimés d'ibuprofène 400.
J'ai noté quelque part dans son dossier qu'elle ne supporte pas les opiacés.
Je suis toujours circonspect en cas de douleurs lombaires très intenses chez les personnes âgées dont le rachis est fragile et j'ai eu le cas d'une fracture sans déplacement d'une vertèbre lombaire dont le diagnostic avait été fait au scanner après que le patient était devenu parétique.

"Je pense que vous pouvez rester seule chez vous.
- Je ne veux pas être placée."

En fin de visite et comme il était prévu la fille de la patiente arrive (ce qui rallonge bien entendu le temps de visite).
"Qu'est-ce que vous en pensez ?"

On reprend depuis le début.

Entre temps j'avais donc eu la fille au téléphone et lui avais conseillé de reprendre contact avec l'assistante sociale du centre de gérontologie qui était venue il y a deux ans pour déterminer le degré d'autonomie de la patiente. Ce qu'elle a fait.

Nous faisons l'inventaire des aides dont la patiente dispose, soit surtout une femme de ménage qui vient deux fois la semaine. Pas de portage de repas, elle se fait à manger toute seule.

J'essaie de convaincre la patiente de dormir dans son lit si on le descend dans une des pièces du rez-de-chaussée. Je prescris un lit médicalisé.

Le lendemain la situation s'est aggravée. Je repasse au domicile non sans avoir appelé une structure aiguë pour personnes âgées. Ils sont décidés à l'accueillir mais ils n'ont pas de place avant trois jours.

La fille est catastrophée. "Comment allons-nous faire ?"
Je la regarde et je lui dis : "Vous allez coucher ces trois nuits auprès de votre mère. - Je ne peux pas, mon mari, mon travail. Il faut trouver une garde de nuit. - Ce n'est pas possible en si peu de temps."
Je tente d'être calme : "Votre mari est valide ? - Oui. - Peut-il manger seul trois soirs de suite et dormir sans vous dans un grand lit ? - Oui, mais..."
Pas calme : "Donc, vous me cassez les couilles, vous n'avez qu'une mère après tout, vous allez dormir ici et vous verrez après pour les conséquences."
La fille est choquée par mon langage (et moi aussi) mais elle dormira trois nuits avec sa mère. En fait, deux, car une place s'est libérée plus tôt.
Mon coup de gueule était inacceptable mais cela m'a échappé.

Epilogue.

Madame A a passé huit jours en soins de suite où les choses se sont remarquablement passées contrairement à ce que je craignais : elle a dormi, elle a mangé, elle a repris des forces et... elle a râlé.
Elle est revenue chez elle, un lit médicalisé installé dans une chambre du rez-de-chaussée, une femme de ménage est passée trois fois par semaine, sa fille venait deux fois par jour, un service de portage de repas avait été institué, les enfants de la fille venaient voir leur grand-père (le mari, je l'ai vu une fois, il avait l'air charmant, attentionné... je lui ai demandé s'il avait survécu à deux nuits sans sa femme, il a rigolé, et il vient voir sa belle-mère régulièrement), et un médecin traitant qui surveille de loin et qui fait plus du social et de la réassurance que de la médecine.

Aujourd'hui, c'est à dire trois mois après, les douleurs ont presque disparu (les AINS ont été arrêtés depuis belle lurette et la créatinine a tenu le coup), la femme de ménage ne passe plus que deux fois par semaine, et Madame A est un peu plus constipée que d'habitude.

Quant à la fille de la patiente, malgré mon coup de gueule, elle semble bien aller et j'aimerais être petite souris quand elle parle de moi et de mon langage de charretier.


mardi 5 avril 2016

Penser à Manuela Wyler et ne pas courir pour elle.


Au moment où j'écris ces lignes une certaine Sophie Moreau dit avoir retiré sa plainte contre Manuela Wyler qui demandait des comptes sur l'association dirigée par la dite Sophie Moreau, Courir pour elles, toutes solidaires.
D'autres informations disent qu'elle ne l'a pas encore fait.

Tout a commencé par un billet de blog de Manuela Wyler, Les courses roses encore !, dans laquelle la blogueuse dénonçait l'opacité des comptes de l'association pink. Voir LA. Et demandait des explications.

Voici le billet de blog de Manuela Wyler à la suite de la plainte de Sophie Moreau : ICI.

Nous savions déjà grâce à Rachel Campergue ce qu'était le business rose, elle qui avait démonté ce qui se passait aux USA dans No mammo !, ouvrage de référence s'il en est : ICI.

Mais, parce que Manuela Wyler a d'autres chats à fouetter et que le côté dégueulasse de la plainte saute aux yeux de tout le monde, j'ai mené une brève enquête sur le côté "scientifique" de l'affaire.

Diminuer le nombre de victimes des cancers féminins en promouvant la prévention par l’activité physique, c'est le slogan de l'association Courir pour elles, toutes solidaires : voir ICI.

J'ai pensé immédiatement que ce slogan était plus mensonger que n'importe quel slogan publicitaire pour une lessive, pour des céréales au petit déjeuner ou pour l'éducation à la santé qui serait patronnée par McDo ou Coca Cola.

J'ai donc cherché des références bibliographiques qui auraient pu étayer de pareil propos. Dans Modes et Travaux, dans Le Chasseur français, dans Closer. Rien de bien convaincant.


Eh bien non : c'est l'Institut national du Cancer (LA) qui publie de pareilles balivernes et c'est grâce aux liens fournis par le site de Sophie Moreau. Vous savez, cet organisme qui ne sait pas ce qu'est le sur diagnostic dans le processus de dépistage du cancer du sein... Et qui donc édite des recommandations sur les dépistages des cancers sans parler de ses risques...

L'association rose justifie donc son action en se fondant sur des documents officiels émanant de l'INCa, c'est plus prudent.

Je vais faire un tour sur la référence citée par le site rose : un ramassis d'assertions présenté comme de la science... Voir LA.

"L'activité physique est associée à une diminution du risque de plusieurs cancers, avec un niveau de preuve « convaincant » pour le risque de cancer du côlon et un niveau de preuve « probable » pour les risques de cancer du sein, de cancer de l’endomètre et de cancer du poumon."

Pour le cancer du colon, la référence 9 de l'INCa prise au hasard est ICI et en voici la conclusion :
"The effect of physical activity on the risk of breast cancer is stronger in specific population subgroups and for certain parameters of activity that need to be further explored in future intervention trials."

On ignorait par ailleurs que le cancer du colon fût un cancer féminin...

Pour le cancer du sein, voici ce qu'écrit l'INCa :
"Les études de cohortes récemment publiées sont en faveur
d’un effet protecteur de l’activité physique chez les femmes
en postménopause, quel que soit le type d’activité physique
considéré [7]. La diminution du risque de cancer du sein chez
ces femmes a été estimée à 3 % pour une augmentation de
l’activité physique de loisirs de 7 MET-heure/semaine selon
une méta-analyse dose-réponse réalisée sur les études de
cohorte. Cet effet protecteur n’a pas été observé chez les
femmes en préménopause [2]."

On est bouleversés par l'efficacité de l'activité physique !

Je peux écrire ceci : le document de l'INCa est de la daube en boîte.

On peut éventuellement faire bénéficier Sophie Moreau du doute : elle ne sait pas lire la prose endormante de l'INCa, agence officielle de la République Française, et, de bonne foi, organise des courses pour que les femmes qui y participent aient moins de cancers. Mais j'en doute.

Pour le reste :

On ne peut reprocher à Courir pour elles, toutes solidaires de ne pas fonder son action sur des recommandations "officielles" mais malheureusement ces recommandations n'ont aucun fondement scientifique.

Sophie Moreau menace un blog de fermeture et profère des menaces à l'égard d'une femme atteinte d'un cancer, sans doute une femme comme les autres, à ceci près qu'il lui serait assez difficile de courir en ce moment

Sophie Moreau finit par publier ses comptes et on se rend compte que cela profite peu aux femmes atteintes de cancer. ICI

D'autres que moi, Manuela Wyler et d'autres, ont analysé le peu de retour vers les cancéreuses que l'association prodigue.


Et ainsi, pour 100 euro de recettes, l'association de Sophie Moreau reversera au mieux 48,30 euro aux associations de lutte contre le cancer (selon @improbabologue).

Sophie Moreau a aussi des partenaires, voir LA, et Manuela Wyler a souligné aussi en son blog que les alcooliers avaient droit à un stand, sans doute pour prévenir le cancer des femmes.

Sophie Moreau écrit également :

"Je me suis peut-être emportée mais je n’ai pas accepté qu’on critique MES bénévoles et tout le travail fourni au quotidien volontairement. […] LE MARKETING ROSE M'ÉCOEURE TOUT AUTANT QUE MADAME WYLER " Sophie Moreau : dame patronnesse du 21ème Siècle..."

Ses gens bénévolent pour elles...

Elle écrit aussi cela en son site :

"Tant que les chiffres du nombre de victimes du cancer ne baissera pas, nous resterons en action, motivés, engagés à nous battre POUR ELLES et contre le cancer… "

Elle ne doute de rien...

N'allez pas courir avec cette association, courez tout et toutes seules ou en bonne compagnie et pensez avec Manuela Wyler aux vrais combats des femmes cancéreuses.

PS : nous avons appris par Manuela Wyler que la plainte avait été enfin retirée fin avril.