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jeudi 15 septembre 2016

Délires et rôle du médecin généraliste comme coordinateur des soins. Histoire de consultation 193.

Buddy Guy

Monsieur A, 93 ans, est accompagné par sa fille. C'est un patient de mon associée que je reçois en son absence.

Son dossier me renseigne : maladie à corps de Lewy, diabète non id, HTA. Il est actuellement hébergé chez sa fille.

Madame B, sa fille, avant un rendez-vous pris chez l'urologue, est venue "pour le renouvellement" (et je remarque en passant la sobriété du traitement de ce patient très âgé et "dément"), et pour me montrer les résultats du scanner.

L'histoire est la suivante : pendant les vacances Monsieur A a présenté une hématurie macroscopique. Sa fille l'a emmené aux urgences. 

Il a vu ensuite un urologue qui a prescrit divers examens dont un scanner. 

Le compte rendu du scanner indique que "tout est normal" (je résume). 

(Je fais une incidente. Quand j'étais "petit" et après que j'avais fait des stages dans des services où existaient des pédagogues médecins, j'avais appris à lire des radiographies. Des radiographies simples  comme des radiographies pulmonaires ou des clichés de rachis lombaire et, lors des visites, lors de staffs, il était possible d'acquérir des connaissances en discutant avec nos "chefs" et nos pairs qui critiquaient, commentaient, interprétaient des clichés, non seulement de façon technique mais aussi en fonction du contexte clinique. Ces temps sont révolus. Désormais on lit les comptes rendus, du moins nous, les médecins généralistes, sauf quand le radiologue nous sélectionne une image et va même jusqu'à dessiner une flèche pour indiquer l'endroit pathologique, et, paradoxe des paradoxes, dans le cas des scanners et des IRM, le radiologue fournit un cd qui, le plus souvent, demande un logiciel ad hoc pour "animer" les résultats et qui est donc proprement illisible. Passons. Les non médecins généralistes se reconnaîtront aussi dans ceux qui ne lisent que les comptes rendus.)

(Deuxième incidente. L'hyper spécialisation de la médecine est une plaie. Elle est la conséquence de la technicisation et elle est une menace pour le patient. J'ai déjà écrit sur ce sujet mais je tente de synthétiser : ne plus savoir lire une imagerie et, encore plus, ne pas savoir l'interpréter, nous met à la merci des techniciens qui sont des gens formidables, mais qui sont des techniciens auxquels nous devons faire confiance aveuglément ; et ainsi, la parcellisation du corps malade, son atomisation, sa découpe en rondelles, rendent le patient (l'être humain) de plus en plus invisible, sa "transparence" supposée le détruisant en tant qu'individu.)

Monsieur A suit la conversation comme s'il comprenait tout mais, je ne mets pas longtemps à me  rendre compte qu'il est à côté de la plaque, qu'il pose des questions et commente sans qu'il y ait de rapports avec les propos que nous tenons. Sa fille, d'une patience d'ange et d'une empathie communicative, me dit que l'urologue a convoqué son père pour regarder le scanner et pour, vraisemblablement, biopsier sa vessie.

Elle remarque ma grimace.

J'interroge Madame B : l'hématurie macroscopique a disparu.

Madame B me regarde drôlement mais ne dit rien.

Je prescris une numération pour vérifier qu'il n'y a pas de déglobulisation, un bilan de surveillance diabète/HTA (en fonction des molécules prescrites) et la recherche de sang dans les urines.

Une semaine plus tard.

Le bilan est normal.

Madame B : Faut-il aller chez l'urologue ?
Moi : Je n'en sais rien. Mon avis, mais ce n'est qu'indicatif, vous le prendrez comme vous le voudrez, est qu'il faut laisser votre père tranquille.
Madame B s'est figée.
Moi : Vous pouvez aller voir l'urologue mais, si j'étais vous, je lui poserais trois questions.
Elle me regarde avec attention et je sens que le "si j'étais vous" la choque.
Moi : Est-ce que le fait de pratiquer une biopsie chez votre papa dans l'état où il est actuellement et en fonction de son âge va, un, entraîner la mise en oeuvre d'un traitement qui lui permettra, deux, d'avoir une meilleure qualité de vie, trois, d'augmenter son espérance de vie et, quatre, d'améliorer sa prise en charge ?
Silence (elle a dû remarquer qu'il y avait 4 questions).
Monsieur A n'a pas compris ce que j'ai dit.
Madame B me regarde avec des yeux qui me transpercent (c'est l'impression que j'ai).

Madame B : C'est la première fois que j'entends quelque chose de pareil venant d'un médecin. Mais vous avez le mérite d'être clair.