jeudi 31 mars 2011

UN COMMUNIQUE (IMAGINAIRE) DU PROFESSEUR DANIEL FLORET

Squale (haine) - Grand requin blanc (inoffensif).

Le professeur Daniel Floret, Président du Comité Technique des Vaccinations, vient de réagir par uncommuniqué relayé par L'Agence Infovac Presse (AIP) à l'annonce par l'Agence Médicale Suédoise (Läkemedelsverket) de la suspension de la vaccination des personnes de moins de 20 ans par le vaccin pandemrix à la suite d'un essai de cohorte indiquant un risque 4 fois supérieur de faire une narcolepsie dans cette tranche d'âge par rapport à des personnes du même âge non vaccinées. Vous pouvez consulter le communiqué ICI.
(Cette étude vient à la suite des narcolepsies finlandaises post pandemrixiennes, 60 enfants et adolescents entre 4 et 19 ans, dont je vous avais parlé LA).
Voici le communiqué (imaginaire) : "Le vaccin Pandemrix est un vaccin sûr. Les données dont nous disposons en France indiquent que la narcolepsie n'a pas franchi les frontières, qu'elle est restée cantonnée en Finlande, en Suède et en Islande. La narcolepsie ne passera pas, pas plus qu'une éventuelle toxicité adjuvante squalénique ne peut contaminer notre pays. Le dossier d'AMM de Pandemrix est limpide. La pharmacovigilance française, que le monde entier nous envie, n'a pas constaté de phénomènes similaires. Pas d'inquiétudes à avoir : les virus sont bien gardés."

lundi 28 mars 2011

DIABETE : LA TECHNOCRATIE MEDIATIQUE EN MARCHE

Préambule : Voici le cheminement de ce post :
Je reçois la lettre d'information du docteur H Raybaud que vous pouvez consulter ICI. Parmi les têtes de chapitres, je trouve un commentaire sur le diabète qui me renvoie à un site qui s'appelle ESCULAPEPRO.COM que vous pouvez consulter ICI et dont le titre, pompeux, est Sept propositions pour faire face à l'épidémie du (sic) diabète. Article qui est lui aussi le commentaire d'un livre, Le Livre Blanc du Diabète, écrit par Alain Coulomb (ancien président de l'ANAES), Serge Halimi (endocrinologue hospitalier grenoblois) et Igor Chaskilevitch (directeur d'Edinews, une boîte de communication). Je n'ai donc pas lu le livre en question. Je commente l'article qui commente le livre. Ce n'est pas bien mais cela me suffit.

Introduction : Les technocrates à la tête des Agences Régionales de Santé (ARS) ont décidé d'appliquer les méthodes "modernes" de management à la Santé Publique. Comme ce sont des technocrates, des hauts (?) fonctionnaires et, plus fréquemment des fonctionnaires qui n'ont jamais mis les pieds dans le privé, qui ne connaissent du management que sa théorie et surtout pas sa pratique et dont l'emploi est une placardisation dorée de leur incompétence antérieure, ils osent tout et son contraire. Ils sont entrés dans une croisade néo libérale mais surtout ils s'emploient à plein temps à se médiatiser eux-mêmes et à médiatiser leurs actions sans penser une seconde qu'ils touchent à la Santé Publique qui est une structure fragile faite d'hommes et de matériels, les hommes ayant une valeur et les matériels un prix. Ces ARS sont des machins bureaucratiques dont la fonction régionale est de valoriser leurs chefs, potentats locaux qui ne risquent pas de voir arriver les forces de la coalition jusque dans son repère, mais qui sont les cache-sexe du pouvoir politique et de son bras armé dans le domaine de la Santé, à savoir la Direction Générale de la Santé de sinistre mémoire grippale. Vous remarquerez que cette fameuse DGS est épargnée par le "scandale" du Mediator, le ministre Bertrand tirant tous azimuts sauf dans sa direction et dans celle de Didier Houssin, le chirurgien aux mains nues.

Ainsi la machine bureaucratique est-elle en marche avec ses seniors, Philippe Even et Bernard Debré, ses liquidateurs, Jean-Luc Harousseau pour la HAS et Dominique Maraninchi pour l'AFSSAPS, ses contrôleurs, Frédéric Van Roekeghem et Hubert Allemand, créateurs du CAPI et de SOPHIA, ses larbins, les directeurs des ARS, ses journalistes croupions (voir La Lettre de Galilée) et ses lampistes, les anciens employés des DDAS... qui font la loi à l'hôpital comme en ville. L'hôpital, comme nous le verrons, ou plutôt les hospitaliers disent la super loi et les médecins généralistes sont encore une fois considérés comme la dernière roue du carrosse : de quoi pourraient-ils se plaindre, ils vont disparaître ?

Envisageons les 7 propositions de ce livre dont les trois auteurs résument très bien la politique de Santé Publique française : le technocrate, le patron hospitalier et le communicant.

1. Inventer pour réduire l'impact du diabète. La première phrase est assez gratinée : Il est primordial d'inventer une nouvelle offre de soins pour les 2,5 millions de patients pour lesquels l'hôpital n'est pas un passage obligé.
Le trio part donc du principe que tout diabétique doit, devra ou a dû fréquenter un hôpital ! Cela commence mal ! Et ensuite, dans une envolée sarkozyenne du plus mauvais aloi, ils parlent de façon dithyrambique des ARS, comme c'est bizarre, dont la seule fonction est de couper dans les coûts et de rationnaliser la médecine parle haut. Les ARS, grâce aux connaissances et aux expériences de terrain des professionnels de santé spécialisés dans le diabète... Qui sont-ils ? Ah oui : les diabétologues.
2. Médiatiser le diabète pour mieux le prévenir. Nous sommes en plein dans la communication pro domo. Le représentant de l'Agence de Com fait son marché ou, comme on dit, son marketing mix, en proposant des actions médiatiques qu'il facturera au prix fort en remettant une couche d'ARS et en alignant les voeux pieux comme "agir auprès des professionnels de l'agro-alimentaire". Il est possible que la médiatisation du diabète passe aussi par les publicités pour les aliments sucrés pour enfants aux heures où les enfants regardent la télévision...
3. Centrer l'organisation sur le malade et non pas sur la maladie. On touche au sublime. Après avoir convoqué les spécialistes du diabète (c'est à dire les prétendus spécialistes d'une maladie qui serait en phase épidémique, ils doivent se prendre pour l'OMS), on parle de "Projet de vie, milieu social, capacité à être autonomes, souhaits, désirs d'ordre culturels..."
Ainsi les auteurs inventent-ils le communautarisme médical : les diabétiques n'ont pas les mêmes goûts que les non diabétiques, ne lisent pas les mêmes livres, n'écoutent pas la même musique, ne regardent pas les mêmes expositions, ne zappent pas de la même façon devant leur poste de télévision... Notre trio vient d'inventer les gender studies pour diabétiques. Ouaf !
4. Améliorer la qualité de vie des malades.
Certes, comment ne pas être d'accord ? Pourquoi ne pas enfiler les perles du médicalement correct ? Et vous savez comment on améliore la qualité de vie des malades (diabétiques) ? Grâce à la télémédecine ! Je cite :"Elle devient pour le diabète un outil formidable pour prévenir l'hospitalisation." C'est tout ? C'est tout ! C'est tout pour la qualité de vie. Les auteurs ont séché. Je pourrais cependant leur souffler des idées. Ou des images. Des diabétiques en train de courir les bras en l'air dans un champ inondé de soleil en marchant sur des betteraves à sucre.
5. Orchestrer les synergies et mises en réseau des professionnels pour assurer une meilleure prise en charge des patients. Onze professionnels de santé sont cités (dont un coach sportif) et qui arrive en onzième position ? Le médecin généraliste. Vous avez envie de continuer ?
Je sens que non mais je continue quand même : pour y parvenir nos auteurs avisés proposent d'une part de renforcer les points forts de l'hôpital et d'autre part de permettre au diabétologue hospitalier ou libéral d'être au centre de l'organisation du système de soins... Et tout le reste est l'avenant.
6. Mieux former les professionnels de santé à l'éducation thérapeutique (ETP). La reconnaissance de l'ETP est une des grandes victoires des diabétologues ! Il n'y a qu'eux qui le savent. ET là, je ne peux m'empêcher, avec malice, de citer la phrase suivante qui fera plaisir aux signataires du CAPI considéré comme une avancée vers la médecine au forfait : A la ville le paiement au forfait mériterait d'être expérimenté pour les professionnels de santé qui souhaitent s'impliquer dans des actions d'ETP (après avoir été formés par les diabétologues pionniers).
7. Innover vers une recherche translationnelle et transversale commune à la majorité des maladies chroniques et explorer de nouvelles voies. Et dans ce chapitre jargonnant les auteurs arrivent à placer, comme dans un exercice de style, les mots translationnel, proximité, sciences cognitives... Pour terminer par : Les diabétologues pourraient faire des sciences cognitives leur nouveau cheval de bataille après celui de l'éducation thérapeutique.
On rêve.

Ce que je pense de cela ? Non, non et non !
Les ARS hospitalocentrisent, les ARS, spécialocentrisent, les ARS veulent recréer des réseaux qui n'ont jamais fonctionné, des réseaux hiérarchiques dirigés par l'hôpital et par les spécialistes, les ARS, forts du rapport de l'IGAS de 2006 (Améliorer la prise en charge des maladies chroniques : ICI), veulent associer l'Education Thérapeutique du Patient et le Disease Management (qui est aussi le cheval de Troie de Big Pharma) en omettant le médecin traitant (comme le rapporte fort justement et, selon moi, très maladroitement, un article de F Baudier et G Leboube : ICI). Les ARS mentent et font mentir.
Voilà une nouvelle sauce à laquelle nous allons être mangés.
celle concoctée par les diabétologues, ces diabétologues qui n'ont rien vu venir avec les glitazones, ces diabétologues qui prescrivent à tout va de nouvelles spécialités non validées, de nouvelles drogues dont le seul bénéfice est de faire maigrir les patients en baissant anecdotiquement l'HbA1C et, de toute façon, sans agir sur la morbi-mortalité.

vendredi 25 mars 2011

DIABETE : LES MYTHES SPECIALISES. HISTOIRE DE CONSULTATION 75

Kees Van Dongen - La femme lippue (1909)

Madame A, 84 ans, je ne la vois qu'à domicile, en visite. Je ne pense pas qu'elle soit venue une seule fois au cabinet. Je la connais depuis tente-deux ans, depuis l'époque où je m'occupais de sa mère, une vieille dame qui avait, à l'époque, 78 ans, et qui vivait avec sa fille dans la grande maison où je me rends aujourd'hui. J'ai donc suivi la mère qui était hypertendue et qui est morte, âgée, d'une insuffisance cardiaque aiguë, dans une clinique de notre ville, une clinique qui n'existe plus. Désormais je suis le médecin traitant de la fille qui est aussi devenue une vieille dame.
Je suis installé en zone sensible et ces deux femmes n'ont jamais voulu venir dans mon quartier et je n'ai pas insisté : trop dangereux, disaient-elles.
Pourquoi je vous dis cela ?
Parce que je fais des visites, de moins en moins de visites, presque dix fois moins que dans les années quatre-vingt, et que, pourtant, je fais encore des visites compassionnelles chez les personnes âgées. Compassionnelles, car certaines de ces patientes pourraient se déplacer, elles se déplacent bien chez le cardiologue ou... l'ophtalmologue. Mais quelques personnes âgées se déplacent aussi en consultation bien qu'elles soient vraiment très âgées : une question d'habitude.
Mais Madame A ne conduit pas. Le domicile de Madame A n'est pas proche d'une ligne d'autobus qui passe près de son domicile et de mon cabinet. Je vais donc la voir chez elle, quatre fois par an. Parfois une fois de plus quand Madame A a de la fièvre ou autre chose qui cloche.
Madame A prend trois médicaments : metformine, captopril et pravastatine. Son HbA1C, le critère principal de suivi d'un patient diabétique, est à 7,2 %, ce qui est correct selon le consensus actuel, la pression artérielle est bonne (130/80) et le mauvais cholestérol est dosé à 1,04. Elle présente pourtant des lésions rétiniennes qui l'ont conduite à subir (ou à bénéficier) de (s) séances de laser.
Chez Madame A je m'asseois, toujours sur la même chaise, j'ai ma chaise, et, chez d'autres patients, j'ai mon fauteuil, et elle me montre un courrier qu'elle a reçu de la sécurité sociale. "Qu'est-ce que je dois faire de cela ?" Elle n'est pas inquiète mais préoccupée. Je prends la grande enveloppe, l'ouvre et je comprends : il s'agit des documents que l'Assurance Maladie adresse à certains patients, dont des diabétiques, en leur faisant des recommandations et en leur donnant un tableau cartonné, haut en couleur, on dirait un prospectus pour un médicament, où tout ce que l'HAS a dit qu'il fallait faire en cette occasion est signalé et les performances du médecin sont indiquées : nombre de dosages de l'HbA1C, de la micro albuminurie, nombre de visites chez l'ophtalmologue, et cetera.
Je rassure la patiente qui pensait qu'elle devait répondre à cette injonction et regarde le carton coloré d'un regard distrait. Deux choses me frappent : il est indiqué qu'elle n'a pas vu d'ophtalmologiste depuis un an (c'est une "recommandation" de l'HAS), que l'HbA1C a été dosée deux fois (l'HAS et le CAPI conseillent trois à quatre fois par an) et qu'elle n'a pas vu de pédicure podologue.

Voici quelques commentaires sur le parcours de soins non respecté par les spécialistes hospitaliers, sur l'Assurance Maladie qui fait le forcing sur le diabète et sur d'autres pathologies auprès des patients (à l'instar du programme SOPHIA) et auprès des médecins (le programme CAPI).
  1. Madame A est suivie par un ophtalmologiste de l'hôpital qui a entrepris des séances de laser pour des lésions rétiniennes, il y a eu (j'ai vérifié) au moins deux séances cette année et à moins que le laser soit effectué par un cardiologue ou par un brancardier... L'Assurance Maladie n'a donc pas pris en compte ces séances de laser (la cotation doit être telle qu'elle n'a pas été "rapprochée" du chapitre Consultation en ophtalmologie, ce qui montre, vous pouvez choisir : a) les problèmes de saisie dans la base de l'Assurance Maladie ; b) les problèmes de cotation de la dite base). Je me souviens d'autant plus de cela que j'ai eu un "léger" accrochage avec l'ophtalmologiste en question. Les faits : il y a deux ans Madame A est allée, avec sa nièce, chez le spécialiste des yeux qui a trouvé des lésions au fond d'oeil, qui a programmé une angiographie rétinienne qui montrera ultérieurement des lésions lasérisables, selon lui, qui a dit que son diabète n'était pas bien équilibré et qui a conseillé fortement à la patiente de consulter un diabétologue... Donc, la nièce en question m'a engueulé par sa tante interposée, je n'avais pas fait mon travail, le diabète n'était pas bien équilibré et patati et patata. Je n'étais pas content. J'ai mis un certain temps à appeler le spécialiste des yeux car l'expérience m'a indiqué que ce genre d'appel ne servait généralement à rien : chacun restait sur ses positions. Voici, en substance ce que nous nous sommes dit. Moi : Je suis le médecin traitant de Madame A, il m'a été dit que vous aviez dit à la patiente et à sa nièce que son diabète était mal équilibré, ce qui, pour une personne de 84 ans avec une HbA1C à 7, me paraît bien difficile à soutenir. Lui : Elle a des lésions rétiniennes qui montrent que son diabète est mal équilibré. Moi : Certes, mais des études indiquent que faire baisser l'HbA1C en dessous de 7 entraîne une sur mortalité. Lui : Vous pensez vraiment que l'équilibre glycémique n'a aucun rapport avec l'état de la rétine ? Moi (énervé) : Non, mais je pense aussi que chez une femme de 84 ans il paraît illusoire, voire dangereux de faire baisser encore plus l'HbA1C, comme le montre l'étude ACCOR... Lui : Je ne connais pas cette étude. Moi : Dernier point : au lieu de demander à la patiente de consulter un diabétologue, vous feriez mieux de prévenir d'abord le médecin traitant, moi-même en l'occurrence. Lui : J'ai fait comme nous avons l'habitude de faire dans le service. Moi : C'est nul. Au revoir.
  2. Les statistiques de l'Assurance Maladie concernant cette patiente sont fausses. C'est peut-être une erreur isolée. Mais cela devrait inciter les signataires du CAPI (voir ici) à vérifier les chiffres qui leur sont communiqués. Avant de s'y lancer et après que les résultats leur sont communiqués. Autres points : a) cette patiente n'a eu que deux dosages d'HbA1C dans l'année et ses chiffres sont "parfaits" ; b) il est pointé par l'Assurance Maladie que les pieds de Madame A n'ont pas été examinés par un podologue, eh bien, mon expérience personnelle est que les podologues, chez les diabétiques, provoquent souvent des lésions qu'il n'aurait jamais eues s'ils n'étaient pas allés les voir ; c) le spécialiste de l'oeil ne lit pas les études sur le diabète et ne croient pas qu'un médecin généraliste puisse s'occuper d'une patiente diabétique.
Ainsi, dans cette affaire, on ne cesse de voir que la disparition de la médecine générale est, comme on dit, actée par l'Assurance Maladie. La disparition programmée de la médecine générale est une tendance lourde qui remonte à loin (1971 et 1979) et qui est liée essentiellement à la volonté de la spécialocentrie. L'Assurance Maladie constate et met en place des procédures pour contrôler l'activité des médecins généralistes (le CAPI) et pour contrôler la sincérité des malades (SOPHIA). L'Assurance Maladie obéit au pouvoir politique qui est conseillé par des experts issus de la spécialocentrie et de l'hospitalocentrie qui demeurent la base de toutes les politiques publiques de santé. Le pouvoir politique ne comprend rien à la médecine et voit la Santé Publique avec les yeux des grands patrons et des experts qui s'auto-entretiennent, s'auto-louent et s'auto-encensent. Mais ils creusent la tombe de tout le monde : l'hôpital se meurt et l'accès au soin va s'effondrer.

Madame A, 84 ans, va bien. Mais sa nièce croit qu'elle est mal soignée. Et l'Assurance Maladie aussi. Pas son médecin traitant (conflit d'intérêt majeur) qui essaie de la laisser tranquille.

mardi 22 mars 2011

LOURDEUR DU CARTABLE ET EDUCATION : HISTOIRE DE CONSULTATION 74


Préambule : Que les enseignants ou enseignantes, femmes ou maris d'enseignants, maîtresses ou amants d'enseignants ou d'enseignantes, fils ou filles d'enseignants, petits-fils ou petites-filles d'enseignants se dispensent de lire ce post. Que les pourfendeurs de la démagogie ambiante se dispensent de lire ce post. Que les tenants d'une école centrée sur l'élève se dispensent... Que les défenseurs des vaches sacrées et autres religieux de tous poils se dispensent...
Le jeune B, 11 ans, est venu hier me voir avec sa maman pour que je lui refasse un certificat indiquant qu'il était nécessaire qu'il pût disposer d'un casier dans son collège pour pouvoir ranger ses livres et ne pas avoir à les transporter tous les jours sur son dos.
Depuis 20 ans, mais probablement plus, je n'ai pas fait de recherches précises, il existe un marronnier annuel qui est de se plaindre du poids des cartables. Et tous les ans depuis 20 ans, que le ministre de l'Education Nationale soit de gauche ou de droite, que les syndicats de l'Education Nationale soient de gauche ou d'extrême-gauche, que les professeurs appartiennent à n'importe quelle tendance de la "pédagogie" moderne dont celle du trop fameux Philippe Meirieu (son site) désormais membre d'Europe Ecologie, mon professeur de français latin grec, un certain José Lupin, disait dans son langage châtié de normalien : "les pédagogues aux gogues", eh bien, tous ces braves gens font des déclarations enflammées sur le fait que c'est intolérable et que cela va changer. Et rien ne change.
Il existe un pouvoir d'inertie qui, loin de se prélasser dans les cours de physique chimie, prend un malin plaisir à se répandre sur le rachis de nos charmantes têtes blondes (erreur : la HALDE va me tomber sur le dos, dans le collège de Mantes-La-Jolie il n'y a pas que des charmantes têtes blondes mais de charmantes têtes non blondes issues de la diversité)... Cela dit, B, issu de la diversité de ses parents, est un blondinet berbère charmant et timide.
Quoi qu'il en soit, notre ami B est un enfant plutôt chétif et l'examen de son rachis retrouve une simple attitude scoliotique avec une petite cyphose dorsale, des omoplates décollées et un attrait pour les activités physiques tenant vers le zéro pointé (zut, on ne donne plus de notes, cela stigmatise les mauvais élèves et cela pourrait entraîner les meilleurs à continuer de l'être). Un peu de natation, quelques conseils sur des exercices à pratiquer tout seul chez lui (je m'y emploie), lui éviter d'aller chez un kinésithérapeute qui finirait par lui faire croire que l'hétéronomie est meilleure que son inverse (l'autonomie) et qu'il faudrait porter des semelles et le tour sera joué : il est possible que notre ami B ne soit jamais un "sportif" ou qu'il le devienne, allez savoir, mais cela ne me regarde absolument pas (autre vache sacrée : le sport comme nécessité de l'homme et de la femme moderne).
Bon, venons-on au fait : B pèse 31 kilogrammes et son cartable dix et demi. Sachant, chers amis, que je pèse, les bons jours, 75 kilogrammes, je m'imagine arrivant au cabinet, faisant mes visites, avec une sacoche de docteur pesant 25 kilogrammes !
Il y a bien entendu de bonnes raisons pour que le cartable de B pèse 10,5 kilogrammes. Je n'en doute pas. D'ailleurs, ses parents n'ont qu'à lui acheter un cartable à roulettes...
Je rédige donc un certificat à la con qui ne servira pas à grand chose car, dans ce collège, il n'y a pas autant de casiers que d'élèves... Embouchons les trompettes de la renommée : vous voyez que les problèmes de l'Education Nationale sont liés essentiellement au manque de moyens...

Le poids des cartables est révélateur, à mon sens, de la crise de l'enseignement et de la démocratie.
Le matériel pédagogique, comme on dit, est plus important que la pédagogie elle-même.
Le rachis de cet enfant est moins important que les couleurs des classeurs et celles des intercalaires.
Les livres scolaires sont une industrie juteuse dont le poids ne rend pas compte de la valeur.
Chaque enfant de ce collège a eu droit, en CM1, à un ordinateur portable qui ne sert pas à se "cultiver" (quel mot horrible) mais à jouer sur internet ou à visionner You Tube, et donc, pas de fracture numérique (mon oeil !), mais un rachis souffrant.
Le médecin généraliste n'a aucun pouvoir sur le rachis est là pour rédiger des certificats.
L'enfant est au centre de la pédagogie sauf quand cela va à l'encontre de l'intérêt de l'administration.
Je me rappelle, enfant insouciant sur le chemin du lycée (les collèges étaient réservés aux élèves qui ne faisaient pas d'études "longues"), lançant mon cartable en l'air ou m'en servant pour donner des coups à mes camarades, un cartable léger comme mon insouciance, comme mon esprit léger...
Je me rappelle mon grand-père haut-savoyard me racontant ses longues chevauchées pour arriver à l'école, le cartable lourd comme une plume et tenu à bout de main.
Je me rappelle ma grand-mère, institutrice à Taninges, Haute-Savoie, m'apprenant à lire avec un tableau noir et une craie, sans matériel pédagogo mais avec pédagogie et se moquant de moi en CM2 parce que j'étais obligé de "poser" une règle de trois.
Nos cartables étaient légers comme l'air mais ce n'était pas l'époque moderne, celle où l'enfant est plus important que le savoir lire et le savoir compter, c'était l'époque utilitariste où le certificat d'études primaires avait une fonction sociale...
Que l'on me pardonne cette envolée sur les temps anciens où tout était mieux qu'avant, où les cartables étaient légers, les enfants dyslexiques rares et les enfants hyperactifs turbulents.


dimanche 20 mars 2011

UNE GUERISON MIRACULEUSE : HISTOIRE DE CONSULTATION 73

Pierre Paul Rubens - Pan et Syrinx - 1617

Chapitre premier.
Madame A, 38 ans, est venue me voir pour la première fois il y a un peu plus de deux ans (elle avait déménagé). Elle avait beaucoup de choses à me montrer. Souffrant d'une maladie orpheline, elle connaissait mieux sa maladie que moi (ce qui était à la fois vrai et faux : vrai car elle avait lu et relu internet et faux car j'avais une petite idée --forcément préconçue-- sur la question). Elle avait apporté, lors de cette première consultation, un dossier complet retraçant son histoire pathologique (je le parcourus rapidement en lui disant que je ferai cela plus en détail à un autre moment), l'ordonnance (impressionnante) que lui faisait son ancien médecin (un neurologue) et des photocopies de communications du congrès auquel elle avait participé dans le cadre d'une réunion organisée par une association de malades.
J'étais là pour écouter, apprendre et modérer.
Son discours sur ses douleurs, leurs chronologies dans la journée, leur intensité, leur façon de se manifester, leurs topographies, leurs variations, était nourri.
Elle m'avait averti : ma maladie, avait-elle souligné, est difficile à cerner et les médecins, je ne parle pas de vous, docteur (elle se trompait), ont tendance à la minimiser et on nous traite souvent de fous.
Je ne cillais pas.
Je recopiais bêtement l'ordonnance délirante et lui fixais un rendez-vous le mois suivant, pour faire le point, lui avais-je dit, mais, surtout, pour définir une stratégie. Il me paraissait ahurissant qu'elle souffrît autant, qu'elle ne vécût plus qu'autour de cette maladie orpheline et qu'elle consommât autant de médicaments dont les indications et les effets indésirables possibles se superposaient dangereusement.
Mais elle avait balisé le terrain : les médecins qui ne la croyaient pas étaient d'affreux incompétents, d'affreux insensibles, d'affreux adversaires du progrès scientifique et de la reconnaissance de la souffrance humaine.
Quand elle revint me voir deux mois après nous abordâmes le sujet de sa (longue) ordonnance.
Elle : Mais je ne peux rien arrêter.
Moi : Il faut que vous fassiez la balance entre vos douleurs et les événements indésirables que vous ressentez : somnolence, vertiges, inconfort.
Moi : Mais j'ai mal.
Je recopiai la fameuse ordonnance.

Chapitre deuxième.
Son mari en a marre. Il en a marre des médecins qui n'arrivent pas à la soulager. Il en a marre de sa femme qui a mal. Il en a marre de sa vie qui n'est pas marrante.
Que puis-je lui dire ? Que dois-je lui dire ? Que nous parcourons tous ensemble, elle plus que que moi, lui plus que moi, un cercle vicieux qui nous oblige à accepter la maladie orpheline, à accepter les douleurs de la maladie orpheline, à accepter les traitements de la maladie orpheline, à accepter le cercle vicieux qui est une impasse.
(J'avais envie à l'époque d'écrire un post vengeur sur les maladies orphelines, sur les patients qui s'identifient aux malades des maladies orphelines, aux médecins qui les poussent à s'y identifier, aux associations de patients qui les confortent dans leur incompréhension, aux firmes qui financent les associations de patients pour fidéliser tout le monde. Mais je n'écris pas ce post. Je ne l'écris pas car je ne suis pas sûr de moi. Je ne suis pas certain, en l'écrivant, et même si elle ne le lisait pas, de ne pas faire de mal à ma patiente, de ne pas à la désespérer encore plus, de ne pas la détacher encore plus du corps médical, de ne pas être injuste, de ne pas, suprême culpabilité intériorisée, la négliger.)

Chapitre troisième.
Madame A arrive en fin de droits. Madame A, qui était vendeuse dans un magasin de vêtements, est incapable de reprendre un emploi de ce type. Il faut qu'elle fasse une formation. Elle s'est inscrite à un stage.

Chapitre quatrième (six mois après).
Madame A consulte pour une angine. Elle n'a pas d'angine. Une simple pharyngite. Détail.
Il y a longtemps qu'elle n'est pas venue me voir. Au moins six mois. Je ne l'interroge pas, par lâcheté, sur sa maladie orpheline. Je me doute qu'elle est allée voir ailleurs. Son mari et sa fille, je les ai vus entre temps, mais ils ne m'ont pas parlé d'elle et je n'ai pas abordé le sujet de la santé de leur femme ou mère.
Au moment de rédiger une ordonnance pour la pharyngite je lui demande ce qu'elle prend comme médicaments. "Rien" me dit-elle. "J'ai tout arrêté." Je fais des yeux ronds.
Elle poursuit : Je devais faire ma formation et, à cause des médicaments, tous les matins, j'étais dans le gaz. J'ai arrêté progressivement. D'ailleurs, c'est grâce à vous." Je la regarde avec étonnement. "Je me rappellerai toujours la tête que vous avez faite quand vous avez découvert mon ordonnance la première fois que que je vous ai vu. Et votre réticence à la renouveler. Vous m'avez aidé à diminuer les doses et maintenant je ne prends rien."

Epilogue.
Je sais, je sais, cette histoire vous paraît trop exemplaire pour être vraie. Moi-même je suis surpris par un tel dénouement et je ne peux même pas en tirer une quelconque gloire. Il faut considérer cette "guérison" comme une histoire de chasse, rien de plus. J'aimerais bien que tous mes malades chroniques prenant des médicaments les fixant dans leur chronicité puissent suivre le chemin de cette femme. Peut-être faudrait-il fonder une autre association de malades victimes de cette maladie non orpheline qui est l'addiction à des médicaments dont la prescription s'est autonomisée et ne sert plus qu'à s'auto entretenir, médicaments dont la seule utilité est de continuer à être prescrits. Je soulignerais aussi, mais c'est un infime détail, parfois un détail majeur, que tout ce que nous disons en consultation, tout ce que nous faisons (le non verbal), peut être retenu contre nous et peut décevoir le malade en bien ou en mal. Mais il serait aussi possible de retenir des leçons autrement fondamentales sur la fragilité des maladies et sur leur possible génération et disparition spontanée. Une autre fois, peut-être.

vendredi 18 mars 2011

LA VISITE ACADEMIQUE : UNE FAUSSE BONNE IDEE OU UNE VRAIE CONNERIE ?

Khon ou orgue à bouche. Instrument de musique thaïlandais
.
La visite académique est une invention curieuse, volontiers ambiguë, qui me paraît être le type même de la fausse bonne idée ou de la vraie connerie.
De quoi s'agit-il ?
Considérant que les médecins ont la visite médicale comme principale source d'information biaisée ON a pensé que la meilleure façon de faire pour contrecarrer les influences de Big Pharma étaient de proposer, sur le même modèle, des visites médicales qui seraient, elles, indépendantes de l'industrie.
La meilleure façon de ne pas être influencée par la visite médicale est de ne pas la recevoir.
Imaginons des médecins qui continueraient de recevoir la visite médicale et qui, en plus, laisseraient les "visiteurs académiques" venir dans leur cabinet : où trouveraient-il le temps ? Comment ne se rendraient-ils pas compte de l'incompatibilité de ces pratiques ?
Mais il y a aussi un antre problème (que l'industrie pharmaceutique avait résolu depuis belle lurette) : le statut des visiteurs.
Pour Big Pharma, et sauf exceptions, la visite médicale est faite par des non professionnels de santé, il arrive qu'il y ait des médecins ou des pharmaciens visiteurs mais le laboratoire leur demande de ne rien dire, pour des raisons de statut. Il arrive aussi qu'il s'agisse d'anciennes infirmières.
Dans le cas de la visite médicale ontarienne dont on nous rebat les oreilles, il s'agit de deux pharmaciens et d'une infirmière. Vous pouvez lire l'article fondateur ICI si vous lisez l'anglais.
Dans le cas de l'expérience française, INFOPROXIMED, mise en route sous l'égide de l'HAS (cela donne froid dans le dos) et pour laquelle La Revue Prescrire a donné son aval pour des raisons que j'ignore (ICI), j'ai essayé de savoir qui faisait les dites visites, et l'information manque. S'agit-il de médecins conseils de la CPAM ? Rien n'est indiqué.
L'autre expérience française, Institut PUPPEM (LA), utilise des DAM pour faire la visite. L'institut a comme slogan : Une Visite Médicale Indépendante de l'Industrie et comme accroche : pour médicaliser la maîtrise des dépenses de médicaments.

Ainsi, pour lutter contre la visite médicale de Big Pharma, ce démarchage à domicile pour, sous le couvert d'informations, vendre des médicaments à coup d'invitations à dîner, de post-it, et, plus généralement, de bimbeloteries comme les bons sauvages en recevaient des conquistadors, on réinvente la visite médicale indépendante. Quelle aberration !
Les médecins généralistes (car, vous l'avez compris, ce sont les médecins généralistes qui sont visés, les autres, les spécialistes, libéraux ou hospitaliers, ils ne sont pas influencés par la visite médicale, ils ne mangent pas au restaurant, ils ne sont pas invités dans des congrès, la visite médicale académique ne les vise pas puisque : a) ils n'ont rien à apprendre de plus ; b) ils comprendraient immédiatement la supercherie de l'affaire en raison de la différence évidente de statut de la visite dite académique : les spécialistes veulent soit des avantages en nature, soit des visites de pairs et non des visites faites par des médecins conseils, des pharmaciens ou des infirmières... Pourquoi pas par des brancardiers ? ; c) ils sont intouchables) sont donc, comme d'habitude, pris pour des Khons (instrument de musique thaïlandais, orgue à bouche, découvert par Boris Vian quand il voulait nommer les gens qu'il n'aimait pas dans son livre fameux mais oublié "En avant la zizique et par ici les gros sous", 4,75 euro chez Amazon), des Khons majeurs ou des Khons de chez Khons car, non seulement ils ne flairent pas le piège mais, en plus, ils s'y enfoncent comme des imbéciles heureux.
Utiliser l'arme de l'adversaire pour la retourner contre lui est une idée généreuse et digne d'un bobo qui aurait découvert la pierre philosophale derrière une fiche signalétique de médicament mais il faudrait en mesurer les conséquences : à l'époque d'Internet il faut encore payer des gens sur les deniers de la collectivité pour qu'ils aillent convaincre des médecins (et pas es qualités car il ne s'agit pas d'une visite de pairs, seraient-ce des médecins conseils qui ont un rôle de surveillance et de contrôle) de mieux prescrire et à meilleur escient ; il faut envoyer des visiteurs officiels sans bonbons, sans invitations, sans fanfreluches ; il faut faire perdre du temps à des médecins déjà débordés ; il faut envoyer des infirmière pour expliquer l'intérêt de l'acide folique en prévention des anomalies de fermeture du tube neural chez le nourrisson...
De qui se moque-t-on ?
Sait-on quel est le prix d'une visite médicale ?
La visite médicale est un bon moyen de faire prescrire des médicaments mais pourrait-ce être un bon moyen de ne pas en prescrire ?
Je suis sidéré que des esprits intelligents aient pu croire à de pareilles idioties.
Commençons par former les professeurs de médecine à la thérapeutique indépendante (la Formation Académique des Académiques).
Commençons par apprendre aux professeurs comment enseigner la thérapeutique indépendante (la Formation Académique à la pédagogie académique indépendante).
Commençons par former les médecins généralistes à la Faculté (j'appellerais cela la Formation Académique indépendante) par des Académiques formés à la thérapeutique indépendante (voir plus haut) et à la pédagogie académique indépendante (voir plus haut).
Commençons par enseigner aux professeurs de médecine la lecture critique des articles (et surtout ceux qu'ils ont publiés sous leur nom sans les avoir écrits) et non de leur demander leur avis sur des articles qu'ils n'ont pas lus.
Alors, on aura beau lire de la prose lénifiante sur le degré de satisfaction des médecins qui ont reçu la visite académique (c'étaient des Dow qui avaient eu leur diplôme de médecine à la fameuse université d'Oulan-Bator - Mongolie), la prose lénifiante des organismes privés promouvant la technique, la prose lénifiante de l'assurance Maladie dont le morceau actuel de bravoure est le projet Sophia dont je ne résisterais pas un jour à vous en décrire le processus ascientifique.

Donc, crachez sur la visite académique, lisez La Revue Prescrire, La Revue Médecine, le BMJ ou le NEJM, branchez-vous sur les sites et blogs que j'aime bien et portez-vous bien sans qu'une infirmière vienne vous expliquer la différence entre un sucre rapide et un sucre lent ou comment traiter le diabète en suivant les recommandations biaisées de l'HAS.
Donc, si vous ne voulez pas faire de médecine en plus, allez vous promener quand la visiteuse académique viendra vous raconter sa vie d'employée de la CPAM ou d'ex visiteuse médicale de Big Pharma reconvertie dans l'Académique.

mercredi 16 mars 2011

COMMENT ETRE UNE BONNE MALADE : HISTOIRE DE CONSULTATION 72

Un enterrement à Ornans (1849-50). Gustave Courbet

Madame A est une "commerciale". Elle a 37 ans et elle va mal : "Je suis fatiguée, je ne dors pas, j'ai perdu ma grand-mère il y a sept jours et... j'ai fait mon deuil."
Là, je suis scotché à mon fauteuil. Madame A "a fait son deuil" en une semaine ! Et encore n'a-t-elle pas dit (ce n'était pas dans son argumentaire de malade parfaite qui connaît son vocabulaire de patiente qui regarde les psychiatres et psychologues "qui parlent à la télé") "J'ai fait mon travail de deuil."
J'aurais été sidéré.
Je me reprends. Je prends mon attitude, non feinte, d'écoute (je connais les recommandations sur la façon d'écouter un patient, un malade, un client, tout ce qu'on veut, ce qu'il faut éviter, les mains croisées sous le menton, et tout le toutim freudopsychologique qui fait que le monde est monde... mais surtout : faire confiance, reconnaître, aider à identifier les ressentis profonds...) : cette femme souffre du décès de sa grand-mère.
Elle ne demande rien : "Surtout, docteur, ne me prescrivez pas de trucs pour dormir, je n'aime pas toutes ces saletés, on s'y habitue, pas d'antidépresseurs, j'ai vu une émission à la télé, c'est incroyable ce que les gens..., faut pas que je m'arrête longtemps, c'est pas bon... c'est quand même mieux de travailler que de tourner en rond... " Madame A me rassure et elle m'indique ce qu'elle a compris être ce qu'il faut faire dans le cas d'un deuil. Ce que la patiente doit faire (mais être en deuil, ce n'est pas une maladie, n'a-t-elle pas ajouté) et ce que le médecin ne doit pas faire en présence d'une telle malade : dramatiser, médicaliser, prescrire... Je bois du petit lait : Madame A me rend intelligent sans que je ne fasse aucun effort. Je suis dans les clous de la bien-pensance généralisée (enfin, celle que j'ai entendue récemment, on n'est jamais certain de rien, on peut toujours avoir plus bien pensant que soi, et, surtout, la bien pensance est une notion mouvante qui se déplace à la vitesse de l'éclair, une bien pensance remplaçant l'autre dans le Tribunal Intérieur de nos âmes) et la patiente m'y a conduit sans que je ne fasse rien de spécial.
Ecouter, ne pas prescrire de façon intempestive, ne pas faire preuve de sympathie, ne pas prendre parti... Ne pas trop prescrire d'arrêts de travail.
Je peux donc me concentrer, puisque cette patiente est finalement venue pour me dire sa souffrance, pour m'expliquer qu'elle ne veut pas de médicaments, qu'elle va s'en sortir comme une grande, qu'elle a fait son deuil toute seule en pleine autonomie, sur le rien faire, sur l'appropriation par la patiente de son propre cas dans le contexte actuel du deuil, me concentrer, dis-je, sur cette pressante interrogation : Ne suis-je pas en train de me fourvoyer ? Cette patiente n'est-elle pas en train de me raconter une légende ? Cette commerciale de 37 ans ne se construit-elle pas toute seule une personnalité qu'elle n'a pas ? Ne se réfugie-t-elle pas dans une carapace qu'elle s'est inventée et qui est aussi résistante qu'une feuille de papier ?
Madame A m'a raconté ce qu'elle voulait entendre. Madame A m'a raconté ce qui lui semblait être ce que je voulais entendre. Qu'en sait-elle, après tout ? Que sait-elle d'elle-même ? Que sait-elle de moi ? Nous sommes, au cours de cette consultation matinale, dans le malentendu le plus complet.
Je la connais. Je sais comment elle réagit d'habitude. Je lui fais confiance pour "prendre sur elle". Ce n'est pas la première fois qu'elle consulte dans des situations de deuil, de séparation ou de chagrin. Mais ne serait-ce pas aujourd'hui le Big One ? ne va-t-elle pas, après le discours auto-moralisateur qu'elle m'a tenu, pour m'amadouer, pour m'anesthésier, se suicider dans l'heure qui vient ?
Je suis donc, tandis que je rédige un arrêt de travail de trois jours, préoccupé par ces considérations, interrompu par le discours de la patiente, qui ne cessait de s'exprimer, mais qui change de ton : elle se met à m'interroger sur la souffrance des Japonais qui s'étale à la télévision... Je sursaute.
Et, au lieu de m'apitoyer encore sur le sort de Madame A qui ne s'apitoie pas sur elle mais sur des inconnus qui sont devenus proches par la grâce diabolique de la mondialisation des media, je me mets à penser, tout en lui répondant de façon mesurée (et là je fais ce qu'elle a fait tout à l'heure, je mets ma langue dans celle de la bien pensance tsunamico-nucléaire qui me semble être celle de la patiente), à tout ce que racontent les experts sur un sujet que je connais mal et je retrouve les Bricaire, Manuguerra, Floret, Flahault, dans toute leur splendeur grippale. On me dit que les Français sont en train de chercher des pastilles d'iode et de remplir leurs armoires de sucre.
Madame A sort, les yeux mouillés par la tragédie japonaise, avec de bonnes paroles et trois jours d'arrêt de travail.

PS - Les expressions "Faire son deuil" ou "Effectuer son Travail de deuil" font partie des mots plastiques dénoncés par Illich. Ces mots ou expressions dont le signifiant est implicite et le signifié incertain. Nous y reviendrons une autre fois.






mardi 15 mars 2011

REVUE DE BLOGS


Quand je lis un article que j'aimerais avoir écrit ou, mieux, dont je sais que je n'aurais pu l'écrire pour des raisons de compétence, de style ou d'inspiration, je pense qu'il est important de le faire partager. Même et surtout si je ne suis pas d'accord sur tout. C'est la vie.

Voici d'abord un article publié sur le site de Borée (ICI).

L’examen « à l’anglaise » – et autres mises au point gynécologiques

Je vous avais déjà raconté la première fois que j’avais fait un examen gynécologique en « position anglaise » (ou en « décubitus latéral ») en m’étant inspiré de ce qu’avait ditMartin Wincklerdans Le Choeur des Femmes.

Je vous avais dit aussi que j’avais fini par me remettre à la position classique après quelques essais un peu lamentables.

Mais, comme annoncé, je suis allé passer une journée auprès d’un ami gynécologue qui, depuis qu’il a lui aussi lu ce livre, ne travaille pratiquement plus que de cette manière.

Merci à lui de m’avoir accueilli à ses côtés, et à ses patientes d’avoir accepté ma présence.

En fait, c’est super facile !

Je me suis donc décidé à faire le billet que j’aurais aimé trouver après avoir refermé Le Choeur des Femmes.

Plus précisément, ce billet a pour objet d’aborder trois choses différentes mais qui se rejoignent :

l’examen gynécologique en décubitus latéral

-

la pose de DIU selon la technique « directe »

-

l’utilisation (ou non) d’une pince de Pozzi.


***

L’examen gynécologique

en décubitus latéral

(« à l’anglaise »)

En réalité, la position que je vais décrire n’est pas exactement celle qu’évoque Martin Winckler.

Et pour la suite vous cliquez LA.




Voici un article publié sur le site Pharmacritique (Elena Pasca) ICI

13.03.2011

HAS : Présidence de l’UMP Jean-Luc Harousseau, qui a perçu 205 482 euros des laboratoires depuis 2008…

Sur le site de la HAS on apprend les nouvelles nominations faites par Nicolas Sarkozy au mois de janvier, pour faire semblant de changer le jean luc harousseau HAS.jpgsystème d’évaluation du médicament après le désastre du Médiator :

« Le Pr Jean-Luc Harousseau a été nommé président du Collège de la Haute Autorité de Santé (HAS) par le Président de la République fin janvier. Ce dernier a également procédé à la nomination d’Alain Cordier et du Dr Jean-François Thébaut en tant que membres du Collège et a renouvelé le mandat du Dr Cédric Grouchka. Ces quatre personnalités complètent, avec Jean-Paul Guérin, président de la Commission certification des établissements de santé et les Prs Gilles Bouvenot, président de la Commission de la transparence, Jean-Michel Dubernard, président de la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé et Lise Rochaix, présidente de la Commission évaluation économique et de santé publique, le Collège de la HAS. »

« [A]lors que le paysage sanitaire connaît des mutations importantes », selon la HAS, on ne constate aucune mutation dans ces changements : plus ça change, plus c’est la même chose… Le Pr Jean-Luc Harousseau, hématologue, ancien président UMP du conseil régional des Pays de la Loire (photo du site HAS), inaugure sa présidence par des discours de langue de bois - et par un mensonge : dans sa déclaration d’intérêts du 31 janvier 2011, il dit n’avoir rien à déclarer, aucun lien.

Or le 21 février, il adresse un courrier à Muguette Dini, la présidente de la Commission des affaires sociales au Sénat, et un autre à Pierre Méhaignerie, président de la même Commission à l'Assemblée nationale, dans lesquels il affirme avoir tardé à répondre à la demande que les deux élus avaient formulé lors de son audition le 19 janvier parce que « le recueil des données a été plus long que prévu ». Il détaille « les liens d’intérêts » qu’il a « entretenu pendant les trois ans avant [s]a nomination » et affirme avoir cessé tout cela dès qu’il est devenu président de la HAS. Comme si on pouvait, d’un coup de baguette magique effacer ces liens financiers mais aussi personnels, les sommes d’argent et tous les privilèges…

Et pour la suite, c'est ICI


Voici donc deux posts très intéressants. Le premier, parce qu'il s'agit, sans nul doute, d'une véritable publication de médecine générale, le second, parce qu'il met fin aux rêves de pureté d'une HAS sans influences.

BONNE LECTURE

dimanche 13 mars 2011

LES MEDECINS GENERALISTES NE SONT PAS AU CENTRE DES PRESCRIPTIONS DES BLOCKBUSTERS


Je reprends sur le site Pharmactua, un site dont les informations sont rédigées à l'attention des cadres de l'industrie pharmaceutique, le palmarès des dix produits / molécules qui ont fait le plus gros chiffre d'affaire en 2010 (ICI).
On y voit que nombre de ces molécules sont des molécules hospitalières ou prescrites initialement par des spécialistes hospitaliers et extra hospitaliers. Pas toutes, bien entendu. Et parmi celles qui sont de prescription généraliste en France, combien sont considérées comme acceptables par la Revue Prescrire ? Je vous laisse répondre.
  1. Atorvastatine (Tahor) (Pfizer US ; Astellas Japon) (hypercholestérolémie) : 10,7 Milliards de $ (- 8%)
  2. Clopidogrel (Plavix) (Sanofi et Squibb US) (anti agrégant plaquettaire) : 9,3 Md $ (- 2,9%)
  3. Infliximab (Remicade) (Johnson Johnson, Merck and co) (maladie de Crohn, polyarthrite rhumatoïde, psoriasis) : 7,3 Md $
  4. Bevacizumab (Avastin) (Roche) (cancer colorectal métastatique) : 6,98 Md $
  5. Fluticasone / salmeterol (Advair Seretide) (GSK) (asthme) : 6,97 Md $
  6. Rituximab (Mabthera) (Roche / Genetech) (antinéoplasique polyarthrite rhumatoïde) : 6,78 Md $ (+ 8%)
  7. Adalimumab (Humira) (Abbott) (polyarthrite rhumatoïde) : 6,5 Md $ (+ 19%)
  8. Etanercept (Enbrel) (Pfizer / Amgen) (polyartrhite rhumatoïde psoriasis) : 6,48 Md $
  9. Valsartan et valsartan / hydrochlorothiazide (Tareg / Cotareg) (Novartis) (HTA) : 6 Md $
  10. Rosuvastatine (Crestor) (Astra Zeneca) (hypercholestérolémie) : 5,6 Md $ (+ 26%)
Longue vie aux commentateurs critiques et aux défenseurs de la médecine générale !

Si vous croyez que le combat est perdu...

Qui a dit que Big Pharma ne produisait pas de belles molécules ?

vendredi 11 mars 2011

LES ASSISES DU MEDICAMENT : UNE VASTE BERTRANDERIE

Henri à Canossa

Notre ami Xavier Bertrand est un fin politique : pour cacher ses responsabilités, pour épargner l'administration, pour ne pas faire trop déplaisir à l'Industrie du médicament (alias Big Pharma) et pour faire illusion devant le bon peuple, il a organisé les Assises du Médicament.
Ce machin est une entreprise d'enfumage afin qu'au bout du compte Xavier Bertrand ne perde pas son poste, qu'Antoine Flahault soit toujours directeur de l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique de Rennes (LA), que Robert Cohen puisse toujours dire la vérité sur les vaccins en publiant Infovac, que l'AFSSAPS fasse semblant d'avoir une quelconque importance, que Françoise Weber continue de publier des rapports bidons sous le sigle de l'InVS, que Roselyne Bachelot continue de couler des jours heureux dans les ministères et que Sanofi-Aventis puisse faire la pluie et le beau temps sur le marché pharmaceutique français... Je suis désolé, j'en ai oublié plein, qu'ils me pardonnent, leur tour est déjà venu ou viendra, ils sont toujours là, cachés derrière leur ombre ou derrière leurs certitudes, mais INAMOVIBLES.
Ces gens là ne connaissent pas l'usure du pouvoir.
Mais ils ne sont pas élus (à part Xavier Bertrand). Ils sont nommés et, bien entendu, es qualités.

Les Assises du médicament sont nées de l'affaire Mediator.

Les Assises du médicament sont faites pour remettre de l'ordre dans l'organisation de la Santé Publique, de la commercialisation des médicaments depuis le début des essais de phase II jusqu'à l'AMM en passant par la fixation du prix remboursé et en passant par la surveillance après commercialisation.

Et Xavier desogestrel Bertrand (voir un post précédent) est un expert dans l'organisation de l'agitation moléculaire et de la mécanique quantique aboutissant au néant originel et à l'absence de décisions.

Seule Sainte Irène Frachon croyait encore à Xavier Bertrand. Il m'étonnerait qu'elle y crût encore. Et je rappelle ici à ceux qui l'auraient oublié que la sainteté d'Irène (non, ce n'est pas un film d'Alain Cavalier ni même un livre d'Aragon) a été décrétée en haut lieu et qu'il n'est pas possible de penser le contraire sous peine de crime contre l'autorité révélée. C'est bien la première fois que Cassandre est béatifiée.

Quoi qu'il en soit, l'organisation des Assises du Médicament est une affaire médiatique sans média puisqu'il n'est pas possible de filmer ou d'enregistrer les débats sous peine de poursuites.
L'organisation des Assises du Médicament, censée lutter contre l'opacité, ne considère pas que les liens d'intérêt (ne parlons pas des conflits) soient investigables mais seulement déclarables.
Les Assises du Médicament, censées faire le point sur les dysfonctionnements du système, réunissent les anciens participants du système qui viendront jurer de leur bonne foi, qu'on ne les y reprendra plus et qu'ils seront honnêtes et respectueux par la grâce de la Providence.
Ah, il y a bien des strapontins. Des strapontins occupés, par exemple, par La Revue Prescrire, par l'Association Formindep ou par le site francophone le plus consulté, je veux dire Atoute.org de Dominique Dupagne.
La Revue Prescrire vient de publier un document en forme de plaidoyer justifiant sa participation à ces Assises : ICI. Ce plaidoyer comprend deux volets : d'abord (on se demande bien pourquoi) un programme de 57 propositions pour, je cite, "redresser le cap de la politique du médicament" ; ce catalogue est d'un grand idéalisme et ressemble en bien des points à un programme politique d'une formation qui n'arrivera jamais au pouvoir. Ces propositions font semblant de croire que la France n'appartient pas à l'Europe, que les décisions ne se prennent pas à Saint-Denis mais à Londres, que la chasse aux conflits d'intérêt pourrait très bien être cruelle pour la Revue elle-même ; ce sont donc 57 propositions sur lesquelles nous reviendrons en détail dans un autre post... Ensuite une justification en 7 points des raisons pour lesquelles La (prestigieuse) Revue Prescrire a accepté de manger avec les diables. Le point 6 est intéressant ( Prescrire a demandé que les Assises du médicament se déroulent en toute transparence devant l’ensemble de la société (par enregistrement vidéo). Demande restée vaine jusqu’à présent. ) car il est en contradiction complète avec le point 4 (Prescrire contribuera aux travaux des Assises tant que les conditions de sa participation lui permettront d’être utile pour l’accès de tous à des soins de qualité. )
Le Formindep a accepté lui-aussi de participer à ces Assises (allez voir son site, il a changé -- en mieux : ICI) et a dû, pour ce faire, lever des fonds (9600 euro), ce qui montre que l'indépendance a un prix.
Enfin, Dominique Dupagne y est allé une fois, a exprimé son désaccord sur les méthodes (ICI) et a annoncé sur France Inter, dans une intervention où il n'a pas mâché ses mots, qu'il n'y retournerait plus (ICI).

Il ne sert à rien d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.

Les Assises du Médicament sont mal parties.

Mais n'oublions pas quand même que la Santé Publique a encore un atout dans sa manche : le futur rapport des professeurs Bernard Debré et Philippe Even ! Nous nous en léchons les babines d'avance : ils ne manqueront pas d'être sanglants.

mardi 8 mars 2011

XAVIER BERTRAND : UN VISITEUR MEDICAL QUI NE LIT TOUJOURS PAS PRESCRIRE


Xavier Bertrand est un homme politique français qui a promis de mettre de l'ordre à l'Afssaps après le scandale du Mediator. Cet homme intègre a même décidé de s'abonner à Prescrire (enfin, aux frais de la République). Et ce matin, notre Joseph Prudhomme, notre Saint-Jean Bouche d'Or, notre arbitre des élégances scientifiques, répondait aux questions de Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1. Interrogé sur le problème de l'IVG chez les adolescentes, il a récité son argumentaire et il nous a affirmé avec une conviction expertale digne de Roselyne Bachelot défendant la vaccination dans les gymnases que la raison principale de la non diminution des IVG était le non remboursement des pilules de troisième génération, qu'il a appelées "minidosées" (sic), et qu'il s'agissait, ce non remboursement, d'un problème de Santé Publique ! Si vous êtes incrédules vous pouvez écouter ceci ICI entre 7 minutes et 3 secondes et 8 minutes et 29 secondes. Il est vrai que la question avait été amenée par le journaliste dont personne n'ignore qu'il est un spécialiste de la brosse à reluire.

De ces propos "scientifiques" nous retiendrons :
  1. Que les experts de la contraception sont tout aussi sponsorisés que l'étaient les experts de la grippe
  2. Que les collaborateurs de Xavier Bertrand ne lisent toujours pas Prescrire.
Pour ceux qui veulent des avis éclairés sur la question, ils peuvent :
  1. S'abonner à Prescrire
  2. Lire plus modestement ce que j'écrivais sur les pilules non remboursées sur ce blog et de l'inintérêt du desogestrel : LA.
Comment faire confiance à un pareil gogo ?
Comment faire confiance à un visiteur médical qui parle de Santé Publique ?
Qui va réagir au niveau professionnel ?

PS - Je rajoute ceci le 13 mars 2011 (grâce à Jean Lamarche) : Xavier Bertrand, selon un document que je ne peux vous joindre pour des raisons d'abonnement et de confidentialité (APM international), a décidé (c'est lui qui décide de l'Agenda des Assises du Médicament ?) que la question du remboursement des pilules dites de troisième génération (c'est moi qui commente) sera mis à l'ordre du jour de ces Assises. Sidérant ! Voir le sujet des Assises du Médicament dans un autre post : ICI.

lundi 7 mars 2011

MEDECINE PAR LES PREUVES RETROSPECTIVE : LE CAS DE L'INSUFFISANCE CARDIAQUE AIGUE

La saignée et le clystère

L'OAP (oedème aigu pulmonaire) n'est plus un sujet de médecine générale mais il l'a été. Lorsque je prenais des gardes en médecine générale, à la toute fin des années soixante-dix, il m'arrivait deux ou trois fois par mois d'avoir affaire avec un OAP. J'avais un patient qui commençait la saignée avant même que le médecin de garde n'arrive.
L'insuffisance cardiaque aiguë n'est plus non plus un sujet de médecine générale car nous faisons hospitaliser les patients ; du moins dans mon coin où mon cabinet est situé à cinq minutes en voiture de l'hôpital.
Pourquoi je vous dis cela ?
Pour deux raisons : la première parce que, sur le forum Prescrire (ICI), forum des abonnés de la Revue Prescrire, et je vous invite, si vous êtes abonnés, à vous y inscrire et à y aller faire un tour, Olivier Rozand se fera un plaisir de vous y accueillir, parce que, d'une part, c'est agréable pour les anciens forumistes de découvrir de nouveaux membres qui ne pensent pas comme vous et qui n'ont pas été formatés (j'en doute un peu) par le forum, et, d'autre part, c'est probablement agréable pour de nouveaux membres de découvrir de fortes personnalités à la tête parfois très dure qui racontent la même chose depuis des années... Où en étions-nous ? Ah oui, nous avions parlé de la saignée... la deuxième, parce que j'ai lu un commentaire de Richard Lehman (un blogger ou un blogueur qui publie sur le site du BMJ, ICI), sur un article du NEJM (LA) que je vais vous commenter.
Bon, tout le monde sait (enfin, c'est une façon de parler), que la prescription de furosemide intraveineux est le traitement de l'insuffisance cardiaque aiguë.
Personne dans la salle pour se lever et dire le contraire.
Eh bien, mes chers amis, il se trouve qu'avant cette étude parue, comme on dit, dans le prestigieux New England Journal of Medicine, il n'y avait pas de données randomisées concernant l'efficacité comparée du furosemide, en bolus, en perfusion continue, à faible et à haute dose.
Le "prestigieux" et prétendument indépendant (je me méfie avant de dire des trucs pareils) National Heart, Lung and Blood Institute l'a fait sur 308 patients !
Et les résultats sont les suivants :
Among patients with acute decompensated heart failure, there were no significant differences in patients' global assessment of symptoms or in the change in renal function when diuretic therapy was administered by bolus as compared with continuous infusion or at a high dose as compared with a low dose.
Pourquoi l'EBM alias la Médecine par les Preuves ou la Médecine Factuelle se décarcasse-t-elle à enfoncer des portes ouvertes ? Le NHLBI aurait mieux fait de ne rien faire et nous serions restés dans la glorieuse incertitude de la médecine et les tenants de l'EBM auraient chichité sur la façon de faire des empiriques et les empiriques se posant peu de questions auraient continué de faire comme ils avaient fait avant et ils auraient eu raison.
Voilà donc de l'EBM rétrospective.

Cela ne veut pas dire que je critique l'EBM. Mais, parfois, il faut rigoler un peu.
Pour plus de références sur l'EBM, c'est ICI.

PS (je rajoute cela plusieurs jours après car le sujet n'était pas aussi futile que cela) : Il ne faut quand même pas oublier que le traitement de l'insuffisance cardiaque aiguë par le furosémide est dramatiquement peu efficace : dans cet essai 42 % (130 / 308) des patients sont morts dans les 60 jours suivant leur hospitalisation ou leur passage aux urgences... Ne serait-il pas temps de développer et de tester d'autres traitements ?

jeudi 3 mars 2011

UN ENFANT SPIDE : HISTOIRE DE CONSULTATION 71

Mozart enfant (et spide ?)

Madame A est fière de son enfant Z, deux ans et demi, parce qu'il est spide. "Les enfants de maintenant", comme elle dit, "Qu'est-ce qu'ils sont spides !", "On n'était pas comme ça, avant..." Ils en sont émerveillés (car son mari qui n'est pas là aujourd'hui est dans le même métal).
Le spide en question (eh oui, c'est un garçon) tousse et a de la fièvre. Il ne tient pas en place. Mais, bon, j'arrive à lui écouter les poumons, à regarder ses tympans, à voir son pharynx et à vérifier le reste (la bonne médecine générale).
Il y a un espace jeux dans la pièce d'examen et, bien entendu, les jouets ne l'intéressent pas, il est préoccupé par l'otoscope, les stéthoscopes, le thermomètre. Il met ses doigts partout. La maman ne dit rien.
Je tape l'ordonnance, il se met à lécher la membrane d'un des stéthoscopes, et je me permets une petite remarque sur la propreté de la dite membrane. La maman est indignée : Cela pourrait quand même être propre !
Le spide continue son exploration systématique des endroits interdits sous l'oeil attendri de sa génitrice ravie d'avoir d'un enfant spide. "C'est quand même mieux que s'il était mollasson."
Je me lève et lui dis qu'il est actuellement dans un cabinet médical et que dans un cabinet médical il y a des objets d'adultes, des objets de travail, des objets dangereux, des objets qu'il ne faut pas toucher, qu'il ne faut pas casser car ils sont chers et qu'il peut, en revanche, jouer avec les jouets, s'asseoir sur le fauteuil enfant pour jouer, faire un puzzle, dessiner ou lire un livre.
Je me rassois et feuillette le carnet de santé.
L'otoscope se casse la figure.
Je regarde la mère. Elle sourit.
Je me lève. L'otoscope n'a rien.
"Je t'avais dit de ne pas toucher aux instruments et tu l'as fait. Tu vas venir t'asseoir à côté de ta maman et ne plus bouger. - Non !" Madame A ne m'est d'aucune aide. Elle regarde ailleurs. Je prends la main de l'enfant et l'emmène près de moi. "Z, je t'ai dit quelque chose et tu ne m'as pas écouté. Qu'est-ce que je dois faire ?" Il s'échappe comme un spide et se précipite à nouveau vers les instruments.
Je regarde Madame A : "On fait quoi ? Vous savez combien coûte un otoscope ?"
Elle s'en moque. Son fils est spide. Un point c'est tout. C'est une qualité et il y a des défauts. Mais les qualités l'emportent.
J'interroge le gamin spide et lui demande de quelle couleur est le stéthoscope rouge, de quelle couleur est l'otoscope bleu, de quelle couleur est le brassard vert du tensiomètre et ad libitum. Au bout du compte, à trente-deux mois, spidergarçon ne connaît que trois couleurs. La maman me dit qu'elle n'a jamais pensé à lui en parler. "Il fera cela à l'école."
Spidergarçon recommence ses activités automatiques d'enfant spide qui fait la joie de sa maman. Je lui dis ceci : "La prochaine fois que tu viendras ici, il faudra que tu respectes les règles que j'ai fixées. Tu es dans un cabinet médical. Tu es un enfant. Dans un cabinet médical il y a des choses qui sont autorisées et d'autres qui sont interdites, en particulier de toucher aux outils du médecin. Même maman n'a pas le droit de toucher à mes affaires. Comprends-tu ?" Il hoche la tête d'un air insolent. "Et la prochaine fois il faut que tu connaisses au moins six couleurs. Tu verras cela avec papa et maman." Il se met à courir comme un fou dans le cabinet et la mère ne dit rien. Je dis ceci à Madame A : "Si vous ne dites rien, il ne vous obéira jamais. - Mais il est petit. Et, de toute façon, je n'y arrive pas. Il est trop spide, vous comprenez... Son père le frappe et cela ne sert à rien. - Il le frappe ? - Enfin, il lui met des fessées etcela ne change rien."
Le docteur du 16 commence à se demander ce qui a bien pu lui prendre en intervenant. Le petit Z ne va-t-il pas se prendre encore plus de fessées, voire plus, tout en continuant à faire ce qu'il veut ?
"Madame A (et je dis cela pendant que le gamin continue, en nous regardant et en nous écoutant, à provoquer et à "faire des bêtises"), comprenez au moins une autre chose : les parents sont les parents et les enfants sont les enfants. C'est vous la chef quand vous venez à mon cabinet. Ce n'est pas lui. Vous êtes la mère et il est l'enfant. Ce sont deux rôles différents. Il y a des choses qui sont décidées par les parents et que les parents se doivent d'imposer (je ne parle ni de manipulation ni de maïeutique à cette femme désemparée) et des choses discutables entre les parents et les enfants. - Oui, mais (éclate-t-elle), il nous fait des crises. Donc, je n'ose pas. Je finis par laisser faire... J'ai trop peur..."

J'arrête là cette lourde démonstration pour faire deux ou trois remarques :
  1. L'enfant spide est un mythe moderne qui permet d'une part de gommer le qualificatif turbulent (qui sous tend une responsabilité parentale), d'autre part de refouler la part mâle de l'élevage des enfants (qu'il faudrait, après de longs traités faisant l'objet de thèses en Sorbonne, analyser selon plusieurs plans, anthropologiques, sociologiques, psychanalytiques et... médicaux, et autres), enfin de préparer le lit médicalisé qui s'appelle le syndrome d'hyperactivité de l'enfant, construction pour le coup socio-médicale qui autorise la prescription de ritaline...
  2. L'enfant qui fait peur à ses parents est aussi une donnée "lourde" de la sociologie contemporaine. L'enfant désiré (dont témoigne la "transition démographique" des sociétés développées, le niveau de la contraception, le nombre d'IVG et le niveau d'éducation des parents, ...) en est l'origine et la suite provient de l'écart perçu entre désiré et désirable par les parents et la crainte de ces dits parents de ne pas se conformer au modèle libéral de l'enfant comme au centre de l'éducation et non comme être de société...
  3. La perpétuation du distinguo garçon / fille que la morale réprouve désormais d'un point de vue de la différence des genres revient par la fenêtre avec cette notion de spidéité mâle. Il y a encore quelques "garçons manqués" mais elles sont, elles-aussi, par mégarde, spidéifiées. Là aussi il faudrait dire un mot sur les origines de ce distinguo : anthropologique, culturel, sociologique ?...
  4. La spidéité est une qualité chez l'enfant préscolaire et devient un défaut lors de la "socialisation" qui autorise toutes les dérives.
Comme cette histoire de consultation est immédiate, je n'ai pas choisi, je pourrais développer d'autres caractéristiques tournant autour de ces enfants spides dans un autre post. Car les exemples ne manquent pas.
J'y reviendrai un jour quand je parlerai du syndrome d'hyperactivité dans le cadre de la stratégie de Knock / disease mongering (ICI).