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mardi 26 juin 2012

Hospitalisation A Domicile : cauchemar à domicile ! Histoire de consultation 122


J'ai hésité un moment, et, en accord avec Monsieur A et sa femme, nous sommes convenus qu'il n'était plus possible d'y arriver seuls, je veux dire, la famille, les infirmières libérales et moi-même, Madame A est épuisée, son mari commence à être agressif : les soins post érysipèle sur les faces antérieures et postérieures des deux membres inférieurs sont devenus ingérables et l'hospitalisation qui avait été programmée n'a pas fait évoluer les lésions dans le bon sens.
Monsieur A, 86 ans, a une lourde pathologie : coronarien dilaté hypertendu dyslipidémique bronchitique chronique. Avec le traitement ad hoc comprenant aussi previscan pour cause d'antécédents de phlébite compliquée d'embolie pulmonaire. Il y a vingt ans son cardiologue lui avait donné deux ou trois ans à vivre (le cardiologue est mort prématurément depuis d'une affection non cardiovasculaire).
J'ai hésité car je sais (voir ICI) quel traumatisme peut entraîner l'intrusion brutale de l'hôpital à domicile et le comportement hospitalier des personnels dans une zone privée.
Le fait que le patient habite dans une tour HLM dont l'état ne cesse de se dégrader avec le temps (hygiène, dégradations multiples) ne rend pas les choses plus faciles. Nous en reparlerons peut-être.
Quoi qu'il en soit, j'ai d'abord prévenu le patient et sa femme de ce qui allait se passer. J'ai prévenu les infirmières libérales qui étaient en charge des soins locaux et qui, manifestement, n'ont pas été préoccupées quand je leur ai annoncé qu'elles allaient être mises hors jeu.
Cela s'est fait assez vite et nous avons pris rendez-vous à domicile avec le patient, sa femme et les intervenants, l'infirmière chef et, semble-t-il, la chef administrative.
J'ai écouté poliment et j'ai pris les devants en expliquant devant les dignes représentantes de l'hôpital quel traumatisme cela pouvait constituer de voir débarquer chez soi l'institution dans toute sa grandeur. Les deux femmes ont réagi avec calme et m'ont souri quand j'ai développé quelques thèmes qui me sont chers, à savoir que l'hospitalisation à domicile (HAD) se comporte parfois en terrain conquis, que ses membres arrivent souvent à n'importe quelle heure, ne portent jamais de badge et, pire, ne se présentent pas, comme si les familles pouvaient savoir par avance qui était l'infirmière chef, la responsable de la coordination, la psychologue, l'aide-soignante ou le livreur de médicaments que l'HAD ne connaît pas la pudeur des lieux, la pudeur des corps, la pudeur de la politesse. Le même sourire que lorsqu'elles doivent annoncer à un patient et à sa famille que cela va mal : extase rentrée.
J'ai résumé la situation, les soins, les prescriptions et j'ai réécrit des ordonnances car il n'est pas possible en HAD d'acheter les médicaments à la pharmacie du coin. 
J'ai donc décidé que les infirmières libérales ne viendraient pas faire les pansements quotidiens en association avec les infirmières non libérales afin de responsabiliser tout le monde et d'éviter toute surenchère ou tout malentendu sur la qualité des soins.
Tout roule ?
Pas exactement.
Deux jours après, les antibiotiques que j'avais prescrits n'avaient pas été délivrés et, deux jours plus tard ils l'avaient été mais en conditionnement hospitalier, boîte de cent comprimés alors que moins du quart aurait suffi pour ce brave patient. 
Les pansements que j'avais prescrits, ils n'en avaient finalement pas en magasin et la coordonnatrice m'a proposé par téléphone de prescrire autre chose, d'autres pansements (très chers) et sûrement téléguidés par la visite médicale hospitalière par le biais des marchés également hospitaliers.
Mais surtout : l'HAD sonne à toute heure chez ces pauvres gens. L'aide-soignante passe pour les toilettes entre huit heures et une heure de l'après-midi et on ne discute pas, c'est comme ça ; les livreurs de matériel peuvent sonner à onze heures du soir pour apporter une caisse de compresses dont on se rendra compte le lendemain qu'elles ne sont pas à la bonne taille ; les infirmières, les aide-soignantes changent tout le temps, et Monsieur A, âgé, vivant dans son HLM depuis bientôt quarante ans, est perdu, il ne sait plus qui fait quoi et quoi fait qui, son environnement est perturbé, je finis par me demander si je n'ai pas fait une grosse bêtise en le confiant à ces fous furieux ; quelques jours après la femme du patient m'appelle pour me dire que les patchs anti douleurs sont manquants et que je dois faire une ordonnance à part pour qu'on puisse aller les acheter à la pharmacie habituelle ; que l'HAD a piqué du previscan à mon patient pour en donner à un autre qui n'en avait pas... Non, non, je ne plaisante pas, je ne raconte pas d'histoires, c'est vrai. 
Aujourd'hui la femme du patient est venue au cabinet pour prendre des médicaments pour elle et m'a dit qu'elle allait bientôt les envoyer paître.
A noter que sur le plan local, cela va mieux. La qualité des soins locaux et l'autorité de l'hôpital pour imposer au patient de ne pas dormir dans son fauteuil et d'utiliser le lit médicalisé, ont fait le boulot. Madame A est moins fatiguée car ce n'est plus elle qui fait les toilettes de son mari...
Il y a quand même des raisons d'espérer...
Et le bon docteur traitant, il fait des visites à domicile, il met des rustines, fait des sourires, pousse des coups de gueule, tente de ne pas perdre pied dans ce dédale administratif où le souffle de l'hôpital s'engouffre dans ce petit appartement situé au deuxième étage, avec quelques cafards qui se baladent sur le palier.
Tout le monde est épuisé : Monsieur A, Madame A et, probablement, le personnel de l'HAD.
Mais, comme dirait l'autre, le bilan est globalement positif. Enfin, à court terme. les jambes coulent moins, l'érysipèle se porte mieux, et l'INR se balade moins.
Le fax installé ne fonctionne pas.
Un détail mineur.
Les médicaments prescrits finissent par arriver.
Mais quelle débauche d'énergie, quelle débauche d'argent.
Moi, cela ne change pas grand chose, je passe peut-être un peu plus souvent. Et j'ai l'impression que la famille est contente.
Dur, dur.
Nous avons probablement rendu service à ce patient (encore qu'il faille se méfier et penser à l'avenir proche) mais j'ai bouleversé l'équilibre précaire de cette famille (en apportant des améliorations et en pointant du doigt certaines insuffisances d'organisation dont la femme du patient s'est rendu compte et s'est déjà sentie coupable) et je ne parle pas de l'augmentation des coûts. Croire que l'HAD puisse être une solution d'avenir est un leurre car la mobilisation de ressources est excessive. Me semble-t-il.

Tout le monde se pose la question du rôle de la médecine générale et pleure des larmes de crocodile sur sa disparition.
Le rôle du médecin généraliste, dans le cas précis le docteurdu16, eût été (mais sera désormais) de résister à la tentation de la dévolution des pouvoirs à l'hôpital hors les murs, de résister à la demande de la famille dépassée, à s'interroger avec les infirmières libérales (qui n'en peuvent mais en raison de la lourdeur de leurs journées) sur l'organisation des soins.
Il ne s'agit que d'un cas d'espèce.
Dans d'autres situations nous utiliserons, certainement avec profit, l'HAD. Mais nous y réfléchirons à deux fois.