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jeudi 18 juillet 2013

Dysfonctionnements de l'hôpital public, du parcours de soins, de la médecine du travail. Histoires de consultations 153,154, 155


Dysfonctionnement de l'hôpital public (153).
Mademoiselle A, 23 ans, consulte pour une diarrhée et le grand docteur du16 conclut qu'il s'agit d'une gastro-entérite.
Mademoiselle A a fait une FCS (fausse couche spontanée) à 27 semaines la dernière fois qu'elle était enceinte. Elle me demande, à l'occasion, si j'ai reçu le compte rendu de l'hôpital. Non, je n'ai rien reçu. Elle est colère. Elle me montre les résultats des anticorps anti je ne me rappelle pas.
Elle me demande de lui donner une autre adresse pour se faire suivre. J'ai cela dans mon carnet d'adresse mais il faut aller à Paris ou dans la région parisienne. Elle n'en a cure : elle ira.
Voici : il y a deux ans elle a fait une FCS (décollement placentaire). Elle a été suivie à l'hôpital de Z. J'ai reçu un courrier (succint) concernant son rapide passage à l'hôpital. Elle a donc refait une FCS il y a six mois.
Quand elle a été hospitalisée la dernière fois, le dossier papier et radiologique de sa précédente hospitalisation avait été perdu. Quand elle est revenue en consultation au décours de cette FCS, le médecin qui l'a reçue a ouvert un dossier informatique qui n'était pas le sien (même nom, même prénom mais pas la même date de naissance) et son précédent dossier informatique avait été "écrasé". Quand elle a demandé cependant qu'on lui rende les éléments, courriers, compte rendus, qui restaient pour aller ailleurs, on a refusé de les lui donner, elle devait écrire au directeur de l'hôpital et ce serait son bon vouloir que de lui fournir ou non. 

Dysfonctionnement du parcours de soins (154).
Madame B, 61 ans, revient me voir avec un courrier du cardiologue. 
Je vois un soir Madame B pour une suspicion de phlébite avec un doute sur un kyste poplité. Je l'adresse chez son angiologue qui peut la voir le soir même. Je reprends les documents rapportés par la patiente : l'échodoppler veineux ne retrouve pas de signes de thrombose mais un kyste poplité rompu et la patiente présente ce soir là une PA à 160 / 90. La phlébologue l'adresse à un cardiologue qui demande un holter de tension dont le compte rendu précise "...charge tensionnelle nocturne..." et conseille l'instauration d'un traitement anti hypertenseur (qu'il prescrit). Je reprends la PA de la patiente qui, dans mon cabinet, a toujours dans les 120 / 80 depuis des années (elle me dit que je ne lui fais pas d'effet), : la PA s'inscrit (comme disent les cardiologues) à 120 / 80. J'arrête l'ARA2.

Dysfonctionnement de la médecine du travail (155).
Madame C, 24 ans, "revient vers moi" comme on dit dans le discours administratif, après qu'elle a consulté le médecin du travail. Elle travaille comme secrétaire administrative dans une usine Seveso depuis quelques mois et elle s'inquiète car elle tousse, présente une rhinite et se demande, elle a un passé allergique, si les fumées et les émanations ne seraient pas en cause. Le médecin du travail ne la rassure pas en lui disant qu'il ne sait pas ce qui "sort" des cheminées car la direction ne veut pas lui en faire part. Il s'inquiète également des ouvriers qui travaillent à la déchetterie mais, a priori, il ne fait pas grand chose. En revanche il a conseillé à "ma" patiente de consulter un ostéopathe car elle se plaint de quelques lombalgies (que je dirais banales). 

La médecine fonctionne plein pot.
Qu'on se rassure, j'ai des trucs dans ma musette pour la médecine générale et pour l'hospitalisation privée.

(Illustration : Un monde sans pitié - Eric Rochant - 1989)

mercredi 19 octobre 2011

Une histoire complexe de médecine générale - Histoire de consultation 99.


Monsieur A, 51 ans, vient me consulter pour la première fois. Il a besoin d'une prolongation, commence-t-il par me dire, ce n'est jamais un bon début selon moi, mais, bon, il ne faut pas être borné ou rigide, je l'écoute.
(Situation 1 de médecine générale : le malade dit la vérité, à savoir qu'il n'est pas malade, pour obtenir un arrêt de travail ; en général il continue en disant : J'aurais pu faire semblant d'avoir la grippe mais voyez comme je suis honnête, accordez-moi l'affaire puisque je ne vous reverrai jamais)
Il a mal au coude droit et il a mal à l'épaule droite. Jusque là, je baille.
Puis il avance : il ne peut plus travailler tant il a mal et, hier, sur chaîne, il a pété les plombs, ce qui l'a conduit à l'infirmerie puis dans le bureau du médecin du travail.
Je lui demande où est son médecin traitant : J'avais un médecin traitant à M, mais comme j'ai divorcé et que je suis allé m'installer à N, je ne savais plus où aller, et d'ailleurs, le docteur D, il ne me comprenait pas.
(Situation 2 de médecine générale : le malade qui change de médecin parce qu'il n'en est pas content)
"C'est Madame B qui m'a dit de venir chez vous."
(Situation 3 de médecine générale : la recommandation par un (e) patient(e) de la patientèle)
Puis il me tend la lettre du médecin du travail adressé au médecin traitant (que je ne suis pas).
Et je lis la lettre (manuscrite).
Le médecin du travail de cette grande entreprise me raconte l'histoire suivante : Monsieur A devrait être arrêté car il présente une tendinopathie de l'épaule liée à un travail répétitif sur chaîne ; elle ajoute que Monsieur A, qu'elle connaît bien, a traversé de gros problèmes familiaux et financiers, ce qui fait qu'il est sur les nerfs, ce qui explique qu'il a craqué hier, et que, donc, il vaudrait mieux que je l'arrête. Une bonne quinzaine, ajoute-t-elle.
Le malade est donc venu pour obtenir un arrêt de travail qui a été prescrit par le médecin du travail.
Allons plus loin : le malade m'explique qu'il travaille sur une machine dont les ergonomes (il a prononcé le mot sans hésiter) ont estimé en février, me dit-il, qu'elle devait être modifiée. Et elle sera modifiée le 24 octobre. Il me demande donc un arrêt jusqu'au 23 inclus.
(Situation 4 de médecine générale : c'est un tiers qui demande un arrêt de travail au médecin généraliste, ce même tiers qui affirme par ailleurs que les médecins généralistes exagèrent avec les arrêts de travail)
Monsieur A n'a mal, selon lui, que lorsqu'il travaille. Il me montre sa position avec la fameuse machine et la position qu'il aura avec la nouvelle.
Mais le malade n'est pas content car il trouve que la médecin du travail charrie en prétendant que son pétage de plomb est lié à ses problèmes extra professionnels. Il dit simplement que c'est l'usine qui est à l'origine de tout cela, pas son divorce, pas ses difficultés financières.

Arrêtons-nous sur ce point de vue car il entraîne des questions pratiques en cascade.
  1. Est-il possible de croire un patient sur sa bonne tête parce que ses arguments sont plausibles ?
  2. Faut-il considérer que le pétage de plomb est une réaction normale à une situation anormale ou qu'il s'agit d'une réaction anormale à un banal conflit du travail ?
  3. Le médecin du travail est-il un simple agent patronal (il est payé par le patron) ou peut-il avoir une attitude neutre ?
  4. Faut-il que le médecin du travail soit au courant des problèmes conjugaux et financiers de ce patient et en fassent état dans un courrier, ce qui n'augure pas bien du secret professionnel ?
  5. Quelle est la signification de la prescription d'un arrêt de travail ?
Ces questions entraînent des questions théoriques :
  1. La neutralité demandée au médecin généraliste dans sa relation médecin malade est-elle une donnée médicale, juridique, éthique ou analytique (freudienne) ?
  2. Quel est le véritable statut du médecin généraliste : libéral, "salarié" de la CPAM, avocat de son patient, client de son patient ?
  3. Faut-il médicaliser les conflits du travail ?
  4. Faut-il que le médecin généraliste prescrive des médicaments dont l'origine de la prescription provient des conditions de travail ?
  5. Le médecin généraliste doit-il intérioriser et les injonctions de la CPAM et les injonctions du monde du travail qui vont souvent de pair ?
Ainsi, en toute logique, Monsieur A devrait reprendre son travail le 24 octobre mais il n'est pas certain que la médecin du travail accepte.
Une autre chose me paraît surprenante : ni le médecin traitant ni la médecin du travail n'ont fait une déclaration de maladie professionnelle (tableau 57).
Je ne sais pas si je reverrai ce patient.
Mais cela vaudrait le coup...

(Crédit : AlloCiné)