Affichage des articles dont le libellé est ANTHROPOCENE. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est ANTHROPOCENE. Afficher tous les articles

jeudi 17 octobre 2019

La médecine et l'épidémiologie ne sont pas asociales.

Charles Bukowski en 1978 sur le plateau d'Apostrophes

Je lis dans LeFigaro.fr un entretien de Me Cécile Thibert avec Me Catherine Hill, ex épidémiologiste en chef à l'institut Gustave Roussy (1) : ICI. L'article est intitulé sobrement : "Cancer : "L'environnement joue un rôle très faible comparé au tabac et à l'alcool"

Je remarque sur twitter que les progressistes de tous poils se mettent à sauter sur la table comme des cabris. Les progressistes ? Une définition ? Les personnes qui pensent, par exemple, et ils ont peut-être raison, que le réchauffement climatique sera résolu par une solution technologique avancée (le deux ex machina de la science) qui sauvera l'humanité éternelle sans que l'on aie besoin d'envisager une diminution de la consommation, c'est à dire une diminution des profits capitalistes, sans que l'on aie besoin de modifier les modes de vie, les rapports sociaux et et qui oublient que dans l'histoire de l'anthropocène, c'est la science, le développement du capitalisme, le développement du colonialisme, qui ont été à l'origine de ce réchauffement climatique (et de bien d'autres choses). La lecture du livre de Bonneuil et Fressoz (cf. l'image infra) est décapante et je vous propose de lire une critique argumentée de ce même livre (LA).



Je lis donc l'entretien avec Me Catherine Hill de la première à la dernière ligne et j'apprend deux ou trois trucs que je savais mais que j'avais oubliés.

Je m'énerve en le lisant et, heureusement, je lis la dernière phrase qui me calme et qui, la seconde suivante, m'énerve encore plus. "Les personnes avec des revenus élevés, mieux informées sur les risques, sont davantage épargnées"

Tout ça pour ça !

Voici quelques réflexions sociétales : 
  1. Plus t'es pauvre, plus tu meurs jeune.
  2. Surtout si tu es un homme.
  3. Moins ton niveau d'études est élevé plus tu es victime d'accidents du travail et de maladies professionnelles.
  4. Plus t'es pauvre et moins éduqué et plus ton espérance de vie en bonne santé est courte.
  5. Plus tu fumes et plus tu bois et plus tu meurs jeune.
  6. Plus tu nais dans un quartier défavorisé et plus ton risque de mourir avant un an est important (mortalité infantile).
  7. Plus t'es pauvre plus ton alimentation est riche en sucre, graisses, aliments transformés.
En lisant l'entretien, et nul doute que Me Catherine Hill a écrit des tonnes de littérature pour me contredire sur les conséquences de la pauvreté, du manque d'éducation (sic), des conditions de travail, des conditions de logement, de la précarité de l'emploi, du chômage de longue durée, sur l'espérance de vie à la naissance, la mortalité infantile, l'espérance de vie en bonne santé, la mortalité en couches, et cetera, je me dis que l'épidémiologie hors sol est une variante de la médecine hors sol.

Cet entretien fait passer l'idée, mais je dois être de mauvaise foi, que les conséquences de la mauvaise qualité de l'environnement, on s'en tape, puisqu'il suffit de ne pas boire et de ne pas fumer pour être "en bonne santé".

Il est également remarquable de comprendre que ces constatations privilégient la responsabilité individuelle, facteur indéniable et non négligeable, le choix éclairé du citoyen informé, le fameux homo Neo-liberalus si cher à nos élites qui agit toujours en fonction de ses intérêts, et nient les influences sociétales auxquelles tous les citoyens sont soumis à longueur de journées (le citoyen bombardé par les publicités pour la Junk Food - la bouffe de merde en français- pouvant exercer son libre-arbitre et ne pas emmener ses enfants en bas âge dans les McDo et autres KFC). Cela exonère les politiques de santé publique de toute responsabilité.

Je prends un exemple qui m'est cher. 

L'analyse des courbes de mortalité infantile dans les pays développés indique que sa décroissance est devenue asymptotique, que l'on peut retrouver, globalement, des différences entre la France (mauvais élève : 3,3/100 000, sans Mayotte) et le Luxembourg (bon élève : 1,58/1000) mais que, grosso modo, les vraies différences se situent entre les pays à forts revenus et les autres (voir LA).

Eh bien non. Les différences sont territoriales, comme diraient les politico-administratifs : le taux de mortalité infantile est de 4,8 (6,9 selon d'autres sources) dans la Seine-Saint-Denis et de 16 à Mayotte ! Ce qui situe la Seine-Saint-Denis au niveau de Bahrein.

(J'ai déjà développé cela ICI)

Ainsi, comme dit l'autre, il faudrait mettre "un pognon fou" dans ces zones "défavorisées", réfléchir, ne pas dépayser les PMI hors des zones de pauvreté et de chômage, informer les associations et faire passer des messages par leur intermédiaire (et peu importe qu'il s'agisse des Peuls du Val fourré, des Sérères, des Marocains ou des Tamouls)... Car la fameuse Inverse Care Law de 1971 (LA) est toujours aussi vraie : les services de santé et de soins s'implantent toujours dans des régions où on en a le moins besoin.

L'épidémiologie est fortement influencée par les conditions socio-économiques des populations : au niveau mondial, au niveau continental, au niveau national, au niveau loco-régional. Et il en est ainsi des interventions médico-sociales.

On pourra toujours dire que le Poulard sénégalais arrivant du Fouta (et ici à Mantes la majorité des Sénégalais sont originaires de Podor ou de Matam) aura la chance, en ayant des enfants en France plutôt que le long du fleuve Sénégal, que la mortalité infantile passe de (et encore n'ai-je pas les chiffres particuliers de cette région éloignée de Dakar)  44,3 à 6,6 !



Bon, nous sommes loin de l'entretien dans Le Figaro. Bonnes réflexions.




(1) Je pourrais en faire des tonnes sur l'institut Gustave Roussy qui est un exemple désastreux de la politique publique (et ici privée) en matière de cancérologie en France. Je vous prie de regarder LA les propos pour le moins prudents et favorables de Catherine Hill pour le dépistage organisé du cancer du sein entre 50 et 74 ans où elle évoque, sans doute pour se dédouaner, des études auxquelles elle ne "croit pas", à propos du sur diagnostic et du sur traitement, mais sa conclusion est décapante : elle dit en substance qu'il vaut mieux ne pas boire et ne pas fumer que de passer une mammographie.