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dimanche 28 novembre 2010

ACTUALITES D'IVAN ILLICH


Ivan Illich (1926 - 2002)

A l'occasion de ma lecture du livre de Jean-Pierre Dupuy, La marque du Sacré, dont je vous parlerai une autre fois, permettez-moi de vous rapporter une partie des propos tenus par Ivan Illich le 14 septembre 1990 à Hanovre. Le titre de la conférence était : Health as one's responsability ? No, thank you ! ICI !
Ces propos sont éclairants mais, à mon avis, outranciers, en cela qu'ils risquent de livrer les plus démunis (et je ne parle pas seulement en termes économiques) aux risques du laisser faire et du laisser aller. Ce qui ne pourrait manquer de plaire aux partisans définitifs du désengagement de l'Etat comme exprimé hypocritement par les adhérents des Tea Parties aux Etats-Unis. Hypocritement car ces libéraux ne souhaitent pas dans le même temps le désengagement de l'Etat dans le domaine militaire... Mais ces réflexions d'Illich sont indispensables pour tenter de comprendre vers où nos sociétés occidentales sont entraînées en raison de la contre-productivité des grandes institutions de la société industrielle (Ecole, Santé, Transports, Energie...) Mais nous y reviendrons aussi un autre jour. Je ne voudrais pas que vous puissiez bouder votre plaisir de lire ces quelques phrases.

Il ne m'apparaît pas qu'il soit nécessaire aux Etats d'avoir une politique nationale de "santé", cette chose qu'ils accordent aux citoyens. La faculté dont ces derniers ont besoin, c'est le courage de regarder en face certaines vérités :
- nous n'éliminerons jamais la douleur ;
- nous ne guérirons jamais toutes les affections ;
- il est certain que nous mourrons.
C'est pourquoi, nous qui sommes dotés de la faculté de penser, nous devons bien voir que la quête de la santé peut être source de morbidité. Il n'y a pas de solutions scientifiques ou techniques. Il y a l'obligation quotidienne d'accepter la contingence et la fragilité de la condition humaine. Il convient de fixer des limites raisonnées aux soins de santé classiques. L'urgence s'impose de définir les devoirs qui nous incombent en tant qu'individus, ceux qui reviennent à notre communauté, et ceux que nous laissons à l'Etat.
Oui, nous avons mal, nous tombons malade, nous mourons, mais il est également vrai que nous espérons, nous rions, nous célébrons ; nous connaissons les joies de prendre soin les uns des autres ; souvent nous nous rétablissons et guérissons par divers moyens. Si nous supprimons l'expérience du mal, nous supprimerons du même coup l'expérience du bien.
J'invite chacun à détourner son regard et ses pensées de la poursuite de la santé et à cultiver l'art de vivre. Et, tout aussi importants aujourd'hui, l'art de souffrir et l'art de mourir.

La Marque du Sacré. Jean-Pierre Dupuy. Champs Essais, 2010

PS du 4 juillet 2019 : un hommage de Richard Smith à Illich : ICI.

jeudi 7 mai 2009

GRIPPE MEXICAINE : COMMENT PENSER LA CATASTROPHE



Il semble, au moment où j'écris ces lignes, que le danger de la grippe mexicaine soit écarté. Tant et si bien que tous ceux qui ont glosé sur la médiatisation excessive, la peur engendrée par les différents communiqués de l'OMS, du Ministère français de la Santé, ont beau jeu dire : on vous l'avait bien dit ! Il n'y avait aucun risque ! Et ils ont ainsi évité de s'interroger sur le risque réel, sur l'impréparation de tous et de chacun et de se moquer des prophètes de malheur et autres Cassandre.

Je voudrais, à la suite de Jean-Pierre Dupuy et de Gunther Anders, rappeler le texte que ce dernier a écrit, sous forme de parabole, à propos de l'histoire du déluge.

Noé, fatigué de jouer les prophètes de malheur et d'annoncer sans cesse une catastrophe qui ne venait pas et que personne ne prenait au sérieux...
...un jour se vêtit d'un vieux sac et mit des cendres sur sa tête. Ce geste n'était permis qu'à celui qui pleurait son enfant chéri ou son épouse. Vêtu du costume de la vérité, acteur de la douleur, il repartit à la ville, décidé à tourner à son avantage la curiosité, la malignité et la superstition de ses habitants. Bientôt, il eut rassemblé autour de lui une petite foule curieuse, et les questions commencèrent à se faire jour. On lui demanda si quelqu'un était mort et qui était ce mort. Noé leur répliqua que beaucoup étaient morts et, au grand amusement de ses auditeurs, que ces morts c'étaient eux. Lorsqu'on lui demanda quand cette catastrophe avait eu lieu, il leur répondit : demain. Profitant alors de l'attention et du désarroi, Noé se dressa dans toute sa grandeur et se mit à parler : après-demain, le déluge sera quelque chose qui aura été. Et quand le déluge aura été, tout ce qui est n'aura jamais existé. Quand le déluge aura emporté tout ce qui est, tout ce qui aura été, il sera trop tard pour se souvenir, car il n'y aura plus personne. Alors il n'y aura plus de différence entre les morts et ceux qui les pleurent. Si je suis venu devant vous, c'est pour inverser le temps, c'est pour pleurer aujourd'hui les morts de demain. Après-demain, il sera trop tard. Sur ce, il rentra chez lui, se débarrassa de son costume, de la cendre qui recouvrait son visage et se rendit à son atelier. Dans la soirée, un charpentier frappa à sa porte et lui dit : laisse-moi t'aider à construire l'arche, pour que cela devienne faux. Plus tard, un couvreur se joignit aux deux en disant : il pleut par dessus les montagnes, laissez-moi vous aider, pour que cela devienne faux. (Günther Anders : Endzeit und Zeitende, Munich, C.H. Beck, 1972)
Je vous laisse à vos réflexions en terminant par cette phrase de Jean-Pierre Dupuy (In : Petite métaphysique des tsunamis, Paris, Seuil, 2005) : Le prophète de malheur n'est pas entendu parce que sa parole, même si elle apporte un savoir ou une information, n'entre pas dans le système des croyances de ceux à qui elle s'adresse.