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dimanche 30 octobre 2016

Quand le journal "Le Monde" dit la cancérologie. CMT répond.

La première Une du "Monde"le 19 décembre 1944


Un article récent du journal Le Monde attirait le chaland avec un titre plutôt sensationnel : (ICI).



Cancer : « Le Monde » révèle des hausses inquiétantes pour certaines tranches d’âge


Lisez d'abord l'article et ensuite le commentaire de CMT, alias docteur Claudina Michal-Teitelbaum.

Chers journalistes
L’outil que vous avez élaboré est plaisant mais votre article passe malheureusement totalement à côté d’un certain nombre de questions majeures concernant l’évolution de l’incidence des cancers. Un outil n’est pas grand-chose sans un minimum de connaissances et réflexion.
Ainsi vous n’évoquez même pas le surdiagnostic concernant le cancer du sein, bien que vous le fassiez pour les cancers de la thyroïde et de la prostate.
Le surdiagnostic est lié au dépistage. Les estimations concernant le surdiagnostic pour le cancer du sein varient de 10 à 80%. 80% pour la dernière en date, qui se fonde sur une étude de l’évolution du taux  et de la taille des cancers au cours du temps aux USA et qui montre que bien que l’incidence des petits cancers inférieurs à 2cm ait augmenté de 162 pour 100 000, elle n’a été suivie que par une baisse de l’incidence des cancers du sein> 2 cm de 30 pour 100 00. Les auteurs  estiment donc que la différence pourrait être due au surdiagnostic http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1600249 . Cela veut dire que si l’incidence réelle des cancers est restée constante, environ 80% des femmes dépistées diagnostiquées avec un cancer du sein auraient été surdiagnsotiquées.
 Le surdiagnostic des cancers étant défini comme des cancers correctement diagnostiqués par l’histologie, mais qui n’auraient pas présenté de manifestations cliniques au cours de la vie de la patiente et qui ne lui auraient pas provoqué de gêne s’ils n’avaient pas été activement recherchéshttp://www.formindep.org/IMG/pdf/surdiagAnnaba_mai_2011_2pp.pdf . Certains incluent dans le surdiagnostic les faux positif. Et cela semble justifié dès lors que même l’histologie n’est pas fiable à 100% et pose donc la question des cancers qui n’en sont pas et sont traités à tort.
Cette question du surdiagnostic dû au dépistage systématique, avait été mise en lumière par des médecins généralistes depuis le milieu des années 2000, notamment par D Dupagne http://www.dailymotion.com/video/x6vxfp_le-depistage-du-cancer-de-la-prosta_lifestyle, Jean-Claude Grange, http://docteurdu16.blogspot.fr/2009/06/cancer-de-la-prostate-ne-pas-depister.html. Mais on les avait pris pour des loufoques jusqu’à ce qu’en 2012, l’USPTS américaine  et la HAS en France déconseillent le dépistage par dosage du PSA dans tous les groupes d’âge en raison de son inefficacité et de ses risques : https://www.uspreventiveservicestaskforce.org/Page/Document/RecommendationStatementFinal/prostate-cancer-screening .
Encore maintenant on peut penser que  beaucoup de médecins et patients évaluent très mal les apports, les tenants et aboutissants du dépistage. Par exemple une majorité de médecins comme de patientes pensent qu’une mammographie positive signifie des fortes chances pour une femme d’être diagnostiquée comme porteuse d’un cancer après biopsie. Or, ces chances ne sont que d’environ 7% après une mammographie positive http://opac.invs.sante.fr/doc_num.php?explnum_id=8157 . Ces chances sont appelées la valeur prédictive positive de la mammographie et dépendent de deux facteurs : les performances du test, sensibilité(capacité à diagnostiques correctement des malades) et spécificité (capacité à diagnostiques correctement des non malades) du test et la rareté de la maladie dépistée.
Pour une maladie rare comme le cancer du sein, on peut prendre des chiffres fictifs approchants. Si la mammographie a une spécificité de 98% et une sensibilité de 90%, et que la prévalence du cancer du sein est 100 pour 100 000 dans la population dépistée, cela signifie que 2% des 100 000 auront des résultats faussement positifs soit 2000 femmes. Tandis que 90 des 100 cancers seront dépistés à juste titre. Les chances d’avoir un cancer après mammographie seront donc de 90 sur 2000+90, soit de l’ordre de 4%.
Un autre problème lié au dépistage est qu’il permet de détecter des petits cancers. C’est son objectif et c’est le credo du dépistage qui postule que plus les cancers sont détectés tôt mieux c’est.
Mais des études ont montré que pour des cancers petits et localisés, les cancers canalaires in situ,  le fait de traiter ou non affecte peu la survie spécifique à 20 ans. En moyenne, aux USA le risque de mortalité sur 20 ans après le diagnostic par cancer du sein pour les femmes NON traitées pour un cancer canalaire in situ est de 3,3% http://www.bmj.com/content/351/bmj.h4555?etoc . Ces très petits cancers représentaient 3% des cancers avant la mise en place du dépistage, mais 20 à 25% après. A tel point que certains se demandent si appeler cela un « cancer » avec toute la charge émotionnelle et l’appréhension que cela induit, est appropriéhttp://jamanetwork.com/journals/jamaoncology/article-abstract/2427488 .
L’autre point que votre article ne met pas du tout en évidence est le poids écrasant du dépistage dans l’augmentation d’incidence des cancers.
En effet, si on utilise le taux standardisé monde, comme vous le faites, on peut alors traduire cela comme le risque moyen d’avoir un diagnostic de cancer chaque année (incidence) pour la population observée et indépendamment de la structure en âge de cette population.
Or on s’aperçoit qu’entre 1980 et 2005, années où l’on peut situer le pic des diagnostics de cancer ( 2005, que je choisis car bizarrement il n’y a plus s’estimation pour le cancer de la prostate après 2009 par l’INVS), le risque d’avoir un diagnostic de cancer chez la femme (le taux standardisé monde), tous cancers confondus est passé de 176,4 en 1980 donc à 248,8 pour 100 000 en 2005. Soit une augmentation du risque de 72,4 pour  100 000. Sur la même période le risque annuel d’avoir un diagnostic de cancer du sein, cancer LE PLUS FREQUENT DE LA FEMME, est passé de 56,3 à 98,8 pour 100 000. Soit une augmentation de 42,5 pour 100 00. On peut en conclure que le cancer du sein a contribué pour 42,5 / 72,4 soit 59% à l’augmentation du risque de cancer chez la femme pendant cette période. C’est énorme.
Pour la femme le cancer du poumon, associé au tabagisme, et le cancer de la thyroïde, associé au surdépistage expliquent 18,8 pour 100 000 des 29,9 pour 100 000 d’augmentation non associés  au cancer du sein. Au total, pour la femme, le surdépistage et le tabagisme expliqueraient environ 85% de l’augmentation observée entre 1980 et 2005.
Pour l’homme c’est encore plus simple, car si le risque total annuel de diagnostic de cancer était de 283,5 en 1980 et est augmenté à 396,1 en 2005, soit une augmentation de 112,6 le risque de diagnostic de cancer de la prostate, LE PLUS FREQUENT CHEZ L’HOMME, est passé de 24,8 pour 100 000 en 2001 à 127,1 pour 100 000 en 2005, soit un risque multiplié par 5, augmentation  de 102,3 totalement attribuable au dépistage par dosage du PSA . Dans ce cas le dépistage du cancer de la prostate par PSA a contribué pour 102,3 /112,6 soit pour 91% à l’augmentation du risque de diagnostic annuel de cancer. Cela fait beaucoup.
Quant à l’augmentation du risque de cancer chez les jeunes femmes une explication vraisemblable est le dépistage individuel des jeunes femmes, peu quantifié en France . On sait nénamoins qu’il représente environ un quart des femmes dépistées dont une majorité n’ont aucun facteur de risque (HAS, 2011). Les femmes ont recours au dépistage individuel sur incitation des médecins, en particulier les jeunes femmes en région parisienne http://opac.invs.sante.fr/doc_num.php?explnum_id=1614 .Or, chez les jeunes femmes, le risque de faux positifs et d’erreur diangostique à la mammographie et à  la biopsie est augmenté http://jama.jamanetwork.com/article.aspx?articleid=2203798.
Il est à noter que la diminution du risque de mortalité des cancers du sein et de la prostate a été MOINS RAPIDE que la diminution moyenne de mortalité pour les cancer, diminution d’ un taux annuel pour le cancer du sein de 0,6 et de 1,3 pour le cancer de la prostate contre une diminution de 1 pour la femme tous cancers confondus et 1,5 pour les hommes.
UNE CONCLUSION S’IMPOSE AU VU DE CES CHIFFRES, ET C’EST QUE L’AUGMENTATION DU RISQUE GLOBAL DE CANCER EST LARGEMENT UN ARTEFACT GENERE PAR LA TECHNIQUE, LE SURDEPISTAGE QUI, A SON TOUR, INDUIT UN SURTRAITEMENT MASSIF. D’où sans doute les conclusions du rapport du comité d’orientation en octobre 2016 recommandant, parmi deux scénarii, l’arrêt du dépistage du cancer du sein, http://www.concertation-depistage.fr/wp-content/uploads/2016/10/depistage-cancer-sein-rapport-concertation-sept-2016.pdf , rapport qui est une petite merveille et dont on espère qu’il ne sera pas jeté aux oubliettes comme les recommandations concernant le déremboursement des médicaments de la maladie d’Alzheimer.




jeudi 7 mai 2015

Un malade d'Alzheimer sur deux n'est pas diagnostiqué. Article écrit par un robot dans le journal Le Monde.


Alzheimer : des révélations fracassantes !

Voir ICI pour l'article.

Le titre : Un malade Alzheimer sur deux ne serait pas diagnostiqué en France.
La signature : inconnue. Ou plutôt : Le Monde.fr avec AFP. Un robot journaliste, sans doute.
La source : Une étude publiée par Cap Retraite. Le robot aurait pu nous donner le lien pour l'article, non ? Le VOICI. Le rapport est beau comme une brochure publicitaire. Il n'est pas signé (c'est la Revue Prescrire qui fait des émules), les couleurs sont belles, la bibliographie ronflante. Est-ce la même agence qui a réalisé le document vantant l'intérêt de Sophia, le machin, disease management de la CPAM ? 
Le financeur : je donne le lien sur Cap Retraite pour le robot qui a écrit l'article : LA.
Cap Retraite est un service gratuit et il n'est pas clair à première vue et sur son site de savoir qui le finance. Le robot recherche sur google (pas très loin) : le robot trouve LA des éléments indiquant que Cap Retraite a fait l'objet d'une enquête de la revue 60 millions de consommateurs : voir ICI, LA et LA. C'est pas clair, clair, clair.
Bon, vous voulez un dessin ? 

Ensuite, en lisant l'article (qui reprend sans le savoir, à moins que le robot n'ait été programmé ou qu'il ne s'agisse que du recopiage pur et simple du communiqué de presse officieux de Cap Retraite, on se rend compte que :
  1. Il y a 500 000 personnes qui souffrent d'Alzheimer et, d'après l'INSERM, un million en souffrirait... Sous-diagnostic.
  2. Le nombre de ces malades risque de doubler et d'atteindre les 2 millions en 2014. Apeurer les populations.
  3. Dans les départements les mieux lotis 30 % des malades seraient effectivement pris en charge et, ailleurs, 15 % On sent le scandale pointer.
  4. Et là, on sort l'arme magique : le médecin généraliste ! Arme bien entendu à double tranchant : on a besoin de lui, il ne fait pas encore son boulot, il va le faire et s'il ne le fait pas, c'est que c'est un khon. MG bashing.
  5. La phrase choc sur la prise en charge précoce. On cite un gériatre cité dans l'étude qui fait partie de Cap Retraite. "Une prise en charge précoce permettra au sujet de rester plus longtemps à son domicile, lieu par excellence à favoriser, car porteur de l’histoire et de la mémoire" Hugues Bensaïd est expert Cap Retraite : LA.
  6. Rengaine : les MG ne font pas leur boulot. En effet, "20 % des malades estimés résidant à domicile sont pris en charge par les ESA, es accueils de jour spécialisés et l'hébergement temporaire, les 80 % restants n'ayant pas encore été suivis, faute de diagnostic". Comme en d'autres domaines "on" demande aux MG, ce "on" signifiant les experts, les spécialistes, les gériââââtres, les marchands de réseaux, les marchands de médicaments, les marchands de structure, les promoteurs immobiliers, les mutuelles, les assureurs, qu'ils se transforment en rabatteurs pour le plus grand bien de la santé publique. un citoyen qui oublie l'endroit où il a posé ses clefs, une citoyenne qui ne se rappelle plus ce qu'elle a vu à la télé la veille, est un Alzheimer en puissance, un ou une citoyenne que le MG, brave gars un peu niais (la MG, brave  fille un peu niaise), doit ficher immédiatement pour l'adresser dans un centre mémoire où, n'en doutons pas, le diagnostic d'Alzheimer sera porté, les anti Alzheimer prescrits, et cetera.
  7. L'article continue, il avait des trucs à vendre : Il faut créer 20 fois plus de places en ESAD et multiplier par 10 le nombre de places d'accueil de jour, et, dans les Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes). Le robot serait-il passé par les ARS ?
  8. Mais, on l'aura remarqué, l'article ne dit pas un mot sur les médicaments dits anti Alzheimer, on n'oserait plus ?
Cet article, ni écrit ni à écrire est un concentré de disease mongering (fabrication des maladies, stratégie de Knock, voir ICI pour les précisions), une manoeuvre de plus pour alzheimeriser la société, je me permets de vous rappeler ce que j'écrivais LA sur ce sujet, la doxa des experts de l'Alzheimer : dépister le plus tôt possible une maladie incurable pour pouvoir prescrire aussi tôt que possible des anti Alzheimer (voir ICI pour ce qu'il faut penser de leur efficacité et de leurs effets indésirables), annoncer coûte que coûte le diagnostic au malade (je vous demande de lire ce que le docteur Leforestier dit, c'est effrayant, je cite : "Il n’y a plus d’indicible en médecine. La nomination d’un constat clinique doit se faire. Le faire de façon simple, humble, et cette ouverture donne un sens au suivi médical. Le fait de ne pas vouloir un diagnostic est un Droit des malades... mais le déni est très rare... on commence par dire le diagnostic et on analyse le déni..."), accompagner, aider les aidants..., une façon de promouvoir des marchands d'illusions et des associations louches.

Fin de l'article.

Maintenant, et cela dit, qu'est-ce qu'on fait ?

Gertrude Weaver, 116 ans, doyenne de l'humanité pendant 5 jours


Le médecin généraliste (je commence le blablabla) est effectivement au centre de la prise en charge des personnes âgées.
Petit détour : et si les malades Alzheimer (sic) n'étaient que le symptôme plus général d'un problème sociétal éternel (la peur de la maladie et de la mort) et circonstancié (le vieillissement de nos sociétés et le nombre accru de personnes atteignant le stade de dépendance et le grand âge) et d'un problème anthropologique (la gestion des anciens par les familles).
L'anticipation est le maître mot de la médecine longitudinale. Parler de l'avenir avec ses patients est une façon de les informer et de les sonder sur leurs intentions, leurs possibilités et sur les moyens dont ils pourraient disposer quand ils commenceront à perdre leur indépendance.
Il n'est pas de semaine où je ne reçois un ou une patiente qui pense avoir un Alzheimer car elle a des trous de mémoire, il n'est pas de semaine où je ne reçois un ou une patiente qui me dit que la prochaine fois que je verrai son conjoint, sa conjointe, interrogez le (la) sur ses trous de mémoire, ça devient pénible.
Je commence par interroger, je commence par prendre le pouls (au sens figuré) de la situation médicale, familiale, sociale, avant (1) d'administrer un test de mémoire, (2) d'adresser.
Quand j'ai l'impression que c'est rassurant je fais passer un test MMS (mini mental state), téléchargeable pendant la consultation pour la consultation suivante, qui, le plus souvent, dans ces cas bien entendu, est rassurant : rassurant par ses résultats, rassurant parce que le patient, la patiente, est étonné (e) de la simplicité et de l'évidence des questions. Il est donc nécessaire de rassurer, de comprendre ce qu'il est possible de changer dans la vie du patient pour qu'il aille mieux.
Les personnes vieillissantes ont peur d'être malades, de souffrir, de devoir dépendre de quelqu'un, elles sont anxieuses, elles dorment mal, et cette anxiété, cette trouille, cette angoisse, intergissent avec leurs performances mentales, avec leur mémoire, et pas seulement en raison des anxiolytiques et des hypnotiques trop souvent prescrits. Il ne faut pas confondre les causes et les conséquences (à moins que cela ne soit l'inverse).
Et les familles des personnes vieillissantes, attention, j'enfonce des portes ouvertes, sont elles-aussi anxieuses que les personnes vieillissantes qu'elles aiment souffrent, perdent la mémoire et... meurent. Comme dirait l'autre : cela les renvoie à leur propre vieillissement...
Une anecdote : une patiente sous neuroleptiques et anxiolytiques est vue lors d'un passage à l'hôpital (problèmes digestifs) par la consultation mémoire qui conclut à un Alzheimer... Les troubles de la mémoire et la désorientation ne devaient pas faire partie des effets indésirables notés des neuroleptiques et des anxiolytiques (la malade a retrouvé ses esprits et n'a plus d'Alzheimer).
Quand le malade, la malade, a vraiment un Alzheimer ou apparenté. Il faut d'abord travailler avec la famille, quand c'est possible. Il est rare que les familles soient absentes ou qu'elles ne soient pas capables de gérer avec l'aide des services sociaux (assistantes sociales, centre de gérontologie) les problèmes d'APA et la recherche de structures. Le maintien à domicile est souvent plus compliqué à organiser et coûte cher.
Mais le rôle du MG, en général, à condition qu'il s'agisse d'une famille qu'il connaît, est surtout un rôle d'accompagnement des familles. Pas un rôle médical, sinon gérer le quotidien. Soutenir le mari ou la femme non malade. Voir les enfants, leur parler. Savoir que cela risque d'être un bouleversement considérable dans l'équilibre familial. Etablir, avec les services compétents, un projet de vie.

Heureusement, nous sommes partis loin de l'article robotisé.
Mais les problèmes liés au vieillissement...  Cela ne vous donne pas envie d'être anxieux ?