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dimanche 16 avril 2023

Bilan médical du lundi 10 avril au dimanche 16 avril 2023 : santé genrée, fin de vie chez les CSP +, metformine, imagerie, financiarisation des soins, LCA et VRS, covid long, nouveau calendrier vaccinal.

 

Via @pash22 Le système de santé états-unien

143. Quand le genre remplace les luttes sociales : l'intersectionnalité sans la lutte des classes.

Pratiquement au même moment un article est paru dans Slate (ICI) (Laure Dasinières et Antoine Flahaut) et une tribune a été publiée dans Le Monde (LA) (Anne-Sophie Leroux, Pauline Londeix, Jérôme Martin) pour dénoncer respectivement un manque de prévention genrée en France et un manque d'accès aux soins genré partout dans le monde.

Dans les deux cas les auteurs.e.s parlent de prévention médicale et d'accès aux soins médicaux.

Rappelons aux auteurs de ces textes que : 

  • 80 % des déterminants de santé sont non médicaux (on peut, certes, discuter, et le genre est un déterminant non médical a  priori)
  • l'accès aux soins (et aux prestations sociales) est lié à la Catégorie Socio-Professionnelle quel que soit le genre, les plus favorisées CSP + : les chefs d'entreprise, les professions libérales, les professions à plus fort revenu du secteur privé (cadres, ingénieurs, chercheurs, etc.) ainsi que l'ensemble des fonctionnaires de catégorie A. Associée à un fort pouvoir d'achat la notion permet de regrouper de manière approximative la classe moyenne supérieure et les ménages aisés.   Le dernier rapport de la DREES l'atteste : ICI.
  • la prévention en général, en France, est une rigolade sans fin pour ce qui est des risques évitables (en Europe) : alcool (n°2 en Europe), tabac (n°3), cannabis (n°1), cocaïne (n°1), accidents du travail (n°8), mortalité infantile (19/27 dans l'UE), mortalité maternelle (20/27)...
  • Il faut donc mettre le paquet pour que la France ne soit pas, dans l'OCDE, le dernier des derniers pays pour la prévention médicale et non médicale.

Mon commentaire sur twitter (ICI) souligne que la prévention genrée est éminemment politique et qu'elle repose comme le montre la littérature médicale et de sciences sociales sur : 

  • La diminution globale du temps de travail cumulé des femmes (domestique et professionnel, transports)
  • L'amélioration des conditions de travail des femmes exerçant les métiers les plus pénibles, les moins payés, les moins valorisés, 
  • Imposer la médecine du travail chez les femmes payés par des chèques Emplois Services, 
  • L'égalité des salaires hommes/femmes pour des postes identiques
  • Les protéger contre les violences domestiques
  • Lutter contre l'alcoolisme des hommes, première cause de féminicides
  • et cetera.
  • Ce sont les femmes des milieux défavorisés qui sont les plus à risques, qui sont les moins prévenus, les moins éduqués, les moins médicalisés et ce sont les femmes CSP + qui encombrent par exemple les consultations de gynécologie en se faisant pratiquer des frottis du col utérin tous les ans (et avec dépassement d'honoraires)
Je vous invite à lire cet éditorial passionnant du BMJ (accès gratuit) : LA.



Par ailleurs, le corps des femmes est un terrain d'expérimentation incroyable pour les médecins et les chercheurs : on leur dit ce qu'elles doivent faire depuis la préconception, pendant la conception (disease mongering ahurissant sur le diabète gestationnel), pour la naissance, pour le développement des enfants et la PMA est un parcours d'obstacles fait de souffrances physiques et psychologiques... Quant aux derniers développements sur l'IVG et la pénurie médicamenteuse de misoprostol, elle m'a fait penser au fait que l'on ne demande pas leur avis aux femmes (sauf pour des raisons de nombre de semaines d'aménorrhée) sur le choix de la méthode abortive (médicamenteuse ou instrumentale)...

Sans oublier le manque d'informations données aux femmes lors du dépistage du cancer du sein par mammographie avec des Aunt Tom comme cette mammographiste canadienne (voici le tweet original et le fil) : 

Le fil : LA

Vous avez lu ? Fausse alerte.

👉Je signale un billet de blog remarquable sur le dépistage du cancer du sein : ✊✊✊

Ecrit par une médecine généraliste. C'est un document de qualité. 

LA.

Et voici ce que proposent les agences gouvernementales comme prévention, relayées par l'Assurance Maladie. Navrant : 


La prévention est avant tout sociétale. Mais aussi individuelle.

Mais c'est injuste de faire porter la responsabilité des maladies sur les patients selon le vieil adage répété comme un mantra : La maladie est le salaire du péché.

Une initiative du gouvernement anglais : 




Détail d'une céramique de la maison Picassiette à Chartres qui mérite une visite...
Photo docdu16


144. Quand un CSP + hospitalier se rend compte que la fin de vie vue des urgences, ça dysfonctionne.

La Tribune de Mathias Wargon dans le journal Le Monde que l'on ne peut lire que si on est abonné (LA) méritait un commentaire.

Le voici sur twitter : LA


Via @RavaudGilles ICI
Les jeunes médecins (UK) demandent une augmentation de 35 % de leur salaire.


145. Existe-t-il encore une seule raison d'initier un traitement par metformine dans le diabète de type 2 ?

Nous avons abordé ce problème plusieurs fois dans ce blog et je rappelle l'excellent article de Boussageon R et al (LA).

Il remet en cause toutes nos certitudes (?) et il est probable que la metformine fera partie du Medical Reversal.

Je réponds à la question : oui.  Le ROSP ou l'incentive de l'Assurance Maladie qui ne rémunère les MG français que s'ils prescrivent de la metformine en première intention. 


Toujours la maison Picassiette.
Photo docdu16


146. Trop d'imagerie prescrite par les MG dans les troubles musculo-squelettiques (en Australie)

Un essai randomisé australien portant sur les effets d'un audit et d'une intervention/non intervention sur la prescription d'imagerie dans les troubles musculosquelettiques par les médecins généralistes :(LA).

Eh bien, la formation des MG, ça marche, du moins à court terme.




147. Financiarisation des soins.


Une analyse implacable de Nicolas Da Silva sans vraies solutions.  Malheureusement : ICI

La suppression des soins primaires est actée depuis longtemps. L'hospitalo-centrisme et la faillite de l'hôpital sont passés par là. 

Nicolas Da Silva ne voit que l'adjectif libéral dans les soins primaires.

Il est partisan de la suppression pure et simple de cette médecine libérale en soins primaires dont on connaît les défauts (il suffit de lire ce blog) liés aux soins primaires eux-mêmes (comme les expériences des autres pays le montrent) mais la nature ayant horreur du vide et comme les centres de santé communautaires ne vont pas pousser comme des champignons, les groupes privés vont capturer les médecins et il sera fini de la médecine longitudinale, la médecine de famille, pour une médecine au coup par coup qui n'a jamais donné rien de bon.


148. Lectures critiques d'article et vaccin VRS chez la femme enceinte.

Je lisais récemment sur twitter les propos d'un hospitalier prétendant que l'enseignement de la LCA était inutile et empêchait les étudiants d'apprendre la vraie médecine.

Oups. Prenons l'exemple du vaccin anti VRS ("bronchiolite") chez la femme enceinte. 

Voici l'abstract de l'article (il faut être abonné pour le lire en entier) : ICI.

Contre : un étudiant anonyme publiant chez Vinay Prasad

Pour : Eric Topol

ICI

Attendons l'avis de la HAS... 😅😅😅


@HillmanMarc


149. Covid long : un article analyse les critères retenus pour le définir : du grand n'importe quoi.

L'article paru le 25 mars 2023 (ICI) analyse les critères de définition du Covid Long dans 92 études publiées : dans seulement 54 % des études les résultats de laboratoire affirmant le covid étaient mentionnés ! Pour définir le Covid Long 8 durées de symptômes ont été retrouvées (entre 4 et 52 semaines) avec une moyenne de 12 (alors que 36 % des études ne précisaient pas la durée retenue). Un total de 57 symptômes a été pris en compte ! 


Ôé Kenzaburo (1935-2023)
Prix Nobel de littérature 1994
Première Division


150. Covid : Les essais d'un vaccin intranasal sont prometteurs chez les hamsters et les souris : du spin, du spin, du spin

Je commente ? C'est LA



151. Le nouveau calendrier vaccinal.

C'est LA.




mardi 3 janvier 2023

"La bataille de la sécu. Une histoire du système de santé." Nicolas Da Silva.

Avant de commencer, et pour me conformer au Code de la Santé publique, Article L4113-13, je déclare à nouveau ne pas avoir de liens d'intérêts avec les industriels de la santé. 

Cependant, et comme je l'ai précisé ICI, j'ai été médecin généraliste libéral pendant 41 ans entre le 5 septembre 1979 et le 30 juin 2021. Ce qui est un lien d'intérêts majeur.


pp 294, 15 euros

Il faut remercier Nicolas Da Silva pour cette somme historique (le consensus supposé autour du Conseil National de la Résistance), pour les informations sourcées qu'il fournit (338 références), pour les données économiques qu'il développe (le fameux trou de la Sécu), pour les partis-pris qu'il assume.

J'ajoute que j'ai lu le livre en même temps qu'un article du même auteur que j'ai trouvé provocateur (je l'ai commenté ICI) et qui m'a influencé dans la lecture critique du livre. Cet article est non seulement provocateur mais erroné en raison de nombreux biais.

Car Nicolas Da Silva (NDS) a des partis-pris. 

Il présuppose "... qu'il existe deux formes historiques de protection sociale publique : la Sociale et l'Etat social." La définition qu'il donne de la première est mystérieuse :  "... portée par les individus eux-mêmes." Il ne cache pas non plus que la disparition de la médecine libérale fait partie de ses solutions, voire même qu'il s'agit de la "balle magique" pour sauver l'hôpital.

Il n'est pas possible de commenter en détail tant sont rapportés des faits intéressants, des détails croustillants, des mises au point salutaires et quelques erreurs manifestes.

J'ajoute que je ne dirai rien du dernier chapitre consacré à la crise du Covid, tant il m'a paru faible par rapport au reste de l'ouvrage, tant il m'a paru bâclé, et mal renseigné.

Quelques commentaires succincts.

  1. Le sous-titre du livre, Une histoire du système de santé, est trompeur à moins de donner une définition très restreinte de la santé. 
  2. Rappelons la définition de la santé donnée par l'OMS en 1946 : "La santé est un état complet de bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité." Cette définition extensive permet de ne pas omettre les principaux déterminants de la santé que sont le revenu, l'emploi, l'éducation et l'alphabétisme, les conditions de vie et la sécurité alimentaire. 
  3. Les critères épidémiologiques historiques de la santé publique, à savoir l'espérance de vie à la naissance, la mortalité infantile et la mortalité en couche (auxquels on ajoute à l'époque moderne l'espérance de vie en bonne santé tout comme l'espérance de vie à 35 ans, par exemple) sont en France du niveau de ceux des grands pays développés (mais pas à la meilleure place) mais trahissent aussi les fortes inégalités de santé liées aux déterminants que nous avons cités. 
  4. L'auteur n'aborde donc pas ce que sont la santé et la santé publique. Rien ou presque. Comme si la santé était un concept unifié et universel dont la signification était implicite. 
  5. La sociologie indique que la santé a trait à ses représentations collectives et comment elles ont été construites par l'histoire en général, par l'histoire des idées, par l'histoire des sciences, par l'histoire de la médecine, par les luttes sociales et par la politique au sens large dans un monde globalisé et inégalitaire. Quant à la santé publique proprement dite, elle dépend éminemment de la politique et des décisions politiques prises par l'Etat et non par la Sécu : les conditions de travail et le niveau socio-économique et éducationnel..
  6. L'auteur omet, et c'est une composante essentielle des représentations collectives de la santé, les formidables progrès de la médecine et de la santé publique depuis 1945. J'insiste ici sur la différence entre la santé publique et la médecine qui sont deux notions qui ne se recouvrent pas complètement. La santé publique contient la médecine mais il arrive trop souvent qu'elle ne la contienne pas (au sens de la limiter) et très souvent qu'elle n'ose pas la dépasser.
  7. Les représentations collectives de la santé sont liées, pour résumer rapidement : 
    1. Au formidable recul de la mort des enfants depuis la fin du 19° siècle : la mortalité infantile est passée de 15 % en 1900 à 0,4 ou 0,5 % actuellement, soit 300 fois moins ! (Yonnet P. 2006, Le recul de la mort, Paris, Gallimard) et, plus généralement à la transition épidémiologique ou sanitaire définie ainsi par l'INED : "Période de baisse de la mortalité qui accompagne la transition démographique. Elle s'accompagne d'une amélioration de l'hygiène de l'alimentation et de l'organisation des systèmes de santé et d'une transformation des causes de décès, les maladies infectieuses disparaissant progressivement au profit des maladies chroniques et dégénératives et des accidents."
    2. A la transition épistémologique ou le triomphe supposé de la médecine et des médecins : mythe de la bonne santé, silence des organes, zéro défaut. Le silence des organes suppose non seulement de l'assumer curativement (en développant les techniques diagnostiques les plus complexes et les plus chères et en proposant des médicaments pour chaque "bruit" des organes) et préventivement (pour que les organes ne fassent pas de "bruit"). Cette avalanche d'examens complémentaires, de chiffres, de pixels conforte l'idée que la technique va tout régler. 
    3. A la médicalisation complète de la santé (Illich I. 1975, Némésis médicale, Paris, Fayard) : tout est médical selon les médecins alors que la plupart des grandes avancées et la plupart des mesures prises en cas de chronicité, d'invalidité ou de handicap dépendent du médico-social.
  8. Il omet également de citer (mais ce n'est pas son sujet) le grand projet du capitalisme libéral mondialisé, à savoir plus précisément le biocapital et la bioéconomie tels que résumés par le rapport de l'OCDE de 2009 ICI, analysés par Céline Lafontaine (LA) qui définit la nouvelle biocitoyenneté comme "... s'inscrivant dans un processus plus large de dépolitisation des questions de santé publique (lutte contre les inégalités, contre la pauvreté et pour l'accès aux soins, au profit d'une biologisation des identités citoyennes". J'ai recensé ICI et LA les thèmes de ce livre. 
  9. Le point de vue de l'auteur est celui de l'hospitalo-centrisme, c'est à dire qu'il reproduit le discours de caste des mandarins, le discours de classe des mandarins, le discours de mépris des mandarins à l'égard de ce qui n'est pas hospitalier, voire de ce qui n'est pas CHU. Mon jugement est sans doute exagéré mais il se réfère aux attaques constantes et réitérées de NDS contre les soins primaires libéraux sous un angle idéologique (étatiser les soins primaires) et sous l'emprise de la conception élitiste d'un hôpital dépositaire de la "vraie" médecine. L'hospitalo-centrisme est la maladie infantile de la médecine et de la santé publique et corrompt le débat public sur les choix et les arbitrages en termes budgétaires. Les dépenses hospitalières françaises comparées à celles des autres membres de l'OCDE sont considérables (nous sommes seconds voire premiers pour les soins courants comme le rapporte une publication de la DREES en 2020 : LA)
  10. Si l'hospitalo-centrisme avait un contenu scientifique fondé sur les preuves pour délivrer des soins, ce serait un moindre mal, mais ce n'est pas le cas. J'ai rapporté LA des données états-uniennes, britanniques et australiennes qui concluent que de 35 à 54 % des pratiques académiques hospitalières (hors homéopathie) de soins ne sont pas validées. Et manquent bien entendu des données concernant les soins primaires (on peut imaginer que ce serait pire).
  11. L'auteur centre idéologiquement son livre sur La Sociale et prône, je cite, "... une sécurité sociale auto-organisée contre le capital et contre l'Etat... "Malheureusement, la définition de La Sociale manque : s'agit-il simplement d'un système auto-organisé des salariés pour diriger la Sécu qui serait une entité hors sol, simple outil de gouvernance  d'une santé dont on ne discuterait pas les contenus idéologique et social ? On ne peut plus d'ailleurs aujourd'hui omettre les patients et les citoyens en  bonne santé de cette gouvernance. L'accès aux soins et le reste à charge sont, certes, des composantes majeures du combat social mais le contenu scientifique des soins et les arbitrages ne peuvent être laissés de côté et confiés à la seule Faculté de médecine. 
  12. C'est le livre des oublis : oubli des professionnels de santé non médecins, oubli du médico-social (pas une seule fois la profession d'assistante sociale n'est citée), oubli des apports majeurs des soins primaires sur la prise en compte des patients et des citoyens dans le processus décisionnel, les décision partagée, les valeurs et préférences des patients, l'Evidence Based Medicine, oubli des patients et des citoyens, on dit désormais et à tort, les usagers du système de soin, mais, surtout :
  13. Oubli de la corruption généralisée de la santé publique par l'industrie pharmaceutique et celle des matériels que l'on appellera de façon synthétique les pouvoirs illimités du complexe santéo-industriel. Négliger cette composante revient à blanchir les membres de l'Etat social de toute responsabilité individuelle. Même s'il est pratiquement impossible de mener une recherche bioclinique indépendante de l'industrie en France.
  14. L'hôpital public corrompu alimente en effet le personnel du Ministère de la Santé, l'hôpital public corrompu alimente le personnel de la Direction Générale de la Santé, l'hôpital public corrompu alimente le personnel des agences gouvernementales françaises (Agence du médicament, Haute Autorité de Santé, Haut Conseil de la Santé Publique, Institut National du Cancer, et cetera) et européennes (EMA) et cette corruption s'étend à la formation des étudiants en médecine, à la formation continue des médecins, concerne également la recherche publique et privée...
  15. La bataille de la Sécu ne peut donc être seulement un combat neutre entre l'Etat social et la Sociale quand la santé publique dépend de mesures politico-sociales (niveaux des minima sociaux, allocations de ressources pour l'habitat, éducation nationale,...) et de procédures de soins dont la validation pose problème tant pour les médicaments que pour les matériels. Une validation qui est corrompue par des recommandations non indépendantes émanant d'agences gouvernementales dont les pratiques mafieuses ont été largement décrites (Mediator, implants mammaires, par exemple).   
  16. Et, paradoxalement, puisque NDS ne propose pas de solutions autres que rendre la gestion de la Sécu aux travailleurs, il faudrait plus précisément parler des usagers des soins, il a écrit bien malgré lui un formidable réquisitoire contre l'Etat social qui est quand même considéré par tous comme le service public (renvoi aux représentations collectives de la santé). C'est ce qui s'appelle se tirer une balle dans le pied.

Le carré de White selon Green.

En conclusion.

L'angle mort du livre de Nicolas Da Silva est, justement, la santé.

L'auto-organisation des travailleurs pour gérer la Sécu est une préconisation qui ne s'entend que dans un cadre plus large, politique, qui est celui des soins, de la pertinence des soins, de la qualité des soins, dans une perspective de déshopitalocentrer la santé. Tous les pays développés sont confrontés aux mêmes problèmes que posent les soins primaires, c'est à dire des prises en charge moins techniques, moins "scientifiques" où règne l'incertitude et où les acteurs de ces soins primaires exercent un effet barrière qui permet de soulager l'hôpital (en amont comme en aval).

Pour être provocateur à mon tour, j'ajouterais que l'idée selon laquelle la deuxième guerre mondiale a été plus importante pour le fonctionnement de la Sécu que la diffusion des antibiotiques ou des examens diagnostiques (scanners, IRM), est très discutable. Les transformations majeures de la Sécu sont survenues en temps de paix et sont liées aux raisons pour lesquelles des personnes vivant en France décident de consulter plus souvent qu'auparavant un professionnel de santé, lequel, où, et combien cela va leur coûter,  à eux et à la collectivité, en exigeant toujours plus de techniques et d'examens.  

Toutes choses égales par ailleurs (les pays développés où d'ailleurs la France est mal placée pour la mortalité infantile, la mortalité en couche, le nombre de fumeurs, le nombre de consommateurs d'alcool), ce sont les déterminants socio-économiques et éducationnels qui pèsent le plus sur la santé publique. Et donc des décisions politiques.

L'abandon des soins primaires serait une erreur majeure.

Ce n'est pas la médecine générale libérale qui menace les soins primaires, c'est l'hospitalo-centrisme qui méprise les soins primaires (dans lesquels il faut inclure les soins délivrés par les sages-femmes, les infirmiers, les kinésithérapeutes, les orthophonistes, et pardon pour les oublis) en niant son rôle et en traitant les médecins généralistes de nuls recalés des concours.

L'augmentation du recours aux urgences hospitalières (que l'on constate partout dans les pays développés) n'est pas seulement liée à un manque de disponibilité des médecins généralistes mais aussi aux représentations collectives de la santé : culture du diagnostic, culture de l'imagerie, culture des examens complémentaires, silence des organes, indolence, et cetera.

Désengorger l'hôpital c'est encourager les jeunes internes en médecine générale à s'installer comme libéraux ou comme salariés en repensant le rôle des soins primaires qui sont fondamentaux pour l'économie de la santé, c'est à dire en repensant l'enseignement de la médecine qui n'est adapté qu'à une carrière hospitalière et non à un exercice en ville.

Encourager l'installation en soins primaires sans développer une politique d'éducation à la santé permettant de désengorger les consultations avec des jeunes médecins salariés travaillant moins et dans de meilleurs conditions va entraîner un sacré choc en termes d'accès aux soins. 

Quant aux débats sur la capitation, le paiement à l'acte ou au forfait, l'expérience des autres pays montre que cela ne règle rien, que chaque système a ses avantages et ses inconvénients. Il faut en discuter.

Excellent livre historique, excellent livre d'un économiste, excellent point de vue académique de gauche (ce n'est pas un oxymore) mais qui demanderait de nombreux éclaircissements et des approfondissements.

Enfin, j'ai limité mon propos, le livre comportant 294 pages et 338 références (on remarquera quand même l'absence de références non françaises pertinentes), et je suis prêt à en discuter ici ou là.


samedi 10 décembre 2022

Si l'hôpital est pauvre c'est à cause de la médecine de ville qui est riche. Nicolas Da Silva.




Je suis actuellement en train de lire le livre de Nicolas Da Silva "La bataille de la Sécu - Une histoire du système de santé", un crayon à la main, un moteur de recherche en ébullition et avec beaucoup d'intérêt. J'en ferai plus tard la recension.

Mes premières impressions sont quand même celles-ci : 

  • le sous-titre est mensonger à moins de donner une définition de la santé très restreinte (qui n'est à mon avis pas la bonne puisqu'elle omet le fait que les principaux déterminants de santé sont : les conditions de vie, les conditions de travail, le niveau socio-économique et éducationnel comme la définit en 1946 l'OMS : "La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité.") (a)
  • le propos est hospitalo-centré (ce qui va à l'encontre de toutes les données et recherches prospectives sur la santé, l'accès aux soins, l'éducation à la santé, et cetera)
  • c'est un formidable outil contre le service public (je cite : représentant de l'Etat social et non outil de La sociale)

Bref, il est temps de déclarer mes liens d'intérêts :

  • médecin généraliste retraité ayant exercé 41 ans en secteur 1
  • opposé de façon "gratuite" à la grève pour les 50 euros puisque ne travaillant plus (j'ai par ailleurs publié les chiffres de mon BNC (b) lors de ma dernière année d'installation comme médecin généraliste exerçant avec une associée dans un cabinet libéral et travaillant avec une secrétaire plein temps et une femme de ménage)
  • partisan de réformes profondes du système de santé dont celles du contenu de la consultation et de la visite de la médecine générale et de son organisation et son articulation avec les structures médico-sociales
  • défenseur des soins primaires prodigués en libéral, en PMI, en centres de médecins salariés, et cetera
Et voilà que paraît un article de Nicolas Da Silva (ICI)

Conflit d'intérêts : Nicolas Da Silva (NDS) est pour la suppression du paiement à l'acte et pense que tous les maux de l'hôpital sont liés à la médecine libérale. 

Quelque remarques :

  • LES médecins libéraux sont un groupe hétérogène en raison de leur spécialité, de leur lieu de pratique (cabinets individuels, associations simples, maisons médicales, cliniques...), de leur type de pratique (spécialités), du fait des temps partiels et des exercices particuliers -qui n'existent plus administrativement, et cetera. 
  • Comme il est signalé (mais de façon partielle) des médecins salariés du service public comme des médecins libéraux "de ville" exercent une activité libérale dans le service public hospitalier.
  • Il n'est pas possible de comparer les libéraux entre eux (même si, par un artifice sémantique, les médecins généralistes sont considérés comme spécialistes) : comment comparer les revenus d'un dermatologue de ville avec un cardiologue posant des stents dans une clinique ?
  • Mais surtout : l'hospitalo-centrisme de NDS le fait adhérer à la non prise en compte des soins primaires en mettant sur le même plan la médecine générale et la médecine d'organe ou d'examens techniques... C'est une erreur majeure. Il faut privilégier la médecine générale, c'est à dire les soins primaires, et bien dire que nous sommes un des pays où il existe le plus de spécialistes non MG en ville.
  • Je suis assez d'accord avec nombre de points rapportés dans l'article à ceci près que jamais le temps de travail, les contraintes horaires ne sont citées, les gardes, et cetera.
  • Je suis très étonné qu'un auteur se réclamant de gauche écrive, je cite, "Une faible rémunération des internes compensée par leur carrière", internes pour lesquels le code du travail est bafoué (horaires, repos compensateurs, conditions d'hébergement, ...) pendant toutes leurs études. Curieux.
  • Sur le même sujet des rémunérations et des conditions de travail des internes, déplorables, convenons qu'il s'agit d'un frein majeur à l'ouverture de la profession médicale à d'autres étudiants que ceux dont les parents appartiennent aux CSP + (ce que toutes les enquêtes attestent).
  • La comparaison purement comptable des honoraires avec les autres pays ne tient compte ni de la charge de travail, ni du nombre de patients vus par jour, ni des conditions socio-économiques, ni des indicateurs de santé publique (la France est plutôt mal placée).
  • L'interprétation des raisons pour lesquelles le numerus clausus a été institué puis modifié est très partiale : il n'y avait pas que "la frange la plus conservatrice des médecins qui étaient pour". (NDS n'a pas cité, pas plus dans son livre, tous les auteurs de commentaires contradictoires à ce sujet dont un billet ICI de Dupagne D et un chapitre de livre de Got C "Imprévoyance - La mauvaise gestion de la démographie médicale au cours des trente dernières années -- pp 31-40 In Comment tuer l'Etat - Précis de malfaçons et de malfaisances, Paris, Bayard, 2005 )
  • La rémunération sur objectifs de santé : NDS omet de dire que la ROSP est la mesure la plus libérale (au sens économique et managérial) instituée par la CNAM, il s'agit d'un incentive bien classique dans le managériat entrepreneurial (dont j'ai analysé ailleurs les tenants et les aboutissants), sur des objectifs parfois purement économiques, sans véritable valeur ajoutée médicale (manque de preuves), incentive qui a fait la preuve de son inefficacité en termes de santé publique tant en Grande-Bretagne qu'aux États-Unis d'Amérique et :
  • qu'elle n'est pas seulement contestée par les patients comme il est écrit mais surtout par les médecins et pour des raisons souvent contradictoires : les "purs" libéraux qui ne souhaitent avoir aucune contrainte de prescriptions, les partisans de la médecine par les preuves qui contestent la valeur des données et les comptables qui pensent qu'il s'agit d'une forfaitisation cachée.

Mais surtout, attardons-nous sur les 3 derniers paragraphes qui sont, passez-moi l'expression non académique, gratinés.

  1. Qu'un économiste de gauche cite Brigitte Dormont, économiste ultra libérale ayant travaillé avec Claude le Pen, et cetera, dans le cadre d'un Think Tank du même acabit (CHAM), pour écrire, et là le clavier m'en tombe, je cite exactement "... n'est-il pas temps que l'inflation des dépenses en médecine de ville ne soit plus la cause de l'austérité à l'hôpital ?" Les dépenses hospitalières françaises comparées à celles des autres membres de l'OCDE sont considérables (nous sommes seconds voire premiers pour les soins courants (c)), l'ONDAM indique au contraire la faible part du poids des médecins généralistes dans le budget global (3 % environ)...
  2. Ecrire que, je cite encore, "... un hôpital pauvre et sous-dimensionné, avec une médecine de ville riche et mal organisée." Il était possible d'écrire que l'hôpital n'est pas si pauvre que cela (voir les chiffres de l'OCDE et ceux de la DREES), qu'il est mal organisé, qu'il maltraite ses salariés, qu'il n'est pas réparti équitablement sur le territoire, que les médecins hospitaliers sont les moins à même de proposer des réformes ("Donnez-nous l'argent, on fait le reste") et qu'il ne sait ni sélectionner ni former les futurs médecins aux nouveaux enjeux de la santé publique. La médecine de ville doit être centrée sur les soins primaires, je me répète, et, effectivement, s'organiser autour de pôles médico-sociaux.
  3. Réorganiser la médecine de ville est nécessaire. La suppression du paiement à l'acte (auquel, vous l'avez compris, je ne suis pas opposé) ne change rien à la non-attractivité de la médecine générale (c'est le cas dans tous les pays développés quels que soit le mode de rémunération, libérale non, mixte ou non...) car l'hospitalo-centrisme de l'enseignement, de la hiérarchie, du complexe santéo-industriel, du mépris des soins primaires, des politiques qui veut organiser les soins primaires sans les acteurs des soins primaires sera un échec.

Contrairement à ce que prétend NDS, la crise du système hospitalier, la crise des urgences, ne sont pas liées à la richesse de la médecine de ville mais, au contraire, à sa raréfaction (et si nous regardons la diminution considérable du nombre des PMI, il est évident que le salariat sans salaires et sans structure ne peut être une solution magique). Quant au non paiement à l'acte, à la forfaitisation, il fait partie intégrante du projet ultra-libéral du disease management imposé par l'industrie pharmaceutique qui permet avec quelques KOL (key opinion leaders grassement corrompus) d'imposer des soins uniformes à des malades particuliers.

Le problème est complexe et se pose dans tous les pays du monde.

Les solutions magiques ne peuvent marcher que si l'on repense la santé dans son ensemble en la centrant sur les causes de dysfonctionnement majeures : les inégalités socio-économiques).

Pour l'heure il faut attirer les jeunes médecins généralistes vers une installation pérenne en médecine générale, libérale, salariée ou non, dans des groupements ou non, dans des maisons médicales ou non, c'est possible mais, dans le même temps, ne pas les décourager avec une sélection inhumaine et inefficace, une sélection par l'échec, un enseignement non adapté, et des conditions de travail en tant qu'étudiants respectant au moins le code du travail et, surtout, leur intégrité physique et mentale.


PS 1 : Je n'ai indiqué aucune référence parce que je ne voulais pas m'auto-citer et parce que le fait de "cueillir des cerises" en ne citant que ce qui va dans le sens de mes convictions ne rend pas pertinent.

PS 2 : NDS m'a appris énormément de choses dans son livre (j'en suis à la page 208)

PS 3 : Je rajoute les références le 12 décembre 2022 en modifiant le texte avec des portions en italique grasseyé et souligné.

PS4 : Je complète le 01/01/2023 avec des références en rouge.

(a) ICI
(b) LA Fil twitter
(c) ICI Comparaisons internationales des données hospitalières (source DREES)