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mercredi 5 janvier 2011

MARQUEURS SERIQUES DE LA GROSSESSE : MEDECIN GENERALISTE VERSUS ECHOGRAPHISTE ? - HISTOIRE DE CONSULTATION 59

Madonna del Parto (Pierro della Francesca - mort en 1492)

Madame A, 26 ans, est enceinte pour la deuxième fois. Elle vient me rapporter, pêle-mêle tout ce que je lui ai prescrit lors de la consultation précédente. Pas contestataire, je suis son ordre de présentation. Elle me tend d'abord l'enveloppe dans laquelle se trouve l'échographie qui a été pratiquée là où j'ai demandé qu'elle le soit, dans un centre de radiologie privé. L'opérateur, non choisi, mais peu m'importait, est un échographiste entraîné, obstétricien de surcroit.
Je lis le compte rendu tout à fait rassurant et sur la date de début de grossesse et sur la morphologie foetale et sur la clarté nucale et sur la longueur crânio-caudale.
Une phrase me fait quand même sursauter : "Ne souhaite pas le dosage des marqueurs sériques."
Je regarde la patiente et lui dis : "Tout ça me paraît tout à fait correct. Mais il y a quand même un truc qui me chiffonne. Pourquoi avez-vous refusé le dosage des marqueurs sériques de la grossesse ? - Parce que je ne l'avais pas fait la première fois. - Certes, mais savez-vous à quoi cela sert ? - Ben oui, savoir si le bébé sera normal. Et comme mon premier était normal... - Bon. Vous savez qu'il s'agit d'une prise de sang ? - Heu, oui... - Donc, c'est une prise de sang qui permet de savoir si vous êtes à risque de porter un bébé trisomique. On compare les dosages avec les résultats de l'échographie que vous venez de faire, tout était normal, on l'a vu, et, si vous étiez dans une dose à risque, on vous proposerait de faire une amniocentèse. - Une aiguille dans le ventre ? - Oui, une aiguille dans le ventre. Cela permet de faire un prélèvement de liquide amniotique et de dire de façon quasi certaine si le futur bébé est trisomique ou non. - Y a des risques ? - Heu, oui, le risque essentiel est la fausse couche, environ un pour cent des cas... Mais, de mon point de vue, cela vaut le coup. Ce n'est pas simple d'accoucher d'un enfant handicapé... - Oui, oui. Je n'avais pas vu les choses comme cela. Je n'ai pas envie d'avoir un enfant handicapé. - Enfin (j'ajoute, en me disant que je suis peut-être allé trop loin dans mon désir qu'elle fasse un dosage, est-ce par conviction ou pour éviter un procès ?) l'amniocentèse permet d'éliminer une trisomie 21 et une malformation du tube neural... (elle me regarde avec des yeux effarés et je lui explique en deux mots l'affaire)... pas les autres malformations..."
Nous parlons aussi des conséquences d'une positivité : "Si l'amniocentèse est positive, que ferez-vous ? - Je ne le garderai pas. - Vous voulez dire que vous voudriez qu'on programme une interruption de grossesse ? - Oui."

Elle veut donc faire le dosage. Je remplis le formulaire et le lui fais signer.

Cette brève histoire mérite quelques éclaircissements :
  1. Dorénavant, c'est l'échographiste qui propose le dosage des marqueurs sériques, au décours de la première échographie ; nous n'en avons pas été informés mais c'est comme cela ;
  2. Le médecin traitant, malgré tout ce que l'on dit, a peut-être plus de temps qu'un autre pour expliquer l'intérêt et le bénéfice-risques de certaines procédures ; je me rends compte, en rapportant cette consultation que l'association échographie / marqueurs sériques peut cependant passer à côté d'une trisomie 21 (cf. infra) ;
  3. Comme dans le cas d'une précédente histoire de consultation (58) j'ai pu parler avec cette patiente de l'interruption volontaire de grossesse et de ses implications ;
  4. Je comprends que par souci d'efficacité et de dilution de l'information (les médecins généralistes, comme tout le monde le sait depuis la campagne anti grippale A/H1N1 de l'an passé, ne peuvent respecter la chaîne du froid) et de retard dans la réalisation des tests, les énarques et / ou gynéco-obstétriciens et / ou photographes intra-utérins aient souhaité squeezer les médecins généralistes mais, en réalité, je ne le comprends pas. Je ne vais pas vous refaire le coup de IL N'Y A QUE LES MEDECINS TRAITANTS QUI CONNAISSENT LES PATIENTS ET LES MALADES ET QUI PARLENT AVEC EUX mais cela me reste quand même au travers de la gorge.
  5. Le point fondamental à mon sens et qui doit nous rendre attentifs les uns comme les autres à la difficulté de ces procédures et à leur compréhension est le suivant : la procédure choisie en France pour le dépistage de la trisomie 21, c'est à dire association de l'échographie et des marqueurs sériques au premier trimestre a des avantages et des inconvénients qui doivent être connus et expliqués à la femme qui consulte (j'ai trouvé ici un article français remarquable). Il existe par ailleurs des procédures plus complexes associant des dosages et une échographie au deuxième trimestre (dépistage intégré, dépistage séquentiel) que nous n'analyserons pas ici. Quoi qu'il en soit, pour parler du dépistage combiné du deuxième trimestre tel qu'il est proposé actuellement en France et auquel la patiente décrite a failli échapper, voici les résultats : a) Dépistage échographique du premier trimestre : une revue de littérature datant de 2003 indique : sensibilité de la mesure de la clarté nucale (77 %), faux positifs (6 %), valeur prédictive positive (7 %) ; MAIS quand on dispose de données de caryotype pour chaque mesure la sensibilité passe à 55 % ! ; MAIS le problème de la reproductibilité est aussi posé : une étude écossaise montre une reproductibilité de la mesure dans seulement 73 % des cas ; b) Dépistage combiné du premier trimestre : je vous rapporte l'étude la plus contrôlée (résultat connu des caryotypes) (Wappner 2003) qui indique un taux de détection de 85,2 % avec un taux de faux positifs de 9,4 %.
Au bout du compte je ne sais pas comment la patiente a vécu la consultation (qui s'est poursuivie : elle était toxo séro neg, et cetera) mais peut-on penser qu'elle n'a pas été inutile ? Non seulement pour elle, j'espère, mais pour moi qui ai dû aller faire un tour sur internet pour lire et pour affiner mon point de vue.

mercredi 28 avril 2010

UNE JEUNE FEMME ENCEINTE. HISTOIRES DE CONSULTATION : VINGT-ET-UNIEME EPISODE


Cette jeune femme est une grande anxieuse mais je ne sais pas pourquoi je vous parle de cela. Je l'aime beaucoup. Elle est fraîche, elle est jolie, elle a de la repartie et elle est intelligente. Que dire de plus ?
Nous avons l'habitude de parler de tout et de rien, en plaisantant, et j'en profite pour placer quelques conseils dits médicaux.
Depuis qu'elle est enceinte elle est à la fois épanouie et tendue.
Epanouie, car elle est heureuse.
Tendue, car elle sait que la famille recomposée vers laquelle elle se dirige ne sera pas facile à vivre. Nous en avons parlé avant qu'elle ne soit enceinte et nous avons continué d'en parler pendant.
Malgré mes réticences, une sorte d'intimité s'est installée entre nous. Je n'ai ni peur du fameux transfert ni du non moins fameux contre-transfert. Notre distance de sécurité est très grande.
Je me méfie pourtant de sa naïveté et de mon cynisme. Je ne voudrais pas qu'elle prenne ce cynisme pour argent comptant.
Son ami l'a accompagnée une fois ou deux et j'ai compris qu'il ne m'aimait pas. Parce qu'il se doute que nous aimons bien parler ensemble.
Aujourd'hui elle a envie de parler d'un truc qui la titille. Je ne m'en rends pas compte tout de suite et elle me surprend.
Avant tout, je voudrais dire ceci : sa grossesse la rend heureuse mais elle déforme son corps. Elle a pris beaucoup de kilos et j'ai peur qu'elle ne retrouve pas complètement son élégance d'avant.
Problème personnel : j'ai beaucoup de mal avec les corps imparfaits et, plus que tout, abîmés par le travail ou par le vieillissement accéléré et, ici, par la maternité.
Voici ce qu'elle dit (et au moment où elle me dit cela je ne sais rien sur ce qu'en disent les Freudiens, les anti Freudiens, les TCC ou les gourous, je n'ai jamais rien lu de tel dans les livres et les romans que je lis depuis plus de cinquante ans, mes maîtres ne m'en ont rien dit, ni Milan Kundera, ni Philip Roth, ni Marcel Proust, ni Joseph Conrad, mais je m'arrête là, pas même Sandor Maraï, je suis sans avis, sans repères, je n'ai jamais entendu parler de cela, c'est vrai, au risque de passer pour un imbécile, malgré toutes mes lectures, malgré le poids de trente ans de conversations avec des femmes enceintes, ayant accouché ou sur le point de l'être, avec des femmes qui ont eu des filles enceintes, avec des hommes qui ont été les compagnons de femmes pas encore enceintes, déjà enceintes ou ayant accouché une fois, deux fois ou trois fois, pas plus qu'avec des femmes qui voulaient interrompre leur grossesse, je suis passé au travers, je n'ai même pas imaginé, je suis surpris, j'en prends un coup dans la figure et, avec un air patelin, j'arrive à encaisser en me demandant comment je dois réagir) : Je n'ai plus envie de faire l'amour avec mon ami (jusque là je suis en terrain connu, j'en ai entendu des tonnes de la part des femmes enceintes qui n'avaient plus envie, qui ne désiraient plus, qui se sentaient mal dans leur corps, la peur des vergetures, la peur de ne pas tout reperdre...) et il le prend un peu mal (air connu) mais sans plus, c'est un type bien, mais j'ai honte de moi, ce n'est pas par manque de désir (là, elle commence à m'intriguer), c'est parce que je ne peux pas faire l'amour alors que le bébé peut nous voir...
Elle continue de parler sur le sujet et, pendant qu'elle parle, pendant que je hoche la tête, pendant que je ne perds pas son regard, pendant que je lui fais comprendre que je la comprends, que sa réaction tout à fait compréhensible (je viens de le comprendre, si j'ose dire, alors que c'est la première fois que j'entends parler une femme d'un tel sujet et que pas plus un homme, car, après tout, je n'ai jamais pensé à ce détail...), je cherche dans ma mémoire des traces de ce que pourrait en avoir dit Françoise Dolto, elle qui me surprit en disant qu'il n'était pas bon qu'un enfant voit la nudité de ses parents, ou Mélanie Klein ou René Spitz...
Je n'y avais jamais pensé.
Est-ce qu'on en parle dans les magazines féminins ?
Cela m'aurait-il échappé ?
J'imagine ceci : serait-il possible que ce fait ait échappé à la sagacité des Freudiens ? Cela m'étonnerait. Mais que disent-ils en cette occasion ? Eux qui prétendent que le moindre geste, que la moindre parole, que la moindre accélération du coeur de la maman, que la moindre musique entendue dans la pièce, sont perçus par le foetus et qu'ils pourraient être à l'origine, bien plus tard, c'est ce qui fait la fortune des analystes, d'une névrose, conseilleraient-ils quand même à cette jeune femme d'accepter de faire l'amour malgré ses réticences ?
J'avoue n'en rien savoir.
Je reste dans un flou artistique, tentant de la rassurer, cette belle jeune femme dont le corps est déformé par les kilos de la grossesse, en lui disant qu'il faut expliquer à son compagnon, elle ne lui a rien dit par peur du ridicule, et qu'il sera toujours temps, après, de faire l'amour à l'abri des regards indiscrets d'un tiers, fût-il le futur enfant du couple...