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dimanche 17 novembre 2019

Tous les jours je pense à JADDO


Je ne rappellerai pas les faits.

Débrouillez-vous.

En gros, Jaddo a écrit une série de tweets qui relataient des circonstances que tout le monde a connues en consultation : une patiente immigrée, parlant mal français ou pas du tout, qui était habillée avec de nombreuses couches de vêtements ce qui, d'une part, le temps du déshabillage, allongeait le temps de consultation et, d'autre part, l'incompréhension culturelle, ne facilitait pas la communication et donc Jaddo était désemparée car le diagnostic lui échappait. Au lieu de s'en ouvrir dans son groupe de pairs, comme le suggérait mon ami Marc qui se reconnaîtra, elle en a parlé sur twitter.

Je pense à elle parce que les commentaires qu'elle a reçus sont effarants.

Par ailleurs, une bonne âme a retrouvé en son blog des propos identiques ou presque remontant à plusieurs années qui ne pouvaient que conforter le fait que les propos que l'on aurait pu qualifier de maladroits pouvaient être considérés par certains comme racistes.

Est-ce que Jaddo est raciste ? Je n'en sais rien.

Primo : je suis d'autant plus à l'aise pour parler de cela que j'ai toujours critiqué le style Jaddo. Depuis le début et contre vents et marées (c'était la vedette des MG et des MG en formation), j'avais essayé de souligner que son style enjoué et inimitable passait quand même par la case "patient bashing". Je me suis même essayé au pastiche : LA. Et en le relisant aujourd'hui je me rends compte, en toute humilité, qu'il y avait tout ce que je lui reprochais (et encore maintenant).

Deuxio : les écrits de Jaddo sont, comme disaient les staliniens et disent les néo-staliniens, "objectivement" racistes si l'on se fonde sur les référentiels actuels. Ses écrits sont "objectivement" racistes mais je me pose la question : est-elle raciste ? Est-ce que tenir des propos racistes fait que l'on est raciste ?

Tertio : Jaddo aurait pu être un mek, d'ailleurs, qui le sait ? On imagine le bordel. Un blanc mâle  cis het est un salopard en puissance et, manque de chance, Jaddo est une fille. Zut ! Mais cela ne l'exonère en rien : une prof de lycée, je ne donne pas son nom, cela lui ferait de la pub, a écrit sur twitter, pépouze, personne n'a réagi sinon pour la RT (diffuser son tweet pour les non habitués), que 100 % des médecins étaient racistes. Pas de nuances : 100 % des médecins sont racistes parce que le système est raciste. Vous avez lu ? Les médecin.e.s qui pensent que Martin Winckler exagère en disant que 100 % des médecin.e.s sont des brutes en blanc (je viens de me rendre compte, pardon pour la sottise, que la blouse des médecins est, dans ce cas, non racisée) ont trouvé que la prof de lycée (et je ne sais rien d'elle, ni la couleur de sa peau, ni, ni, ni, je ne suis ni un essentialiste ni un familier de la Kommandantur -- ne me faites pas le coup du point Godwin car j'aurais pu dire, pour rester en Europe, un familier de la Guardia Civile ou de la Pide, voire de la Securitate et, pour rester en France, de la milice) avait raison. L'intersectionnalisme est un relativisme.

Quarto : Les commentaires ont donc été effarants et, cela n'étonnera personne, certains purs fans de Jaddo, ceux-là même qui la portaient aux nues sans aucune nuance, se sont mis à retourner leurs vestes, ses propos racistes effaçant tout le reste. On voit même des féministes pures et dures (chacune se reconnaîtra) amplifier le mouvement au nom d'une sororité qui ne va pas jusqu'à examiner le point de vue de Jaddo, la livrant au lynchage des réseaux sociaux avec une innocence qui me rappelle, mais je suis vieux et Khon, les lynchages que les staliniens (ne me reprochez pas non plus d'avoir atteint le point Stalwind - copyright docteurdu16) réservaient à leurs ennemis de classe.

Quinto : Là où j'exerce depuis quarante ans des femmes comme celles que Jaddo décrit, j'en connais des centaines. Et c'est un problème. J'en ai parlé plusieurs fois sur ce blog et dans des commentaires sur le blog de Jaddo. Et ce n'est pas un problème de racisme, c'est un problème de médecine : comment envisager des patients et des patientes dont le mode de pensée est différent de celui que l'on a appris durant nos études ? A Mantes j'ai des patients et des patientes qui ne parlent qu'arabe dialectal (avec ses variantes infinies), arabe littéral, berbère (je n'entre pas dans les différentes langues berbères entre chaoui et sahraoui), peul, wolof, soninké, tamoul, urdu, khmer, bon, j'arrête, je ne veux pas faire le malin, des patients et des patientes qui ne parlent pas, ou très mal le français, qui viennent seuls, les enfants n'ont pas le temps ou ils ou elles veulent venir seul.e.s pour de multiples raisons, dont celles-ci : quand les enfants viennent il est possible que l'on se rende copte que les problèmes de santé, et notamment l'interprétation des plaintes, soient liés à des problèmes familiaux qui ne peuvent être évoqués en présence des intéressés... Il est possible que Jaddo manque d'expérience dans ces situations...

Sexto : et si je réagis ce jour c'est parce que certains, que je ne nommerai pas, non par crainte mais parce que cela leur donnerait encore plus de visibilité, voudraient lever l'anonymat de Jaddo et l'interdire d'exercice. Il est assez pitoyable que ces personnes fassent intervenir l'Ordre des Médecins qui est surtout connu pour être une assemblée de gérontes mâles, blancs et cis hétéro sexuels...

Septimo : Je pense qu'elle devrait se rapprocher d'associations qui s'occupent de ces problèmes (je suis certain qu'elle l'a déjà fait).

Donc, ne voyant plus de tweets de Jaddo, c'est l'absence qui me fait penser à elle et à la détresse qu'elle doit ressentir devant tant d'ingratitudes et d'attaques qui ne règleront rien au problème évident du racisme dans notre société.

lundi 1 avril 2013

Un malade qui fait chier. Histoire de consultation 1146.



L'autre jour j'ai vu Monsieur Quipue en visite. J'aime pas trop les visites mais c'est quand même pas mal, les visites, ça montre la vraie vie, la vraie médecine, les mains dans le cambouis, là... La merde, ce qu'y a pas dans les livres, toussa. 
Tu m’emmerdes, gros con, voilà ce que je devrais dire à ce malade à qui je répète depuis des siècles qu’il faut arrêter de bouffer de la merde et qui continue avec une putain d’HbA1C dans les nuages à me faire douter de la médecine.
J’ai tout essayé et rien n’y a fait.
Quant à ce con de remplacé, le docteur Mescouilles, y s’en tamponne de son malade. Il pense que chacun fait ce qui veut et que le médecin donne des conseils et que son boulot s’arrête là. On est quand même pas des assistantes sociales qu’il m’a dit sans utiliser le second degré ! Mais à mon avis, le second degré, y comprend pas.
Moi, je me demande si je ne suis pas parfois une assistante sociale.
Alors, l’autre jour, je me pointe chez le mec, un taudis où t’as envie de rester debout et de ne pas coller ton cul de nana propre sur elle sur aucun des sièges qui te sont même pas proposés.
L’appart est un vrai chantier avec de la vaisselle pas lavée et des mégots de cigarettes un peu partout. C’est peut-être ça qui rend l’air irrespirable ?
Le malade, y va pas bien. Y tousse comme un damné et il a un peu de fièvre. J’ouvre une fenêtre et y me fait une tronche pas possible comme si j’étais en train de polluer son atmosphère.
Bon, si on faisait un peu de médecine… Faut dire que chez Monsieur Quipue, le problème, c’est qu’y pue. J’ai failli plusieurs fois lui demander si ça lui arrivait de se laver mais j’ai pas osé. Cela aurait servi à quoi ? La salle de bains est encore plus sale que lui. Le lavabo est noir et ressemble à son évier, sauf qu’il y a pas d’assiettes et de bols sales…
Donc, pour résumer, le malade est diabétique, il a une HbA1C à 10, y veut pas se faire piquer et au bout de 150 mètres il a une crampe dans le mollet. D’ailleurs je sais pas comment y fait pour savoir s’il a une crampe au bout de 150 mètres puisqu’il ne marche jamais ou presque et qu’il a une épicerie au coin de sa rue. Il picole, il fume et tout va bien.
Chaque fois que je vais en visite chez lui, je me répète avant tout ce que je devrais faire pour changer ce bordel et à chaque fois c’est le fiasco complet : Monsieur Quipue a une force d’inertie que même Einstein y saurait pas s’en sortir pour la calculer… Mais tout est relatif.
« Monsieur Quipue, faut qu’on fasse quelque chose ! », je commence avec vaillance en tentant de respirer le moins possible les remugles de la maison. « Ce n’est pas possible, vous avez trop de diabète, vous fumez trop, vous buvez trop, vous ne pouvez plus marcher et vous ne voulez rien faire… » Il me regarde avec un air bovin. J’ai oublié que le mec qui est devant moi assis sur une chaise pliante genre camping des flots bleus avec une table en formica souillée par de la poussière, des taches de café genre Rorschach, un cendrier rempli à ras bord, une boîte d’allumettes de cuisine, deux tasses ébréchées avec un fond indéterminé, Le Parisien ouvert et replié en deux à la page des mots fléchés, un bic mordillé sur le dessus et un bout de baguette dans un coin avec des miettes tout autour, était, avant que tout cela n’arrive, agent d'assurance et plutôt informé sur tout avec une solide culture de l'actualité… Y a des livres un peu partout et des livres bien, des classiques, des trucs intellectuels, des livres que j'ai même pas lus... Mais sa femme est morte il y a six ans, y m’a raconté ça, et il n’a plus eu envie de vivre… y s’est mis à boire plus qu’avant, et cetera… Le docteur Mescouilles m’a raconté l’histoire à sa façon, dans le style « C’est dingue comme les accidents de la vie peuvent être fatals… des gens biens… un peu négligents sur le ménage et tout a basculé… un cancer du sein qui a tué sa femme… c’est pourquoi moi, le dépistage, j’y crois dur comme fer… »
Et chaque fois que je ressors de chez Monsieur Quipue je me rends compte que j’ai rien fait, que je me suis laissée aller à ne rien faire, qu’il continuera à bouffer du sucre, à fumer des clopes, à ne pas se laver et à ne pas parler du décès de sa femme et de ses enfants qui ne viennent plus le voir et qui n’attendent qu’un truc, qu’il clamse pour récupérer le taudis…
J'y ai prescrit des antibios, du sirop, du doliprane, des bonnes paroles et je suis repartie la queue entre les jambes en me disant que la prochaine fois je ferai quelque chose. On appelle cela la procrastination...
Monsieur Quipue fait chier.

(Crédit photographique : ICI)