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mercredi 22 juin 2022

L'arroseur arrosé. Histoire de santé publique sans consultation 2

Référence : Marianne.


Monsieur A, 69 ans, a mal aux dents. Il a mal aux dents et son ex-dentiste favori, celui qu'il pouvait consulter en moins de 10 minutes, son voisin de palier, et un bon encore, est parti à la retraite depuis deux ans et quand il prend conscience qu'il serait utile savoir ce qu'il a, en plus de la gengivite qui lui fait mal et de la pression lorsqu'il mange, un abcès sous un bridge, un descellement de bridge, ou autre, c'est la veille de l'Ascension, sa nouvelle dentiste attitrée chez qui il a effectué deux détartrages ne travaille pas le mercredi. Sur Doctolib, le prochain rendez-vous non urgent est dans vingt jours et comme il est un médecin à la retraite il ne veut pas abuser de la case Urgent car cela ne lui semble pas urgent.

Monsieur A se rend à pied (il n'est pourtant pas écolo compatible avec Corinne Lepage ou Sandrine Rousseau) dans deux centres dentaires de sa ville qui viennent de se créer (en fait, ça fleurit partout). Dans le premier une charmante secrétaire lui dit que le prochain rendez-vous est dans trois semaines et que si c'est urgent il faut appeler la Pitié-Salpétrière. Dans le second, une tout aussi charmante secrétaire lui dit que c'est possible dans sept jours.

Il consulte Doctolib et trouve un rendez-vous pour 17 heures le même jour à l'autre bout de la ville (il y va quand même à pied).

Il est reçu par un jeune dentiste qui demande à son assistante de pratiquer un panoramique et : 

"Je n'ai pas retrouvé d'abcès. Il y a une zone de frottement sous le bridge (il me montre sur l'écran géant qui est en face de moi, une solution noire de continuité, sous l'incisive, alors que je n'ai pas mal à cet endroit), un bridge comme on n'en fait plus, c'était bien à l'époque et, pour l'enlever, ça va être une galère, et, vous voyez, là, il manque de l'os, pour poser des implants, et il faut poser des implants, il va falloir faire une greffe osseuse..."

Avant de venir Monsieur A s'était dit que le nouveau dentiste, et il n'avait pas encore vu son cabinet ultramoderne, allait lui faire la totale. C'est le cas.

Donc, le jeune dentiste dit : "Je ne vous prescris pas d'antibiotiques mais, dans trois jours, si vous avez encore mal, faudra quand même en prendre..." Et il rédige une ordonnance.

Ensuite, il étudie l'articulé dentaire et se met à meuler les dents qui frottent (ce sont des céramiques, donc, c'est facile).

Monsieur A, le docteur A, il jubile : il a enfin trouvé un dentiste qui ne prescrit pas d'antibiotiques dans les douleurs dentaires (voir ICI).

C'était mercredi entre 17 heures et 17 heures trente.

Le fait que des antibiotiques n'aient pas été prescrits produit un effet placebo indéniable sur le docteur A.

Mais le dimanche soir il se dit qu'il voudrait avoir un autre avis. Lundi, c'est Pentecôte, et il se rend chez sa dentiste le mardi vers 10 heures, il voit son associé qui lui donne un rendez-vous pour 14 heures après avoir regardé le panoramique dentaire fait il y a un an... "Il aurait dû vous prescrire des antibiotiques..."

La dentiste reçoit à l'heure, évacue l'abcès gingival que le docteur A aurait pu percer lui-même et lui prescrit, pour 8 jours, amoxicilline plus metronidazole. Elle lui donne un rendez-vous pour le mardi suivant en lui disant que le bridge s'est sans doute rompu et qu'il va falloir agir localement.

(Monsieur A n'a pas compris toutes les explications de soins de la dentiste mais se propose de préparer des questions pour la prochaine fois pour envisager une décision commune)

Le soir, il n'a presque plus mal.

Le lendemain encore moins. Et au bout de 3 jours, les douleurs ont quasiment disparu. Et surtout : le bridge qui se baladait dans la gencive ne bouge plus.

Monsieur A se demande s'il va continuer à prendre les antibiotiques car le metronidazole le barbouille, sans plus. Mais il est possible que la dentiste fasse un geste ce mardi et il juge qu'il vaut mieux continuer de les prendre et de ne pas faire la malin avec la prescription.

La dentiste constate que l'infection a disparu, nettoie, ôte le bridge, nettoie et recolle. Jusqu'à la prochaine fois. Et fournit encore quelques suggestions thérapeutiques. Allongé sur son fauteuil et témoin passif des soins qu'il reçoit, le docteur A remarque qu'à aucun moment il n'a eu mal et que les gestes de la dentiste ont l'air d'une grande précision et d'une grande détermination. Mais qui est-il pour juger cela ?

(Encore une fois le docteur A n'a pas tout compris sur le programme de soins qui va venir et quelles en seront les conséquences, esthétiques notamment et il se promet, prendra-t-il des notes ?, de poser des questions lors du prochain rendez-vous. Disons qu'il n'a pas tous les éléments en main pour comprendre et décider.)

(La dentiste demande au docteur A de lui adresser le tableau de remboursement de soins dentaires accordés par la mutuelle afin de lui faire un devis pour les soins à venir. Le docteur A est surpris. Il n'a pas l'habitude de ces pratiques. Il se demande s'il s'agit de la part de la dentiste d'une attention de sa part, s'adapter à sa mutuelle, ou d'une optimisation tarifaire, obtenir les honoraires les plus élevés sans faire trop de mal au patient.)

Quelques leçons de tout cela.

  1. L'arroseur arrosé : le médecin champion autoproclamé de la prévention quaternaire et du primum non nocere, s'est fait piéger par un dentiste qui a prêché pour la même paroisse (en se trompant)
  2. Il est difficile (pardon pour le truisme qui va suivre) de raisonner pour soi-même, de diagnostiquer pour soi-même, de prescrire pour soi-même.
  3. Un médecin en condition de patient est un patient comme un autre et comprend assez vite combien la décision médicale est affaire de relations médecin (dentiste)/patient et combien les choix sont nombreux, soumis à la subjectivité des deux partis et peu fondés sur des preuves.
  4. Les préjugés, quels qu'ils soient, sont de mauvais conseillers pour le soignant comme pour le soigné.

Cela dit, le docteur A est bien embêté : que faire de ce bridge que l'on devra enlever et sans doute difficilement remplacer sans perdre latéralement la beauté de son sourire ?