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mercredi 12 juillet 2023

Milan Kundera (premier avril 1929 - 12 juillet 2023)

Le kitsch fait naître tour à tour deux larmes d'émotion. La première larme dit: Comme c'est triste, la mort de Milan Kundera !
 La deuxième larme dit: Comme c'est beau d'être ému avec toute l'humanité à la pensée de la mort de Milan Kundera !
Seule cette deuxième larme fait que le kitsch est kitsch.



 

A l'angle du Boulevard Diderot
Et de la rue de l'Opéra
Un homme aux manières de séducteur
Converse en un français très sentimental
Avec deux jeunes femmes
Plutôt belles
Une blonde et une brune
Assises à la terrasse
D'un café littéraire
Deux grandes jeunes femmes à la mode
Une Italienne et une Bohémienne
Qui montrent avec élégance
Leurs jambes hâlées
Croisées
Excitantes


Mais l'homme est le seul sur cette terrasse
Très parisienne
A leur parler et à ne pas les regarder
Concentré sur ce qu'il dit
Pour ne rien dire
Evitant leurs corps parfaits de jeunes femmes
Fatales
Occupé à parler pour les séduire
Ces deux jeunes femmes qui sourient d'être jeunes
Et belles
Assises à côté de cette homme plus âgé qu'elles
Qui parle avec accent
Dans ce qui n'est pas sa langue maternelle
Qui parle de sa voix douce et légère
A ces deux jeunes femmes qui l'écoutent
Et font semblant
Insouciantes
De croire à ce qu'il dit
Alors qu'elles se savent déjà séduites
Par le séducteur
Aux manières de séducteur
Persuadées d'avance
Par le rythme de ses phrases
Et la délicatesse de son timbre
Ne se demandant même pas
Les ingénues
A laquelle
De la brune Romaine
Qui s'appelle Tamina
Et qui n'a jamais lu Milan
Ou
De la blonde Praguoise
Qui s'appelle Jenufa
Et qui n'a jamais vu Milan
Il téléphonera ce soir
Et à qui il proposera
En italien pour l'une
Et en tchèque pour l'autre
De partager la soirée
Ou la vie
En leur parlant de sa même voix douce et légère
Et en continuant d'écrire des romans
Où elles se chercheront en vain
Des romans écrits d'un style aérien
Pour parler
Avec détachement
De sujets légers et profonds comme :
Comment séduire deux jeunes femmes
Belles et grandes à la terrasse d'un café
Parisien
En faisant plaisir à l'une et à l'autre ?
Comment faire semblant d'être un séducteur
Quand ce sont les jeunes femmes
Grandes, belles et fatales
Qui vous ont séduit avant même d'avoir esquissé
Le moindre geste de séduction ?
Ou encore :
Comment être un romancier célèbre
Et passer inaperçu
Dans sa vie et dans ses romans ?


Le séducteur séduit
Se regarde
Assis à la terrasse d'un café
Avec deux jeunes femmes
Qu'il trouve belles et séduisantes
Et il se promet
Tout en continuant de parler de sa voix
Douce et légère
Que jamais il n'osera
Romancier pudique
Raconter dans un roman
L'histoire d'un séducteur
Attablé avec deux jeunes femmes à la mode
A la terrasse d'un café parisien 
L'une parlant italien
Et l'autre dans la langue maternelle du séducteur écrivain
Dans laquelle il n'écrit plus


Les deux jeunes femmes séduites
Regardent le romancier séducteur
Qui s'écoute parler
Assis à la terrasse
Ensoleillée
D'un café littéraire parisien
Avec deux jeunes femmes
Qu'il trouve belles et attirantes
Et se promet de continuer à n'être qu'un romancier respectueux
De la vie des humains
Qu'il fréquente
Ou qu'il a fréquenté
A Prague
Comme à Paris
Ou ailleurs
N'importe où
Entre Diderot et Opéra

Zak Menkiewicz

(Octobre 1993)


lundi 28 mars 2016

Jim Harrison (11 décembre 1937 - 26 mars 2016)



Du café chuinte dans une cafetière
Une cigarette brune se consume
Dans un cendrier publicitaire

Un journaliste de la radio dit les nouvelles
D'une nuit banale
Pour un homme jeune assis en caleçon
Le torse nu
Dans sa cuisine

Un homme qui lit un livre de Jim Harrison
Avec avidité
Comme si quelqu'un le regardait
En train de lire un livre de Jim Harrison

Un homme assis
Quelque part dans Paris
Devant une table recouverte
D'une nappe à carreaux blancs et bleu pâle
Sur laquelle sont posés
Un plateau, une bannette en osier
Deux bols, deux couteaux, un beurrier
Trois petites cuillères
Et un pot de confiture d'abricot

Un homme jeune
Assis sur un tabouret en plastique
L'air presque désinvolte
Attend que le café passe
En lisant Jim Harrison
En écoutant les nouvelles
Tandis que du pain grille dans le toasteur
Et que la pièce se remplit
Du bruit et de l'odeur
D'un jour de repos qui s'éveille


Plus à l'ouest
Dans la nuit d'avant
Un homme pas seul du tout
Epais
Habillé d'un jean et d'une chemise à carreaux
Les cheveux épars
Une moustache fournie collée au dessus de la lèvre supérieure
Regard grisé par l'alcool
Une bouteille de bourbon aux trois-quart pleine
Des cigarettes entassées dans un cendrier et une cigarette dans la bouche sur laquelle il tire avec force
Un homme massif qui s'appelle Jim Harrison

Pense
En plein Montana
Non loin de la frontière canadienne
A la campagne
Dans une cuisine immense et américaine
Sans ordre
Remplie d'odeurs
Terre et chiens mouillés
Alcool
Plats gras trempant dans l'eau de l'évier
Mélange de fumée de cigarette, de tabac froid et d'air tiède du poêle à charbon
Pense aux lignes qu'il a laissées sur son bureau dans la pièce à côté
La tête droite
Les avant-bras reposant sur la table qu'il a débarrassées de ses miettes d'un revers de la main

Jim Harrison est tendu
Comme le premier homme
Celui qui lit une nouvelle de Jim Harrison
Dans la collection Domaine étranger
Très loin vers l'est
Dans le jour d'après

Une nouvelle qu'il a écrite

Deux hommes
Qui ne se connaissent pas
Sans ressemblance physique
Celui qui a écrit la nouvelle
En américain
Et celui qui la lit
En français
Apparemment calmes
Mais terriblement inquiets

Au même moment inquiets

Deux hommes
Qui n'ont pas le même âge
Inquiets de savoir
Si les femmes qu'ils aiment
A l'aube ou au crépuscule
A  Paris comme non loin de Great Falls
Allongées dans leur lit
Sauront
Tout à l'heure
Quand ils iront les rejoindre
Leur faire juste un sourire



Zak Menkiewicz
(octobre 1993)