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jeudi 23 février 2017

Pudeur et impudeur. Histoire de consultation 195.

Chaïm Soutine : Portrait de Madame X (1919)

Madame A consulte ce matin pour le "renouvellement" de sa pilule. On parle de choses et d'autres, de sa famille, d'un deuil récent, des enfants et elle me dit : "Je crois que vous allez voir mon frère cet après-midi - Sans doute. - Il ne vous le dira pas mais sa femme l'a quitté. - Ah..." 
Elle ne me dit pas grand chose et je ne pose pas de questions. Je connais bien son frère, Monsieur B et je connais bien aussi sa femme dont je suis également le médecin traitant. 
Elle ajoute : "Il ne va pas bien. Il dort mal, il fait des genres de crises d'angoisse."
Il ne m'a parlé de rien.


Chaïm Soutine : Portrait d'homme (1922-1923)


Monsieur B consulte cet après-midi pour le "renouvellement" de son traitement anti hypertenseur. Il m'apporte également les résultats d'une prise de sang. On parle de choses et d'autres, de sa famille, d'un deuil récent, des enfants, et il me dit : "Je crois que vous avez vu ma soeur ce matin. - Sans doute. - J'imagine qu'elle ne vous a pas dit que son mari était parti. - Je ne crois pas."
Il ne me dit pas grand chose et je ne pose pas de questions. Je connais bien son beau-frère, Monsieur A, dont je suis le médecin traitant. 
Il ajoute : "Elle ne va pas très bien. Elle dort mal. Elle est fatiguée."
Elle ne m'a parlé de rien.




dimanche 28 août 2011

Le déshabillage des malades en médecine générale est-il toujours indispensable ?


Je me saisis de ce sujet auquel j'ai réfléchi depuis des siècles à partir d'un post publié par Fluorette dont le titre, emprunté à Mark Twain, est magnifique : La pudeur est née avec l'invention du vêtement : (ICI).
Cela me donne l'occasion de préciser ma pensée et cela m' a donné l'occasion de modifier quelques unes de mes habitudes.

Fluorette est, en gros, pour le déshabillage : qui serait contre ?
Fluorette commence par nous raconter trois types de médecins qu'elle a remplacés : celui qui ne déshabille jamais ; celle qui ne déshabille que les enfants ; celui qui fait déshabiller tout le monde. Je laisse deviner celui ou celle que Fluorette préfère. Elle cite aussi la pudeur. Et elle explique comment elle a évolué.
Mais elle oublie, à mon sens, trois aspects de la question : la médecine générale, l'adaptation aux territoires et des solutions pratiques.

Comment je fais en pratique pour les adultes (je parlerai plus loin des enfants).
Je n'ai pas de philosophie particulière.
Je ne me sens pas investi d'une mission qui serait que tout (e) malade entrant dans le cabinet doive se livrer à la médecine triomphante qui aurait tous les droits dont celui de dévêtir tout le monde. A qui appartient le corps du malade ? Je m'expliquerai sur ce point.
Je suis plus pudique avec les femmes qu'avec les hommes : ça vous étonne ? La pudeur n'est donc pas réservée aux patients, il faut le savoir. La pudeur n'est pas une relation asymétrique dans un cabinet de médecine générale : il est également possible, n'est-ce pas, que l'impudeur du médecin soit à la hauteur de sa pusillanimité. Et vice versa.
Cela dépend de la pathologie. Ou du et des motif (s) de consultation.
Cela dépend de la connaissance que l'on a du ou de la malade.
Et d'autres choses encore.

Envisageons donc les trois aspects que nous avons abordés et qui nous semblent avoir été oubliés par Fluorette.
La médecine générale : c'est une façon de pratiquer la médecine qui est non seulement transversale, examiner un (e) patient (e) pour un motif de consultation ou deux motifs ou trois ; et apprécier la situation en connaissant la famille, c'est à dire les ascendants, les descendants ; mais encore longitudinale, c'est à dire que nous avons déjà vu le patient, que nous le reverrons, que la durée fait partie de notre relation, et cetera.
L'adaptation aux territoires. Dans un cabinet de médecine générale libérale nous ne sommes pas dans une institution comme un hôpital, une clinique ou un dispensaire et il s'agit, presque, d'un lieu privé. Il existe des règles de la vraie vie qui s'appliquent ici. La règle des distances entre les individus ou périmètre de sécurité (qui n'est pas le même dans la rue, dans un ascenseur, voire de chaque côté du bureau et sur le lit d'examen) ou de convenance, par exemple. Le respect des individus en tant que personnes et non en tant que malades. Le fait que les citoyens soient malades (c'est à dire vulnérables) doit rendre le médecin, l'examinateur, encore plus attentif à ce qu'il n'outrepasse pas ses droits de médecin a priori non malade et non vulnérable. Enfin, le territoire du patient n'est pas celui du médecin et le contrat passé entre les deux intervenants (ne parlons pas de l'hôpital où il ne s'agit plus d'impudeur ou d'irrespect mais tout simplement d'effraction dans la vie privée des patients qu'ils soient en consultation ou hospitalisés). Abordons ensuite l'Evidence Based Medicine, ce qui peut se résumer à ceci, en l'occurrence : l'expérience externe (il ne paraît pas évident que des études randomisées aient testé le diagnostic de cor au pied avec trois groupes comparatifs de patients : un seul pied examiné versus deux pieds examinés versus déshabillage corps entier), l'expérience interne (la pudeur, les histoires de chasse et la pratique quotidienne) et, mon dada, les très embarrassantes valeurs et préférences des patients. Le ou la patiente ont le droit de demander de ne pas se déshabiller pour ce qui ne leur semble pas nécessaire comme le médecin a le droit de leur expliquer pourquoi il est nécessaire de le faire. Pour en rester là, l'EBM, n'oublions pas non plus que certains actes rituels de la consultation médicale n'ont pas obligatoirement une sensibilité ou une spécificité acceptable et ont parfois une valeur prédictive positive catastrophique. Nous avons déjà abordé sur ce blog le problème du Toucher Vaginal ainsi que celui du Toucher Rectal. Le médecin généraliste doit accepter son rôle, c'est à dire que maintenant qu'il a compris et appris que les examens de laboratoire ou d'imagerie effectués de façon systématique à l'hôpital pour des raisons d'exhaustivité sont le plus souvent inutiles en ville pour des raisons de rentabilité scientifique (et le médecin généraliste ne se prive pas de ne pas les demander), il doit accepter aussi que certains examens physiques qui sont effectués de façon systématique à l'hôpital (et, malheureusement, de moins en moins enseignés au lit du malade) peuvent ne pas être pratiqués en ville pour des raisons, également, de rentabilité scientifique. Ce dernier point mériterait un post entier et des explications sur l'attachement magique de la majorité des médecins à certains gestes qui sont inutiles et sans intérêt en pratique mais qui font partie du rituel de la consultation... et que peut-être les patients attendent... ou que les médecins pensent que les patients attendent...
Les solutions pratiques. La structure de mon cabinet (pour mon associée c'est un peu différent, mais ça marche aussi) fait que j'ai deux pièces : mon bureau avec mon fauteuil de chef, et des fauteuils pour malades (trois en ce moment), mon ordinateur, mon sabot de carte vitale... ; et une salle d'examen, séparée par un petit couloir, tant et si bien qu'assis derrière mon bureau! je ne vois pas ce qui se passe dans ma salle d'examen. Pour le déshabillage, c'est parfait. Une autre solution : le paravent. Il est important que le médecin, dans certains cas, ne voit pas le (la) patient (e) se déshabiller. C'est mon avis.

Prenons donc des exemples pour le déshabillage.
  1. Madame A, 26 ans, première consultation, son médecin traitant est en vacances, a mal à la gorge. Je ne la fais pas se déshabiller. Je parle, je l'interroge, mais je ne la fais pas se déshabiller : ce n'est pas "ma" patiente.
  2. Monsieur B, patient du cabinet depuis 25 ans, vient pour un renouvellement d'ordonnance (désolé JFMassé d'avoir utilisé l'expression mais je n'en vois pas d'autre) (HTA, bronchite chronique obstructive) : je ne le fais pas se déshabiller. Sauf si, spontanément, ou par l'interrogatoire, nous envisageons quelque chose de nouveau. Des crampes à la marche, des douleurs abdominales, ou autres. Mais ce patient vient en gros quatre fois par an. Il a donc un dossier, un dossier dans lequel je note les gestes de prévention. L'interrogatoire me sert à vérifier qu'il continue de fumer (j'ai essayé mille fois, je lui en parle à chaque fois, j'en ai parlé à sa femme, à ses enfants : il continue), qu'il continue de trop boire (voir plus haut) et autres babioles. L'interrogatoire peut parfois être aussi impudique qu'un déshabillage : "Vous baisez combien de fois par semaine ?" Je plaisante.
  3. Madame A, 52 ans, 30 ans de cabinet, vient pour "son" diabète non insulino-dépendant. Je la vois quatre fois par an, sauf angine, bronchite ou autre... Je vérifie un certain nombre de choses par l'intermédiaire du dossier, outre le diabète, les facteurs de risque, bla bla bla, les seins, le col, tiens : arrêtons-nous sur ces derniers points. J'ai lu ici ou là, sur un commentaire de blog, qu'il fallait palper les seins et donc faire se déshabiller la patiente. Voici un des aspects longitudinaux de la médecine générale : jadis, je palpais les seins ; puis j'ai lu (c'était une étude chinoise) qu'il était plus rentable que ce soient les femmes qui s'auto palpent... puis j'ai appris que l'auto palpation entraînait un sur diagnostic ; puis j'ai appris que la palpation des seins par un médecin avant une mammographie ou dans l'intervalle (entre deux mammographies) augmentait aussi le sur diagnostic... tout comme la mammographie sauvage. Je ne palpe plus les seins que lorsque la patiente m'a informé qu'elle avait trouvé quelque chose....
  4. Madame A, 26 ans, je la connais depuis toujours et j'ai pratiqué son examen du huitième jour. Désormais elle est mariée, maman d'une enfant de 23 mois, eh bien, cet exemple me permet d'aborder trois problèmes en même temps : celui du périmètre de sécurité, celui de l'aspect longitudinal de la médecine générale et celui des enfants. Le périmètre de sécurité : il a varié avec les années : quand elle était bébé et que la considérais déjà comme une personne, j'étais très près d'elle et je regardais tout sans me gêner ; plus grande je l'examinais avec un peu plus de distance, toujours comme une personne, parfois en commençant dans les bras de sa mère ou de son père, le déshabillage se faisait progressivement et elle finissait allongée sur la table d'examen... Plus tard, jeune fille, j'ai continué de la tutoyer, je lui ai expliqué beaucoup de choses dont la contraception ; mariée, j'ai continué de la tutoyer mais quand elle vient pour un syndrome d'allure grippale, je ne la fais pas se déshabiller... Quand elle vient avec son mari, je la tutoie mais je suis plus réservé... Quand elle vient avec sa petite fille, très souvent peu collaborante, je recommence le rituel des genoux puis du déshabillage progressif. Si elle a 40° de fièvre, elle est grincheuse mais elle se laisse examiner car elle sait, malgré son peu de mois, que c'est nécessaire... et que je ne passe pas à côté d'un purpura...
  5. Madame A vient pour des varices : elle se déshabille sans que je lui demande quelque chose...
  6. Monsieur A, 87 ans, vient encore me voir au cabinet. Je l'interroge, je lui donne ses médicaments ; s'il se plaint de quelque chose qui pourrait donner droit à un déshabillage, partiel, il se déshabille ; sinon : non.
J'arrête là.
Je remercie Fluorette d'avoir soulevé ce point.
Il faut être pragmatique.
J'ai d'autres exemples dans ma musette mais je crois que ceux que j'ai cités peuvent alimenter la polémique.
A vos commentaires !

Je sais que j'aurais pu donner d'autres exemples mais il s'agit de cas d'espèces. Toutes les attitudes sont donc possibles dans ma pratique. Et dans la votre ?

(La naissance de Venus - Sandro Botticelli - 1486)

vendredi 27 mai 2011

Scène de non consultation ordinaire : secret, pudeur et mort. Histoire de consultation 82.


Milan Kundera (1984)

Voilà une consultation comme je ne les aime pas. Une consultation sans la patiente. J'ai en face de moi le frère et la soeur qui viennent discuter de ce qu'il convient de faire pour leur maman.
La simple lecture de cette phrase devrait horrifier tout le monde et moi le premier. Mais j'ai déjà parlé de cela plusieurs fois à des collègues et ils ne m'ont même pas adressé une seconde d'attention : cela leur paraissait normal. Pas à moi.
Car le frère et la soeur ont sollicité cet entretien "pour savoir ce que j'en pense". Et moi qui suis le médecin traitant, je suis le premier en qui la patiente doit faire confiance, il ne faut pas qu'elle pense, qu'elle sache que des choses se trament derrière son dos, qu'il existe des propos cachés, des choses bonnes à dire à elle et bonnes à dire à sa famille, et pourtant je reçois les enfants qui vont peut-être faire un impair, dire qu'ils m'ont vu, par inadvertance ou en croyant bien faire, je reçois les enfants et, qui plus est, pour donner mon avis sur la stratégie à suivre et la patiente n'est pas là, "ma" patiente, comme on dit dans les feuilletons américains.
Et, en plus, ils m'ont pris par surprise. Ils ont pris un rendez-vous au nom de la fille et ils sont venus à deux.
"Nous sommes venus vous parler de maman. Cela ne vous dérange pas ?" Si, ça me dérange mais j'accepte. Et je sais très bien de quoi ils vont me parler. L'histoire est compliquée. Elle est d'autant plus compliquée qu'un deuxième avis a été demandé et que le deuxième avis est (un peu) contradictoire avec le premier. J'avais envoyé la patiente chez un chirurgien. Et ils sont allés en voir un deuxième, sur les conseils d'un membre de la famille qui connaissait un professeur à Paris.
Je me dis que demander un deuxième avis n'est jamais une bêtise, même s'ils l'ont fait derrière mon dos, mais, maintenant, je me trouve à devoir donner un troisième avis mais pas à la patiente, à sa famille et une famille qui n'a pas dit à la maman qu'ils étaient venus me voir. Ici, demander un deuxième avis, c'était quand même se poser la question de savoir s'il était nécessaire d'interrompre la continuité colique et pendant combien de temps, questionnement qui pourrait, si la réponse était possible de façon évidente, mériter plusieurs redites : avoir une poche sur le côté avec de la merdre dedans, ce n'est quand même pas rien...
Je ne sais pas quoi faire. Me fâcher ? M'indigner ? Monter sur mes ergots ? Leur faire la morale à ces deux enfants de trente et vingt-six ans qui s'inquiètent pour leur mère ? Au nom de quoi ? Au nom de mon statut marmoréen de médecin traitant qui m'a été octroyé par la CNAMTS après qu'elle m'eut enlevé, sous la pression des syndicats redevenus majoritaires, celle de médecin référent ? Je me calme et je les écoute.
Nous discutons des deux stratégies proposées et je comprends pourquoi, "ma" patiente a voulu un deuxième avis : elle n'avait pas envie de se faire opérer deux fois ; une fois pour les macro biopsies et une fois pour l'intervention elle-même. Ou elle n'en avait pas compris l'enjeu.
Ainsi, il faut le savoir, les patients, eussent-ils un médecin traitant, ne disent pas tout à leur médecin, même en le connaissant, ici, depuis une bonne quinzaine d'années... Ainsi, dans le monde réel, le monde des "vraies" gens comme disent les populistes de gauche et de droite, les "malades" peuvent ne pas tout dire, voire même mentir à leur médecin traitant ex référent. On savait depuis Hypocrite que les médecins ne cessaient de mentir à leurs malades (voir sur ce blog, le paternalisme, dire la vérité aux malades, l'utilisation du placebo ne médecine, et cetera) et on sait depuis Gregory House que les malades mentent également à leurs médecins.
Et je comprends également mais je devais avoir la comprenette difficilette, que ces deux enfants, aussi maladroits qu'ils puissent paraître sont morts de trouille.
Et à cet instant la jeune femme se met à pleurer pendant que je leur explique pour au moins la troisième fois combien, malgré tout, le pronostic n'est pas aussi catastrophique que cela. Je me tourne vers elle pour la mettre à l'aise et j'entends cette phrase stupéfiante pour moi, prononcée par le frère : "Tu ne devrais pas pleurer. Pas ici. Nous sommes chez le docteur. Pleurer, c'est privé..." J'esquisse une parole d'apaisement et la jeune femme de m'interrompre : "Mais c'est notre mère, quand même, on a besoin d'elle..."