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dimanche 1 septembre 2024

Médecine : une réflexion sur le minimalisme. Un regret : le conditionnel contrefactuel n'existe pas avec les patients.

via @IrenaBuzarewicz


Je n'ai pas publié de bilans médicaux depuis environ deux mois mais cela ne signifie pas que ma flemme correspond à l'absence de données intéressantes. Au contraire. J'ai éprouvé un certain découragement en raison de l'abondance des articles qui partent dans tous les sens de la médecine et du soin et qui ne cessent de confirmer qu'il y a plus de procédures abusives dans le soin que de procédures qui sauvent des vies. Ensuite, les thèmes qui nous occupent depuis des années sont toujours d'actualité et rien ne change beaucoup.

Je vais commenter deux points de vue sur la médecine.

L'un concerne le minimalisme.

L'autre concerne le conditionnel contrefactuel.

Ces deux points de vue illustrent selon moi à merveille deux concepts que je défends et développe depuis des années : la médecine n'est pas une science et les prises en charge médicales sont hasardeuses.


Le minimalisme en médecine

Voici l'article (ICI) que vous devriez lire avant mon résumé et mes commentaires : il est court, l'anglais est facile).


Je ne suis pas d'accord avec tous les exemples et toutes les conseils de l'auteur, ce serait trop facile... Mais.

Daniel Morgan nous dit qu'il ne faut pas faire une religion de la prévention pas plus que du dépistage. Que dans certains cas, quand on ne peut pas prévenir les maladies on fait plus de mal que de bien. Qu'il ne faut délivrer des prises en charge et des traitements que lorsqu'ils ont fait preuve de leur efficacité. Mais que, malgré toutes explications que l'on peut donner aux patients, une majorité de patients veulent plus de médecine.


L'auteur, états-unien, est professeur d'épidémiologie, de santé publique et de maladies infectieuses, écrit qu'il existe 3 catégories de médecine, 1) la prévention des maladies, 2) le traitement des facteurs de risque des maladies et 3) le traitement des symptômes et/ou des maladies. Or, les médecins connaissent pour la plupart les limites de ces 3 médecines mais en parlent rarement aux patients : il est plus facile de prescrire que d'expliquer pourquoi on ne prescrit pas. Il cite l'exemple d'un éditorial (LA) indiquant que le dépistage des cancers ne bénéficie qu'à 1 personne sur 1000 sur une période de 10 ans.


Enfin, il indique que la médecine minimale (qui ne peut se concevoir qu'à l'échelle individuelle et dans une relation médecin malade confiante et appropriée) peut s'appliquer à l'âge de 3 ans comme chez un homme 59 ans ou une femme de 45 ans. Il donne des exemples. Il n'oublie pas de rappeler les succès récents des traitements modernes et les inégalités dans la santé et la délivrance des soins qui tiennent à la race (nous sommes aux US), au genre et à la richesse.

Voici mes commentaires : 

L'incuriosité en médecine.

On nous a appris qu'en médecine "il fallait être curieux". Ce conseil était sous-tendu par un certain nombre de présupposés remplis de critiques implicites.

La curiosité part d'un bon sentiment : il ne faut pas passer à côté de quelque chose qui pourrait augmenter les chances du patient. Ne pas être curieux correspondrait à une perte de chance. Un médecin curieux est un médecin compétent : il sait examiner les patients, il sait quels examens prescrire et comment les interpréter, il connaît la littérature et il a des intuitions liés à sa grande expérience.

En médecine, et d'autant plus que l'on connaît le résultat final du diagnostic et du traitement, on sera toujours accusé de ne pas en avoir fait assez, jamais d'en avoir trop fait. L'exemple du dosage du PSA est clair : jamais un patient n'a traduit en justice un médecin parce qu'il lui avait demandé de doser le PSA. Pourtant...

La médecine ne peut pas tout.

Ne pas être trop curieux signifie qu'il ne faut pas entreprendre des démarches (examens complémentaires), tenir des propos (faire des promesses inconsidérées aux patients non pas seulement en termes de médecine mais aussi en termes d'attentes des patients, les fameuses valeurs et préférences, souvent citées, rarement prises en compte), engager des traitements sans tenir compte de la balance bénéfices/risques vue du côté patient et non du côté médecin.

La médecine est hasardeuse.

On voit que je ne suis pas d'accord avec tout ce qu'a écrit Daniel Morgan, que Daniel Morgan n'est pas d'accord avec nombre de ses confrères états-uniens et que les patients sont loin de saisir tous les enjeux de la santé publique (le fait que seuls 10 à 20 % des déterminants de santé sont médicaux) à titre général et à titre personnel.
Il n'est pas de semaines où nous ne découvrons que des traitements utilisés large manu par de nombreux médecins dans le monde voient leur efficacité démentie par des essais robustes et leur usage devenir peu pertinents.




Le conditionnel contrefactuel en médecine praticienne n'existe pas



Adam Cifu écrit beaucoup sur la médecine et c'est toujours intéressant car soit il flatte notre ego en écrivant ce que vous pensez depuis longtemps et que vous n'avez pas encore pu exprimer, soit il dit le contraire de ce que vous pensez, en totalité ou pas et vous vous posez des questions dans le style : comment un type aussi intelligent que lui ne pense pas comme nous ? Voici l'article (LA). Je vous conseille de vous abonner à Sensible Medicine, c'est gratuit et c'est plein de ressources.

Le conditionnel contrefactuel, c'est, je cite Wikipedia (ICI) : 


C'est un genre philosophique, historique et littéraire très abondant qui remonte pour la philosophie à l'antiquité.

Donnons 2 exemples littéraires qui illustrent le concept (on appelle cela des uchronies) : 

  • Philip K. Dick : Le maître du haut château (1962) : l'Allemagne nazie, l'Empire du Japon et l'Italie fasciste ont gagné la guerre.
  • Philip Roth : Le complot contre l'Amérique (2004) : en 1940, c'est Charles Lindbergh, sympathisant nazi, qui est élu à la place de FD Roosevelt et qui signe avec Hitler un pacte de non-agression.

Adam Cifu rend visite dans un équivalent EHPAD US  à un patient de 90 ans qu'il trouve en moins bon état que 2 ans auparavant quand il a été décidé de ne pas traiter son cancer. C'est un patient qu'il connaît bien, lui et sa famille, et depuis de très nombreuses années. Bla-bla.

Il se pose la question : et si le cancer avait été traité, quel serait son état ? Choisir de ne pas commencer une thérapie et laisser la perspective de soins palliatifs semblait la meilleure option.

Et il écrit : en médecine, malheureusement, nous ne pouvons être rassurés par le contrefactuel. Et il donne 3 exemples. Que ce serait-il passé si ?

  • Un effet indésirable sévère et rare d'une statine : était-il vraiment judicieux de l'avoir prescrite ?
  • Ne pas prescrire de Paxlovid hors indications et voir le malade ne pas bien aller
  • Un cancer du colon métastasé découvert à 52 ans : aurait-il fallu dépister avant contre les recommandations ?


Il est évident que dans les situations d'urgence, on sait ce que ce serait passé si les médecins n'étaient pas intervenus. Et dans d'autres situations moins urgentes où l'évolution sans soins était prévisible.

Cela me rappelle cette fameuse phrase de Kundera : "Dans la vie il n'y a pas de brouillon." 


PS du 6/09/2024

En médecine, les brouillons peuvent exister à l'échelle populationnelle (et avec des circonstances désastreuses quand un brouillon est considéré a posteriori comme un infâme torchon) mais cela ne peut exister à l'échelle individuelle : il est trop tard pour changer.

Il est donc difficile en médecine praticienne de revenir en arrière, de savoir ce qui ce serait passé si.. et les regrets que nous pouvons exprimer à propos d'une prise en charge qui a été décidée sont sans lendemain ou à ranger du côté subjectif de l'expérience car il n'est pas possible de mener des essais contrefactuels à propos d'un patient. Nous disposons d'essais, pas toujours, et quand ils existent pas toujours de bonne qualité, qui ne peuvent résoudre des problèmes individuels qui sont soumis aux aléas de la vie.

Exercer la médecine, prodiguer des soins, est une éternelle interrogation sur ce qui se serait passé si on ne l'avait pas fait... ou si on l'avait fait autrement. Avoir du recul comme moi, 42 ans d'exercice pur de la médecine générale, se rappeler aussi les patients vus au cours des stages hospitaliers, l'externat, l'internat, consulter la liste des milliers de patients que l'on a suivis pendant des années, entrer dans leurs dossiers (je l'ai fait récemment à propos d'une expertise), s'interroger sur ce qu'on aurait pu faire mieux, sur ce que les patients auraient pu faire mieux, sur l'écart entre la routine des procédures et l'originalité d'un patient en tant qu'individu, non pas seulement comment il réagit aux traitements et aux prises en charges mais comment il perçoit son état, sa maladie, et comment il envisage les enjeux sur sa propre vie...

Ainsi, on le comprend, et malgré tous les discours lénifiants, la médecine n'est ni un art ni une science et l'espérance de vie absolue, relative ou en bonne santé est liée au hasard. Au hasard des rencontres entre le bon médecin et le bon patient, au hasard des susceptibilités individuelles et surtout au hasard des valeurs et préférences des soignants et des soignés.

mercredi 18 décembre 2019

Comment faire (sagement) carrière en médecine.

Calendrier de l'Avent médical 2019 : Jour 18


Adam Cifu, MD. Professor of Medicine, Internal Medicine, Primary Care



CHOIX DE CARRIERE

  • Choisissez le métier qui promet la meilleure équipe de collègues.
  • Choisissez le meilleur métier plutôt que le mieux payé.
  • Soyez honnête avec vous-même en vous demandant si vous serez heureux avec les exigences du métier et les demandes des patients.
  • Ne croyez pas que vos nouveaux employeurs changeront le métier qu'ils vous offrent pour celui que vous désirez.
  • Au début de votre carrière, dites oui à tout ; plus tard dites non à tout sauf pour les choses que vous désirez vraiment faire.
  • Méfiez-vous des "promotions" qui vous éloigneront  de ce que vous aimez faire.
  • Payez pour (investissez pour) élever sérieusement vos enfants.
  • Essayez de vivre et de travailler près des écoles de vos enfants et de minimiser vos déplacements.
  • Fixez un rendez-vous le soir (et même un rendez-vous de petit-déjeuner) chaque semaine avec vos enfants.
Adam Cifu. Voir ICI son pedigree universitaire.
Adam Cifu est aussi sur twitter : @adamcifu

dimanche 9 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Adam Cifu et Vinay Prasad. #16

Ce livre est un bijou. Il est écrit dans un anglais fluide et il ne fait pas seulement que poser un constat, il propose des solutions, en termes d'enseignement notamment.

Prasad Vinayak and Cifu Adam S. (2005). Ending medical reversal. Improving outcomes, saving lifes. Baltimore: Johns Hopkins University Press, 264 pp.

Il exprime ceci : trop souvent des procédures, des traitements sont mis en place sans que nous disposions de véritables preuves que cela fonctionne. Il s'en suit que lorsque les preuves d'une efficacité contraire sont réunies (des essais contrôlés par exemple) les auteurs déplorent qu'il faille très longtemps pour que les promoteurs/utilisateurs de ces traitements reviennent en arrière (gna gna gna, entre mes mains blanches, pures et expérimentées, ça marche et, d'ailleurs, les patients en redemandent) pour des raisons multiples (ne pas se dédire, ne plus profiter de la manne financière de ces procédures, mais aussi refuser les preuves contraires à ses propres croyances fondées sur l'ego et l'aveuglement).



Ainsi, lorsque l'on abandonne certains traitements, et les deux auteurs en citent 146, cela pourrait être, comme veulent le croire les optimistes, parce que les données de la science ont changé, eh bien non, c'est que souvent il n'y avait pas de données de la science lors de leur instauration et de leur popularisation !

Les deux auteurs demandent donc qu'avant de mettre en place des procédures lourdes, coûteuses et qui touchent une population saine, comme dans le cas des dépistages, on prenne le temps de réaliser des études sérieuses sur le sujet. Voir ICI pour le dépistage.

Mais aussi pour toutes les autres indications. Ils ont analysé les procédures en cours à partir d'essais publiés dans la presse médicale sérieuse : les résultats des procédures validées est ahurissant : de 38 à 54 % des procédures courantes sont effectivement prouvées par des essais validés : voir LA.

Vinay Prasad est un activiste dans le domaine de l'hémato-oncologie, des praticiens de ce type manquent cruellement en France : voir LA. Il exerce à Portland (Oregon)

Adam S Cifu est professeur de médecine interne à l'université de Chicago.

Un dernier exemple, tiré de ce livre et de celui de Margaret McCartney (LA), The patient paradox : le conseil de faire dormir les nourrissons sur le ventre date de 1958, les chercheurs ont commencé à se poser des questions en 1970 et ont publié un article demandant que l'on ne couche plus les nourrissons sur le ventre et ce n'est qu'en 1991 que le gouvernement britannique a pris fermement position sur cette question ! Combien de sur mortalité de nourrissons depuis 1958 ?

Les auteurs :

Vinayak K. Prasad (1982 - )





Adam S Cifu (1967 -)
PS du 11 juin 2019 : en complément : 396 pratiques médicales qui ont été invalidées : ICI

mardi 22 mai 2018

La médecine m'inquiète : microf(r)ictions (96)

100 % des pratiques homéopathiques sont non validées

Mais qu'en est-il de l'évaluation des pratiques médicales standardisées et/ou consensuelles non homéopathiques ? Nous envisagerons ici les pratiques "admises" et non les pratiques "innovatrices" non encore complètement évaluées.

Et en effet il y a plus d'essais dans la littérature qui testent des innovations que d'études qui apprécient des pratiques de soins standardisées.

Prasad et Cifu (1) ont analysé 2044 articles parus dans le New England Journal of Medicine entre 2001 et 2010. 

Parmi les 1344 articles qui étudiaient une pratique médicale, 363 (27 %) concernaient des pratiques standards. 

138 articles (38 %) confirmaient l'intérêt de ces pratiques.
146 articles (40,2 %) montraient que ces pratiques n'étaient pas plus efficaces ou pires que les précédentes ou que pas de traitement du tout.
79 articles (21,8 %) ne pouvaient conclure. 
Les auteurs en concluaient que seules 38 % des thérapies standards étaient efficaces !

38 % des pratiques non homéopathiques académiques sont validées.


Un projet du BMJCE (British Medical Journal Clinical Evidence) a lui analysé 3000 pratiques médicales. Il en a conclu que 35 % de ces pratiques sont prouvées (ou probablement prouvées), 15 % sont délétères et 50 % n'ont aucune efficacité démontrée.

35 % de 3000 pratiques médicales non homéopathiques sont validées


Prasad et Cifu ont réanalysé  50 % des pratiques à l'efficacité incertaine et montré que 38 % de celles-ci pouvaient être cependant considérées comme validées. Ce qui conduit à 54 % de pratiques validées.


Après réévaluation 54 % des pratiques médicales non homéopathiques sont validées.



Une étude australienne (2) a évalué 5209 articles concernant des pratiques médicales et a identifié 156 pratiques potentiellement inefficaces ou non sûres.

Il y avait des similitudes entre les résultats australiens et ceux de Prasad et Cifu mais aussi des discordances liées sans doute au fait que le contexte des pratiques était différent : 10 ans de NEJM pour les premiers et le corpus complet de la médecine pour les deux autres. Mais surtout : différences entre pratiques hospitalières et communautaires.

(1) Prasad VK, Cifu AS. Ending medical reversal: improving outcomes, saving lives. Baltimore (USA): Johns Hopkins university press;2015.
(2) Elshaug A, Watt A, Mundy L, Willis CD. Over 150 potentially low-value health care practices: An Australian study. Med J Aust. 2012;197(10):556-560

PS du 30 mai 2018. Il est amusant de voir que ces données sont citées par Aurélie Haroche dans le JIM (ICI) comme pouvant être rattachées à la démarche qualité.

vendredi 12 janvier 2018

L'histoire des gants et des blouses.


Il faut se méfier du bon sens en médecine.

Lors de la pseudo pandémie de grippe AH1N1 on avait dit, tout le monde disait, que les mesures barrières, se laver les mains, porter un masque, ne se discutaient pas. Comme la vaccination et le tamiflu. Il paraît clair que se laver les mains après avoir examiné un malade, se laver les mains avant d'examiner un patient, sont de bonne clinique. Mais il ne faut pas confondre la théorie et la pratique, c'est à dire la réalité des "vraies" circonstances de la vie avec de "vraies" gens.

Récemment la ministre de la Santé a déclaré, au nom du bon sens, que la vaccination antigrippale obligatoire, elle était pour. Elle n'a pas d'essais concluants, elle n'a que sa croyance, elle n'a que ses bonnes intentions. Les bonnes intentions ne sont pas suffisantes.


Laissez moi vous raconter une histoire récente.

Celle des gants et des blouses.

Je l'ai pêchée dans l'excellentissime livre de Cifu et Prasad, Ending Medical Reversal (ICI).
Les deux auteurs rapportent au chapitre 5 que ce ne sont pas seulement des traitements, des procédures, des tests ou des matériels qui sont administrés à des patients, des centaines de patients, voire des millions de patients alors que l'on n'est pas certains qu'ils sont efficaces, voire même que  certains sont persuadés, l'Arrogance Based Medicine, qu'ils sont certainement efficaces avant même de les avoir testés et, bien plus, qu'il n'est donc pas nécessaire (voire dangereux, une perte de chance affirment-ils) de les tester.

On découvre chez un patient hospitalisé pour leucémie, Monsieur A, que sa peau est infectée par un entérocoque résistant à la vancomycine (et à d'autres antibiotiques). Monsieur A ne présente aucune pathologie liée à cet entérocoque qui vit sur sa peau comme un commensal, ainsi que d'autres bactéries.

Branle-bas de combat : afin de protéger les autres patients de cet hôpital et éviter la propagation de cette bactérie, mais pas pour protéger Monsieur A, les médecins et les infirmières qui le soignent doivent désormais, avant d'entrer dans sa chambre, revêtir une blouse jaune en papier et enfiler des gants.

Monsieur A est énervé par cette procédure. Pour de nombreuses raisons.

Bien qu'enfiler une blouse et des gants ne dure qu'une minute, cela a l'air d'embêter tout le monde.
Il remarque que ceux qui respectent l'esprit de la procédure se comportent différemment, soit en faisant très attention, soit en s'asseyant sur son lit au risque de contaminer leurs pantalons.

Il y en a qui oublient la procédure, qui entrent en vitesse pour régler la perfusion ou aller déposer/chercher un plateau repas ou qui s'asseyent et parlent.

Mais aussi : il suspecte que les médecins viennent moins souvent le voir et notamment cette jeune femme médecin qui avait pris l'habitude, avant de rentrer chez elle, d'aller le voir, de s'asseoir et de parler. Désormais elle lui fait un hello derrière la vitre.

Monsieur A demande un jour à un médecin combien coûtent les blouses et il lui répond "plusieurs dollars", ce qui lui paraît exagéré car ce ne sont, selon lui, que des serviettes en papier géantes.

Un soir il trouve une étude sur internet qui montre que les médecins vont moins souvent voir les patients en isolement. Cela confirme ce qu'il pensait mais il se dit qu'il peut tolérer cela puisque cela protège d'autres patients.

Monsieur A meurt de sa leucémie un an après que le diagnostic a été porté.

Par la suite deux articles sont publiés qui l'auraient mis en colère.

En 2011, des auteurs montrent que ce même type de procédure (blouse et gants) ne diminue pas la transmission d'entérocoques vancomycine résistants ou se staphylocoques dorés methicilline résistants dans des services de soins intensifs (étude contrôlés avec 3000 patients, 19 centres) : voir ICI.
Une deuxième étude d'une tout ausi grande importance montre la même chose : voir LA

Monsieur A avait donc raison d'être énervé : les mesures barrières qui ont été mises en place ne servaient à rien pour les autres malades et lui ont pourri la vie.

Cet exemple est typique des procédures systèmes qui sont implantées avant même que l'on sache si elles atteignent leurs objectifs et qui, selon une évaluation avant/après (sans études contrôlées) dans un centre, sont généralisées à un pays tout entier.

Mais le pire : malgré des preuves contraires de leur efficacité, les procédures systèmes de bon sens, ici les mesures barrières, ne sont pas abandonnées par leurs partisans parce qu'elles auraient pu marcher si elles avaient été faites différemment ou étudiées autrement. C'est un vieil argument.

Les procédures systèmes adoptées après un essai dans un seul hôpital jugé par des chiffres avant/après (sans groupe témoin) entraînent des dépenses inutiles, un gaspillage de temps et, surtout, empêchent de s'intéresser à d'autres procédures qui pourraient, elles, être efficaces (comme l'utilisation de lingettes de désinfection : voir LA)

Cele ne vous fait pas penser à plein de trucs inutiles, que l'on continue à faire, par habitude, par croyance ou pour ne pas importuner les chefs qui ne peuvent admettre leurs erreurs (sinon en les imputant à leurs subordonnés).


jeudi 30 novembre 2017

Ending medical reversal / Pour en finir avec les volte-face thérapeutiques en médecine


Je suis en train de lire Ending Medical Reversal de Vinayak Prasad et Adam Cifu dont je vous ferai sans doute un compte rendu complet. Et élogieux (j'ai des réserves sur certains points, bien entendu).

Les volte-face thérapeutiques ne sont pas ce que nous croyons intuitivement, c'est à dire, pour résumer : il existe des pratiques médicales que nous abandonnons parce qu'il est démontré ensuite qu'elles sont inefficaces ou parce que la science a trouvé mieux d'un point de vue efficacité et/ou conceptuel. Un exemple ? Un nouvel anti hypertenseur prouve qu'il fait aussi bien sur les chiffres tensionnels que le précédent mais il montre également qu'il protège la santé du patient : moins d'AVC, moins d'infarctus, et cetera. On peut dire que les données de la science ont évolué parce que le nouveau critère n'est plus Baisse de la pression artérielle mais protection cardiovasculaire.

Pour les deux auteurs, en finir avec les volte-face thérapeutiques signifie qu'il faut agir en amont pour éviter que des pratiques médicales ne deviennent la règle alors qu'elles n'ont pas démontré leur efficacité.

Ils insistent également sur ceci : quand il est démontré qu'une pratique largement répandue, et depuis de nombreuses années et sur des milliers ou des centaines de milliers de malades, n'est pas plus efficace qu'un placebo, elle n'est pas toujours abandonnée immédiatement. Pourquoi ?

Ils insistent encore sur ceci : quand il est avéré qu'une pratique fait plus de mal que de bien (le dépistage du cancer du sein par mammographie chez les femmes entre 40 et 49 ans) il est difficile de l'abandonner comme ça. On ne se demande pas pourquoi on l'a instituée mais comment on va faire pour la désinstituer sans perdre la face.

Mais il ne faut pas croire que cela n'arrive qu'aux autres, que cela n'est le fait que des institutions ou que c'est à cause de l'industrie pharmaceutique ou de l'industrie des matériels ou des méchants experts.

Je vous donne des exemples tirées de ma pratique.

Lors de mon installation en septembre 1979, mon dernier poste était Faisant Fonction d'Interne dans un service de neuro-chirurgie : les PL étaient mon domaine, et cetera. J'aimais bien manier les aiguilles.

Eh bien, au cabinet, j'ai très rapidement pratiqué des épidurales dans l'indication sciatique, des injections intra-articulaires de corticoïdes dans les genoux (comme d'ailleurs des infiltrations extra-articulaires : tendinite de la patte d'oie), et des infiltrations extra-articulaires des coudes (épicondylites). J'ai aussi infiltré des canaux carpiens, des aponévrites plantaires, et cetera. Sans oublier, et nous en reparlerons sans doute, les infiltrations intra et extra articulaires de l'épaule.

Aujourd'hui je ne pratique plus d'épidurales, non pour d'initiales raisons scientifiques mais parce qu'il y a déjà très longtemps j'avais vu que mon assurance civile professionnelle ne me couvrait pas. Je ne pratique plus d'injections intra articulaires dans le genou pour des raisons légales et pour des raisons scientifiques : cela ne "marche" pas. Je ne pratique plus, ou presque, d'infiltrations des épicondyliens après que j'ai expliqué au patient.e quels étaient les résultats à un an (autant de malades douloureux et impotents que les patient.e.s aient ou non été infiltré.e.s).

Je raconte cela avant-hier à l'un de mes collègue spécialiste. Il me dit ceci : il y a dix ans j'ai vu un orthopédiste qui m'avait demandé de le rappeler dans la semaine pour me faire opérer d'un ménisque. Je ne l'ai jamais rappelé. Je n'ai plus mal depuis dix ans. Je lui réponds ceci : il y a 9 ans j'ai fait une sciatique L4L5 hyper algique. Mes amis généralistes, rhumatologues, neurologues, tout le monde m'a dit que je devais me faire opérer. J'ai résisté. Aucun traitement antalgique ne me soulageait. J'ai tout arrêté. Je me suis arrêté de travailler huit jours. Mes muscles fondaient. Un collègue radiologue m'a infiltré dans l'espace foraminal (des études récentes ont montré que cela n'avait pas montré son efficacité) et 36 heures après je reprenais le travail. Un collègue médecin du sport m'a félicité de ne pas m'avoir fait opérer et il m'a donné des conseils d'auto kinésithérapie. J'ai un peu forcé et j'ai récupéré mon jambier antérieur en trois jours (et accessoirement mon quadriceps homolatéral car l'atteinte radiculaire était mixte). Je continue à faire du sport.

Ainsi, dans mon cabinet, et au delà des problèmes légaux, j'exerçais des pratiques qui n'avaient pas fait la preuve de leur efficacité mais qui me paraissaient intuitivement justifiées : Ego Based Medicine. Cela me valorisait, j'obtenais des résultats (rappelons que l'effet placebo est en moyenne de 30 % quelle que soit la pathologie et que dans le domaine de l'antalgie il peut atteindre 70 à 80 %), les gens se donnaient le mot, et cetera.

Je suis revenu en arrière.

Mais, je le rappelle, j'ai fait volte-face non parce que des pratiques justifiées ont été invalidées par la science et sont devenues injustifiées mais parce que des pratiques injustifiées ont été confirmées dans leur injustifiabilité.

La critique principale est celle-ci : s'il avait fallu attendre des justifications scientifiques pour l'utilisation de l'aspirine dans les céphalées ou en prévention cardiovasculaire on aurait laissé souffrir et/ou mourir beaucoup de gens. OK. Mais c'est aussi l'exception.


Voilà un début d'introduction à ce livre que je vous conseille d'acheter.