Petr Válek |
Je rencontre un collègue dont la fille, 37 ans, est prise en charge dans un centre de référence pour une maladie aiguë/chronique et potentiellement invalidante, très invalidante et au pronostic très incertain.
Il me raconte l'histoire, son inquiétude, le fait qu'il soit médecin n'arrangeant pas les choses. Et accessoirement : les difficultés qu'il a toujours eues à communiquer avec sa fille.
Sa fille est terrorisée. Elle est terrorisée par la maladie qui la frappe, elle est terrorisée parce qu'elle ne sait pas comment elle va pouvoir élever ses enfants, sa carrière professionnelle, comment son mari, bla-bla.
Elle est suivie dans un centre de référence (référencé) d'un hôpital parisien (prestigieux).
Ce n'est pas une maladie rare. La maladie est fréquente et elle caractérisée par des tableaux cliniques très différents, des modalités évolutives prévisibles/imprévisibles, la possibilité de poussées aiguës, des traitements éprouvés qui ne "marchent" pas tout le temps, qu'il faut changer, adapter, et cetera. Bref. Je n'en dis pas trop.
Sa fille est aussi terrorisée parce que les médecins, sans doute en fonction de l'évolution propre de la maladie, lui tiennent des discours différents : le médecin optimiste et le médecin pessimiste. Avec toutes les variantes. La maladie évoluant par cycles de rémission et d'aggravation, les propos peuvent être justes au moment où ils sont tenus.
Elle a besoin d'un soutien psychologique qui lui a été proposé mais elle le refuse. Elle en a assez d'être trimbalée entre soignants... Sans oublier que lors de sa longue première hospitalisation puis lors des hospitalisations de jour, elle a entendu tout et n'importe quoi, pour résumer, des médecins, des kinésithérapeutes, des internes, des externes, des infirmières, des aides-soignantes, des agents d'entretien, des propos qui lui étaient adressés ou qu'elle a volés dans sa chambre, entre sa chambre et le couloir, dans les couloirs.
Elle est terrorisée par son avenir parce que, ouvrez vos oreilles, retenez votre souffle, accrochez-vous aux branches, dans le centre de référence où se rend régulièrement cette jeune femme, elle n'a pas de médecin référent. Elle voit à chaque fois un médecin différent !
Un médecin différent qui regarde le dossier, bien entendu, mais qui ne sait pas comment les autres confrères ou consoeurs ont parlé à la patiente la consultation précédente, l'hospitalisation de jour précédente et cetera.
Ce n'est pas comme cela partout.
Heureusement.
Mon collègue me demande à quoi sert ce centre de référence s'il n'est pas surtout destiné à prendre soin des patients, si la réflexion scientifique sur les relations soignants/soignés n'est pas étudiée avec le même sérieux scientifique que la maladie dont le centre est la référence...
Je lui dis avec prudence qu'il est possible que sa fille soit mal tombée, qu'un concours de circonstances ait fait que les plannings étaient serrés, que le médecin référent désigné a changé d'hôpital, que le personnel n'est pas assez nombreux, pas assez formé ou fatigué...
Il n'est pas convaincu car il est inquiet, qu'il souffre pour sa fille, qu'il se dit qu'il n'a pas assez communiqué avec elle quand elle était en bonne santé... et que ce ne sera plus jamais la même chose.
Il est désemparé.
Désemparé par le malheur.
Je pense ne moi-même qu'il n'existe pas un centre de référence pour le malheur.