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dimanche 16 avril 2017

Est-ce au médecin (généraliste) de choisir ce que doit lui dire le consultant ?


J'ai lu l'autre jour le tweet d'un médecin généraliste qui trépignait d'acquiescement en vantant une affichette telle que celle que je vous montre ci-dessus et qui était apposée sur la porte d'une salle d'attente à destination de patients (anglais) consultant en médecine générale : "Un problème par consultation. S'il vous plaît."


Cette affiche est, selon moi, la négation de la médecine générale. 
Mais, et certains s'en souviendront peut-être, je n'ai pas toujours pensé comme cela : je me laissais sans doute emporter par la colère, par le mainstream des idées faciles, par mon paternalisme et... par l'encombrement des consultations...

Examinons l'affaire.

La médecine générale est une médecine de premier recours. Mais pas que.
Ce n'est pas au médecin de choisir le ou les motifs de consultation des patients (ou des non patients).
Il est possible (et souhaitable) que ce soit le médecin qui détermine la hiérarchie des priorités : un infarctus versus un rhume.

Tout le monde connaît cette histoire de consultation : Un.e dame.monsieur vient pour a) le renouvellement de ses médicaments, b) un (petit) rhume, c) une verrue et, en fin de consultation, la main sur la poignée de la porte : "Jai mal au mollet". Et c'est finalement une phlébite...

Chaque consultation de médecine générale est unique (même ceux qui parlent de bobologie le comprendront) et dans les réunions de groupes de pairs, les cas les plus banals sont souvent ceux qui entraînent le plus loin dans le coeur du métier.

Quand un patient consulte pour un "renouvellement", ce renouvellement comporte plusieurs sous motifs : faudrait-il les scinder ?

Dans le cadre d'un suivi longitudinal (diachronique selon la vulgate universitaire un peu péteuse) le praticien, en accord avec son consultant, peut décider d'aborder lors de consultations successives des problèmes qui peuvent être considérés comme distincts : prévention du cancer du col et/ou régime hypocalorique et/ou autokinésithérapie pour lombalgies.

Lors d'une consultation unique il est aussi possible de faire le point sur les différentes pathologies suivies afin de fournir au consultant une vision cohérente de son état de santé : plusieurs motifs, plusieurs problèmes (et vision synchronique pour les péteux).

Je m'arrête là. La médecine générale peut et doit avoir une vision holistique (terme très péteux également) des patients mais il faut se méfier de cette vision globalisante qui a tendance à faire du tout médical et à médicaliser la santé.

Cette affiche issue du NHS dont tout le monde dit du mal en dehors du Royaume-Uni mais que  Margareth McCartney défend bec et ongles (en voulant le transformer) dans son dernier livre "The state of Medicine" et où elle écrit que tout le monde envie le NHS -!-) est une affiche économique.



C'est une vision économique de la médecine comme j'ai une vision économique dans mon propre cabinet avec des rendez-vous tous les quart d'heure qui sont un compromis entre les attentes des consultants, les représentations collectives de la santé (péteux), le prix de la consultation, mes charges et mes besoins...

Donc, pour des raisons fonctionnelles (et économiques), le système choisit ce que le consultant doit et a le droit de raconter pendant la consultation.

Oups.

On pourrait dire également : le médecin, sous couvert des contraintes du système, choisit ce que le consultant doit et a le droit de raconter en consultation. On est loin de la décision partagée. Les associations de patients pourraient parler, à juste titre, d'abus de pouvoir.

Nous sommes en plein paradoxe : les médecins veulent tout médicaliser, s'étonnent que les consultants les prennent au pied de la lettre, s'arqueboutent sur le pouvoir médical mais voudraient que les consultants hiérarchisent eux-mêmes leurs plaintes dans une démarche économique et consumériste (le principe des marketeurs influençant les industriels est : à un besoin ou à une indication correspond un produit ; l'exception étant Minimir, les vendeurs ont des ruses infinies, qui est multi usages et pas cher : une métaphore du médecin généraliste ?).




Le consultant consulte pour des raisons qui lui échappent parfois et qui échappent parfois aussi au consulté.

Il semblerait donc que le rapport temps/bénéfices soit au centre de notre sujet.

Je rappelle qu'en moyenne une consultation de médecine générale dans le NHS anglais dure 7 minutes et que le temps réel en France est de moins de 15 minutes.

Commentaire des gens qui critiquent le système anglais parce qu'il n'est pas assez libéral mais qui en retiennent des aspects positifs (la rémunération)  : "Oh là là, le nul, il ne sait pas que dans le système du NHS, il y a une nurse qui  note des éléments administratifs, prend la tension, et cetera, avant que le docteur n'examine le patient. Ce qui explique le faible temps de consultation." Je rappelle aussi que les médecins généralistes anglo-gallois voient en moyenne 50 à 60 patients par jour !

Une patiente me disait par ailleurs l'autre jour que chez son pédiaaaaaaatre, une assistante (secrétaire ? infirmière ? puericultrice ? jeune fille au pair ?) déshabillait l'enfant, le pesait et le mesurait avant que le docteur n'intervienne. Elle trouvait ça bien, elle m'a même dit "c'est classe".

Mouais.

Je vais caricaturer : 

La médecine générale est la médecine de l'individu malade (ou non) et non une médecine de motifs séparés (j'ajouterai : de pathologies déjà constituées). Je pourrais développer mais j'aurais peur de me répéter sur l'originalité de la médecine générale et sur ses manques (cela fait environ 800 billets de blog).

Bel articulet de Margareth McCartney sur le sujet initial (un problème, une consultation) que j'ai trouvé en picorant sur le web : ICI.

((je lisais l'autre jour un compte rendu d'hospitalisation d'une de mes patientes -- d'origine africaine-- suivie depuis trois ans dans un service parisien huppé de rhumatologie, et je ne comprenais strictement rien. J'ai seulement compris que le diagnostic de Polyarthrite Rhumatoïde avait été fait depuis belle lurette mais qu'on cherchait pourquoi la patiente ne répondait pas aux traitements proposés (tout en, la méchante, faire plein d'effets indésirables gênants). Le jargon était diafoiresque mais la patiente n'allait pas mieux. J'avais souligné dans le premier courrier d'adressage que j'avais remarqué l'incidence curieuse de pathologies rhumatologiques complexes chez mes patientes d'origine africaine et le chef de service m'avait gentiment répondu sur le sujet sans me donner d'explications -- que vous imaginez : la polyartrite rhumatoïde était un diagnostic négligé en Afrique, la dépaysement qui fait que les gens nés en France finissent par "attraper" des maladies françaises,  et, bien entendu les réactions immunitaires...))


Prendre la pression artérielle est un geste médical (que l'on peut déléguer, que l'on doit parfois déléguer à des non médecins, mais surtout aux patients eux-mêmes) dont les conséquences sont majeures. Une étude a montré que plus on répétait la prise de la pression artérielle en cabinet de consultation et plus les patients, au fil des ans, était traité par un nombre toujours plus important de médicaments anti hypertenseurs.

Déhabiller un enfant ou le faire déshabiller par la maman ou le papa ou les deux est un moment très important de la consultation et ce d'autant que les enfants sont petits. Quand je touche et parle à l'enfant que je mets à nu, j'ai une relation particulière avec lui et les questions que je lui pose, les propos que je lui tiens, fût-il un nourrisson, sont toujours fructueuses. Mon examen clinique, j'exagère, et mon examen social, et sociétal est pratiquement terminé (quand il n'y a pas de problèmes) après ce déshabillage. J'exagère bien entendu. Ah, au fait, l'enfant, combien de motifs de consultations ?

C'est tout pour aujourd'hui.


vendredi 31 mars 2017

Un enfant médicalisé. Histoire de consultation 197.

Distribution des cigarettes à l'hôpital

Madame A, 32 ans, accompagne son petit B, trois ans et trois mois qui fréquente la classe des petits en maternelle.

La maman : "J'ai plusieurs choses à vous demander."
Je connais le petit B pour deux choses : trois otites moyennes aiguës pour lesquelles j'ai dû me battre pour ne pas prescrire d'antibiotiques ; deux épisodes de bronchite sifflante, i.e. bronchiolite, dont la deuxième a conduit l'enfant aux urgences où le diagnostic d'asthme a été porté, où une consultation chez un pédiatre (le genre qui consulte en ville et à l'hôpital) a conduit à la prescription de flixotide (1) et de ventoline au masque (sans compter les séances de kinésithérapie dont on connaît l'inutilité, voir LA).
Les parents de B sont des gens charmants, ouverts, attentifs, et c'est leur premier enfant. Le papa est agent de sécurité et la maman est vendeuse de prêt à porter dans une enseigne bon marché.

Les plusieurs choses de la maman : 
Premièrement (elle a un petit papier) : " La maîtresse voudrait qu'il voie une orthophoniste et j'ai réussi à en trouver une qui peut recevoir B. Il me faut donc une prescription (elle lit son papier : ) 'Demande de bilan orthophonique avec séances si nécessaire'."
Deuxièmement : " La maîtresse trouve qu'il devrait consulter un neurologue et un psychologue car il est agité et qu'il ne peut se concentrer en classe. Y a pas des médicaments pour ça ?"
Troisièmement : vérifier son oreille droite.
Quatrièmement : la maman veut que je prescrive des semelles orthopédiques (elle est déjà allée voir le podologue).

Je commence par le point 3 pour me calmer : les tympans paraissent parfaits, la voix chuchotée est comprise mais surtout il a eu un audiogramme il y a 2 mois après passage chez un ORL de ville.
L'enfant se laisse faire sans crainte et sans appréhension. Sa participation est parfaite.

Le point quatre est plus complexe car il faut que je rappelle, non sans avoir examiné l'enfant dans les normes, cent et cent fois, combien les semelles orthopédiques ne servent à rien pour ce pied valgus d'une extrême banalité. La maman est surprise et furieuse quand elle réalise que je ne prescrirai pas de semelles orthopédiques (2).

L'interrogatoire de la maman renseigne que B n'a pas fait de crise d'"asthme" depuis trois mois, c'est à dire depuis la dernière fois où il a vu le pédiatre... "Mais il prend le flixotide" ajoute la maman. Effectivement. C'est toujours le même problème : est-ce le flixotide qui a arrêté les crises ou sont-ce des crises qui ne se seraient jamais reproduites ? Personne n'en sait rien. Mais le flixotide n'est pas anodin.

Il existe effectivement des difficultés de prononciation chez cet enfant.

Je pose des questions à B pour connaître son niveau de développement (chose que je n'avais pas faite auparavant, me fiant à mon sens clinique). Je m'inspire discrètement de ce document : ICI. Tout est OK. Je l'interroge sur les couleurs primaires (c'est un de mes dadas) : aucune hésitation.

Bon.

Nous parlons orthophonie : je lui explique ce que j'en sais (j'en ai déjà parlé LA) et je pense à ce que racontent les orthophonistes sur ce qui se passe à l'école (j'ajoute que les orthophonistes parlent surtout de la méthode d'apprentissage de la lecture qui a) leur font sortir les yeux de la tête et b) leur font douter du QI des inspecteurs de l'Education nationale mais c) ils ferment leur gueule car ils n'ont rien à gagner dans cette polémique sinon que leurs syndicats ont passé un pacte avec ceux de l'Education nationale pour ne rien dire ; j'en ai aussi parlé ICI à propos d'une si charmante patiente... une de mes patientes "favorites" que je ne vois plus car elle était de passage à Mantes, la vie est si mal faite...). Le sites spécialisés conseillent le bilan orthophonique dès le plus jeune âge, je n'en ai encore trouvé aucun qui parle d'orthophonie in utero mais nul doute qu'à l'impossible nul n'étant tenu le progrès de l'accès à la santé étant infini, il arrivera que des foetophoniatres se promèneront dans les couloirs des maternités au même titre que des ostéopathes ou des fabriquants de casques pour plagiocéphalie, et donc, va pour l'orthophonie (ICI).

La maman : "Pourquoi avez-vous levé les yeux au ciel quand j'ai parlé de l'orthophoniste et du neurologue ?"
Elle a raison : mon non verbal est dramatique.
Moi : "Parce que je trouve qu'il est petit et qu'il faut prendre son temps."
La maman : " Il est intenable en classe. - Que fait-il ? - La maîtresse dit qu'il ne participe pas. Je vais vous donner un exemple, quand elle lit une histoire devant la classe il se lève, se promène et cela dérange tout le monde."
Hum. 
Moi : " Et à la maison ? Il écoute quand vous lui lisez une histoire ? - Oui. Le soir, et il s'endort après. Mais il est dur. Il nous épuise. - Est-ce qu'il était comme cela à la crèche ? - Non, il était sage, il ne bougeait pas (3). - Vous expliquez cela comment ?"
La maman me regarde comme si j'étais un idiot absolu. Elle continue : "A la crèche les enfants jouent alors qu'à l'école on leur fait faire des exercices... Eh bien, B perturbe les exercices et surtout il ne les fait pas..."
Je pense en moi-même : faire des exercices en petite section de maternelle n'est pas choquant mais cette formulation me choque quand même.
Je pose une question sotte : "Il y a combien d'élèves dans la classe ? - Ils sont 32." Cette fois je lève les yeux au ciel. 
(Je rappelle que cet enfant est scolarisé au Val Fourré, l'ex plus grande ZUP d'Europe (je ne sais qui l'a détrônée), en ZEP, et que 32 élèves de trois ans dans une petite section, c'est intenable. Ici, environ un tiers des enfants proviennent de familles où le français n'est pas la langue maternelle des parents et où le français ne leur a même pas été appris à la maison !). (4)
La maman : "Je comprends que la maîtresse soit débordée et B la gêne vraiment. Pour les exercices. C'est tellement important."

La maman commence sérieusement à m'énerver avec les exercices.
Mais je comprends que la maîtresse soit à bout.

D'ailleurs, la maman ajoute : "La directrice est d'accord." Tu parles...

Voulez-vous (que ceux dont la femme, le fils ou la grand-mère sont, ont été ou seront instituteur.e.s (5), ce qui est mon cas entre parenthèses, s'arrêtent là : ils vont lire des horreurs) que nous parlions du  massacre pédagogique à l'usage des classes populaires ? Je rappelle ce que j'ai écrit : Les intégristes meirieuistes (cela rime avec les bourdieuistes mais pas avec les redoutables foucaldiens) considèrent que la méthode syllabique est une "violence symbolique" exercée à l'égard de l'enfant et "une négation de son droit fondamental à être le sujet de son propre apprentissage" (JC Michéa citant Philippe Meirieu et Charlotte Nordmann, une tenante du pédagogisme et, par assimilation rapide, du néo libéralisme capitaliste qui veut de la flexibilité à tout prix et qui approuve que les enfants, on ne dit plus élèves, n'apprennent plus mais "apprennent à apprendre"...).

Je me calme.

Mais il est normal que la directrice défende l'institution où il y a 32 élèves par classe...

Toutes les interprétations sont possibles.
Cet enfant n'est pas "en avance" mais il ne me paraît pas être en danger.
Je rédige une ordonnance de "Bilan orthophonique avec séances si nécessaire".
Je ne prescris pas de semelles orthopédiques
Je ne represcris pas de flixotide.
Je raconte une histoire d'Allan sur les enfants turbulents. Pour rassurer.

J'ai droit à un grand sourire de l'enfant et de la maman (qui n'en pense pas moins).

Commentaire :
Les consultations de médecine générale sont une merveille.
J'en profite pour faire un clin d'oeil à Michel Arnould qui est un amoureux de cette complexité indescriptible de la médecine générale (et je m'étonne qu'il n'y ait pas plus de philosophes, de sociologues, d'anthropologues, d'analystes qui s'intéressent à cette matière exceptionnelle).
Mais, et il y a un mais, comment ne pas comprendre pourquoi de jeunes médecins généralistes, fussent-ils formés par mes correspondants estimables enseignants de médecine générale que je rencontre ici ou là, ne soient pas terrorisés à l'idée de devoir aborder autant de sujets dans une seule consultation d'un gros quart d'heure ?

Sur médicalisation.
Ce terme est sans doute impropre car il pourrait avaliser l'idée que la médicalisation pourrait être acceptable. Il vaut mieux parler de médicalisation de la vie ou de la société mais j'aime plus la formulation d'Illich : la médicalisation de la santé. Il faut dire que ce gamin a droit à (par ordre alphabétique) : asthme, flixotide, kinésithérapeute, médecin généraliste, neurologue, ORL, orthophoniste, pédiatre, podologue, psychologue, ... Nul doute qu'il aura droit à de l'orthodontie, et cetera...


Notes.

(1) Le flixotide, alias fluticasone des Laboratoires GlaxoSmithKline, est devenu le pain et le beurre des pédiatres et autres pneumopédiatres (et donc des médecins généralistes "suiveurs" des prescriptions des maîtres) et il est étonnant que les marketeurs n'aient pas pensé à faire un combo en pharmacie lait de croissance/flixotide (oxymoron)... C'est peut-être déjà le cas. Toujours est-il que le disease mongering sur l'asthme des petits est assez gratiné : toujours la même façon de procéder : les MG passent à côté du diagnostic, ces crétins finis, et les pédiatres remettent l'enfant dans le droit chemin. Comme toujours en médecine, et il suffit de regarder les ordonnances et le suivi annexe de ces enfants (soumis le plus souvent à la terreur kinésithérapeutique) sans compter le peu d'attention porté aux conditions environnementales, les patients les plus graves sont mal traités et les patients "légers" sont trop traités (mais c'est là qu'est le chiffre d'affaires, coco).
(2) Un de mes amis médecin m'a dit ceci : "Mon fils est podologue. Il y a plusieurs écoles qui racontent des trucs différents. C'est le bordel. Grosso modo, chez l'enfant, et en de rares cas, cela n'est pas à prescrire" (voir ICI par exemple). La podologie n'est pas l'égale de l'ostéopathie mais...
(3) Il y a, grosso modo, deux types d'enfants en classe : les sages qui ne bougent pas et les speeds que l'on n'arrête pas. Les sages qui ne bougent pas sont les bons élèves et les autres sont à la fois casse-pieds et l'honneur de la famille (quand ce sont des garçons). Un enfant speed, un enfant qui touche à tout, qui renverse tout, qui casse tout, n'est pas un épouvantable sale gosse mais un enfant qui montre sa personnalité et tout le monde sait que pour réussir il faut être motivé, compétitif, marcher sur les autres, les empêcher de s'exprimer, les écraser... Il n'y a qu'à regarder les émissions de télé réalité pour constater que les héros sont ceux qui ont une grande gueule, qui poussent des cris, qui hystérisent leur moi, qui narcissisent leur ego, qui s'imposent. On n'aime pas les timides, les introvertis, les polis, les qui font des bonnes manières.
(4) On comprend aisément qu'une institutrice de maternelle, jeune, je me suis renseigné, ne veuille voir qu'une tête... et ait besoin de calme dans sa classe. On est donc dans cette aporie idéologique des pédagogistes de l'Education nationale, vouloir que les enfants s'expriment et qu'ils ne s'expriment pas.
(5) La novlang ne "marche pas" pour instituteur.e.s, cela marcherait-il pour institutrices ? Pas mieux. Mais la novlang épicène est savoureuse : instituteurE existe peut-être. Il faut dire professeurE des écoles en maternelle.

dimanche 15 janvier 2017

Parler du silence. Histoire de consultation 194.


Madame A, 36 ans, je ne l'ai pas vue depuis six ans. Je demande parfois de ses nouvelles à ses parents dont je suis le médecin traitant et ils me disent que tout va bien. Qu'en savent-ils ?
Aujourd'hui elle est venue avec sa fille de 5 ans, la petite B, qui a de la fièvre et qui tousse.
Elle est contente de me voir mais elle n'a rien perdu de sa tristesse. Elle me prie de l'excuser d'avoir pris rendez-vous, blabla, car elle n'habite plus Mantes : elle travaille près de Roissy comme institutrice. Elle est chez ses parents pour quelques jour et sa fille est malade.
La petite a une rhinopharyngite banale, je lui crée un dossier, il n'y a pas de carnet de santé, tout cela est très banal. L'ordonnance est étique : deux lignes.
A : "Vous n'avez pas changé."
Moi : ?
A : "Pas d'antibiotiques alors que ma fille a 40, pas de gouttes dans le nez."
Moi : "Pourquoi veux-tu que je change ?"
Elle sourit.
Moi : "Ca va ?"
A : "Ca va".
Sa petite fille est l'aînée de deux enfants. Ils vont bien.

Je suis certain que cela ne va pas bien. Cela ne peut pas aller très bien.

Flash-back.

Je connais Madame A, qui s'appelait B quand je l'ai vue pour la première fois quand elle avait deux ans (les parents faisaient suivre leurs enfants à la PMI pour des raisons pratiques et financières).
Un jour, elle est venue me présenter son mari qui avait une angine. Je ne me rappelle plus si j'avais prescrit ou non des antibiotiques (je n'ai pas regardé le dossier).

Puis elle est revenue seule. Elle avait l'air encore plus triste que d'habitude.

Son couple ne fonctionnait pas.
Notamment le sexe.

Nous nous sommes revus plusieurs fois et nous faisions du sur place.
Il y avait quelque chose et soit elle n'avait pas envie d'en parler, soit elle pensait que cela ne ferait pas avancer les choses.

Je lui ai raconté des trucs pour qu'elle s'en tire. Cela ne venait pas.

Un jour elle m'a annoncé qu'elle avait obtenu sa mutation dans le 93 (elle est institutrice de maternelle). Qu'elle divorçait. Sans enfants.

Et un jour elle a parlé. La veille de son départ dans le 93.

Quand elle était petite fille elle était constamment victime d'attouchements de la part de son oncle maternel. Elle n'en avait parlé à personne. Une fois à sa mère qui lui a dit de se taire et que ce n'était pas vrai. Puis elle apprit que l'une de ses soeurs y avait droit. Puis un jour il a tenté de la violer. Elle avait douze ans. Elle ne s'est pas laissé faire mais elle en a reparlé à sa mère. Qui n'a rien dit mais qui a interdit à son frère de venir à la maison quand elle n'était pas là.
Le père ? Selon elle : au courant de rien.
Pourquoi ne pas en avoir pas parlé avant ? Elle craignait que son père ne tue son oncle.

Aujourd'hui je suis toujours le médecin de la famille, les parents, dont la mère présumée consentante et le père présumé ignorant, consultent au cabinet. Je n'ai jamais abordé le sujet.

L'oncle âgé vit au bled (Tiznit). 
Madame B, que je connaissais Mademoiselle A et qui est devenue Madame C après son nouveau mariage, est toujours institutrice de maternelle.

Il y a six ans, quand elle est venue me voir parce qu'elle était grippée, elle était seule. Son nouveau mari était resté chez ses parents. Elle avait encore une fois envie d'intimité.
Moi : "Tu ne veux toujours pas porter plainte ?"
A : "A quoi cela pourrait servir ?"
Moi : "Dire la vérité, par exemple."
A : "Et alors ? Est-ce que je me sentirai mieux ? Je n'ai pas envie de replonger dans ce cauchemar. J'ai fermé le robinet. Mon mari n'est au courant de rien. Je n'ai pas envie qu'il sache. Il serait dévasté. C'est mon truc, mon secret, ma douleur mais il vaut mieux que je continue à garder cela pour moi. J'ai trouvé un bon généraliste à D, j'ai pu lui parler. Il m'a beaucoup aidée.
Moi : "Super. Et ta soeur ?"
A : "Elle a rompu avec la famille. Elle vit à Bordeaux. Elle s'est mariée avec un Français... Cela n'a pas plu à mes parents. Ils ont deux enfants. "
Moi : "Et tu la vois ?"
A : "Peu. Une fois par an. Mais c'est l'éloignement. Je crois qu'elle a fait le bon choix pour elle. Et moi j'ai fait le bon choix pour moi. Nous ne pouvons pas parler de tout cela. Elle en veut beaucoup à ma mère. Elle dit que tout ça, c'est de sa faute. Qu'elle aurait dû s'en mêler. Elle a raison mais c'est ma mère, elle est victime des traditions..."
Je ne dis rien.
A : "Quant à mon père... Il ne savait sans doute rien. Mais je ne sais pas. Il est faible. Il est vieux, maintenant."
La tristesse de B... quand elle était enfant, sa retenue.
Sera-t-elle un jour vraiment heureuse ? En parlant ou en ne parlant pas.

Quand je reçois la mère en consultation, elle est traitée pour une hypertension modérée, elle prend un peu de doliprane quand elle a mal à la tête, je suis gêné. Mais que puis-je faire d'autre ?

Parler ?




mardi 7 juin 2016

L'oncologue est un nouveau barbare. Histoire de consultation 192.


Il y a une quinzaine de jours, je reçois l'appel d'un oncologue à mon cabinet (la première fois sauf erreur en 37 années de vie professionnelle). Il m'informe que le patient dont je suis le médecin traitant (Monsieur B, 66 ans) ne se présentera pas demain pour la chimiothérapie. Il serait utile, me dit-il, que je le convainque. Il me raconte ce qui se passe (et j'ai reçu plusieurs courriers dont un compte-rendu de Réunion de Concertation Pluridisciplinaire où la recommandation était carboplatine-gemzar) : "Nous disposons d'un nouveau traitement dans ce cancer", docteurdu16 : "dont le pronostic est catastrophique", "et les résultats sont assez extraordinaires" poursuit l'oncologue. Il s'agit d'un nouveau traitement immunothérapeutique.

L'institut Curie, machin qui ne vit que des essais cliniques et de l'argent public, écrit des articles dithyrambiques en son site, sur l'immunothérapie dans le cancer du sein (voir LA), tandis que les émissions télévisées grand public font de même Allodocteurs), et alors que l'on vante le 3 juin 2016 (ICI) les mérites d'une autre molécule (erlotinib ou Tarceva) prônée dans des indications similaires et qu'on apprend le 6 juin (mais pas par les mêmes canaux) que les laboratoires qui le promeuvent sont condamnés par la justice américaine à 67 millions de dollars d'amende pour avoir menti sur les durées de survie et pour avoir tant vanté ses effets que des praticiens, des (c)oncologues, l'ont prescrit en première intention et non en deuxième intention comme l'AMM le préconisait (voir LA). Pour les grincheux, pour ceux qui pensent que La Revue Prescrire est un nid de gauchistes, d'ayatollahs, d'anti capitalistes, je ne peux m'empêcher de citer la revue qui écrivait en 2007 (!) combien cette molécule était surévaluée et combien les experts étaients sous influence : LA.

Bien entendu, ces nouveaux produits, et l'Institut Curie, qui annonce une survie médiane augmentée de trois mois (merveilleux résultats), n'ont pas d'effets indésirables. A propos d'effets indésirables graves l'oncologue à la voix douce ajoute : "De toute façon le produit est bien toléré, donc, si ça marche ce sera tout bénéfice, et si cela ne marche pas le malade n'aura pas souffert". Je réfléchis à toute allure et je lui dis que je vais voir avec la famille. J'ajoute : "Vous êtes drôlement optimiste" et lui de me répondre : "C'est mon métier qui veut ça". Je ricane sous cape. J'apprendrai plus tard que l'oncologue me téléphonait en présence du patient et de sa famille, ce qu'il avait omis de me dire.

Ce que ne m'a pas dit non plus l'oncologue à la voix doucereuse c'est que le traitement proposé se fera dans le cadre d'un protocole thérapeutique. Si j'avais convaincu le patient je n'aurais même pas reçu une prime...

Les protocoles thérapeutiques sont l'alpha et l'omega de la "recherche " en cancérologie. Je ne me rappelle plus quel grand ponte oncologue (sans doute membre de l'INCa) avait annoncé que son ambition était que 90 % des patients soient protocolisés. Protocoliser les patients signifie essais en double-aveugle ou essais produit(s) actif(s) versus produit(s) actif(s), mais surtout : rares essais nécessaires, cadeaux déguisés, essais d'implantation (seeding), essais renvois d'ascenseurs, essais bidons pour remerciements... Et le patient dans tout cela ? 

J'appelle la famille pour l'informer et c'est la femme du patient qui répond (le patient parle très mal le français) et elle doit se demander pourquoi je l'informe de faits dont elle est au courant. Je lui fais part de ce que m'a dit l'oncologue. Une longue conversation s'ensuit. 

Je vous résume la situation telle qu'elle a été perçue par Madame B. Attention, je ne dis pas que ce que dit la femme du patient est "vrai", je vous rapporte seulement des propos qui sont, selon la formule de prudence consacrée, soit une invention, soit le ressenti, soit la vérité.

Mais ces propos m'ont été confirmés ensuite par le reste de la famille...
Puis la femme du patient est passée au cabinet pour qu'on en parle vraiment (elle m'a répété ce qu'elle m'avait dit).

L'histoire racontée est la suivante (je ne garantis donc pas la véracité des faits, j'écris sous son contrôle) : "On a dit à mon mari, j'étais là, qu'il allait mourir à 99 %"

Je continue ?

"Ils vous ont dit ça ?
- Je vous jure, docteur, mon fils A était là..."
Je continue ?

Donc, je résume encore, on a dit au patient et à sa famille qu'il allait mourir à 99 % et on lui a posé une chambre implantable. Pour la chimiothérapie. Sans lui demander son avis. On a d'abord posé une chambre avant de savoir s'il allait faire la chimiothérapie.
"Vous confirmez ?
- Je confirme."

Le patient a accusé le coup. Mourir à 99 %, comment ne pas accuser le coup ?
Il ne voulait plus parler au médecin qui lui avait annoncé la mauvaise nouvelle.

Mais ce n'est pas fini.

La femme du patient ajoute : "Le docteur a dit qu'avec le nouveau traitement mon mari pouvait vivre entre trois et neuf mois de plus et que s'il le refusait il pouvait mourir dans une semaine ou dans un mois."

Mais ce n'est pas encore fini.

La femme du patient : "Le docteur a dit que puisqu'il refusait le traitement il n'avait pas besoin de le revoir."

Je suis effondré. Comment peut-on prononcer une phrase pareille ? Comment peut-on se comporter aussi mal  à partir du moment où le patient (qui va mourir) décide de ne pas se traiter ? Cet oncologue ne connaît ni l'EBM, ni la décision médicale partagée, ni la prise de décision partagée (shared decision making). Cet oncologue est un oncologue, c'est à dire qu'il traite des cancers, pas des patients qui souffrent d'un cancer.

Nous organisons à domicile une réunion pour mettre en place les soins palliatifs à domicile. Le patient est allongé sur un fauteuil, il écoute, il entend, on lui explique, il semble d'accord. On pourrait dire qu'il est résigné mais non, il accepte sa fin prochaine.

Les propos du cancérologue sont rapportés et nous les commentons (mais je ne rapporte pas les conversations pour ne pas impliquer les différents participants).

Puis, quelques jours après, le patient est hospitalisé en pleine nuit car il étouffe.

Les nouvelles ne sont pas bonnes. L'un des fils du patient me parle de l'attitude arrogante du personnel soignant. Au point que le patient souhaiterait être transféré dans un autre hôpital.

Mais il n'en a pas le temps : il meurt quelques jours après.

En préparant ce billet, et non sans avoir demandé à la famille s'il fallait que je ne l'anonymise plus, je relis le dossier (je n'ai toujours pas reçu de compte rendu final), et je découvre cette phrase ahurissante de l'oncologue dans le dernier courrier qu'il m'a adressé : "Je reste à sa disposition pour le revoir quand il le souhaitera, sachant que dans la mesure où il refuse toute prise en charge carcinologique spécifique, mon aide ne peut être que limitée..."

Cet homme n'aurait pas dû faire médecine. Et d'ailleurs il ne fait que de l'oncologie.

Cet homme n'est pas médecin non plus. C'est un monstre.

Pierre Desproges proposait ceci il y a quelques années : Je vous dis trois mots, quel est l'intrus ? Schwartzenberg, cancer, espoir.


PS.
Voici ce qu'écrit Richard Lehman en son blog et quand on dit que je fais de l'oncobashing, je suis loin du compte LA

"Atezolizumab in Oncoland1909 When I began writing these reviews in 1998, I took a generally positive tone with oncology trials. The history of cancer showed that incremental progress over decades was the norm. But I was a victim of retrospective optimism bias: history records the path to success as a single road, ignoring all the dead ends in which people died miserably for no gain. Gradually I began to realize that standards of proof in cancer trials were declining while drug prices were rocketing. Oncology researchers might still be honestly pursuing the best hope for patients, but pharma companies seemed to be intent on a no-lose game. The conclusion of this latest Lancet single-arm phase 2 trial reads: “Atezolizumab showed durable activity and good tolerability in this patient population. Increased levels of PD-L1 expression on immune cells were associated with increased response. This report is the first to show the association of TCGA subtypes with response to immune checkpoint inhibition and to show the importance of mutation load as a biomarker of response to this class of agents in advanced urothelial carcinoma. Funding F Hoffmann-La Roche Ltd.” Let’s unpack that a bit. The overall response rate was 15% in a relatively uncommon cancer, so 85% of patients had no benefit. Testing for PD-L1 activity may soon be possible but it won’t help the great majority of patients. Most of the (few) responders were still responding at a median 11.7 months. So at best this treatment may delay death in 3 out of 20 people with advanced urothelial cancer: we don’t know by how much. I’m all for continued research and finding out what happens to the 15%. But bringing the drug early to market? The FDA has already given this drug accelerated review status for this indication."
PS 2 (je rajoute ceci le 9/6/16) : un billet de décembre 2014 de Babeth : LA

jeudi 3 mars 2016

Une gifle. Médecine générale pratique, situations inattendues et incertitude. Histoire de consultation 189.



La petite A, 4 ans, est venue consulter avec ses deux parents pour se faire vacciner. 

Pour ceux qui  pensent  honnêtement, les autres se reconnaîtront (je ne peux rien faire pour eux), que les médecins généralistes ne servent à rien, je vais me permettre de commenter une fois de plus des faits simples de consultation, une situation banale (j'ai déjà rédigé 186 histoires/situations de consultation), c'est à dire souligner ce que notre pratique présuppose en aval de notre rencontre avec un ou des patients, en termes de réflexion, de préparation, d'attention non seulement aux "dernières données de la science" mais aussi aux phénomènes sociétaux et à la façon dont les citoyens perçoivent leur état de santé et le rôle supposé qu'ils attribuents à la médecine et aux médecins, ici les médecins généralistes. 
Les médecins généralistes que nous aimons et que nous fréquentons tentent d'être conscients de leur rôle majeur en Santé publique, c'est à dire au courant non seulement de ses enjeux (scientifiques et sociétaux) mais aussi de ses limites (c'est à dire la vanité paternaliste de faire le bien à tout prix de patients ou de citoyens tous différents et tous plongés dans une histoire rêvée qui serait celle d'une médecine exacte et unique). 
Je rappelle également que mes liens d'intérêt sont les suivants : tenter de pratiquer l'Evidence Based Medicine (voir LA) en essayant de partager la décision de soins ou de non soins, ce que l'on appelle La prise de décision partagée en médecine générale (voir ICI l'excellent billet de JB Blanc sur la question).   

Il s'agit de la vaccination contre la méningite C. Je n'ai pas eu l'initiative de cette prescription mais c'est moi qui ai prescrit le vaccin.

Méningite C : vous avez sans doute lu le billet de CMT (voir ICI) et si vous ne l'avez pas lu il est encore temps de le faire.  Ainsi suis-je  dubitatif sur la question.  Et ainsi ne proposé-je jamais cette vaccination.
Les parents : lors d'un consultation précédente ils ont souhaité que leur fille soit vaccinée contre la méningite C et je leur ai dit ce que vous avez lu dans le billet de CMT, à savoir, en substance, que cela ne protégeait pas contre toutes les méningites, que ce n'était donc pas parce qu'elle avait été vaccinée qu'il ne faudrait pas s'inquiéter de symptômes pouvant évoquer une  méningite et que les preuves scientifiques de son intérêt n'étaient pas suffisamment étayées. Les parents, et je ne leur ai pas demandé qui les avait convaincus de le faire, ont maintenu leur décision et j'ai donc prescrit le vaccin.
La prescription : on pourrait s'étonner que je "cède" et considérer cette soumission à une volonté de la patientèle comme une manifestation de clientélisme ou à un renoncement lié  à une certaine fatigue. Et se dire aussi : tout ça pour ça. Se poser autant de questions pour finir par rendre les armes. Disons, pour faire vite, que la prescription de ce vaccin ne met en danger ni la santé de cet enfant, ni la santé de son entourage proche ou éloigné, enfin, dans l'immédiat (1).

La maman affirme haut et fort que la vaccination va bien se passer et le papa acquiesce. J'ai noté dans le dossier le comportement anxieux de l'enfant lors de ses dernières visites au cabinet (les parents n'ont pas choisi de "médecin traitant" pour leurs enfants entre mon associée et moi). Elle n'est jamais facile à examiner et c'est plus facile dans mes souvenirs quand elle vient seule avec son papa. Mais il s'agit d'une vaccination, c'est plus anxiogène encore. Je demande aux parents si elle a été prévenue les jours précédents qu'elle allait se faire vacciner. Ils me disent que non. Le visage de A se ferme. 

C'est une question difficile, prévenir ou non les enfants, et ma réponse est le plus souvent celle-ci : "Il faut toujours prévenir un enfant qu'il va être vacciné, et, plus généralement, il faut toujours prévenir un enfant de ce qui va lui arriver (de façon raisonnée, appropriée, en fonction des enjeux, des risques, des conséquences, cela va sans dire)." C'est plus correct. Quel que soit l'âge de l'enfant ! Même chez un nourrisson. Je me rappelle cette maman qui m'amenait son bébé de onze mois pour une vaccination, une maman qui me connaît depuis une bonne dizaine d'années, et à qui je demandais : "Vous lui avez dit qu'il allait être vacciné aujourd'hui ?" et elle, souriante, "Oui, hier soir, et il n'a pas dormi de la nuit." (2)

Nous choisissons d'un commun accord la position assise sur les genoux du papa. Mais cela ne calme pas la petite qui bouge dans tous les sens et vient le temps des bonnes paroles de réassurance. Je me recule un peu, le coton alcoolisé à la main, je parle, je temporise, je raconte une histoire d'Allan, et, tel un coup de tonnerre dans un ciel serein, la maman colle une violente gifle à sa fille... en lui disant : "Finie la comédie !"
"Madame B !"
Je suis interdit. "Elle l'a méritée." dit la maman.  Le mari ne dit rien, n'exprime rien puis : "A, il faut te tenir tranquille." La petite pleure sans en faire trop.
Comment dois-je intervenir ? "Il ne faut pas faire quelque chose comme cela...", je finis par dire. "Ce n'est pas bien..." La maman n'est pas contente comme s'il ne s'agissait pas de mes affaires. "Une petite gifle, ça peut faire de mal à personne... Vous n'en avez jamais donné une à vos enfants ? - Non."

Que faites-vous ? Vous faites un signalement ? Vous passez à autre chose ? Je ne signale pas mais je parle. Je ne signale pas car je connais une grande partie de la famille : les parents, les beaux-parents, les frères et les soeurs et même les cousins et les cousines. Cette enfant n'a aucune marque sur le corps, cette enfant n'est pas apeurée quand j'approche mes mains de son visage, elle a tout juste peur de la vaccination, de la piqûre, mais elle n'a pas peur de moi. Je sais qu'en ces circonstances certains de mes confrères interviendraient. Je crois que je vais pouvoir gérer. Avec l'aide également de mon associée qui est toujours de bon conseil en ces circonstances. Est-ce que cela sera bénéfique pour l'enfant d'envoyer la cavalerie (le médecin de PMI, les assistantes sociales...) ? Ce n'est pas, attention Freud et ses épigones ne sont pas loin, l'anxiété de l'enfant qu'il faut envisager mais celle de la maman et aussi celle du papa qui accepte sans rien dire. Faut-il que je soupçonne que lorsque je ne suis pas là cette enfant prend des coups ?



Cette consultation s'est passée avant les vacances de février. J'en ai parlé à mon associée qui n'a pas eu l'air inquiète : elle connaît également le contexte familial proche et éloigné ? Mais nous serons vigilants.

Au retour des vacances, dans la voiture, sur l'autoroute, en conduisant, j'entends un entretien entre Laure Adler et François Cluzet (Emission Hors-Champs, voir ICI). Propos convenus sur le rôle du comédien, de l'acteur... Et tout d'un coup François Cluzet explose : il explose contre Bertrand Cantat, il le traite de tous les noms avec une rare violence, Bertrand Cantat, c'est celui qui a tué Marie Trintignant (avec laquelle François Cluzet a eu un enfant), et il rappelle d'un ton sévère que le rapport d'autopsie a indiqué qu'il avait porté contre elle dix-sept coups mortels... Dix-sept coups mortels, répète-t-il. Il ajoute qu'il a eu l'envie de le tuer. Qu'il n'a plus envie de le tuer car cet homme a aussi des enfants. Mais la suite : François Cluzet rappelle les violences faites aux femmes et parle du "dernier mot". Selon lui les hommes qui frappent veulent avoir le dernier mot. Je suis au volant, il y a du monde, et je manque de faire une embardée. Le dernier mot pour empêcher les femmes de s'exprimer. Et dans le cas de cette maman, merci de ne pas penser que je fais un parallèle osé, elle a aussi voulu avoir le dernier mot. Sans doute par impuissance ou par incompréhension de sa fille : elle ne sait pas comment elle fonctionne. Et qui pourrait dire qu'il est facile de savoir comment fonctionne  une enfant de quatre ans ?

J'ajoute que cette consultation, le vaccin a été fait, la petite fille a ressenti, comme on dit, plus de peur que de mal (mais est-ce vraiment rassurant ?), n'était pas la seule de la journée (une des trente de la journée sans doute, et les vingt-neuf autres soulevaient tout autant de problèmes, peut-être pas aussi aigus, mais tout aussi "interrogeants" sur le rôle du médecin généraliste...) et qu'elle rend compte de l'intérêt et de la difficulté de la médecine générale pilotée par des médecins généralistes conscients ou non des conséquences souvent inenvisageables du moindre de leurs actes, de la moindre de leurs paroles, médecine générale réceptacle de toutes les peurs et de toutes les envies sociétales... 

Sans en avoir l'air nous avons abordé, durant une seule consultation, les sujets suivants : les valeurs et préférences des patients dans le cadre de l'EBM, la validité/non validité de la vaccination contre la méningite C, les sévices corporels chez l'enfant, la violence faite aux femmes, le respect des enfants (et je n'ai pas abordé le problème du tutoiement des enfants), l'information des enfants (qui doit, à mon sens, commencer dès les premiers jours de la vie), la distance et la proximité  à garder vis à vis des parents et des enfants, l'expérience interne des praticiens, la lecture des articles informés, les recommandations officielles, la liberté de prescription, la clause de conscience des praticiens, l'information éclairée, la prise de décision partagée en médecine générale, la prise en charge instantanée et longitudinale du patient ou non patient en médecine générale, le rôle de l'environnement familail et sociétal dans la construction des options de soins, les implications des situations transférentielles/contre-transférentielles... je m'arrête là. On comprend qu'un jeune médecin, devant la complexité de ces tâches et, souvent, en raison de sa non formation pour les appréhender (en sachant que l'expérience interne du praticien, et pas seulement sa lecture de la littérature ou la capacité à faire des actes techniques, à bien parler, expliquer, refuser, accepter, s'acquiert avec le temps en fonction bien entendu des lectures médicales, de l'habileté personnelle mais aussi et sans doute surtout par les lectures extra médicales et par l'expérience de la vie en général), et surtout de sa non formation à la prise en charge de l'incertitude (la noter, l'accepter, ne pas la prendre pour une incapacité ou comme une erreur, la gérer donc, la faire partager sans angoisse aux patients, et cetera...), ait envie de renoncer à pratiquer la médecine générale ou, au contraire, soit excité par ses enjeux (optimiste, trop optimiste)...

La médecine générale, c'est la vie... avec un peu de médecine.


Notes :
(1) Cette situation, prescrire à la demande du patient, est donc à contextualiser : prescrire des antibiotiques dans une maladie virale à la demande du patient ("chez moi, ça se transforme toujours en bronchite, docteur") n'est pas la même chose que prescrire des antibiotiques dans une otite moyenne aiguë à un enfant de huit ans à la demande des parents (le médecin : "les antibiotiques ne sont pas obligatoires dans cette situation, il existe des études... bla bla... et je reverrai le tympan de votre enfant demain") et exige une information éclairée de la part du praticien (cf. supra "La prise de décision partagée en médecine générale" sur le blog de JB Blanc : LA). Il existe aussi des situations où l'éthique du médecin est en porte-à-faux. Faut-il toujours respecter les valeurs et préférences des patients ?
(2) La phrase la plus communément entendue dans un cabinet est celle-ci : " Si tu n'es pas sage, le docteur va te faire une piqûre !" C'est bien entendu d'une sottise absolue mais l'analyse de cette phrase mériterait une thèse de sociologie ! Ainsi la vaccination serait-elle une obligation douloureuse. Ainsi le médecin devrait-il se substituer à l'autorité parentale pour punir a priori. Et le reste...

dimanche 17 janvier 2016

La mort, quand tu nous tiens. Histoire (s) de consultation 187, 187 bis, 187 ter, 166 et 187 quater.


L'oncologue Z "voit" dix personnes à l'heure. En moyenne. Parfois un peu plus, parfois un peu moins.
Ecoutons madame A : "Le docteur Z est sympathique. Le plus souvent il me reçoit allongé dans son fauteuil, parfois un ou deux pieds sur le bureau, il regarde mon dossier, jette un œil sur mes radios en se tournant vers la fenêtre, puis annonce : 'Dix séances de plus'" Il s'agit de radiothérapie.


Monsieur B est suivi depuis dix ans par l'oncologue Y, avec lequel il s'est toujours entendu parfaitement. Ce lymphome vient de virer au drame. Nous sommes au delà de tout. Pas de protocole "compassionnel" envisagé (je suis "assez" contre), pas de nouveau médicament sans AMM à "essayer" (je suis aussi contre). L'oncologue Y dit à Monsieur B que ce sont désormais les soins palliatifs qui vont s'occuper de lui. "Et vous, vous n'allez plus vous occuper de moi ?" Regard évasif et désespéré de l'oncologue... mais institutionnel.


Madame D est en pleurs au téléphone. Son père, un malade que j'ai suivi pendant 15 ans et qui a changé de médecin ensuite pour les 10 années suivantes, pour des raisons que j'ignore (ou que je subodore), est en HAD à domicile. Le médecin traitant du patient qui a pris la succession d'un médecin partant à la retraite il y a environ trois ans ne fait pas de visites (je répète : un médecin généraliste qui ne fait pas de visites pour un patient en HAD -- et bien que je ne pense pas que du bien de l'HAD, voir ICI). Madame D, donc, dont je suis le médecin traitant (et celui de sa fille), me supplie de prendre la suite. Que dois-je faire ? Faut-il que je dise non ? Faut-il que je me drape dans mon orgueil de médecin généraliste qui a été "délaissé" ? Faut-il que j'écoute ma secrétaire qui me dit que je suis en train de me faire avoir ? J'essaie de me mettre à la place du patient, de la famille du patient... Je vais accepter, sans doute.



Madame C, 92 ans, sort de mon bureau après un entretien (à l'hôpital on appelle cela une consultation d'annonce et comme sa fille était présente cela doit donner des points. Quant à la RCP (Réunion de Concertation Pluridisciplinaire, elle a eu lieu, sans moi, et les conseils étaient clairs : chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie (1)) où je lui ai parlé de son cancer et le fait que, vu son âge, on n'allait quasiment rien faire, sinon des mesures de confort, et que cela allait certainement très bien se passer. Je la revois une semaine après pour faire le point, elle n'est pas désespérée, elle n'est pas joyeuse, elle semble confiante. Au moment de se quitter, elle est face à moi, assise, je suis aussi assis, heureusement, elle me dit (mais elle ne plaisante pas) : "Heureusement encore que ce n'est pas un cancer." (c'était le cas onco 003 - histoire de consultation 166 du 27 février 2014 où la patiente ne savait pas qu'elle avait subi des séances de radiothérapie : ICI).



Monsieur  E, 57 ans, a un lymphome (je trouve, en passant qu'on voit beaucoup de lymphomes ces temps derniers), il est suivi en hématologie. Il signe pour un protocole d'oncologie et on lui attribue un groupe. Il refuse la biopsie osseuse pour convenances personnelles : le médecin qui s'occupe de lui : "Pas de problème, on vous met dans l'autre groupe..." C'est un essai randomisé.

(Incise : Le PET scan: quels sont ses réseaux ? Pourquoi les oncologues en sont-ils si friands ? Dans combien de cas sont-ils inindiqués ? Sont-ils devenus aussi des examens compassionnels ?)


Note :
(1) Définition ancienne de la RCP : 1) Une annexe de big pharma ; 2) un tirage au sort de protocoles ; 3) une usine à fric ; 4) une conjuration des imbéciles ; 5) un déni du patient..

Illustration : Jérôme Bosch (1450-1516) - La mort du réprouvé.
Edward Hopper : A Woman in the Sun (1961).
Francis Bacon : Tête III (1969).
Egon Schiele : Nu, Autoportrait  (1910).
Pierre Soulages : Peinture 181 x 405 cm, 12 avril 2012.

jeudi 6 novembre 2014

Les diagnostics par excès et les examens complémentaires dangereux. Histoire de consultation 178.


Madame A, 67 ans, est allée passer quelques jours chez son fils dans l'Allier. Je connais cette patiente depuis mon installation, soit 1979.
Madame A est diabétique insulino-dépendante, hypertendue et dyslipidémique.
Son fils l'a emmenée chez son médecin traitant pour des sensations bizarres de l'hémiface gauche et il a diagnostiqué une paralysie faciale périphérique a frigore. Il lui a prescrit une corticothérapie (40 mg de prednisolone pendant plusieurs jours, je n'ai rien demandé de plus).
Elle vient me voir, affolée, avec les résultats du scanner. Elle me demande si c'est grave. Elle a peur d'avoir un alzheimer.
Retour en arrière.
Les sensations bizarres de l'hémiface gauche ont peu évolué sous corticothérapie, elle est revenue à Mantes et comme sa belle-fille est infirmière en neurologie à l'hôpital elle lui a obtenu très rapidement un rendez-vous avec une neurologue.
J'ai le courrier sous les yeux : "... il ne s'agit donc pas d'une paralysie faciale périphérique mais de paresthésies dans le territoire de la branche cervico-faciale... et j'ai demandé, en raison de l'inquiétude de la patiente, un scanner pour la rassurer complètement..."
Indépendamment du fait que la corticothérapie a complètement déséquilibré le diabète que nous avions eu beaucoup de mal à stabilier durant les mois précédents et que les paresthésies ont complètement disparu, la patiente me montre le compte rendu du scanner qui parle, outre du fait que tout est normal, de plaques amyloïdes (avec cette phrase lapidaire : à confronter aux données de la clinique).
Elle est allée faire un tour sur internet et, ajouté au fait qu'elle a oublié la semaine dernière où elle avait posé ses clés de maison au moment de partir à Auchan, elle est persuadée qu'elle a un alzheimer et elle me demande de lui faire une lettre pour aller passer un test au centre de mémoire de l'hôpital.

Je lui ai fait la scène du deux.

J'espère l'avoir rassurée mais ce n'est pas gagné.

Illustration : Vincent Van Gogh. Autoportrait à l'oreille bandée (1889)

jeudi 12 juin 2014

Une histoire (ordinaire) de sur diagnostic sans médecin traitant. Histoire de consultation 171.


Madame A, 45 ans, dont j'étais le médecin traitant depuis deux mois, a été adressée sans que l'on me demande mon avis (sic transit gloria mundi) par "son" gynécologue chez un (e) endocrinologue pour l'appréciation, j'imagine, d'un goitre. Si je vous parle de ce cas maintenant c'est que la patiente est venue me voir avant hier pour me montrer les résultats de "sa" TSH (normale) alors qu'elle n'était pas venue consulter depuis novembre 2012. J'ai donc constaté que j'avais été informé par des courriers que j'avais oubliés. Une échographie est pratiquée en son cabinet par l'endocrinologue qui conclut à un goitre multinodulaire (pas d'images montrées au médecin traitant). Le courrier de l'endocrinologue qui m'est adressé le 12 décembre 2012 après que la cytoponction a été faite : "On notait un nodule polaire supérieur gauche qui a fait l'objet d'une cytoponction et qui classe la lésion en néoplasme vasculaire ce qui impose un contrôle anatomo-pathologique. Je lui remets un courrier pour le docteur B de l'hôpital de *** qui effectuera une lobo-isthmectomie gauche."
Je récupère le résultat de la cytoponction  effectuée sous contrôle échographique le 23 novembre 2012 où j'apprends que le nodule mesurait 22 mm.
"Prélèvement satisfaisant pour le diagnostic.
"Lésion classée en néoplasme vésiculaire (selon la terminologie NCI/Bethesda 2008) (LA) (1)
Ces images ne permettent pas de déterminer la nature bénigne ou maligne sur la simple cytologie.
"L'analyse histologique de la lésion après exérèse est recommandée."
Je reçois par ailleurs un courrier daté du 30 janvier 2013 du docteur B***, ORL, qui "me remercie d'avoir adressé la patiente en consultation"... Ce qui est faux, le docteur B n'étant pas l'un de mes correspondants, la patiente ayant eu pour parcours de soin : gynécologue, endocrinologue, ORL puis endocrinologue.
Le docteur B*** m'adresse le 15 février 2013 un courrier disant en substance : "...Ci-joint les résultats histologiques définitifs en faveur d'un adénome thyroïdien bénin..." Le ci-joint est manquant.

Bel exemple de sur diagnostic. Et de sur traitement.
Je ne dis pas que j'aurais pu mieux faire. Mais...
(Je me rappelle ce chef de service qui se balladait avec ses lames dans le train pour montrer à un anatomopathologiste des prélèvements pour obtenir un deuxième avis).


Notes
(1) Il semblerait qu'il existât une recommandation plus récente Bethesda 2010 que j'ai retrouvée ICI et en français.

PS. Vous pourrez lire la réponse que j'ai faite aux commentaires de ce billet : ICI

Illustration : Tropic of cancer. Henry Miller. 1961


dimanche 12 janvier 2014

Les dangers de l'utilisation d'un placebo (bis, ter, quater repetita). Histoire de consultation 159.


Monsieur A, 46 ans, a été opéré de son rachis lombaire au décours d'une défenestration accidentelle et avinée il y a déjà trois ans. Il marche désormais avec une béquille, est en invalidité, suit des séances de kinésithérapie et combat son addiction avec succès et sans baclofène.
Il lui arrive d'avoir des "blocages"douloureux de son rachis lombaire accompagnés de spasticité des deux membres inférieurs qui "passent" volontiers avec une corticothérapie ponctuelle et des antalgiques codéinés dont je me méfie en raison d'un autre passé addictif.
Cet homme est intéressant au sens où les discussions que nous avons ensemble au cabinet indiquent une intelligence supérieure à la normale, nonobstant le fait qu'il n'a pas fait d'études supérieures et, peut-être, grâce au fait qu'il n'a pas fait d'études supérieures. Avant son accident il était grutier.
L'autre jeudi, mon jour de congé, il a appelé le cabinet car il souffrait atrocement de douleurs lombaires depuis la veille et mon associée a proposé de le voir mais il a refusé.
Le samedi il m'a appelé pour me dire qu'il allait mieux.
Il m'a raconté qu'il avait contacté "son" chirurgien qui lui a dit de passer à la clinique où il avait été opéré (à environ 40 kilomètres de son domicile). Son frère l'y a emmené (sans bon de transport).
Lui : J'ai été soulagé immédiatement.
Moi : Qu'est-ce qu'ils vous ont fait ?
Lui : Ils m'ont perfusé un nouveau produit, m'a dit le docteur B. Cela a marché au bout de deux heures...
Moi : Un nouveau produit ?
Lui : Oui. Il faudra que vous lui demandiez ce que c'est pour la prochaine fois que cela m'arrivera. Car cela fait un sacré déplacement. 
Moi (prudent) : Il peut s'agir de produits hospitaliers...
Quelques jours après, Monsieur A a pris rendez-vous au cabinet et nous reparlons de son cas.
Il marche comme avant sa crise, c'est à dire lentement, avec précaution, une seule canne, mais il est venu à pied et il a marché environ 1500 mètres sans pratiquement s'arrêter.
Lui : Vous avez téléphoné au docteur B ?
Moi : Oui.
Lui : Il vous a donné le nom du produit ?
Moi : Oui.
Lui : Alors ?
Moi : Alors, ben, c'est un produit que l'on ne peut utiliser en ville. C'est embêtant.
Lui : Le docteur B ne peut pas vous le fournir ?
Moi : C'est compliqué.
Vous avez deviné de quoi je veux parler. J'ai appelé le docteur B qui m'a répondu goguenard qu'il avait perfusé du sérum américain... 
Moi : Vous me placez dans une situation difficile.
Lui : Oui, mais je l'ai soulagé.

J'ai déjà évoqué plusieurs fois le problème de l'utilisation des placebos en médecine. Notamment ICI où j'en soulignais les dangers pour le patient et pour le médecin.
J'ai eu l'occasion de défendre mon point de vue sur différents forums ou blogs et il m'a semblé que l'opinion générale des intervenants (je ne parle pas des autres) ne m'était pas favorable.
Voici un exemple de billet de blog sur farfadoc (LA) et les commentaires.

Pour provoquer, je dirais ceci (tout en ayant précisé qu'il m'arrive encore sciemment de prescrire des placebos à mes patients, depuis du tanganil dans des vertiges qui seraient "passés" tout seuls jusqu'à des antibiotiques dans une bronchite virale particulièrement cognée, personne n'est parfait et personne ne peut résister, tout le temps, à la pression du patient qui veut un traitement, mais disons que je me soigne lentement, je ne suis pas si autoritaire que cela à mon égard, je tente de me calmer) : l'utilisation consciente d'un placebo est, très simplement, une manifestation subtile (mais parfois brutale) du paternalisme médical. Dernier point : il ne faut pas confondre l'effet placebo et l'utilisation d'un placebo.

(illustration : chaman amazonien)

dimanche 14 juillet 2013

Que peut-il se dire dans un cabinet de médecine générale ? Histoire de consultation 152.


Quand je raconte en privé (en famille ou avec des amis) ce que je dis entendre et ce que je dis dire lors de consultations de médecine générale, mes interlocuteurs poussent des cris. Ce n'est pas possible de raconter sa vie de cette façon, disent-ils à propos des malades, moi, rajoutent-ils, je n'imagine même pas parler de telles choses à mon médecin.
Avec le temps j'ai fini par m'y faire. Mes consultations, c'est mon espace privé, c'est un lieu, en théorie, où les patients devraient se sentir bien, même s'ils sont malades, où ils pourraient s'exprimer sans crainte. Je ne dis rien de ce que disent mes proches, je ne commente pas les commentaires. 
A d'autres moments, en entendant ma famille ou mes amis me raconter ce qu'ils disent que leur médecin leur a dit et/ou conseillé, je suis étonné de l'intimité des propos et des "conseils" donnés par le médecin, non, selon moi, en tant que médecin (il faudra qu'un jour nous éclaircissions la notion de "ce qu'est un médecin" d'un point de vue sociétal et, plus particulièrement un médecin généraliste), mais en tant qu'homme ou femme ayant en théorie une expérience de la vie ou des autres. Mes propos sont vagues parce que je ne sais pas comment définir le type des propos rapportés et probablement tenus par les médecins des membres de ma famille ou de mes amis et me demande comment eux, si prompts  à se moquer des propos de mes patients, peuvent accepter que leurs médecins leur tiennent de tels propos de café du commerce touchant à l'intime.
Sur ce blog, Dr Bill a écrit les commentaires suivants : 
Les propos de m bronner me font penser à une réflexion que je me suis faite il y a longtemps: le cadre de la médecine générale est un théâtre d une incroyable liberté qui échappe à tout controle. 
Et Martine Bronner a répondu ceci que je cite en partie mais que vous pouvez retrouver in extenso ICI :
mais qui peut prescrire des toxiques et en user, peut maîtriser, commander aux rêves...toucher à l'Interdit. Et qui connait l'intime,le corps réel,celui que seul le mari ou la femme peut connaître...sans compter l'autre intimité, celle de l'histoire du corps de ce patient. Même pour se marier, pour ce lien social hautement symbolique, la preuve en est ce qui se passe en ce moment, même là il faut passer chez le généraliste! 
C'est le mystère de la médecine générale. Non ?
Je voudrais également dire ceci qui a un rapport très fort avec cette intimité de la consultation de médecine générale : les médecins ont tendance à trop s'exposer. Ils ont tendance à trop en dire, non pas tant mais aussi, comme on l'a vu plus haut, en prodiguant des conseils plus ou moins éclairés, mais en disant sur eux-mêmes. "Et vous, docteur, vous allez où en vacances ?... Vous avez des enfants ?... Et elle fait quoi, vot'dame ?..." Car le consulté en puissance a besoin de savoir, au delà du diplôme de médecine qu'il sait que vous avez obtenu (mais pas toujours dans quelles conditions), à qui il parle. Mes patients d'origine africaine, qu'il s'agisse du Maghreb ou de l'Afrique sub saharienne, sont habitués à connaître les parents de leur voisins, leurs cousins, leur famille, d'où elle vient, ce qu'elle fait,  à demander de leurs nouvelles en les citant un par un, ce pourquoi les retrouvailles sont parfois longues, mais le futur consulté européen a également besoin de repères s'il parle de sa femme (de son mari), de ses enfants, petits-enfants ou grands-parents : le consultant, quel est son statut de père, de mère, de parents ou d'enfants ou ses préférences sexuelles ? Toby Nathan, l'ethnopsychiatre, rapportait une consultation qu'il avait eue avec un Africain où, après lui avoir posé une question sur sa famille, celui-ci lui avait demandé de façon presque agressive : "De quel droit me poses-tu ces questions ? Je ne te connais pas. Je ne connais pas ton père, ta mère, tes grands-parents, je ne connais pas l'histoire de ta famille, ce que font tes enfants, quel métier ils exercent et toi, comme cela tu me poses des questions sur ma femme. Mais de quel droit ? "
La médecine occidentale touche à l'intime, je ne parle pas seulement du toucher, du palper mais de l'intime cérébral, la vie amoureuse, professionnelle, sexuelle, parentale, les médecins se sont introduits dans les chambres à coucher avec l'accord de la société. Les patients y sont prêts quand ils parlent en consultation de l'échec scolaire de leur enfant, de leur peur de la mort, de leur impuissance, de leurs envies, de leurs rapports non protégés, mais cette intimité a une réciprocité, connaître aussi l'intimité du médecin, voire ses idées politiques, sa façon de manger, fume-t-il (elle), baise-t-il (elle) et avec qui, combien a-t-il d'enfants, en quelle classe. Et nombre de médecins se laissent aller à des confidences (transferts, contre-transferts) sur leur propre vie comme s'ils devaient se justifier : il faut avoir eu des enfants pour faire de la pédiatrie, il faut être marié pour parler de la sexualité dans le mariage, et cetera. Ne pas se livrer est la meilleure façon de ne pas faire de burn out.
Et je vous le dis tout de suite : 34 ans de médecine générale rend la vie du médecin généraliste presque transparente pour ses patients. C'et pourquoi, par exemple, j'ai toujours refusé de mettre des photos de mes enfants dans mon cabinet car c'est eux que je ne voulais pas exposer aux regards. Mais j'en ai souvent trop dit et je l'ai toujours regretté.

Histoire de consultation 152. 
Monsieur A, 68 ans, vit entre la France et le Maghreb où il est né. Ancien ouvrier de chez Renault, il a désormais la nationalité française. Des élections cantonales partielles ont eu lieu les deux dimanches précédents et le représentant de l'UMP, qui avait été condamné, entre autres, à une période d'inéligibilité de 6 ans pour corruption passive et abus de biens sociaux, a été élu. Pierre B*** a même été élu facilement au deuxième tour alors que le nombre des votants était très faible (72,5 % d'abstention). Peu importe. Les conversations que j'ai eues avec les patients m'ont appris qu'il y avait eu un fort vote d'origine immigrée pour le futur conseiller régional alors que dans le Val Fourré même Sarkozy avait fait de très petits scores aux présidentielles. Ainsi, dans les élections locales, il n'y a pas que la gauche qui espère capter le vote des immigrés, fussent-ils, ici, Français.
Le patient : Moi j'ai voté B***, il a fait de belle choses ici.
Docteurdu16 : Il a quand même été pris les doigts dans le pot de confiture.
La patient : ils le font tous, docteur. Et d'ailleurs, je n'aurais pas voté pour la socialiste avec leur truc sur le mariage pour tous.
Docteurdu16 : Oups ?
Le patient : Ben oui, docteur, le mariage, c'est un homme et une femme, vous n'êtes pas d'accord ?
Docteurdu16 : Heu, moi, vous savez, le mariage pour tous, je n'étais pas contre. Mais pour vous, Monsieur A, le mariage, c'est quand même un homme et deux femmes...
Blanc sur la ligne. Il hésite et part d'un grand éclat de rire.
Le patient : Vous êtes au courant ?
Je suis au courant.
(Monsieur A, 68 ans, a une femme en France, des enfants et des petits enfants et il s'est marié l'an passé religieusement dans son pays avec une jeunesse d'à peine 30 ans -- source familiale)
Des sources locales m'ont confirmé le vote massif des Français musulmans de mon coin pour le futur conseiller régional en raison du mariage pour tous. Dégâts collatéraux que ne dénonceront jamais les socialistes pour attitude politiquement correcte avancée.
Les journaux parlent-ils de cela ?

(Illustration : Georges Duhamel - Médecin, écrivain français. 1884 - 1966. L'inventeur du Colloque Singulier)

lundi 24 juin 2013

Dire non à la chimiothérapie. Histoire (posthume) de consultation 147.


Un article tout frais de des Spence, médecin généraliste écossais, que j'aimerais connaître IRL (in Real Life), vient de paraître dans le BMJ : ICI. Cet article est remarquable et dit en peu de mots ce qu'il est possible de penser de mon propos.
Cet aspect de la médecine, les thérapeutiques compassionnelles, est un sujet grave qui secoue la relation malade médecin car elle met en jeu la vérité, la confiance, le respect, l'éthique, l'efficience, la morale commune et... l'économie.
Je voudrais raconter, à la mémoire de mon patient, Monsieur A, 68 ans, comment son histoire a contribué à ma réflexion. 
On m'a souvent posé ici ou ailleurs le problème du secret médical. Je n'ai pas demandé l'autorisation à la famille pour écrire ce billet, je lui en parlerai à l'occasion, mais je suis certain qu'elle n'y trouvera rien à redire, à ceci près qu'elle pourra s'interroger sur le fait que j'ai été aussi déroutant au risque même qu'elle n'y retrouve pas tout ce qu'elle a ressenti, mais la famille elle-même ne peut me délivrer de mon secret et, comme à l'habitude, j'écris en général sur un cas particulier de façon à ne blesser personne en veillant à ce que les transpositions, pas toujours homothétiques, soient cependant conformes à la réalité. Ou à "ma" réalité. En me référant à Louis Aragon : je tente à chaque fois le mentir vrai.

J'ai pourtant hésité à écrire ce billet car je connais trop les deux écueils majeurs de la graphomanie bloguesque : le sentimentalisme kitschéen et la victimisation du pauvre médecin qui risque sa santé physique et mentale à "bien" soigner ses patients.

Mon expérience des cancers à 95 % mortels est la même que celle de tous les professionnels de santé. Dramatique.
Vous remarquerez que je ne dis pas le nom du cancer car je me méfie : imaginons qu'une famille lise ce billet, qu'un patient lise ce billet et qu'un patient souffre de ce cancer et que la famille d'un patient lise aussi ce billet. Dramatique. On ne prend jamais assez de précautions.
Du coup la démonstration que je vais faire sera moins pertinente et plus générale. Prenons-en le risque.

Monsieur A est venu me voir en juin de l'année dernière et si je me suis égaré sur le diagnostic pendant une semaine ou deux, d'une part en raison de l'argument de fréquence, d'autre part en raison de ma tendance à ne pas vouloir dramatiser tout de suite (ma peur de la mort sans aucun doute ou ma peur d'annoncer en de bons termes un diagnostic fatal. Comme le dit Des Spence : " Perhaps doctors are too afraid to talk about death, which we see as professional failure.")
Quoi qu'il en soit, et après que le diagnostic eut été porté et qu'un geste radiochirurgical eut été fait à ma demande et sans passer par un spécialiste, j'ai eu la faiblesse de dire à mon patient que j'allais l'adresser à un spécialiste hospitalier afin qu'il termine le bilan et qu'il nous informe des possibilités thérapeutiques que je savais minces. Mon patient a accepté et bien qu'il ait déjà pris sa décision. Il savait déjà, il avait consulté internet, que le pronostic était catastrophique sans chirurgie (et la chirurgie avait été récusée) et, fidèle à mes habitudes, j'avais quand même entrouvert une porte, l'espoir, les 5 % de survie à 5 ans. (Je ne suis pas certain que mon attitude, laisser toujours un espoir, soit toujours appropriée mais c'est comme cela que je fonctionne, cela me rassure, je n'ai pas envie de ressembler aux techniciens froids appartenant à la culture libérale comme on les voit dans les séries américaines, et qui reflètent la "mentalité" américaine ou le medically correct, je ne sais, qui annoncent de façon sincère au patient qu'il n'y en a plus que pour trois mois, quoi que l'on fasse. Il y a aussi la technique Doctor House quittant la chambre du malade en lançant à ses collaborateurs et à la cantonnade, donc au patient, après que le traitement de la dernière chance et extrêmement dangereux, a été commencé : Prévenez-moi quand le malade sera guéri ou mort. J'avais écrit un billet très violent à propos de la mort de Patrick Roy, c'est en le relisant que je m'en suis rendu compte de sa violence, sur la "dramatique" transparence : ICI, je n'ai pas un mot à corriger).
Nous étions convenus, avant même que Monsieur A n'accepte d'aller voir le spécialiste hospitalier, un homme charmant et compétent au demeurant, que nous ne ferions rien. Monsieur A avait refusé tout traitement prétendument curatif, c'est à dire la chimiothérapie. Je reviendrai plus tard sur ce quoi nous étions convenus.
Le spécialiste hospitalier m'a adressé un courrier après la consultation de mon patient (il l'a revu deux fois en réalité à dix jours d'intervalle, la deuxième fois pour lui commenter les résultats des examens additionnels qu'il avait demandés). Ce courrier disait ceci : d'une part il confirmait le diagnostic et d'autre part il regrettait que le malade refuse le traitement. Mais il ajoutait de façon curieuse et erronée : "Il est dommage que le radiologue lui ait conseillé de ne pas se faire traiter et il serait important que tu puisses le convaincre de le faire"; alors que j'avais écrit de façon claire dans mon courrier d'adressage que le patient, en accord avec moi, refusait la chimiothérapie. Le radiologue avait dit, mais c'était déjà trop et beaucoup (et je ne commenterai pas ici les dégâts que les spécialistes peuvent commettre en croyant bien faire, tout en ne connaissant pas le patient à qui ils s'adressent, en prononçant des phrases définitives qui laissent souvent des traces indélébiles) que c'était inopérable. Le spécialiste hospitalier n'acceptait pas que le malade puisse prendre la décision à sa place. Il prônait la chimiothérapie contre toute logique et il refusait  de penser que j'étais d'accord avec "mon" malade comme si c'était lui, avec la chimiothérapie, qui apportait l'espoir. Mais il y a une autre hypothèse que j'aborderai tout à l'heure et qui, pour le coup, est tout à fait extraordinaire et impensable.
Le malade, et je tiens à préciser qu'il ne souffrait pas à ce moment, il était déjà fatigué, m'avait dit ceci : "Je en veux pas de chimio mais il faut que vous me promettiez deux choses : que je ne souffre pas et que je reste chez moi auprès de ma femme, je ne veux pas aller à l'hôpital."
Je lui avais répondu, gêné, que je ne pouvais rien lui promettre mais que je ferai tout pour que cela se passe comme cela.
Il n'était donc pas traité, il n'avait pas de douleurs et je lui dis qu'il me paraissait important, avant que les choses aillent plus mal, je ne me rappelle plus les termes exacts, que nous prévoyions le pire.
Je m'étais rendu chez lui pour mettre tout en route et, en présence de sa femme qui fut dévouée jusqu'à la fin et avec laquelle je n'eus jamais une "vraie" conversation, elle ne me sollicita pas, elle avait l'air d'accord, elle ne me prit jamais à l'écart pour obtenir des informations qu'elle pensait ne pas pouvoir obtenir en présence de son mari, comme si elle ne voulait pas s'en mêler ou comme si elle avait trop peur d'en savoir plus, nous avions mis au point les modalités de notre engagement réciproque. En sa présence je téléphonai, comme nous en étions convenus, à la responsable du réseau de soins palliatifs à domicile (une association) avec qui j'avais l'habitude de travailler, et je tins exactement ce discours qui me semblait être le reflet de la pensée de mon patient : "Monsieur A souffre d'un cancer de ****, ne souhaite de chimiothérapie, ne veut pas souffrir et, dans la mesure du possible, ne veut pas être hospitalisé." Le docteur B réagit au quart de tour et me fit cette réponse qui résonne encore dans mes oreilles : "Ce monsieur a tout compris." Le docteur B le rappela dans l'après-midi et ils prirent rendez-vous avec l'infirmière coordinatrice pour qu'on lui explique ce qui allait se passer quand tout irait moins bien.
Quand je sortis de chez Monsieur A, je respirai un grand coup et je me dis, de façon surprenante : "Je ne me suis jamais senti aussi bien de ma vie, je veux dire, aussi en accord avec moi-même."Je n'avais pas eu à mentir, ou si peu...
Monsieur A a fini par mourir, en décembre. Il a très peu souffert mais il était pudique et parlait différemment à "son" médecin, au docteur B et aux infirmières / aides-soignantes du réseau de soins palliatifs. Il a eu droit, quand le moment fut venu, à de la morphine en patch qu'il a très bien supportée, à de la morphine à action immédiate qui le soulagea longtemps lors de ses crises aiguës, à de la corticothérapie à haute dose qui fut remarquablement antalgique, à de la gabapentine que je prescrivis  en préventif et à contre-coeur sur les conseils du docteur B.
Jamais on ne commanda de lit médicalisé et Monsieur A passa deux jours hospitalisé en USP (Unité de Soins Palliatifs), les deux jours précédant son décès.
Ne fut-ce pas un peu trop idyllique ?
Voici la conclusion de Des Spence : "We need to support dignity in death, and this often means saying no to chemotherapy. There is an art to medicine—that is, knowing when to intervene but more importantly knowing when not to too."
Juste un dernier mot sur l'hypothèse extraordinaire et impensable : l'hôpital dans lequel exerce le spécialiste hospitalier est un centre de cancérologie accrédité. Mais en dessous d'un certain nombre de malades traités il peut perdre son accréditation. Il est donc nécessaire de ne pas "perdre" de malades.