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mardi 28 juin 2011

La saison des amours. Histoires de consultation 87 et suivantes.


Le mois de juin est traditionnellement le mois des mariages.
Et depuis quelques semaines je ne cesse de recevoir des patientes qui viennent me voir avant de se marier et qui désirent la pilule. Qu'y a-t-il de si extraordinaire ? Qu'elle ne me demande pas d'emblée un dispositif intra utérin ?
Je cite à peine le cas de Mademoiselle A qui force ma consultation sur rendez-vous en prononçant la phrase magique "Il y en a pour deux minutes..." afin que je lui prescrive la pilule, la façon de s'en servir, la façon de ne pas l'oublier, la façon d'être "couverte" (si j'ose dire) dès le premier jour et cetera... Et celui de Mademoiselle A, une autre, qui me demande aussi la pilule et qui me dit que "Malheureusement, on ne parle jamais de ce qui se passe dans toutes les familles africaines du quartier..." sans récriminer, sans râler, et sans accepter non plus...

Je discutais de cela ce matin (mais pas seulement de cela) avec Monsieur A, 34 ans, un patient qui connaît la musique et avec lequel nous avons parlé de choses et d'autres, de choses banales et d'autres tout aussi réelles (sur les pratiques coutumières qui perdurent dans mon coin), mais qu'il n'est pas bon de rapporter pour plusieurs raisons : la première, parce que les propos que nous avons tenus (qu'il a surtout tenus), sont iconoclastes dans la société française ; ces propos peuvent même entraîner des interprétations tendancieuses qui feraient de lui un renégat ou un traître et de moi un propagateur des idées du Front National ; la deuxième parce que les propos en question, il ne pourrait les tenir en public (c'est lui qui me l'a dit en citant comme exemple une émission de JL Delarue) sous peine de risquer d'être mal vu de sa communauté (poularde africaine de France) ; la troisième, parce que mon point de vue sur la question, qui est un point de vue purement descriptif, pourrait être vécu comme une critique culturelle et que j'ai déjà eu l'occasion d'être mis en question (par des associations culturelles subventionnées par la mairie de mon bled) sur le point sensible, par exemple, de la prescription de contraception chez des jeunes filles musulmanes à l'insu du plein gré de leurs parents ; la quatrième, parce que la critique multiculturaliste (pour faire court) et post coloniale pourrait faire passer mon point de vue comme européocentré et dominateur et qu'un bien pensant puisse affirmer, c'est l'expression à la mode, "Cela pue...", vous savez l'expression de Chirac dans les cages d'escalier ; la cinquième, car je ne doute pas que ma façon de présenter les choses, d'un côté la réalité, de l'autre le politiquement correct de gauche et / ou de droite, pourraient faire croire qu'il n'existe pas d'études de terrain, sociologiques, menées actuellement ou d'études déjà publiées relatant les mêmes faits, mais dont il est peu fait état en raison de l'idéologie dominante gauche / droite qui domine les sciences sociales (ces points de vue heurtent la gauche qui ne veut pas voir la réalité en face et la droite qui n'imagine même pas que le Val Fourré soit un laboratoire d'idées). Mais encore : j'ai déjà abordé ces problèmes sur mon blog : ICI et LA, cela doit donc m'intéresser et me titiller.
Où en étais-je ?
J'en étais aux faits suivants : les jeunes femmes nées en France et qui ont un phénotype africain (les races n'existent pas dans le vocabulaire dominant) sont souvent "mariées" de façon arrangée ou de force à des hommes sénégalais ou maliens qu'elles ne connaissent pas (ou qu'elles connaissent formellement pour les avoir vus une fois ou deux lors d'une réunion de famille, pendant dix minutes à une semaine), mariées de façon coutumière et non selon la loi laïque à la française, ce qui est normal si le "mariage" se passe à l'étranger mais un peu moins quand il s'agit d'un mariage célébré à Plouc-La-Jolie, et elles ont besoin d'une "protection" contraceptive urgente (il en est même qui consultent la veille du mariage !) en raison du fait que la conclusion d'un mariage coutumier commence au lit... Mais ne croyez pas, chers lecteurs, qu'il n'y a pas de jeunes femmes nées en France et avec phénotype maghrébin qui ne consultent pas pour la même chose : le plus souvent elles viennent moins à la bourre (si j'ose dire) et le mariage, tout aussi préparé, est moins clandestin, bien qu'il arrive que le mariage coutumier précède de plusieurs semaines ou mois le mariage laïque.
(Je n'aborde pas ici, mais je le fais quand même pour couper court à toute critique fondée, que le statut du futur marié du point de vue du VIH et / ou de la tuberculose, par exemple, n'est jamais élucidé avant mais, malheureusement, parfois élucidé après ; je fais donc mon boulot de médecin généraliste, c'est à dire que j'informe la jeune femme sur la façon de prendre la pilule, que je lui remets un document d'une page, reformulé par mes soins et tapé par mes blancs doigts, à partir de ce que j'ai lu dans la Prestigieuse Revue Prescrire et sur le site du non moins Prestigieux et Touche-à-tout Martin Winckler, et patati et patata...)
Revenons à Monsieur A.
Monsieur A a été marié jadis selon la coutume (on parle toujours de mariages "forcés" ou arrangés pour les femmes mais on parle rarement de son symétrique pour les hommes) et cela s'est très mal passé. Désormais contremaître dans une société de transports, il est marié à une femme française d'origine africaine, ils se sont choisis (dans un échantillon socio-culturel proposé par la famille), et ça a l'air de bien se passer. Ils ont choisi de quitter le ghetto et d'aller habiter dans une ville toubab, c'est pourquoi leurs familles (je devrais dire, leur famille, car les liens intra-familiaux sont très complexes) les appellent en les critiquant et en les enviant "les toubabs".
Je ne sais pas si je vais arriver à conclure mon post.
Eh bien, Monsieur A, après que je l'eus interrogé de cette façon :"Pensez-vous que nous pouvons imposer de nouvelles traditions culturelles aux populations africaines vivant en France et de quel droit ?" m'a dit ceci : "Nous avons fait le choix de quitter le quartier. Nous ne le regrettons pas. C'est pour que nos enfants vivent comme des Français. Nous sommes les seuls Africains de notre immeuble. C'est calme." Vous remarquez qu'il n'a pas répondu à ma question. Voici ce qu'il me dit : "Vous êtes un médecin français, faites ce que vous avez à faire, suivez votre conscience, ne vous laissez pas intimider." Il est marrant, lui. Ce n'est pas toujours facile.
Mais je vous reparlerai un jour de Monsieur A. Il a beaucoup de choses à dire et il me les a dites souvent. C'est riche. Alors que ce Monsieur A n'est pas un lettré, n'est pas un intellectuel, n'a pas fait d'études en faculté...
Ce qui me frappe surtout, mais là c'est plutôt banal : ce sont les différences interindividuelles entre les membres de chacune des différentes "communautés" (maghrébine avec ses différents sous groupes, africaine de l'ouest avec les mêmes segmentations, ottomane), différences de comportement, d'habillement, d'idées politiques et / ou religieuses, différences terriblement importantes qui pourraient faire croire, au delà du phénotype, qu'il n'existe aucun esprit communautaire (ce qui est faux), mais qui rendent compte, au contraire, de l'hétérogénéité de la pensée "française" : au delà de toutes ces différences, ils pensent "français", ce qui conforte l'idée de la gauche qu'ils sont encore colonisés et heurte l'idée de droite selon laquelle ils ne peuvent s'intégrer ; ce sont aussi les différences intra-individuelles au sein de chaque individu qui pourrait faire dire (hypothèse pessimiste) qu'ils sont assis le cul entre deux chaises ou (hypothèse optimiste) qu'ils ont élargi, avec leurs assises culturelles multiples, le champ de leurs compétences.
Mais il y a aussi les victimes du système : ces personnes qui ne connaissent rien à leur culture d'origine parentale et rien de leur culture de naissance. Mais je laisse l'Education Nationale à ses démons.
Où en étais-je ? La saison des amours chez les jeunes femmes françaises dont les parents sont d'origine étrangère, une saison des amours qui pourrait être différente (et, heureusement dans les quartiers, la saison des amours ne se limite pas au mois de juin et échappe souvent au carcan coutumier) et plus "française", est une saison de crainte : crainte du mariage, crainte d'attraper une maladie, crainte d'être enceinte.
Il y a du boulot !

mercredi 28 avril 2010

UNE JEUNE FEMME ENCEINTE. HISTOIRES DE CONSULTATION : VINGT-ET-UNIEME EPISODE


Cette jeune femme est une grande anxieuse mais je ne sais pas pourquoi je vous parle de cela. Je l'aime beaucoup. Elle est fraîche, elle est jolie, elle a de la repartie et elle est intelligente. Que dire de plus ?
Nous avons l'habitude de parler de tout et de rien, en plaisantant, et j'en profite pour placer quelques conseils dits médicaux.
Depuis qu'elle est enceinte elle est à la fois épanouie et tendue.
Epanouie, car elle est heureuse.
Tendue, car elle sait que la famille recomposée vers laquelle elle se dirige ne sera pas facile à vivre. Nous en avons parlé avant qu'elle ne soit enceinte et nous avons continué d'en parler pendant.
Malgré mes réticences, une sorte d'intimité s'est installée entre nous. Je n'ai ni peur du fameux transfert ni du non moins fameux contre-transfert. Notre distance de sécurité est très grande.
Je me méfie pourtant de sa naïveté et de mon cynisme. Je ne voudrais pas qu'elle prenne ce cynisme pour argent comptant.
Son ami l'a accompagnée une fois ou deux et j'ai compris qu'il ne m'aimait pas. Parce qu'il se doute que nous aimons bien parler ensemble.
Aujourd'hui elle a envie de parler d'un truc qui la titille. Je ne m'en rends pas compte tout de suite et elle me surprend.
Avant tout, je voudrais dire ceci : sa grossesse la rend heureuse mais elle déforme son corps. Elle a pris beaucoup de kilos et j'ai peur qu'elle ne retrouve pas complètement son élégance d'avant.
Problème personnel : j'ai beaucoup de mal avec les corps imparfaits et, plus que tout, abîmés par le travail ou par le vieillissement accéléré et, ici, par la maternité.
Voici ce qu'elle dit (et au moment où elle me dit cela je ne sais rien sur ce qu'en disent les Freudiens, les anti Freudiens, les TCC ou les gourous, je n'ai jamais rien lu de tel dans les livres et les romans que je lis depuis plus de cinquante ans, mes maîtres ne m'en ont rien dit, ni Milan Kundera, ni Philip Roth, ni Marcel Proust, ni Joseph Conrad, mais je m'arrête là, pas même Sandor Maraï, je suis sans avis, sans repères, je n'ai jamais entendu parler de cela, c'est vrai, au risque de passer pour un imbécile, malgré toutes mes lectures, malgré le poids de trente ans de conversations avec des femmes enceintes, ayant accouché ou sur le point de l'être, avec des femmes qui ont eu des filles enceintes, avec des hommes qui ont été les compagnons de femmes pas encore enceintes, déjà enceintes ou ayant accouché une fois, deux fois ou trois fois, pas plus qu'avec des femmes qui voulaient interrompre leur grossesse, je suis passé au travers, je n'ai même pas imaginé, je suis surpris, j'en prends un coup dans la figure et, avec un air patelin, j'arrive à encaisser en me demandant comment je dois réagir) : Je n'ai plus envie de faire l'amour avec mon ami (jusque là je suis en terrain connu, j'en ai entendu des tonnes de la part des femmes enceintes qui n'avaient plus envie, qui ne désiraient plus, qui se sentaient mal dans leur corps, la peur des vergetures, la peur de ne pas tout reperdre...) et il le prend un peu mal (air connu) mais sans plus, c'est un type bien, mais j'ai honte de moi, ce n'est pas par manque de désir (là, elle commence à m'intriguer), c'est parce que je ne peux pas faire l'amour alors que le bébé peut nous voir...
Elle continue de parler sur le sujet et, pendant qu'elle parle, pendant que je hoche la tête, pendant que je ne perds pas son regard, pendant que je lui fais comprendre que je la comprends, que sa réaction tout à fait compréhensible (je viens de le comprendre, si j'ose dire, alors que c'est la première fois que j'entends parler une femme d'un tel sujet et que pas plus un homme, car, après tout, je n'ai jamais pensé à ce détail...), je cherche dans ma mémoire des traces de ce que pourrait en avoir dit Françoise Dolto, elle qui me surprit en disant qu'il n'était pas bon qu'un enfant voit la nudité de ses parents, ou Mélanie Klein ou René Spitz...
Je n'y avais jamais pensé.
Est-ce qu'on en parle dans les magazines féminins ?
Cela m'aurait-il échappé ?
J'imagine ceci : serait-il possible que ce fait ait échappé à la sagacité des Freudiens ? Cela m'étonnerait. Mais que disent-ils en cette occasion ? Eux qui prétendent que le moindre geste, que la moindre parole, que la moindre accélération du coeur de la maman, que la moindre musique entendue dans la pièce, sont perçus par le foetus et qu'ils pourraient être à l'origine, bien plus tard, c'est ce qui fait la fortune des analystes, d'une névrose, conseilleraient-ils quand même à cette jeune femme d'accepter de faire l'amour malgré ses réticences ?
J'avoue n'en rien savoir.
Je reste dans un flou artistique, tentant de la rassurer, cette belle jeune femme dont le corps est déformé par les kilos de la grossesse, en lui disant qu'il faut expliquer à son compagnon, elle ne lui a rien dit par peur du ridicule, et qu'il sera toujours temps, après, de faire l'amour à l'abri des regards indiscrets d'un tiers, fût-il le futur enfant du couple...