Quand je raconte en privé (en famille ou avec des amis) ce que je dis entendre et ce que je dis dire lors de consultations de médecine générale, mes interlocuteurs poussent des cris. Ce n'est pas possible de raconter sa vie de cette façon, disent-ils à propos des malades, moi, rajoutent-ils, je n'imagine même pas parler de telles choses à mon médecin.
Avec le temps j'ai fini par m'y faire. Mes consultations, c'est mon espace privé, c'est un lieu, en théorie, où les patients devraient se sentir bien, même s'ils sont malades, où ils pourraient s'exprimer sans crainte. Je ne dis rien de ce que disent mes proches, je ne commente pas les commentaires.
A d'autres moments, en entendant ma famille ou mes amis me raconter ce qu'ils disent que leur médecin leur a dit et/ou conseillé, je suis étonné de l'intimité des propos et des "conseils" donnés par le médecin, non, selon moi, en tant que médecin (il faudra qu'un jour nous éclaircissions la notion de "ce qu'est un médecin" d'un point de vue sociétal et, plus particulièrement un médecin généraliste), mais en tant qu'homme ou femme ayant en théorie une expérience de la vie ou des autres. Mes propos sont vagues parce que je ne sais pas comment définir le type des propos rapportés et probablement tenus par les médecins des membres de ma famille ou de mes amis et me demande comment eux, si prompts à se moquer des propos de mes patients, peuvent accepter que leurs médecins leur tiennent de tels propos de café du commerce touchant à l'intime.
Sur ce blog, Dr Bill a écrit les commentaires suivants :
Les propos de m bronner me font penser à une réflexion que je me suis faite il y a longtemps: le cadre de la médecine générale est un théâtre d une incroyable liberté qui échappe à tout controle.
Et Martine Bronner a répondu ceci que je cite en partie mais que vous pouvez retrouver in extenso ICI :
mais qui peut prescrire des toxiques et en user, peut maîtriser, commander aux rêves...toucher à l'Interdit. Et qui connait l'intime,le corps réel,celui que seul le mari ou la femme peut connaître...sans compter l'autre intimité, celle de l'histoire du corps de ce patient. Même pour se marier, pour ce lien social hautement symbolique, la preuve en est ce qui se passe en ce moment, même là il faut passer chez le généraliste!
C'est le mystère de la médecine générale. Non ?
Je voudrais également dire ceci qui a un rapport très fort avec cette intimité de la consultation de médecine générale : les médecins ont tendance à trop s'exposer. Ils ont tendance à trop en dire, non pas tant mais aussi, comme on l'a vu plus haut, en prodiguant des conseils plus ou moins éclairés, mais en disant sur eux-mêmes. "Et vous, docteur, vous allez où en vacances ?... Vous avez des enfants ?... Et elle fait quoi, vot'dame ?..." Car le consulté en puissance a besoin de savoir, au delà du diplôme de médecine qu'il sait que vous avez obtenu (mais pas toujours dans quelles conditions), à qui il parle. Mes patients d'origine africaine, qu'il s'agisse du Maghreb ou de l'Afrique sub saharienne, sont habitués à connaître les parents de leur voisins, leurs cousins, leur famille, d'où elle vient, ce qu'elle fait, à demander de leurs nouvelles en les citant un par un, ce pourquoi les retrouvailles sont parfois longues, mais le futur consulté européen a également besoin de repères s'il parle de sa femme (de son mari), de ses enfants, petits-enfants ou grands-parents : le consultant, quel est son statut de père, de mère, de parents ou d'enfants ou ses préférences sexuelles ? Toby Nathan, l'ethnopsychiatre, rapportait une consultation qu'il avait eue avec un Africain où, après lui avoir posé une question sur sa famille, celui-ci lui avait demandé de façon presque agressive : "De quel droit me poses-tu ces questions ? Je ne te connais pas. Je ne connais pas ton père, ta mère, tes grands-parents, je ne connais pas l'histoire de ta famille, ce que font tes enfants, quel métier ils exercent et toi, comme cela tu me poses des questions sur ma femme. Mais de quel droit ? "
La médecine occidentale touche à l'intime, je ne parle pas seulement du toucher, du palper mais de l'intime cérébral, la vie amoureuse, professionnelle, sexuelle, parentale, les médecins se sont introduits dans les chambres à coucher avec l'accord de la société. Les patients y sont prêts quand ils parlent en consultation de l'échec scolaire de leur enfant, de leur peur de la mort, de leur impuissance, de leurs envies, de leurs rapports non protégés, mais cette intimité a une réciprocité, connaître aussi l'intimité du médecin, voire ses idées politiques, sa façon de manger, fume-t-il (elle), baise-t-il (elle) et avec qui, combien a-t-il d'enfants, en quelle classe. Et nombre de médecins se laissent aller à des confidences (transferts, contre-transferts) sur leur propre vie comme s'ils devaient se justifier : il faut avoir eu des enfants pour faire de la pédiatrie, il faut être marié pour parler de la sexualité dans le mariage, et cetera. Ne pas se livrer est la meilleure façon de ne pas faire de burn out.
Et je vous le dis tout de suite : 34 ans de médecine générale rend la vie du médecin généraliste presque transparente pour ses patients. C'et pourquoi, par exemple, j'ai toujours refusé de mettre des photos de mes enfants dans mon cabinet car c'est eux que je ne voulais pas exposer aux regards. Mais j'en ai souvent trop dit et je l'ai toujours regretté.
Histoire de consultation 152.
Monsieur A, 68 ans, vit entre la France et le Maghreb où il est né. Ancien ouvrier de chez Renault, il a désormais la nationalité française. Des élections cantonales partielles ont eu lieu les deux dimanches précédents et le représentant de l'UMP, qui avait été condamné, entre autres, à une période d'inéligibilité de 6 ans pour corruption passive et abus de biens sociaux, a été élu. Pierre B*** a même été élu facilement au deuxième tour alors que le nombre des votants était très faible (72,5 % d'abstention). Peu importe. Les conversations que j'ai eues avec les patients m'ont appris qu'il y avait eu un fort vote d'origine immigrée pour le futur conseiller régional alors que dans le Val Fourré même Sarkozy avait fait de très petits scores aux présidentielles. Ainsi, dans les élections locales, il n'y a pas que la gauche qui espère capter le vote des immigrés, fussent-ils, ici, Français.
Le patient : Moi j'ai voté B***, il a fait de belle choses ici.
Docteurdu16 : Il a quand même été pris les doigts dans le pot de confiture.
La patient : ils le font tous, docteur. Et d'ailleurs, je n'aurais pas voté pour la socialiste avec leur truc sur le mariage pour tous.
Docteurdu16 : Oups ?
Le patient : Ben oui, docteur, le mariage, c'est un homme et une femme, vous n'êtes pas d'accord ?
Docteurdu16 : Heu, moi, vous savez, le mariage pour tous, je n'étais pas contre. Mais pour vous, Monsieur A, le mariage, c'est quand même un homme et deux femmes...
Blanc sur la ligne. Il hésite et part d'un grand éclat de rire.
Le patient : Vous êtes au courant ?
Je suis au courant.
(Monsieur A, 68 ans, a une femme en France, des enfants et des petits enfants et il s'est marié l'an passé religieusement dans son pays avec une jeunesse d'à peine 30 ans -- source familiale)
Des sources locales m'ont confirmé le vote massif des Français musulmans de mon coin pour le futur conseiller régional en raison du mariage pour tous. Dégâts collatéraux que ne dénonceront jamais les socialistes pour attitude politiquement correcte avancée.
Les journaux parlent-ils de cela ?
(Illustration : Georges Duhamel - Médecin, écrivain français. 1884 - 1966. L'inventeur du Colloque Singulier)