jeudi 27 juin 2019

Existe-t-il un débat sur l'oncologie en France ?

Les publications du laboratoire Roche entre 2008 et 2017 (dont oncologie)

Non.

En France l'oncologie est un domaine protégé.

Cadenassé.

99,9 % des oncologues français ne publient pas d'articles réflexifs sur leur spécialité.

Et toute personne, non oncologue, qui se permettrait de réfléchir sur cette spécialité sera renvoyée dans les cordes.

La réflexion sur la pratique de l'oncologie pourrait être :
  1. Scientifique
  2. Médicale
  3. Philosophique
  4. Epistémologique
  5. Ethique
  6. Sociétale
  7. Economique

Les oncologues français (99,9 %) et les hémato-oncologues français (99,9 %) ont des certitudes :
  1. Le dépistage des cancers sauve des vies
  2. La décision partagée fondée sur des données solides est un fantasme 
  3. Le sur diagnostic des cancers est une invention des épidémiologistes
  4. Le sur traitement des cancers n'existe pas
  5. Le rapport bénéfices/risques des procédures anticancéreuses est toujours bon 
  6. Les essais cliniques de non infériorité fondés sur des critères de substitution ne sont pas critiquables.
  7. Le critère du Progression Free Survival est un excellent outil d'évaluation des anti cancéreux 
  8. Les critères de jugement des anti cancéreux que sont la survie globale et la qualité de vie sont accessoires
  9. La médecine de précision/personnalisée est l'avenir de l'oncologie
  10. Le cancer va disparaître à plus ou moins longue échéance
  11. L'industrie pharmaceutique ne les influence pas
  12. Les réunions de concertation pluridisciplinaires d'où sont exclus les patients et les médecins traitants sont indépendants de l'industrie pharmaceutique
  13. Les soins palliatifs, c'est le plus tard possible.
Bien entendu la France de Tchernobyl (celui où le nuage de la corruption ne passe pas) est un cas à part.

Dans d'autres pays où les technolâtres technicistes progressistes fascisants (c'est ainsi que certains s'appellent) exercent moins leur pouvoir (celui de nommer les ministres de la santé, les directeurs généraux de la santé, les directeurs d'agences gouvernementales, les chefs de service, les PU-PH, celui de rémunérer les Key Opinions Leaders -- en français les Manipulateurs d'opinion--), où l'industrie pharmaceutique est tout aussi puissante (avec ses boards rémunérateurs qui sont comme des jetons de présence pour les membres des comités exécutifs des grands groupes capitalistes), il existe des oncologues, voire des hématos-oncologues qui publient des articles, qui réfléchissent, qui s'interrogent, qui interrogent le public profane, sur l'oncologie en tant que discipline médicale et sociétale.

Ce discours, mon discours est éminemment complotiste. Ce sont les technolâtres qui le disent. Lire cet article sur les réseaux d'influence de 3 grandes firmes pharmaceutiques : LA

Le fait que le manque de réflexion soit inversement proportionnel au degré de corruption est un hasard.

Voici pour nos oncologues français un article de Vinay Prasad (ICI) qu'ils ont lu d'un derrière distrait (ou non pas lu, le nom même de l'auteur leur donnant des démangeaisons), qu'ils n'ont pas commenté dans le British Medical Journal pour ne pas faire effet Streisand, un article qui ne sera pas non plus commenté à la machine à café de l'Institut Gustave Roussy ou de l'Institut Curie.



Voici quelques morceaux choisis.

Do cancer drugs improve survival or quality of life?

...between 2008 and 2012 the US Food and Drug Administration approved most uses of cancer drugs without evidence of survival or improved quality of life (67%, 36/54).1 Among the 36 such approvals, only five (14%) uses were shown later to improve survival compared with existing treatments or placebo after a median of 4.4 years on the market.

In their study of cancer drugs approved by the European Medicines Agency between 2009 and 2013, 57% (39/68) had no supporting evidence of better survival or quality of life when they entered the market. After a median of 5.9 years on the market, just six of these 39 (15%) agents had been shown to improve survival or quality of life.

The expense and toxicity of cancer drugs means we have an obligation to expose patients to treatment only when they can reasonably expect an improvement in survival or quality of life.

Ceci n'est que le début d'une série d'articles sur l'oncologie.

Illustration tirée de cet article : ICI

vendredi 14 juin 2019

Répondre à Luc Perino.

PLACEBO 1966


La tribune qu'a publiée Luc Perino dans le journal Le Monde, Déremboursons plus que l'homéopathie, pose d'énormes questions et les réponses de l'auteur paraissent pour le moins curieuses et problématiques. Voici La Tribune : LA.

Luc Perino prend prétexte de la tribune des 124 (ICI) demandant le déremboursement de l'homéopathie et d'autres babioles (vous verrez ce que j'en ai pensé LA) pour développer ses idées.

Il tire trois conclusions de la tribune des 124, je cite (en italique) : 
  1. Le remboursement doit être basé sur des preuves rigoureuses d'efficacité
  2. La comparaison à un placebo suffit à l'élaboration de ces preuves
  3. L'effet placebo ne relève pas de la solidarité nationale
Il est possible que les signataires de la tribune soient d'accord avec ces pré-requis...

Luc Perino décline ensuite de façon jusqu'au-boutiste cette argumentation et en tire des conclusions qui ne laissent pas de me surprendre.


La proposition 1. semble faire l'unanimité.
Qui pourrait penser que l'on puisse rembourser des pratiques médicales et non médicales, des pratiques de soins pour simplifier, qui ne soient pas efficaces ? 

Pourtant, ce n'est pas aussi simple que cela.

Considérons qu'à partir d'aujourd'hui ne soient remboursées que les pratiques de soins qui sont efficaces, que fait-on de celles qui sont déjà remboursées et qui n'ont pas encore prouvé leur efficacité  ? On les dérembourse en bloc ? C'est, me direz-vous, ce qui passe avec l'homéopathie. Mais que de difficultés pour cette pratique particulière qui n'entre pas dans le cadre de la science ! Quand on va s'attaquer à des molécules d'usage commercialisées par de grands groupes ce ne sont pas les experts Boiron qui vont monter au créneau. Et nul doute que les patients vont hurler au scandale  en disant : " La sécu ne rembourse plus rien !"

Par ailleurs, au delà des preuves d'efficacité à obtenir, il s'agit de définir a priori les preuves d'efficacité sur lesquelles se fonder pour décider de l'efficacité.

Prenons un simple exemple dans le domaine cardiovasculaire : les molécules qui obtiennent  (ou qui ont obtenu) l'Autorisation de Mise sur le Marché dans l'indication "Traitement de l'hypertension artérielle essentielle", sic, comme si l'hypertension artérielle était une maladie, ont fait la preuve, sans doute versus placebo, qu'elles faisaient baisser significativement la pression artérielle par rapport à un placebo. Mais combien d'entre elles, individuellement, et pas par effet de classe thérapeutique ou par effet de classe pharmacologique, sont capables de produire des essais montrant une baisse significative de la morbi-mortalité ? On peut en effet légitimement considérer que la pression artérielle est un critère de substitution.
Nous savons depuis un certain temps (2003) que l'utilisation des beta-bloquants en première ligne dans le traitement de l'HTA n'était pas fondée en termes de morbi-mortalité (étude LIFE) mais qu'ils faisaient baisser la pression artérielle autant que les sartzas, par exemple. Rappelons-nous également l'étude ALLHAT (en 2002) qui a détruit définitivement les alpha-bloquants dans le traitement de l'hypertension (voir LA).

Faut-il dérembourser toutes les molécules qui n'ont pas satisfait aux critères énoncés ?

Cela ferait du bruit.

Il existe des centaines de domaines, hors HTA, où l'on pourrait s'engager.

La proposition 2. est plus problématique.
La comparaison à un placebo suffit pour renseigner le point 1. Comme le souligne Luc Perino 90 % des molécules du Vidal n'ont pas satisfait à ce critère (il exagère sans doute), il faudrait donc, pour qu'elles ne soient pas considérées comme des placebos, et donc déremboursées, qu'elles soient soumises à des essais cliniques contrôlés. 

Qui va se lancer dans un truc pareil avec le prix de vente dérisoire  de certaines gouttes nasales et le coût pharamineux des essais cliniques ?

On a vu que la pénurie en France de prednisone, de prednisolone et/ou de betamethasone est probablement liée à leur prix de vente ridiculement bas.

Dans certains cas, quand il existe une ou des molécules qui ont fait la preuve de leur efficacité un essai contre placebo ne se justifie pas : il faut comparer la molécule entrante au produit de référence avec des critères méthodologiques validés. Je n'entrerai pas dans le détail des essais de non infériorité (qui ne sont pas tous critiquables), des essais où les critères d'efficacité sont biaisés dès la conception du protocole, des essais statistiquement significatifs mais cliniquement aberrants, des essais menés sur des critères de substitution, notamment en oncologie où les deux critères majeurs, sauf exceptions, il y en a toujours, devraient être la survie globale et la qualité de vie...

Mais surtout (et Luc Perino en parle) : quid des procédures ou des soins ou des matériels pour lesquels il n'est pas possible de mener un essai contrôlé en utilisant un placebo ? 

Prenons l'exemple de la psychothérapie. Est-il possible de mener un essai versus placebo en double-aveugle (avec un faux psychologue, de faux concepts ?). Les spécialistes vont nous dire qu'en psychologie clinique des essais ont été menés et sont significatifs. Mais pas des essais versus placebo.
Prenons l'exemple de la kinésithérapie. Existe-t-il des essais électrodes actives versus électrodes inactives ? Existe-t-il des essais massages transverses profonds versus faux massages transverses profonds ?

Prenons l'exemple des cures thermales. J'ai lu ici et là des essais qui montrent bla bla bla, mais ce ne sont pas des essais contrôlés en double-aveugle versus placebo.

Prenons l'exemple des prothèses de hanche, des pace-makers : vous voyez l'affaire...

(Je n'ai pas bien compris pourquoi, au bout du compte, Luc Perino finissait pas dire que les seuls essais interprétables devraient se faire placebo versus placebo... Ainsi les homéopathes pourraient-ils mener des essais de non infériorité granules homéopathiques versus placebo "neutre")

La proposition 3. est sans doute originale mais pose des problèmes compliqués.
On comprend que les placebos ne devraient plus être remboursés par l'assurance maladie. Les placebos ou les procédures placebos.

Prenons la proposition au pied de la lettre en poussant le raisonnement jusqu'au bout. Un essai molécule active contre placebo permet de vérifier le supplément d'âme du médicament par rapport à l'effet placebo.

Ainsi, pour pousser le paradoxe jusqu'au bout, si l'on considère que l'effet placebo constaté des molécules actives à visée anti dépressive varie entre 50 à 70 %, la solidarité nationale ne devrait rembourser que 50 à 30 % du prix demandé par le fabricant. C'est à dire la véritable activité de ces molécules.

A contrario il n'est pas besoin de faire un essai versus placebo pour savoir si des verres correcteurs permettent de mieux voir : les verres correcteurs devraient donc être remboursés à 100 %

Mais là où Luc Perino fait l'âne pour avoir du son, c'est quand il dit que les placebos ne devraient être remboursés que par les mutuelles... Oublie-t-il que les mutuelles a) sont devenues obligatoires, b) qu'elles sont des sociétés à but lucratif, c) et que leur tarif dépend de ce qu'elles remboursent ?

Donc : l'assurance maladie ne rembourse que les soins qui ont fait l'objet d'essais contrôlés versus placebo significatifs et les mutuelles le reste (en cessant d'être obligatoires).

Mais Luc Perino ne dit pas cela : "Osons séparer franchement le financement des soins entre le domaine régalien et le domaine marchand. Réservons au financement public les soins de proximité, la traumatologie, les urgences médicales et chirurgicales, la protection maternelle et infantile, l’obstétrique, la périnatalité et les agonies terminales. Et laissons au domaine privé toute la pharmacologie, placebo ou non, d’exception ou de routine, de pointe ou non."

Et là il dit n'importe quoi.

Quand il affirme que "Les autorités sanitaires n'ont plus les moyens de s'opposer aux lobbys", c'est terrible. Quand il écrit que "Les patients sont devenus les marionnettes de l'industrie et leurs associations sont les suppôts naïfs de l'industrie" il y va fort.

Tout au plus pourrait-on insinuer que la médecine à deux vitesses serait vraiment instituée : les procédures validées pour tout, le charlatanisme pour les riches.

La publication récente d'un article remettant en cause 396 traitements à partir de 3000 publications d'essais randomisés dans les Big 3 de l'édition mondiale à savoir JAMA, NEJM et Lancet arrive à point nommé : ICI.

En réalité si on voulait tirer des conclusions en mixant la tribune de Luc Perino à celle des 124, cela pourrait conduire à ceci :

  1. On remet en question le remboursement par la branche maladie de toutes les molécules, de toutes les procédures (de chirurgie, de psychothérapie non médicamenteuse, de kinésithérapie, de soins), de tous les matériels, de tous les programmes de prévention, de dépistage et autres qui n'ont pas fait la preuve de leur efficacité versus placebo
  2. On refuse toute nouvelle procédure qui n'a pas fait la preuve de son efficacité sur des critères pré-établis reposant sur le principe général des essais contrôlés.
  3. On supprime le ticket modérateur pour toutes les procédures validées dans un système où l'assurance maladie est le payeur unique.
  4. On renvoie aux assureurs le remboursement des soins non encore validés selon les critères préalablement établis et on supprime les mutuelles obligatoires.

Chiche ?

PS. Article paru le 21 juin 2019 dans le JIM : ICI.



jeudi 6 juin 2019

In memoriam.

Relire les articles solides, pédagogiques et documentés de Jean-Philippe Rivière sur le site Vidal et sur le site Doctissimo sera notre conseil hommage : il écrivait bien.




Pour le voir "en vrai".

C'était un médecin à l'esprit fin, à l'intellect rapide, cultivé, il avait une très forte capacité de synthèse, c'était un grand vulgarisateur au sens noble : il rendait les choses faciles. Sa passion pour l'Inde et pour le jazz (et pour Jan Garbarek) ne le rendait pas moins sympathique.

samedi 1 juin 2019

Orwell est partout, Huxley est nulle part.





1984 est le roman à la mode.

Tout le monde cite Orwell dont le roman est paru en 1947.

Il suffit de regarder autour de soi pour constater que les mensonges d'Etat font flores, que les mensonges journalistiques sont légion, que les mensonges politiques s'accumulent.

La novlangue montrée du doigt par Orwell est dénoncée par tous. Et ce qui rend la novlangue, novlangue d'elle-même, c'est que tout le monde, en parcourant le spectre des idées depuis l'extrême-droite jusqu'à l'extrême-gauche, la dénonce chez les autres.

La novlangue, c'est les autres.

1984 est cité par tous comme une prophétie politique. Une prophétie politique en train de se réaliser.

Les pourfendeurs de la novlangue oublient qui était Orwell, ses idées, ses combats, ses adversaires. L'extrême-droite, la droite, la gauche, l'extrême-gauche s'en remettent à lui en omettant de dire que face à lui ils seraient balayés.

Il est vrai que la société de surveillance imaginée par Orwell est à l'oeuvre un peu partout dans ce monde globalisé où de l'est à l'ouest, du nord au sud, l'horizon est dégagé pour le capitalisme néo-libéral triomphant qui est devenu la civilisation-monde.

Big brother is watching you.

Nul doute que Georges Orwell, s'il publiait son livre aujourd'hui, serait traité de complotiste.

Le capitalisme néo-libéral est désormais considéré comme le régime naturel qui doit régner sur la planète.

"Il est plus facile d'imaginer la fin du monde que d'imaginer la fin du capitalisme" a dit Slavoj Zizek.

Et dans ces Jeux olympiques du capitalisme néo-libéral, le modèle le plus orwellien, c'est la Chine.

La Chine  a réussi en peu de temps à allier le totalitarisme stalino-communiste au néolibéralisme le plus débridé : Big brother, la novlangue, le parti unique et le règne du profit.

On a en revanche bien oublié Le meilleur des mondes (The brave new world) qui est paru en 1932.

Aldous Huxley est peu mis en avant mais il a pourtant proposé une prophétie biologique qui est presque déjà réalisée.

Les trois grandes idées de Huxley dans son roman sont : l'administration à tous d'un remède unique pour être heureux, le fameux soma ; la fin de la reproduction sexuée (et de la viviparité) ; un système de classes/castes sociales fondé sur la génétique.

Il y a bien d'autres choses dans ce roman où la réflexion philosophique est plus forte que la qualité narrative.

Dans ce monde complètement unifié il existe un gouvernement mondial (le rêve actuel des experts climatologues de l'anthropocène), l'enseignement est assuré aux enfants pendant leur sommeil, les sexes sont égaux, la sexualité est libre, la consommation est le but principal de la vie, les bébés sont produits à la chaîne selon les principes du fordisme, et cetera..

Les analogies de cette prophétie avec la médecine d'aujourd'hui sont légion : on promet à tous un monde sans douleurs, un monde sans cancers, on fait miroiter le trans humanisme (une existence augmentée) et tout cela est rendu possible en consommant du soin, en dépistant, en prévenant, en traitant, en chronicisant, et cetera. Avec le totalitarisme orwellien en prime : le partage des data.

Le roman d'Huxley a été rattrapé par la réalité : le néolibéralisme a mis à son agenda la lutte contre l'entropie (la néguentropie), un programme effarant que l'on retrouve dans un rapport de l'OCDE publié en 2009, La Bioéconomie à l'horizon 2030. Quel programme d'action ?, qui propose, pour échapper au deuxième principe de la thermodynamique, d'utiliser le corps humain ou plutôt les êtres vivants comme énergie renouvelable (voir ICI) !

Ainsi, Huxley a-t-il été plus prophétique que Orwell.

Norbert Bensaïd, cité par Jean Daniel dans Les miens (2009) disait ceci : "Le totalitarisme n'aura pas créé un homme nouveau. Le biologisme, oui... Les peuples sont prêts, comme l'avait annoncé le Grand Inquisiteur de Dostoïevski, à échanger leur liberté contre une promesse de bonheur et de sécurité."