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samedi 1 juin 2019

Orwell est partout, Huxley est nulle part.





1984 est le roman à la mode.

Tout le monde cite Orwell dont le roman est paru en 1947.

Il suffit de regarder autour de soi pour constater que les mensonges d'Etat font flores, que les mensonges journalistiques sont légion, que les mensonges politiques s'accumulent.

La novlangue montrée du doigt par Orwell est dénoncée par tous. Et ce qui rend la novlangue, novlangue d'elle-même, c'est que tout le monde, en parcourant le spectre des idées depuis l'extrême-droite jusqu'à l'extrême-gauche, la dénonce chez les autres.

La novlangue, c'est les autres.

1984 est cité par tous comme une prophétie politique. Une prophétie politique en train de se réaliser.

Les pourfendeurs de la novlangue oublient qui était Orwell, ses idées, ses combats, ses adversaires. L'extrême-droite, la droite, la gauche, l'extrême-gauche s'en remettent à lui en omettant de dire que face à lui ils seraient balayés.

Il est vrai que la société de surveillance imaginée par Orwell est à l'oeuvre un peu partout dans ce monde globalisé où de l'est à l'ouest, du nord au sud, l'horizon est dégagé pour le capitalisme néo-libéral triomphant qui est devenu la civilisation-monde.

Big brother is watching you.

Nul doute que Georges Orwell, s'il publiait son livre aujourd'hui, serait traité de complotiste.

Le capitalisme néo-libéral est désormais considéré comme le régime naturel qui doit régner sur la planète.

"Il est plus facile d'imaginer la fin du monde que d'imaginer la fin du capitalisme" a dit Slavoj Zizek.

Et dans ces Jeux olympiques du capitalisme néo-libéral, le modèle le plus orwellien, c'est la Chine.

La Chine  a réussi en peu de temps à allier le totalitarisme stalino-communiste au néolibéralisme le plus débridé : Big brother, la novlangue, le parti unique et le règne du profit.

On a en revanche bien oublié Le meilleur des mondes (The brave new world) qui est paru en 1932.

Aldous Huxley est peu mis en avant mais il a pourtant proposé une prophétie biologique qui est presque déjà réalisée.

Les trois grandes idées de Huxley dans son roman sont : l'administration à tous d'un remède unique pour être heureux, le fameux soma ; la fin de la reproduction sexuée (et de la viviparité) ; un système de classes/castes sociales fondé sur la génétique.

Il y a bien d'autres choses dans ce roman où la réflexion philosophique est plus forte que la qualité narrative.

Dans ce monde complètement unifié il existe un gouvernement mondial (le rêve actuel des experts climatologues de l'anthropocène), l'enseignement est assuré aux enfants pendant leur sommeil, les sexes sont égaux, la sexualité est libre, la consommation est le but principal de la vie, les bébés sont produits à la chaîne selon les principes du fordisme, et cetera..

Les analogies de cette prophétie avec la médecine d'aujourd'hui sont légion : on promet à tous un monde sans douleurs, un monde sans cancers, on fait miroiter le trans humanisme (une existence augmentée) et tout cela est rendu possible en consommant du soin, en dépistant, en prévenant, en traitant, en chronicisant, et cetera. Avec le totalitarisme orwellien en prime : le partage des data.

Le roman d'Huxley a été rattrapé par la réalité : le néolibéralisme a mis à son agenda la lutte contre l'entropie (la néguentropie), un programme effarant que l'on retrouve dans un rapport de l'OCDE publié en 2009, La Bioéconomie à l'horizon 2030. Quel programme d'action ?, qui propose, pour échapper au deuxième principe de la thermodynamique, d'utiliser le corps humain ou plutôt les êtres vivants comme énergie renouvelable (voir ICI) !

Ainsi, Huxley a-t-il été plus prophétique que Orwell.

Norbert Bensaïd, cité par Jean Daniel dans Les miens (2009) disait ceci : "Le totalitarisme n'aura pas créé un homme nouveau. Le biologisme, oui... Les peuples sont prêts, comme l'avait annoncé le Grand Inquisiteur de Dostoïevski, à échanger leur liberté contre une promesse de bonheur et de sécurité."




lundi 1 août 2016

La biographie de Simon Leys par Philippe Paquet. Un sommet d'intelligence.


Qu'on me pardonne de dire le mal que je trouve dans le monde. Je souhaite qu'il change assez pour qu'on en dise du bien. Prince de Ligne. 
Cette biographie réconcilie avec les biographes (1, 2).

Philippe Paquet


Vous n'y apprendrez certes pas dans quelle position il a conçu ses quatre enfants ni comment il a flirté avec une secrétaire de l'université à Taïwan ou pourquoi ses relations avec sa mère/son père ont influencé ses avis sur La Grande révolution culturelle.

Cette biographie appartient au genre informatif, intellectuel, raisonné, documenté, transversal, élististe (le chapitre sur la peinture chinoise -mais c'était le boulot de Leys- est un peu long à mon goût). Certains, dont moi, pourront penser que Philippe Paquet a versé parfois dans l'hagiographie, mais ici le défaut est mineur, superficiel, écrire la biographie de quelqu'un c'est quand même soit l'apprécier, soit le haïr, soit avoir des factures à régler, et l'on oublie vite ce léger travers en raison de la qualité extraordinaire de ce que l'on apprend sur Leys et sur le reste.

Les biographies sont parfois aussi pour le lecteur moyen une façon inélégante de pouvoir parler du biographé en seconde main, c'est à dire citer Leys sans l'avoir lu, connaître le catalogue de ses oeuvres sans les avoir parcourues, et pouvoir dire ce qu'il y a de convenu sur le sujet, pour faire le malin en société (3) et  s'éviter ainsi de se faire une idée par soi-même. Mais Philippe Paquet, malgré le nombre important de citations qui rendent compte du style de Leys, au lieu de nous décourager de lire le reste, nous donne au contraire envie d'y aller faire un tour, de lire et surtout de relire, ce que Leys a écrit. Relire un bon auteur est l'exercice intellectuel le plus excitant qui soit. Il nous renvoie à notre propre incompétence : celle de ne pas avoir tout saisi la première fois, soit même de ne pas avoir compris le premier, le deuxième ou le troisième degré dès la première lecture, mais surtout celle d'avoir affaire à un auteur qui a sué sang et eau pour vous livrer une oeuvre qu'une simple première lecture n'a pu permettre d'apprécier. Les oeuvres d'art ont besoin d'être revues, je parle des grandes, plusieurs fois, non seulement en raison de leur mystère et de leur complexité intrinsèque, mais aussi parce qu'à différents moments de notre vie, elles peuvent exister différemment, non parce qu'elles auraient changé mais parce que nous avons changé et parce que nous y puisons des impressions différentes.



Leys a beaucoup écrit. Sur tout et sur rien. Et bien entendu on ne peut être d'accord sur tout (ni même sur rien). A la fin de sa vie on peut dire sans nul doute que c'était un conservateur. Je ne vous ferai pas l'injure de réciter la différence entre conservateur et réactionnaire. Un homme qui a tant aimé Orwell et qui a écrit des pages si magnifiques à son sujet ne peut pas être un mauvais bougre... Son insatiable curiosité pour les livres en a fait un grand lecteur et un grand critique littéraire d'une férocité parfois mordante et surprenante. Quand il y avait un cuistre, il ne le ratait pas (4). Il a beaucoup commenté (en mal) les critiques littéraires et le monde académique qui écrivait sur la littérature. Lui-même, disait-il, n'avait qu'une ambition, "stimuler l'amour de la littérature et faire lire de beaux et bons livres". Il a publié un livre s'appelant Les idées des autres, idiosyncratiquement compilées pour les lecteurs oisifs, pour dire ce qu'il avait appris des autres et comment il le leur rendait. Leys a cité un grand critique allemand de l'après-guerre, Marcel Reich-Ranicki qui disait : "la plupart des écrivains ne comprennent pas plus la littérature qu'un oiseau ne comprend l'ornithologie".

Georges Orwell


Il a donc écrit sur un nombre incroyable de sujets qui vont de la traduction (il est peu d'accord avec Kundera sur la liberté accordée au traducteur, se rapprochant de Borgès qui n'aimait rien moins que les traductions infidèles, mais il a surtout écrit ceci : "La traduction ne met pas seulement à contribution toutes les ressources de l'écriture... on ne possède vraiment un texte que si on le traduit.") au moi des écrivains (comment des personnages aussi vils que Céline ou Rebatet ont pu écrire des chefs-d'oeuvre), en passant par la belgitude (une étude inoubliable sur le déclin de Michaux dû à sa francisation), le provincialisme français (se croire universel, ne pas apprendre les langues étrangères), la poésie qu'il mettait au dessus de tout, l'université (et là, c'est tellement drôle et cela s'applique si naturellement à la Faculté de médecine (5)), mais surtout par Georges Orwell (il vous paraîtra désormais aussi incongru d'entendre un communiste ex stalinien ou un néo communiste ignorant s'en réclamer que Sarkozy citant Jaurès), Nabokov, Simone Weil (il traduisit en anglais Note sur la disparition générale des partis politiques, encore un clin d'oeil à Orwell) ou la Chine



La Chine a été le morceau de choix de Leys.



Son coup d'éclat (et surtout son courage extrême) de 1971 avec la parution  des "Habits neufs du président Mao" ne peut faire oublier qu'il était déjà un sinologue reconnu qui aimait la Chine et pas seulement la Chine éternelle. Un des grands défauts de Leys, qui s'appelait encore Pierre Ryckmans, fut qu'il parlait parfaitement le mandarin, ce qui, pour un sinologue européen est une tare rédhibitoire. Il avait appris le mandarin, s'était marié à une Chinoise de Formose, et, au cours des années il traduisit les plus grands auteurs chinois (en français puis en anglais), il devint un des plus grands experts de la peinture chinoise. Il fut aussi calligraphe, une part importante de la culture chinoise.
En 1971, et pour publier son livre il dut changer de nom, de Pierre Ryckmans il devint Simon Leys, son livre fut un coup de tonnerre dans un ciel serein et idolâtre. Dénonçant les crimes de la révolution culturelle, il fut assailli par les maolâtres de tous les pays, Paris fut pourtant la capitale mondiale du délire pro Mao et les intellectuels furent les champions du monde (nous ne citerons personne par courtoisie), mais aussi par tous les universitaires français, américains, australiens, et cetera, détenteurs de chaires de sinologie. Simon Leys résista à ce torrent de boue, Flaubert parlait d'une "marée de merde", et il les tailla en pièce, d'une part en écrivant, d'autre part en argumentant, et les faits, l'évolution de la Chine vint définitivement à sa rescousse. Le point d'orgue fut l'émission de Bernard Pivot, "Apostrophes", en mai 1983, durant laquelle il "démonta" Maria-Antonietta Macciochi qui ne vendit plus jamais un livre sur la Chine (voir LA l'archive INA). Mais, malgré l'évidence des faits, les sinologues distingués et académiques (je ne parle même pas des intellectuels qui s'étaient entichés de la Chine pour des raisons qu'ils minimisèrent ensuite et qui, de toute façon, ne pouvaient qu'obscurcir l'ensemble de leur oeuvre) continuèrent de discourir sur la révolution culturelle (après que Leys eut fait paraître Ombres chinoises en 1974 et Images brisées en 1976) et trouvèrent toujours des raisons pour ignorer les 50 millions de morts de cette désatreuse imposture (6) et de tenter d'entraver la carrière de Leys.



A propos de son "amie" italienne, voici ce qu'il lui dit, entre autres, à "Apostrophes".

Je pense que les idiots disent des idioties. C'est comme les pommiers produisent des pommes. C'est dans la nature, c'est normal. Le problème c'est qu'il y ait des lecteurs pour les prendre au sérieux... L'ouvrage de madame Macciocchi, De la Chine, ce qu'on peut en dire de plus charitable, c'est que c'est d'une stupidité totale, parce que si on ne l'accusait pas d'être stupide, il faudrait dire que c'est une escroquerie.

La mer fut un autre morceau de choix pour Simon Leys.
Il réussit à écrire un livre, Les naufragers du Batavia, qui allie son intérêt pour la mer et pour le totalitarisme en tentant de décrire comment un homme non prédestiné à cela, avait mené une entreprise totalitaire et criminelle sur une petite communauté de naufragés. Il a surtout écrit une monumentale histoire de La mer dans la littérature française : de François Rabelais à Pierre Loti.

La lecture de cette biographie ne peut que rendre humble tant Leys a été brillant en tous domaines et ne peut qu'engager les lecteurs à lire encore plus, à prendre des notes, à parler avec des amis des lectures que l'on fait, à réfléchir, à s'instruire, à se donner une discipline de pensée qui ne s'attache, au delà des apparences, des amitiés ou des modes, surtout des modes, qu'à rechercher la vérité ou ce qui peut apparaître être la vérité et à ne pas suivre les sots et les experts (et les copains).




Comme on dit, ce fut un homme protéiforme, qui changea de nom pour pouvoir entrer en Chine (et on ne peut que penser à Eric Blair/Georges Orwell), qui ne devint Australien que lorsque la Belgique accepta la double nationalité, qui revendiqua son catholicisme au point de défendre Mère Teresa de façon moins adroite que d'habitude, qui défendit la prise du pouvoir par Mao puis le combattit au nom de son amour pour le peuple chinois, qui passa de longues années de sa vie à écrire des livres savants qui ne pouvaient intéresser que quelques dizaines de lettrés de par le monde, qui continua de défendre la dissidence chinoise, qui lutta contre la privatisation des universités.

Il ne vous reste plus qu'à lire cette biographie ou, plus sérieusement, à lire Simon Leys (voir LA pour la liste des oeuvres).

Une dernière citation de Claude Roy qui écrivit (bien) sur la Chine et qui défendit Leys au pire de la cabale maoïste.

Quel est le dénominateur commun des incarnations de ce personnage en apparence multiple qui s'appelle tour à tour Pierre Ryckmans et Simon Leys ? La première vertu que propagent ces gémeaux surdoués saute aux yeux et à l'oreille : c'est d'abord le style, une écriture serrée, vive, élégante sans être guindée, fine à l'extrême dans l'analyse et précise dans l'érudition, claquant comme un fouet de dompteur dans le combat contre les faussaires.
Un PS : Françaois Janicot me signale le discours de réception d'Amélie Nothomb à l'Académie royale de Belgique. Elle succède à Simon Leys et ne parle que de lui : ICI.

Notes : 
(1) Milan Kundera déteste les biographes : "Ils ne connaissent même pas la vie sexuelle de leur femme et présupposent celle des personnages qu'ils décrivent"
(2) Cioran : "On est étonnés que tant de personnes ne renoncent pas à vivre sachant qu'ils auront un jour affaire à un biographe"
(3) Rappelons Proust se moquant de la marquise de Cambremer clamant partout qu'elle n'aimait pas Poussin mais, apprenant par le narrateur que la duchesse de Guermantes appréciait les Poussin de Chantilly, se mettait déjà à changer d'avis avant même que de les avoir vus.
(4) Il n'aimait ni Gide ni Malraux. Je ne parlerais pas des contemporains qu'il a épinglés, ce serait leur faire de la publicité... Mais il aimait Hugo plus que tout "le plus grand écrivain de la mer".
(5) Le 18 novembre 2005 : "En fait, je rêve d'une université idéale : les études n'y mèneraient à aucune profession en particulier et ne feraient l'objet d'aucun diplôme." Et ceci : "Une éducation vraiment démocratique est une éducation qui forme des hommes capables de défendre et de maintenir la démocratie en politique ; mais dans son ordre à elle, qui est celui de la culture, elle est implacablement aristocratique et élitiste".
(6) Je me suis toujours demandé si, à propos des morts du goulag ou de ceux du maoïsme, les communistes, les staliniens (et je dois dire que j'ai un peu de mal, comme Orwell, à faire la distinction, voire à distinguer les trotskystes des précédents), ne faisaient pas preuve d'une forme subtile de négationnisme, non pas celui des antisémites qui nient Auschwitz, mais celui de considérer les victimes comme un simple détail dans l'histoire du communisme... Comme l'a écrit Leys : "Les maoïstes ont cassé des oeufs sans faire d'omelette..." 

mardi 23 juin 2015

Brigitte Dormont n'est-elle qu'une idiote utile ?


1984 : Emmanuel Goldstein

Sur France-Culture où, par parenthèse, le discours médical haut de gamme est « tenu » par le grand mandarinat (1), Brigitte Dormont a fait des déclarations stupéfiantes (ICI) sur le tiers payant annonçant que sa généralisation (voir LA ce que j'en pense) allait enterrer la médecine générale libérale, ce qui, selon elle, n'était pas une mauvaise chose, parce que cela permettrait aux payeurs de contrôler les prescripteurs et aux politiques de santé d'être appliquées.

Indignation.
Je me dis qu'il faut écrire un truc.
C'est trop !
Dormont vend la mèche allumée par Touraine.
Le Tiers Payant généralisé qui a permis au Parti Socialiste de refaire son unanimité lors du vote de la Loi santé n'était donc pas seulement une mesure de gauche (l'accès libre aux soins pour les défavorisés) mais aussi une mesure de gauche (détruire les méchants libéraux).
On tient la révélation de l'année.

Mais d'autres ont été plus rapides que moi.

Chritian Lehmann et coll. ont produit un articulet (LA), deux billets (ICI et LA) et une video (LA) à la mode UFML  ainsi qu'un peu plus tard un article de blog dans Mediapart (LA) pour nous dire :
  1. que Madame Dormont ne déclarait pas ses liens d'intérêt
  2. que l'économétrie pratiquée par Madame Dormont était une science lyssenkiste
  3. que les mutuelles et autres assurances complémentaires, qui arrosent l'Université Paris-Dauphine (où exerce Brigitte Dormont) sont de vilaines entreprises capitalistes qui recherchent le profit et qui vont manger toute crue l'assurance maladie (solidaire).
A la réflexion : les propos de Brigitte Dormont sont-ils scandaleux, blasphématoires, ou rendent-ils compte de l'évolution inéluctable d'un système de santé français unique au monde dans sa structuration et agité par les tendances lourdes de la mondialisation dont les stigmates les plus visibles sont la financiarisation de la Santé ?

Brigitte Dormont écrit beaucoup.
Je lis aussi un entretien de Brigitte Dormont dans Viva (ICI). Que dit-elle ? Est-elle aussi favorable que cela à la Loi santé de Marisol Touraine ?

  1. Notre sécu n'est pas aussi solidaire qu'on ne le pense
  2. La couverture sociale offerte par la Sécurité sociale aux patients qui ne sont pas en ALD est limitée à 59,7 %
  3. Les règles des complémentaires permettent une sélection des risques ... les primes sont plus élevées pour les personnes les plus malades et les plus âgées
  4. Le coût d'une complémentaire n'est pas proportionnel aux revenus et peut atteindre 8 à 10 % pour les ménages modestes (2,5 % pour les hauts revenus)
  5. L'accord national interprofessionnel (ANI) qui généralise la complémentaire santé au sein des entreprises va creuser les inégalités en transférant une couverture financée sur un mode solidaire par une couverture financée majoritairement par des primes indépendantes des revenus
  6. Il existe avec l'ANI un effet d'aubaine pour les mutuelles et une augmentation des primes pour les chômeurs, les vieux et les étudiants
  7. Il faut plafonner le reste à charge (hors dépassements d'honoraires)
  8. Il est nécessaire de définir un panier de soins pertinent en luttant contre les lobbies comme les laboratoires pharmaceutiques et les villes thermales : est-ce à l'Assurance maladie de faire une politique de l'emploi ?
  9. Le tiers payant généralisé ... met fin à la fiction d'un paiement direct du médecin par le patient.
J'ai résumé.
Peut-on vraiment dire, en lisant ces quelques lignes, que Brigitte Dormont soit favorable à la Loi santé de Marisol Touraine ?

Et ainsi, de la critique de Lehmann et coll., ne retient-on que leur polémique sur les liens d'intérêt de Brigitte Dormont et de ses piètres qualités scientifiques. Le reste, sur les mutuelles, a déjà été écrit par Lehmann C. (ICI par exemple) et il n'est pas certain que Brigitte Dormont ne puisse y souscrire.



Et je me suis dit que, finalement,  Brigitte Dormont avait fait œuvre d'idiote utile, mais pas seulement.

(Avant de continuer je précise quelques informations sur ma Déclaration Personnelle d'Intérêt (2)).


De quoi Brigitte Dormont est-elle le nom ?




Brigitte Dormont fait partie du main stream de la pensée économique et médicale française, ce qui renseigne, non pas tant sur la collusion des élites que sur notre avenir commun, à moins, bien entendu de croire à un complot mondial dont l'objectif final serait de ralentir l'accroissement continu de l'espérance de vie dans les pays développés et d'augmenter de façon considérable la mortalité infantile dans les pays bénis où n'existent ni le tout à l'égout ni les avancées des idées pasteuriennes.

Brigitte Dormont est accessoirement proche du Parti Socialiste (mais, on l'a vu, pas si proche que cela). Peu importe puisqu'elle est aussi proche du professeur Guy Vallancien connu pour ses idées "progressistes", i.e. sa croyance en un monde néo libéral où les robots remplaceront les médecins pour les actes techniques et où les médecins pourront devenir enfin humanistes (je n'ai pas dit transhumanistes) et, je cite Laurent Alexandre, "accompagner les malades en les tenant par la main", elle participe au CHAM, officine néolibérale sponsorisée par l'industrie où l'on côtoie Guy Vallancien et Didier Tabuteau (énarque socialiste), entre autres, officine dont vous verrez ICI le programme de la réunion annuelle 2015 et dont le conseil scientifique, excusez du peu, comprend, entre autres et hormis Brigitte Dormont, le scientifique Claude Evin (voir LA pour une biographie personnelle), le très politique Didier Tabuteau, la brillante Elisabeth Hubert, le transhumaniste Laurent Alexandre (et fondateur de Doctissimo), la brillantissime Denise Silber, papesse de la médecine 2.0 au service du fric, Claude Le Pen et Guillaume Sarkozy, et cetera, et cetera.
Vous savez sans doute ce que je pense également des think tanks proches du PS auxquels notre amie a collaboré comme Terra Nova et dont j'ai analysé la prose futuriste avec beaucoup de distance (LA).


Brigitte Dormont est une idiote utile.

Brigitte Dormont est bien notre idiote utile qui dévoile les intentions cachées de Marisol Touraine (pour ceux qui pensent que Marisol Touraine a une quelconque influence dans le domaine de la santé, lire LA).
Encore faudrait-il que Marisol Touraine eût des intentions cachées.
Marisol Touraine suit le mouvement. C'est tout. Le mouvement généralisé et mondialisé de la médecine dans les sociétés développées. Le mouvement que j'ai décrit cent fois et qui passe par les cases : augmentation inéluctable des dépenses de santé (une analyse de ses tenants et aboutissants serait passionnante puisqu'elle permettrait d'intéresser tous les acteurs de ce jeu de bonneteau sociétal), accès aux soins (dont les soins inutiles considérés comme des "droits"), corruption généralisée des agences gouvernementales de santé, corruption (passive et active) des médecins, droit à la santé (et négation du droit à l'hygiène), hédonisme généralisé, influence déterminante des corrupteurs (big pharma et big matériel pour la médecine proprement dite et big junk food et big tobacco et big alcoolo et big pesticido pour l'hygiène) dans l'appareil d'Etat, ce que j'appelle le lobby santéo-industriel, mise en avant des associations de patients qui, pour défendre leurs droits à être bien soignés, n'hésitent pas à accepter l'argent de big pharma, des mutuelles et à considérer que le consumérisme sauvera le monde, et cetera, et cetera.

Car Brigitte Dormont, dont je ne doute à aucun moment qu'elle ne réfléchisse pas au delà de l'économétrie, passe à côté du contexte général de la Santé dans les pays développés. Mais lui demande-t-on de réfléchir à la place des médecins sur les rôles comparés de la médecine et de l'hygiène dans l'allongement, pour l'instant inarrêtable, de l'espérance de vie ?

Brigitte Dormont est une idiote utile qui souligne que la médecine libérale à la française est une exception mondiale et... française (et je ne reviendrai pas sur ce qui l'a fondée : l'anti étatisme des médecins français). Mais, comme le disent les crétins franchouillards de chez franchouillards qui pensent que le fait d'être les seuls à faire quelque chose donne raison (voir Concorde et Minitel), attention, le ridicule ne tue pas, "la médecine française est la meilleure du monde".

Brigitte Dormont est une idiote utile qui a constaté qu'une grande majorité des doctorants en médecine, et notamment les IMG, souhaitaient travailler dans des maisons de santé pluridisciplinaires en tant que salariés. Pourquoi ne pas les décevoir ?



Et ainsi, Lehmann et coll. auraient dû, bien au contraire, remercier Brigitte Dormont de mettre les pieds dans le plat.

La lecture de Lehmann et coll. est déterminante pour qui ne sait pas que la société française est gangrénée par la corruption et que cela n'épargne surtout pas les médecins (Brigitte Dormont est décrite comme une femme de pouvoir qui profite de la haute fonction publique pour manger à tous les râteliers et, notamment, pour collaborer avec l'Etat, l'industrie et les mutuelles. N'engageons cependant pas un comparatif qui serait désastreux entre les niveaux de compétence et de corruption des experts économistes et ceux des experts médicaux. Nous aurions beaucoup à perdre, nous les professionnels de santé). Et le formindep n'est pas en reste en soulignant la corruption des institutions et des médecins par big pharma (ICI).


MEDICAL DOCTORS


La lecture de Lehmann et coll. est déterminante pour qui ne sait pas que les socialistes en théorie favorisent volontiers la fonction publique (n'oublions pas que les membres de la fonction publique seraient étonnés par un tel constat) en privilégiant l'hôpital (le "camembert" de leur article est classique mais toujours aussi pertinent) et en prônant le salariat pour la médecine générale (on me dit qu'une grande majorité des jeunes médecins et des jeunes doctorants en médecine générale seraient aux aussi favorables au salariat). A ce dernier propos, ajoutons ceci : les partisans du libéral (dont je suis en partie pour des raisons anti étatiques historiques) pensent que c'est parce que nous nous "tuons" à la tâche que les jeunes ne veulent plus faire de médecine générale et préfèrent le salariat mais des enquêtes chez les jeunes en général (les non médecins pour faire court) montrent que non seulement le salariat les attire mais plus encore la fonction publique...

La lecture de Lehmann et coll. est déterminante quand les auteurs se lancent dans la critique de l'économétrie à partir de formules absconces dont ils tirent la substantifique moelle et nous parlent de Lyssenko à propos de cette universitaire. Pas moins. Ils reprochent à Brigitte Dormont d'étudier les conditions socio-économiques des médecins comme une catégorie comme une autre de la population, de les mettre en comparaison et de s'interroger sur les raisons qui font qu'il y a plus de médecins dans le seizième arrondissement de Paris que dans le neuf-trois. Les études économétriques n'ont pas que des désavantages. Elles comparent. Comparaison n'est pas raison mais les médecins qui, d'un côté, ne veulent plus entendre parler de métier sacerdotal, revendiquent en même temps une légitimité différente (le soin étant différent de la construction de ponts, par exemple). Il est vrai que seuls les économistes mentent. Les médecins, tels des anges descendus du ciel, ne mentent pas sur des phénomènes majeurs de santé publique (sans se servir de formules également absconces) comme le dépistage du cancer du sein, le dépistage du cancer colo rectal ou le remboursement sans façon de nombres d'anti cancéreux hors de prix et inutiles.

La lecture de Lehmann C et coll. est passionnante quand les auteurs rapportent les propos qu'il trouve infâmants de Brigitte Dormont sur les femmes, leur façon de s'installer, leur façon de travailler, et cetera. "Les femmes, ces branleuses peu motivées qui travaillent trop peu", écrivent-ils. Je ne me lancerais pas dans une contre critique des propos prétendûment féministes des auteurs qui font preuve, en l'occurrence, d'idiots utiles en soulignant les charges de travail inhumaines de ces femmes médecins qui doivent gérer un cabinet médical libéral, faire la syndicaliste, faire l'épouse, faire la mère de famille alors que les mêmes hommes, parlons des générations précédentes pour ne froisser personne, avaient une femme secrétaire, une femme femme de ménage, une femme et cetera, et, objectivement, ont toujours un temps de travail ménager moins important que celui de leur femme/épouse/compagne quel que soit son statut. 



Ce qui manque à l'article de Lehmann et coll., c'est la perspective mondialisée de la santé que j'ai vaguement évoquée dans le tourbillon des facteurs concourant à l'état de santé. Mais, prétendre, comme ils écrivent, que "Taper sur la médecine de ville, maillon faible... une spécialisté française", c'est méconnaître la situation de l'exercice de la médecine générale dans presque tous les pays développés, même ceux pour lesquels l'argent investi dans la médecine générale est en pourcentage plus important que celui alloué aux hôpitaux et aux spécialistes d'organes... La lecture de nos cousins britanniques les éclaireraient par exemple : voir LA. Et leur montreraient que, quel que soit le système de rémunération, quel que soit le mode d'enseignement, quel que soit l'accès direct aux spécialistes d'organes, la médecine générale n'attire plus.

Enfin, ce qui manque à l'article de Lehmann et coll., ce sont les perspectives.
Voici un billet de Richard Smith, ancien directeur du BMJ, qui sonne juste et qui devrait parler aux médecins français (ICI) sur les pleureuses.


Cessons de faire les pleureuses et questionnons.

Est-il possible de supprimer les mutuelles ?
Est-il possible de faire baisser les coûts de la santé ?
Est-il plausible de moins prescrire ?
Est-il possible de dissoudre les agences gouvernementales corrompues ?
Est-il possible de mener des véritables politiques de santé publique contre big junk food, big tobacco et big alcool ?
Est-il possible de supprimer la médecine à l'acte ?
Est-il possible de salarier tous les médecins ?
Est-il possible de revoir les programmes de dépistage ou du moins les auditer sérieusement ?
Est-il possible de former plus de médecins à la médecine générale ?
Ad libitum.


Notes :

(1) (sur France Inter le discours médical est lui « tenu » directement et sans aucun complexe par big pharma) et délivre un message convenu sur les progrès ininterrompus de la médecine (ce qui, par ricochet, devrait faire réfléchir à qui, sur les chaînes du service dit public, « tient » l’histoire, la philosophie, l’art, la littérature, la sociologie – encore que l’écoute de Caroline Broué (@cbroue) aux alentours de midi renseigne sur la main mise des Fassin boys, entre autres, sur l’entreprise éhontée de déconstruction du monde au nom de l’écrasement de l’idéologie des Lumières). L'émission Le téléphone sonne du mercredi 17 juin 2015 était un résumé éloquent de la main mise de la cancérologie sur les animaux malades.

(2) DPI :
  1. Je souscris à une mutuelle (AXA) qui me permet de déduire des frais professionnels
  2. Je ne suis pas un fanatique de la médecine libérale à la française
  3. Je suis pour une transformation du paiement à l'acte vers une médecine plus centrée sur des objectifs individuels/sociétaux mais la transition me paraît complexe
  4. Je ne suis pas opposé au Tiers Payant Généralisé (voir ICI) pour des raisons idéologiques mais parce que ce n'est pas au point techniquement
  5. J'ajoute que j'étais médecin référent et que nous avons connu les avantages/inconvénients de ce TPG
(3) Le programme de 2014 (LA) comporte une session intitulée (sans rire) "Bâtir un système sanitaire  équitable : la vision des industriels".


Illustration.
Emmanuel Goldstein est un personnage d'Orwell (1984), opposant fabriqué par le régime, inspiré par Lev Davidovich Bronstein, alias Trotsky, ce qui ne manquera pas de faire froncer les sourcils des nombreux naïfs qui pensent que le trotskisme est un mouvement démocratique. Voici ce qu'en pensait Orwell in Notes on NationalismThe fact that Trotskyists are everywhere a persecuted minority, and that the accusation usually made against them, i. e. of collaborating with the Fascists, is obviously false, creates an impression that Trotskyism is intellectually and morally superior to Communism; but it is doubtful whether there is much difference.