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dimanche 6 novembre 2022

Bilan médical du lundi 31 octobre au dimanche 6 novembre 2022 : Oncologie pratique, EBM piétinée, Vallancien, douleur, mortalité covid, covid long, consultation, sismothérapie, bronchiolite...

La médecine à l'estomac

Nous avons cent fois ici dénoncé les médecins qui confondaient l'exercice de la médecine et la pédagogie de la santé publique avec des photoreportages dans Gala, Ici-Paris ou Closer, ces médecins qui se faisaient photographier avant la mort de leurs malades, pendant la mort de leurs malades, après la mort de leurs malades. Avec l'accord de la famille, bien entendu.

1. Un oncologue qui fait envie : Bishal Gyawali




Il publie un article dans HealthyDebate que vous pouvez lire (LA) en anglais. Il rappelle que le comportement du patient atteint de cancer qui disait "Docteur, faites tout ce que vous pensez être bon pour moi" est en train de disparaître lentement. Les patients ont à se battre entre la myriade de choix, allant des possibilités thérapeutiques, des effets indésirables, de la qualité de vie et du pronostic, afin de pouvoir choisir un parcours de soins qui leur convient.

Je résume les 10 points que toute patiente devrait savoir. Je pense que c'est applicable à toutes les procédures de soin.

  1. Est-ce que l'objectif du traitement vous convient ?
  2. Mourir avec un cancer n'est pas la même chose que mourir d'un cancer
  3. Les différents patients ont des valeurs différentes
  4. Il y a toujours des incertitudes en médecine
  5. Plusieurs anecdotes ne sont pas des données
  6. Y a-t-il une ou d'autres options ?
  7. Il est difficile d'établir une causalité sans études randomisées
  8. Une significativité statistique n'est pas toujours cliniquement signifiante
  9. Faire attention aux risques absolus et relatifs
  10. Les décisions individuelles et populationnelles ne sont pas toujours identiques
A afficher partout.


2. Qui a envie de travailler avec lui ?




3. L'EBM piétinée

Nous avons cent fois ici répété combien l'EBM avait été un progrès par rapport à ce qui existait avant où les études cliniques étaient considérées comme inutiles, où les avis d'experts résumaient les données scientifiques et où adopter une pratique non validée c'était l'apprécier.

Il y avait deux camps. 

Celui des partisans inconditionnels de l'EBM qui ne négligeaient pas les faiblesses de la méthode mais qui affirmaient qu'il n'y avait pas d'autre choix à suivre.

Celui des opposants inconditionnels à l'EBM pour des raisons pratiques.


Que reste-t-il de nos espoirs ?

Un exemple sur les bonnes pratiques dans le diabète de type 2 : ICI.


4. Guy Vallancien, charniériste



5. Les composantes de la douleur (entre autres)




6. Les derniers chiffres de la mortalité Covid dans le monde

Voir LA


7. Elon Musk et twitter : déjà un paysage cauchemardesque ?


From The New-Yorker


Honnêtement, cela n'a pas beaucoup de valeur.

Surtout en lisant un article très documenté sur l'excès de mortalité dans les pays scandinaves qui insiste beaucoup sur les méthodes de comptage.

Voir ICI.



8. Covid Long : le club des CovidsLongs fait feu de tout bois.

On résume le point de vue du club des LongsCovids (qui est décalque de l'ex-club des ZéroCovids) :
  1. Il y a de plus en plus de patients présentant des Covid longs (le club des FearMongers est mobilisé pour l'occasion)
  2. Il y a de plus en plus de publications (non françaises, on rappelle ici pour les ignorants que la France  se place au 48° rang mondial pour le nombre de publications biomédicales mais c'est dû au manque d'argent alors que la majorité des études biomédicales sont financées par l'industrie pharmaceutique qui doit trouver que c'est parce que les médecins français n'ont pas d'argent qu'ils n'ont pas de cerveau...) ce qui montre que la maladie existe (le fameux saut qualitatif que les marxiens de l'extrême-gauche ne manqueront pas de rappeler)
  3. La France est, comme toujours, à la traîne. 
  4. Il y a une perte de chance puisque les patients ne sont pas pris en charge ou considérés comme psychosomatiques...
Réponses :
  1. On attend autre chose que des études au doigt mouillé ou sur un coin de table mais plus les études annoncent des covid longs, plus les LongsCovids trépignent
  2. Le nombre de publications ne signifie pas a) que l'on avance, b) que les données scientifiques sont de qualité, c) que la non-découverte d'un mécanisme physiopathologique commun soit la preuve qu'il y en a un
  3. C'est la haine de soi bien classique
  4. Il n'y a pas de traitement mais une prise en charge empathique serait effectivement la bienvenue.
  5. Un pré print (ICI) du premier novembre 2022 annonce que la prescription pendant 5 jours de Nirmatrelvir (une des composantes du paxlovid) vs rien (étude épidémiologique cas-témoin non randomisée) chez des patients covid présentant au moins un facteur de risque pouvant entraîner une maladie sévère réduisait les syndromes post SARS-CoV-2 à 90 jours quel que soit le statut vaccinal (non,vacciné, vacciné, boosté) en cas de primo infection ou de réinfection.
  6. A suivre.

9. La durée moyenne de consultation (soins primaires)

Attention :
  1. La source (statista) n'est pas sûre
  2. Les systèmes de santé sont très différents (IDE ou non, IPA ou pas, et cetera)
  3. C'est théoriquement le BMJ
  4. Pourquoi montrer un tel diagramme ? Pour désinformer en précisant que c'est probablement d cela désinformation.

10. Sismothérapie : retour vers le futur.


11. Bronchiolite : un communiqué de l'ordre des kinésithérapeutes : tout va bien jusqu'à l'avant-dernier paragraphe

ICI pour le communique rempli de bons conseils...

Là : l'avant-dernier paragraphe non sourcé.


12. Gustave Roussy en majesté : sans masques.

L'IGR, le meilleur centre anticancéreux de toutes les terres émergées, célèbre la fin du mois octobre rose.

Sans masques, dans une enceinte fermée, avec des soignants qui sont continuellement en contact avec des patients qui sont potentiellement traités pour un cancer, immuno-déprimès, fragiles.









dimanche 20 mai 2012

Les centres anti douleurs : des annexes du laboratoire Pfizer.


Nous avons évoqué ICI et LA combien nous vivions dans une société où l'objectif affiché était l'absence de douleurs comme si la douleur n'était pas une donnée physiologique ou anthropologique mais une donnée "construite", c'est à dire sociologique, voire politique, qu'il était nécessaire d'éliminer. Je ne me fais pas dire ce que je ne veux pas dire : je ne suis pas en train d'affirmer que la douleur est nécessaire, qu'elle est formatrice, qu'elle est éducative, qu'elle est une émotion nécessaire pour accepter notre humaine condition, voire qu'elle se justifie pour expier nos péchés supposés ou réels ou une épreuve que tout humain se doit de surmonter tout seul ou avec une aide extérieure. Je veux simplement dire que cet objectif est, pour l'instant, inatteignable.
Ainsi, aux Etats-Unis d'Amérique, nous avons appris ICI que 116 millions d'Américains souffraient de douleurs chroniques, que cela représentait environ 600 milliards de dollars de dépenses annuelles, et que les Etats-uniens n'étaient pas soulagés de leurs douleurs avec, en sus, environ 1000 morts par an liés aux opiacés (LA).
On marche sur la tête.

Les patients qui consultent dans les cabinets de médecine générale désirent le plus souvent (même si l'approche est indirecte, je parle de ça et c'est de ceci que je voulais parler) être soulagés d'un état ou d'une condition qui leur semblent nécessiter l'intervention d'un médecin généraliste.
Le médecin généraliste tente de soulager le patient de sa condition pour des raisons professionnelles (on lui a appris en théorie ce qu'il devait faire), sociétales (il a intégré le fait que c'était ce que la société attendait de lui), voire éthiques (soulager le pauvre monde de ses souffrances).
Dans le cas des maladies ou pseudo maladies chroniques ou dans le cas de souffrances aiguës la proximité  entre le patient et le médecin généraliste rend la souffrance persistante intolérable pour les deux protagonistes : le patient qui n'est pas soulagé et qui, dans le contexte du consensus sociétal "Zéro douleur", en veut à son médecin qui ne peut le "guérir" ("Donnez moi quelque chose de plus fort."), lui reproche son inaction ou son incompétence, voire son mépris ("Serrez les dents, mon vieux, c'est l'humaine condition.") ou son impuissance ("Alors à ceux qui souffrent devant l'impuissance de leur médecin... LA), voire les quatre ; le médecin qui, malgré tout ce qu'on lui a appris en théorie, tout ce qu'il sait et ne sait pas en pratique, tout ce que la bien-pensance lui renvoie sur l'ardente obligation de tuer la douleur. Le médecin traitant revoit un patient qui continue de souffrir et, compte tenu des pré requis que nous avons évoqués, il ne peut s'en suivre qu'une augmentation des plaintes et qu'une aggravation de la culpabilité.
Mais il reste les centres anti douleurs. Les fameux centres anti douleurs.
Les centres anti douleurs sont nés dans les années quatre-vingts en France, à l'instar de ce qui se passait dans les pays anglo-saxons et selon l'affirmation, jamais démentie, qu'en France on ne prend pas en charge la douleur. Originellement, c'est un anesthésiste, John Bonica, qui s'est intéressé à ce problème et a créé la première clinique anti douleur en 1961 à Tacoma dans l'Etat de Washington, en collaboration, c'est important, avec un psychologue et un neurochirurgien. Un article québécois recense les "bienfaits" de ces centres anti douleurs (LA) et souligne la multidisciplinarité avec, au minimum, un anesthésiste, un physiatre et un psychiatre et, au mieux, médecins (sic), psychologues, infirmières, physiothérapeutes, ergothérapeutes, travailleurs sociaux. 
Quand on fait une recherche "Centres anti douleurs" sur Google on a droit, selon les moments, à 12 300 000 occurences. Sur la première page, dix occurrences : les deux premières émanent du même site et donnent la liste, pour le premier, de tous les centres anti-douleurs français, la deuxième des centres parisiens (c'est dû à ma localisation google) ; on y trouve la définition d'un centre anti-douleur (1) et des publicités pour des thérapies algologiques : fasciathérapie, mésothérapie, chiropractie, sophrologie,  étiopathie, acupuncture, hypnothérapie, réflexologie... (ICI) ; la troisième occurrence émane de l'Institut UPSA de la douleur (LA) qui propose une autre définition (2) et des liens institutionnels gouvernementaux ; la quatrième émane d'une association de victimes et donne des listes de centres dans la région parisienne (ICI) ; la cinquième émane du Journal des Femmes (LA) qui insiste sur la Consultation pluridisciplinaire ; la sixième est un blog de patiente consacré à la fibromyalgie (ICI) ; et cetera, et cetera.
Ainsi, constatant la carence des médecins traitants et des structures hospitalières, des anesthésistes, les spécialistes de la douleur, des psychiatres, les spécialistes de la perception de la douleur, et les physiatres (le mot existe en québécois, pas en français gaulois), les spécialistes de la manipulation des corps, ont recréé ce qui existait déjà, à savoir le spécialiste de la médecine globale, le médecin généraliste et des centres multidisciplinaires qui ne sont en fait que des mini hôpitaux. 
C'est ce qui s'est passé à propos de l'Alzheimer où des Cliniques de la mémoire ont été créées par des neurologues et des néo spécialistes, les gériatres, dont la fonction est, aussi, de diagnostiquer, d'évaluer et, surtout, de prescrire des anti Alzheimer pour la plus grande gloire de Big Pharma (n'oublions pas que la neurologie a longtemps été négligée par Big Pharma en raison du faible nombre de molécules "efficaces" chères ; mais l'explosion des anti-épileptiques de ixième génération, dont gabapentine et prégabaline, sans compter ceux que l'on utilise dans la migraine (topiramate) avec des résultats dramatiques. On a vu récemment que la prise en charge des patients dits Alzheimer par les cliniques de la mémoire n'était pas meilleure que la prise en charge par des médecins généralistes, en France (ICI) comme aux Pays-Bas (LA), ce qui donne à réfléchir sur la disparition programmée de la médecine générale, les centres anti douleurs comme les Cliniques de mémoire coûtant une fortune par rapport aux prises en charge en médecine générale.

En gros, quand un médecin généraliste est confronté à des douleurs chroniques, quand il a tout essayé, il adresse le patient à un centre anti-douleurs où il est pris en charge et il ressort de là avec du Lyrica de chez Pfizer qui, dans l'immense majorité des cas a déjà été prescrit par le médecin traitant, mais mal, je présume.
Car le Lyrica est un vedette de l'algologie, pas seulement des douleurs neuropathiques, de l'algologie en général : pourquoi ne pas l'essayer ?
Si vous recherchez prégabaline ou pregabalin sur Google et sans préciser respectivement fraude ou fraud, vous aurez du mal à trouver des informations sur la fraude académique massive qui a conduit à l'établissement des traitements de pfizer, gabapentine et prégabaline dans la trousse des médecins.
Si vous voulez vous faire une idée précise de cette fraude qui a été révélée à propos des essais cliniques menés par Scott Reuben pour Pfizer, le meilleur article en français sur la question se trouve sur Pharmacritiques (ICI). Il est révélateur.
Pour résumer notre propos : douleurs chroniques suivies par le médecin traitant ; courrier pour un centre anti douleur ; trois mois pour obtenir un rendez-vous ; trois-quart d'heure de consultation dans les bons cas ; du Lyrica prescrit. Et retour à l'envoyeur. Je ne vous ai pas parlé du stimulateur externe. 
Ah, j'ai oublié de vous parler des effets indésirables du Lyrica. Vous lirez ce qu'en racontent les Canadiens : LA.
Donc, les médecins et autres professionnels de santé qui travaillent dans les centres anti douleur, sont des personnes admirables. Comment dire autrement de gens qui se penchent sur la douleur que tous les autres, le vulgum pecus, ne savent pas appréhender ? Mais ils devraient se rendre compte qu'ils sont au fond d'une nasse et que c'est Pfizer et autres qui les y maintiennent. 



Post scriptum : Je ne dis surtout pas qu'il faille respecter la douleur, qu'il ne faut pas la combattre, qu'il ne faut pas prendre en charge les patients qui souffrent, je dis simplement que le marché de la douleur n'est pas un vain mot, qu'il représente beaucoup d'argent, beaucoup d'effets indésirables, notamment pour les opiacés qui tuent plus aux Etats-Unis que les drogues illicites, en France on ne sait pas, en France on ne sait jamais, et que certains produits, plus chers que d'autres, n'ont pas vraiment fait la preuve de leur efficacité et, dans certains cas, au prix de fraudes massives sur les essais cliniques. Pour combattre la douleur, cause mondiale, on réinvente l'eau chaude mais à des prix défiant toute concurrence.



Définitions
(1) Le centre anti douleur est un établissement médical où sont reçu les patients souffrants de douleur chronique. Ces établissement ont pour objectif d'évaluer et de mettre en place des traitements antalgiques spécialisés et d'autres protocoles pour diminuer la douleur ressentie par le patient. Ces centres anti douleur ont l'avantage de proposer des consultations pluridisciplinaires pour une prise en charge globale du patient et de sa douleur. Ces consultations anti-douleur se trouvent en général dans les hopitaux et sont réalisées par des médecins algologues (spécialiste du traitement de la douleur).
(2) Leur vocation est d’évaluer et de traiter des patients souffrant de douleur chronique, mais aussi de faire de la recherche et de diffuser les nouvelles connaissances sur la douleur. Les centres anti-douleur sont par définitions pluridisciplinaires et comportent de nombreux spécialistes et professionnels : neurologues, neuro-chirurgiens, anesthésistes, rhumatologues, psychologues, psychiatres, infirmières, kinésithérapeutes, assistantes sociales... Les malades relevant des consultations anti-douleur souffrent de douleurs persistantes rebelles aux traitements habituels et sont adressés sur demande médicale.

jeudi 26 janvier 2012

Zéro douleur. L'antalgie aux EU et le patient cancéreux. Histoire de consultation 112.


L'avant-dernier numéro du NEJM traite du soulagement de la douleur aux Etats-Unis d'Amérique (ICI). J'y apprends des choses étonnantes. D'après cet article 116 millions d'Américains souffrent de façon chronique (de quelques semaines à quelques années) sans compter les enfants, les adultes en institution, en prison ou à l'armée. Les dépenses sont assumées à 560 à 635 milliards de dollars par an, soit plus que toutes les dépenses consacrées au cancer, aux maladies cardiovasculaires et au diabète réunies ! Les auteurs, qui ne déclarent pas de conflits d'intérêt, appartiennent à l'IOM qui vient de publier un rapport sur la question (Institute of Medicine. Relieving pain in America: a blueprint for transforming prevention, care, education, and research. Washington, DC: The National Academies Press, 2011.) Et la conclusion de ces auteurs est que le problème de la douleur est négligé aux EU !
Je répète toujours la même chose : en médecine, les malades les moins graves sont le plus souvent traités par excès et de façon inadaptée (HTA, cholestérol) et les malades les plus à risques sont sur traités ou sous traités de façon inadéquate (dans la maladie asthmatique, c'en est caricatural).
Le propos des auteurs de l'article est ambigu : ils citent les extrêmes, les médecins qui négligent la douleur parce qu'ils ont peur d'utiliser des produits potentiellement addictogènes ou qui pourraient conduire à enfreindre la loi, et les médecins qui délivrent des opiacés larga manu... ; ils font le bla bla habituel sur la non éducation des étudiants, la non formation continue des médecins, la nécessaire éducation thérapeutique de la population ; mais aussi ils diffusent les 9 principes qui ont guidé le Comité dont ils sont les co présidents, les 9 bons principes, évidemment.
Je vous rappelle qu'Une Société Sans Douleur est devenue un des leitmotivs de la norme officielle sociétale. J'en ai déjà parlé LA et LA en parlant du paradigme d'un monde indolent et anhédonique. Personne ne doit plus souffrir. Depuis les foetus (avec une dissociation cognitive ou une division de la conscience sur la question de l'IVG) jusqu'aux mourants dans les Unités de Soins Palliatif. Je ne ferai pas de détour par Illich comme ICI qui soulignait la valeur anthropologique de la douleur et de la souffrance, et de la mort.
Et ainsi l'idéologie du bien être éternel en ce bas monde se complaît-elle avec celle de la médicalisation et de la marchandisation du corps humain qui va de pair avec les profits industriels. On note dans cet article "moral" que la cible privilégiée des débusqueurs de la douleur, ce sont les personnes âgées. Mon expérience interne est celle-ci : chez les personnes âgées le rapport bénéfices / risques des antalgiques est souvent rapidement négatif en raison des effets indésirables neuropsychiques (somnolence, désorientation, coprescriptions dangereuses) mais la pression de la famille est souvent très forte car la persistance des douleurs signe l'incompétence du médecin dans l'esprit des gens qui regardent les émissions sur la santé à la télévision... 
Je tire de cet article un effarement non forcé et, encore une fois, de la béatitude devant le triomphe des bons sentiments : la douleur peut être soulagée en utilisant les bons médicaments et les bonnes procédures (nursing, kinésithérapie, habitat, ...) prescrits ou pratiquées par de bons médecins et de bons professionnels de santé (ceux qui savent parler aux malades) qui ont été bien formés par de bons pédagogues, pour des malades éduqués et au courant et dans une société apaisée par l'éducation des masses...

Monsieur A, 79 ans, il s'agit de l'histoire de consultation 112, a un cancer métastasé qui le fait, finalement, peu souffrir jusqu'à présent mais en prenant des antalgiques désormais de palier 3. Je le vois hier chez lui et il est tout content de me dire qu'il a été reçu par son oncologue et par le spécialiste de la douleur (l'hôpital devient humain...). Dialogue : "Vous avez mal ? demande l'algologue - J'ai encore quelques douleurs mais c'est supportable. - Mais ce n'est pas bien, mon objectif est que vous n'ayez plus mal du tout !" 
Le patient me raconte qu'il a été surpris : il ne demandait rien de plus. Cela lui suffisait. 
Je pensais en moi-même que l'algologue ne serait pas là quand Monsieur A sera en fin de vie à domicile et que son médecin traitant ne pourra enlever de la tête du malade et de celles des membres de sa familles qu'il est possible de ne pas souffrir du tout...

jeudi 4 août 2011

Paracétamol : les Etats-Uniens n'en font-ils pas (un peu) trop ?


La firme Johnson & Johnson qui commercialise le Tylenol Extra Fort (1000 mg par comprimé d'acétaminophène (merci les commentateurs, heureusement que je ne me modère pas, confondre paracétamol et chloraminophène...), (alias paracétamol en dci) annonce que le conditionnement va désormais être limité à 6 g par boîte au lieu de 8 g et qu'un nouveau libellé apparaîtra dans les boîtes cet automne pour limiter les surdosages.
La firme annonce également qu'elle conseillera en 2012 une dose maximale de 3 g par jour de paracétamol pour se conformer aux instructions formulées en 2009 par un groupe de travail de la FDA (ICI) en raison des risques d'atteintes hépatiques.

Plusieurs interrogations :
  1. Pourquoi la firme Johnson et Johnson a-t-elle mis autant de temps à se conformer aux recommandations de ce groupe de travail même si l'on sait que la FDA n'avait pas repris les recommandations à son compte ?
  2. S'agit-il d'une opération marketing pour permettre le lancement d'une nouvelle molécule ou d'une nouvelle association de molécules nouvelles ou anciennes, plus chères et moins éprouvées sur le plan du rapport bénéfices / risques ?
  3. S'agit-il d'une simple crainte de procès ?
Toujours est-il que le paracétamol a entraîné aux EU 153 décès en 2008 dont 30 non intentionnels.

Faut-il donc que les citoyens lambda qui se suicident au paracétamol dictent leur loi aux citoyens qui ne mésusent pas le paracétamol ou qui sont au courant des doses à ne pas dépasser ?
Et que l'on ne vienne pas nous parler du principe de précaution en médecine puisque le principe de précaution ne peut s'appliquer que lorsque l'on ne sait pas, pas lorsque l'on sait. Rappelons le bel aphorisme de Jean-Pierre Dupuy : le principe de précaution ne peut s'appliquer à lui-même.

Il serait étonnant que plusieurs dizaines de molécules n'aient pas entraîné plus de 153 morts aux EU d'Amérique en 2008.

(Paracétamol en 3D : source wikipedia)

jeudi 27 janvier 2011

INDOLENCE ET ANHEDONISME : UNE SOCIETE IDEALE ?

Francis Bacon (1909 - 1992)

La conscience moderne a décidé ceci : Tu ne souffriras plus.
Cette injonction est moralement inattaquable, éthiquement indispensable et bonsensément évidente.
Il est donc nécessaire que le corps médical et ses associés paramédicaux se mobilisent pour atteindre cet idéal : la Société a une conscience universelle qui s'applique à tous les membres du corps social sans exception, c'est cela la démocratie que tout le monde nous envie.
Cet idéal est bien entendu incontestable : qui oserait s'avancer sur la voie étroite et semée de mauvais sentiments que serait l'ébauche de l'esquisse d'une acceptation de la souffrance physique et morale ?
J'essaierai de m'y risquer.
Par où commencer ?
Il n'est pas contestable que la douleur doit être "traitée" quand il est possible de le faire, c'est à dire la faire disparaître ou l'atténuer.
Il est probable que la France a mis un certain temps à comprendre que les enfants souffraient, que les personnes en fin de vie souffraient et qu'il était possible, sinon souhaitable, de leur prescrire des antalgiques adaptés, dont des opiacés et des morphiniques, malgré le risque théorique et réel de dépendance, ce qui, pour une personne très âgée semble à la fois dérisoire et sans objet. Mais maintenant que le corps médical a compris, ou a fait semblant de comprendre, l'intérêt de la prise en charge de la douleur, il n'est plus possible d'entrer dans un service hospitalier sans qu'un soignant ne vous tende une réglette EVA (échelle visuelle analogique) qui transforme en un clin d'oeil un malade souffrant de douleurs en un chiffre compris entre 0 et 10.
L'indolence physique a un prix. Les antalgiques sont susceptibles d'entraîner des effets indésirables qui peuvent avoir des conséquences néfastes quand ils perturbent la vigilance, des conducteurs ou des personnes âgées (fractures du col du fémur), et aussi quand ils conduisent à l'addiction. Mais ils sont aussi potentiellement responsables de lésions hépatiques ou de dépendance et d'accidents de coprescriptions.
Les antalgiques, pain killers en anglais, sont donc de plus en plus prescrits, sont de plus en plus vendus au dessus du comptoir (c'est à dire sans ordonnance), car personne ne supporte plus de souffrir. Cette attirance pour l'indolence est même devenue un droit : la vie humaine ne doit plus souffrir de souffrances. On en arrive à parler de la disparition de l'autonomie quand le chiffre de l'EVA devient préoccupant.
Il y a donc un marché. Et un marché quasiment infini à l'échelle de la mondialisation. De nouvelles classes de médicaments apparaissent car la douleur prend des masques complexes. Les douleurs neuropathiques sont à la mode, par exemple. Mais les "nouvelles" maladies qu'il faut traiter avec de "nouveaux" médicaments naissent aussi de la baisse des coûts des antalgiques traditionnels, produits anciens tombés dans le domaine public. Traiter une douleur avec de la prégabaline est plus rentable que de la traiter avec du paracétamol. Je ne dis pas que les douleurs neuropathiques... Je dis que la possibilité de traiter toutes les douleurs avec la prégabaline est ouverte.
Un monde sans douleur, voilà le but à atteindre. La douleur, cette ennemie, a permis, outre le développement des centres anti douleurs qui sont, après avoir été la propriété des anesthésistes, devenus celle des psychologues et, désormais, sans vergogne, celle de la pregabaline déjà citée et des stimulateurs externes. Point n'est besoin d'adresser des patients dans ces centres, sinon pour se débarrasser de patients qui ne savent pas ne pas souffrir, car ils en ressortent avec une ordonnance identique.
Un monde sans douleur dans lequel est née la fibromyalgie. J'en ai déjà parlé ici. La fibromyalgie est un cas d'école de la lutte anti douleur car tous les ingrédients de la maladie à la mode sont réunis ; gageons même que telle l'hystérie de Charcot, la fibromyalgie des fibromyalgologues disparaîtra un jour de sa même mort. Les ingrédients : la fabrication de la maladie, les hypothèses étiopathogéniques les plus farfelues comme les plus sérieuses, des débats titanesques et, au bout du compte, des ordonnances à rallonge, "symptomatiques", et des malades qui continuent de souffrir.
Un monde sans douleur et un monde, presque, sans mort. La mort dans la dignité signifie, aussi, mourir sans douleur. Les services de soins palliatifs arrivent ! Les médecins curés, imams ou rabbins sont aux manettes mais pour exercer une sorte de sainteté laïque qui consiste à rendre la fin de vie indolore et acceptable.
Et quand la médecine échoue, c'est ce que disent les partisans de la fin de vie définitive, il faut transformer les médecins en prescripteurs passifs de l'euthanasie. Et les médecins qui émettent des doutes, pas les médecins non laïques, ceux qui refusent d'abréger la vie humaine au nom de la religion, ceux-là sont des anti modernes avérés, non, les médecins qui se demandent pourquoi on fait appel à eux, en fin de vie, pour donner l'extrême-onction scientifique, alors qu'il devrait s'agir d'une affaire privée...
Car la perte d'autonomie, nouvelle notion moderne et non critiquable, la modernité est une notion per se, une notion naturelle qui n'a besoin d'aucune justification morale, conduit elle-aussi à l'euthanasie. A partir du moment où l'individu perd son autonomie il n'est plus "vivable", il ne correspond plus à l'idéal de la vie complète de l'homme (ou de la femme) moderne.
Mais la douleur morale est aussi à combattre. Qu'il s'agisse de la banale anxiété qui peut aller jusqu'à l'anxiété pathologique, qu'il s'agisse des phobies qui empêchent de vivre, qu'il s'agisse de la dépression réactionnelle ou de la bipolarité. L'humanité souffrante n'a plus le droit de souffrir moralement. Chaque "maladie" psychique est étudiée, testée, et pour chacune identifiée un ou des médicaments sont utilisables.
Vous perdez vos clés ? Une cellule psychologique est convoquée. Un enfant tombe d'un toboggan dans une école maternelle le samu psychique est exigé par le parents d'élèves. Votre petite amie vous plaque, il faut un IRS pour vous soulager. Vous avez la phobie des pots de fleurs ? Un autre IRS est à votre disposition. Vous êtes fibromyalgique ? Un antidépresseur qui agit sur le seuil de la douleur peut aussi vous être prescrit. Car le fibromyalgique, s'il souffre, ne veut pas qu'on dise qu'il souffre de sa tête, sa maladie est ORGANIQUE, alors, il prend quand même des antidépresseurs, non pour traiter sa dépression mais pour traiter sa douleur...
Combien de malades sous Prozac sont anhédoniques, c'est à dire incapables de ne plus rien éprouver, ni en bien ni en mal, combien de malades sous antidépresseurs se sentent ailleurs dans cette bulle de bien-être, une bulle de bien-être qu'à cause du Prozac ils ne peuvent même plus apprécier... Ils regrettent la "vraie" vie quand ils pleuraient lors d'un décès de l'un de leur proche, ils regrettent la "vraie" vie quand un sourire les faisait sourire.
Et il n'est pas de jours où des médecins, des associations de malades, ne s'insurgent contre le sous-diagnostic des dépressions, pas un jour où l'on n'entend de braves gens s'insurger contre la souffrance des dépressifs, des anxieux, des phobiques, ne parlons pas des schizophrènes et autres psychotiques : la maladie mentale est négligée en France.
Un monde sans douleurs, un monde où les gens ne souffrent pas, ne souffrent plus, ne souffriront pas, un monde dans lequel l'humanité non souffrante ne s'acceptera plus en tant qu'humanité mais en tant qu'humanoïdes froids et aneuronaux.
Et ainsi, dans ce monde si bien décrit par Illich (voir ici), les gens qui oseront dire le contraire seront, encore, traités de réactionnaires, de partisans du vieux monde, de vieillards lubriques répétant à l'envi "Tu accoucheras dans la douleur."
Souffrons donc de ne pas participer à l'enthousiasme général, au combat contre l'algie, sorte de divinité maléfique, cessons de nous rappeler notre spleen, cessons de le vivre notre spleen, arrêtons de chanter le blues, d'écouter le blues, de nous complaire dans la mélancolie, soyons positifs, beaux, forts et compétents, voire compétitifs, soyons malheureux de devoir être heureux, des hommes sans douleurs et sans passions.

lundi 27 décembre 2010

TRAMADOL : UNE MOLECULE QUI ME FAIT PEUR

Tête de la douleur (Auguste Rodin - circa 1900)

Le retrait du dextroproxyphène (DXP) et, plus particulièrement, des produits contenant du paracétamol associé (DXP/PC), annoncé comme une victoire du bon sens contre le mal prescrire, et pour lequel l'AFSSAPS n'était pas chaude (voir infra), va conduire, n'en doutons pas, ou plutôt, si, doutons-en puisque comme d'habitude les médecins ne vont rien déclarer du tout, à une explosion des événements indésirables liés à la prescription de tramadol.
Nous en avons déjà parlé ici et .
Je rappelle donc que l'AFSSAPS, dans un document datant du 25 juin 2009, avait fait une mise au point sur le nombre comparé d'événements indésirables rapportés pour le paracétamol-codéine, le DXP et le tramadol. Vous allez dire que je ne cite l'AFSSAPS que lorsqu'elle va dans mon sens, ce qui n'est pas tout à fait faux, mais une partie du texte :
En 2006, une nouvelle enquête menée auprès du réseau national des centres antipoison a comparé les risques liés au surdosage des médicaments antalgiques de pallier II (DXP, tramadol, codéine). Les données recueillies suggéraient que la codéine présente une toxicité moindre au cours des intoxications observées. En revanche, la toxicité du tramadol était supérieure à celle de l’association DXP/PC et de la codéine, en termes de décès consécutifs à des polyintoxications, comme en termes de convulsions et de complications respiratoires et cardiovasculaires. Dans ces conditions, l’Afssaps avait considéré que ces données ne justifiaient pas de mesures de restriction ou de remise en cause de l’usage du DXP. Cependant, elle a estimé nécessaire de poursuivre la surveillance des risques d’intoxication aigue pour l’ensemble des antalgiques de pallier II.
J'avais, dans ce blog, exprimé à plusieurs reprises mon inquiétude concernant la quantité (et, accessoirement, la qualité) des événements indésirables liés possiblement au tramadol et constatés par moi tant au niveau de ma patientèle vue au cabinet qu'au décours d'hospitalisations ou de passages aux urgences de cette même patientèle. Le recueil systématique des événements indésirables durant l'année 2010 me conduit aux mêmes conclusions (je publierai les chiffres complets ultérieurement).
Ainsi l'AFSSAPS, contrainte et forcée par l'EMEA (l'Agence européenne) et en raison de décès dus à des intoxications volontaires, notamment en Suède et en Grande-Bretagne, (respectivement 200 décès pour 9 millions d'habitants et 300 à 400 pour 60 millions d'habitants), ce qui, on le remarque est ENORME par rapport aux 500 à 1000 morts en 30 ans attribués au Mediator pendant toutes ses années de commercialisation, s'est rendue aux arguments impératifs de l'Europe et a publié un document (ici) faisant le point de l'utilisation des antalgiques en médecine et proposant des "solutions" avant et après le retrait du DXP associé au paracétamol.
C'est clair comme du jus de chique !
C'est un festival d'hypocrisie comme on en a rarement lu.
C'est un festival de "Les choses nous échappent, feignons de les avoir organisées."
C'est un florilège de langue de bois, non pas une langue propagandiste ou idéologique au sens politique du terme, mais une langue administrative coupée de son objet, étrangère à son propos, c'est à dire informer les médecins sur ce qu'il convient de faire alors que les millions de boîtes de médicaments contenant du DXP vont être retirées du marché.
Il est à noter, en particulier, qu'aucun chiffre n'est publié, aucune donnée disponible sur le nombre d'événements indésirables rapportés au nombre de prescriptions n'est mentionné, alors que dans le document que j'ai cité plus haut l'AFSSAPS y faisait référence et de façon comparative.
C'est pourquoi le tramadol m'inquiète.
Au vu de mon expérience interne il va se produire une explosion d'événements indésirables liés au tramadol et il eût été prudent de rappeler quelques précautions d'emploi, notamment chez les personnes âgées et a fortiori en cas de co-prescriptions avec des psychotropes (voir ici).
Je ne suis ni nostalgique, ni négationniste (en prétendant qu'il n'y aurait pas ou peu d'événements indésirables avec le DXP, et mon expérience interne, encore une fois, m'indique que la majorité des événements indésirables concerne la dépendance, notamment des personnes âgées, à l'égard du DXP), ni contestataire (anti Européen ?), mais :
a) je m'inquiète des transferts de prescription du DXP/PC vers le tramadol, le PC/codéine, les anti-épileptiques, voire les dérivés morphiniques... sans compter l'augmentation prévisible des doses de paracétamol dont l'innocuité ne paraît pas aussi évidente que cela (voir ici et ) ;
b) je me pose des questions sur le traitement de la douleur en médecine générale, du traitement de la douleur dans la société en général, des questions qui ne me semblent pas solvables dans les dogmes que je vais rappeler ici. Ainsi, à l'occasion de ce retrait, pourquoi ne pas nous interroger sur nos croyances, nos certitudes et nos agissements. En ces périodes de médiatisation du Mediator et des "C'est pas moi, c'est l'autre...", des "Je suis propre comme un sou neuf...", "Prescrire du Mediator ? Moi ? Jamais !...", pourquoi ne pas faire le point sur nos pratiques et sur les moyens de les rendre responsables ?
Quel est l'Etat de l'Art ? La douleur est insupportable. Il n'est pas possible, au vingt-et-unième siècle, de laisser souffrir des êtres humains. Et surtout des enfants. La douleur non annihilée est le résidu de nos croyances judéo-chrétiennes dans le style "Tu enfanteras dans la douleur." (A ce sujet j'ai un exemple très révélateur des croyances modernes, mais je le développerai une autre fois : la douleur des IVG médicamenteuses, chapitre nié par les bien-pensants). Les médecins qui laissent quelqu'un souffrir sont des monstres.
Il y a donc les antalgiques de palier I. De palier II. Et les morphiniques. Et les coanalgésiques. Encore que les antalgiques de palier II puissent être assimilés aux morphiniques. Voir ici.
Ainsi, le médecin généraliste, placé devant un malade qui souffre et qui a déjà consommé paracetamol, ibuprofène et / ou DXP/PC, se doit, selon les critères sociétaux admis par la majorité des Français, supprimer la douleur.
Car, n'en doutons pas, le fait que dans tous les pays du monde développé les antalgiques (appelés dans les pays anglo-saxons du charmant nom de pain-killers) soient non seulement les médicaments les plus prescrits (en nombre de boîtes vendues) mais parmi les plus générateurs d'événements indésirables, rend compte de l'exigence de la société à ne plus souffrir et à ne plus connaître les affres du désagrément de la douleur. C'est pourquoi nos consultations sont remplies de patients pas même malades qui veulent consommer des antalgiques pour ne pas souffrir une seconde, qui veulent consommer des antalgiques pour ne pas souffrir une minute, qui veulent consommer des antalgiques pour ne pas souffrir une heure, qui veulent consommer des anxiolytiques pour ne pas souffrir moralement, qui veulent consommer des antidépresseurs pour ne pas souffrir psychiquement, qui veulent consommer des hypnotiques pour ne pas être insomniaques, qui veulent consommer des hypnotiques pour pouvoir dormir, et, sans nul doute, ils ont raison de leur point de vue, ils ont raison de participer à l'idéologie du Bonheur sur la terre, l'idéologie du droit au bonheur, du droit au désir, du droit au bien-être, un droit qui est réciproquement un devoir pour les soignants, un devoir sacré, puisque des moyens modernes existent, puisque des molécules existent, puisque la chimie peut venir au secours de l'humaine condition...
La disparition de la douleur fait partie des rêves millénaires de l'humanité et la science est là pour y pourvoir.
La souffrance est une erreur, un mal, une expression de la malignité du monde. Le mal est parmi nous : délivrons- nous en !
Que l'on ne s'étonne pas ensuite que les tueurs de douleurs (les pain-killers) deviennent des armes à double tranchant, non seulement pourvoyeuses d'événements indésirables (mais que ne ferait-on pas quand quelqu'un souffre ? On ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs...) mais aussi de suicides puisque la suppression complète de la douleur, cela s'appelle aussi la mort. D'un côté la promesse d'un monde sans douleur, que l'on pourrait appeler un monde indolent ou un monde de l'anhédonisme, de l'autre la réalité d'un monde souffrant (faim dans le monde, guerres, catastrophes naturelles) sur lequel aucun pain-killer n'est capable d'agir.

Ainsi, le médecin généraliste et le médecin en général, confrontés à la douleur culpabilisante de son patient qui exige d'être soulagé de tous ses maux, exigence faite de l'association "citoyenne" du devoir du médecin et du droit du malade, se doit de prescrire : après le paracétamol, il a l'exigence du choix entre le paracétamol / codéine et le tramadol seul ou associé au paracétamol. Puis on entre dans le domaine des antiépileptiques, des anxiolytiques, des antidépresseurs et des morphiniques. On le voit, la fameuse et antique séparation entre le corps et l'esprit vole en éclats quand il s'agit de soulager l'humanité souffrante : la périphérie et le centre se mélangent, l'âme et le corps, il n'y a plus de limites à l'intrusion de la médecine dans le corps des hommes, le tramadol et / ou la codéine sont des analgésiques opioïdes, selon la nomenclature, ils agissent en haut et en bas et au milieu, l'autonomie de la douleur est livrée à l'hétéronomie de la chimie.
Mais arrêtons de faire de la philosophie à deux sous. Le pacte de Faust avec le Diable ne se fait plus au nom de l'Eternité mais au nom de l'Indolence.
Arrivons au point essentiel : le transfert des prescriptions de dextropropoxyfène (DXP) vers le paracétamol, le paracétamol-codéine et, surtout, le tramadol, et surtout les autres opioïdo-morphiniques va faire exploser les courbes de vente des centres de Pharmacovigilance !
Il est donc urgent de demander aux médecins de réfléchir lorsqu'ils prescrivent des tueurs de douleur et qu'ils exposent à leurs patients les dangers potentiels de ces prescriptions.
Donc, mes amis, faites comme moi : ne déclarez rien. En ne déclarant rien vous ne risquerez pas de vous faire piquer par la patrouille, vous éviterez les procès, vous éviterez les crises de foi, les insomnies culpabilisantes, et jamais un Centre Régional de Pharmacovigilance ne se plaindra de ne jamais recevoir de déclarations spontanées... A moins que la petite affaire du Mediator (500 à 1000 morts en 30 ans) ne donne enfin du travail à notre Pharmacovigilance Nationale. Et des crédits. Et de l'innovation. Et de l'intelligence.

DERNIERE NOUVELLE : J'avais oublié un communiqué de la FDA de mai 2010 qui est très inquiétant : voir ici.


vendredi 17 décembre 2010

TRAMADOL : UNE MOLECULE QUI ME FAIT PEUR

Tête de la douleur (Auguste Rodin - circa 1900)

Le retrait du dextroproxyphène (DXP) et, plus particulièrement, des produits contenant du paracétamol associé (DXP/PC), annoncé comme une victoire du bon sens contre le mal prescrire, et pour lequel l'AFSSAPS n'était pas chaude (voir infra), va conduire, n'en doutons pas, ou plutôt, si, doutons-en puisque comme d'habitude les médecins ne vont rien déclarer du tout, à une explosion des événements indésirables liés à la prescription de tramadol.
Nous en avons déjà parlé ici et .
Je rappelle donc que l'AFSSAPS, dans un document datant du 25 juin 2009, avait fait une mise au point sur le nombre comparé d'événements indésirables rapportés pour le paracétamol-codéine, le DXP et le tramadol. Vous allez dire que je ne cite l'AFSSAPS que lorsqu'elle va dans mon sens, ce qui n'est pas tout à fait faux, mais une partie du texte :
En 2006, une nouvelle enquête menée auprès du réseau national des centres antipoison a comparé les risques liés au surdosage des médicaments antalgiques de pallier II (DXP, tramadol, codéine). Les données recueillies suggéraient que la codéine présente une toxicité moindre au cours des intoxications observées. En revanche, la toxicité du tramadol était supérieure à celle de l’association DXP/PC et de la codéine, en termes de décès consécutifs à des polyintoxications, comme en termes de convulsions et de complications respiratoires et cardiovasculaires. Dans ces conditions, l’Afssaps avait considéré que ces données ne justifiaient pas de mesures de restriction ou de remise en cause de l’usage du DXP. Cependant, elle a estimé nécessaire de poursuivre la surveillance des risques d’intoxication aigue pour l’ensemble des antalgiques de pallier II.
J'avais, dans ce blog, exprimé à plusieurs reprises mon inquiétude concernant la quantité (et, accessoirement, la qualité) des événements indésirables liés possiblement au tramadol et constatés par moi tant au niveau de ma patientèle vue au cabinet qu'au décours d'hospitalisations ou de passages aux urgences de cette même patientèle. Le recueil systématique des événements indésirables durant l'année 2010 me conduit aux mêmes conclusions (je publierai les chiffres complets ultérieurement).
Ainsi l'AFSSAPS, contrainte et forcée par l'EMEA (l'Agence européenne) et en raison de décès dus à des intoxications volontaires, notamment en Suède et en Grande-Bretagne, (respectivement 200 décès pour 9 millions d'habitants et 300 à 400 pour 60 millions d'habitants), ce qui, on le remarque est ENORME par rapport aux 500 à 1000 morts en 30 ans attribués au Mediator pendant toutes ses années de commercialisation, s'est rendue aux arguments impératifs de l'Europe et a publié un document (ici) faisant le point de l'utilisation des antalgiques en médecine et proposant des "solutions" avant et après le retrait du DXP associé au paracétamol.
C'est clair comme du jus de chique !
C'est un festival d'hypocrisie comme on en a rarement lu.
C'est un festival de "Les choses nous échappent, feignons de les avoir organisées."
C'est un florilège de langue de bois, non pas une langue propagandiste ou idéologique au sens politique du terme, mais une langue administrative coupée de son objet, étrangère à son propos, c'est à dire informer les médecins sur ce qu'il convient de faire alors que les millions de boîtes de médicaments contenant du DXP vont être retirées du marché.
Il est à noter, en particulier, qu'aucun chiffre n'est publié, aucune donnée disponible sur le nombre d'événements indésirables rapportés au nombre de prescriptions n'est mentionné, alors que dans le document que j'ai cité plus haut l'AFSSAPS y faisait référence et de façon comparative.
C'est pourquoi le tramadol m'inquiète.
Au vu de mon expérience interne il va se produire une explosion d'événements indésirables liés au tramadol et il eût été prudent de rappeler quelques précautions d'emploi, notamment chez les personnes âgées et a fortiori en cas de co-prescriptions avec des psychotropes (voir ici).
Je ne suis ni nostalgique, ni négationniste (en prétendant qu'il n'y aurait pas ou peu d'événements indésirables avec le DXP, et mon expérience interne, encore une fois, m'indique que la majorité des événements indésirables concerne la dépendance, notamment des personnes âgées, à l'égard du DXP), ni contestataire (anti Européen ?), mais :
a) je m'inquiète des transferts de prescription du DXP/PC vers le tramadol, le DXP/codéine, les anti-épileptiques, voire les dérivés morphiniques... sans compter l'augmentation prévisible des doses de paracétamol dont l'innocuité ne paraît pas aussi évidente que cela (voir ici et ) ;
b) je me pose des questions sur le traitement de la douleur en médecine générale, du traitement de la douleur dans la société en général, des questions qui ne me semblent pas solvables dans les dogmes que je vais rappeler ici. Ainsi, à l'occasion de ce retrait, pourquoi ne pas nous interroger sur nos croyances, nos certitudes et nos agissements. En ces périodes de médiatisation du Mediator et des "C'est pas moi, c'est l'autre...", des "Je suis propre comme un sou neuf...", "Prescrire du Mediator ? Moi ? Jamais !...", pourquoi ne pas faire le point sur nos pratiques et sur les moyens de les rendre responsables ?
Quel est l'Etat de l'Art ? La douleur est insupportable. Il n'est pas possible, au vingt-et-unième siècle, de laisser souffrir des êtres humains. Et surtout des enfants. La douleur non annihilée est le résidu de nos croyances judéo-chrétiennes dans le style "Tu enfanteras dans la douleur." (A ce sujet j'ai un exemple très révélateur des croyances modernes, mais je le développerai une autre fois : la douleur des IVG médicamenteuses, chapitre nié par les bien-pensants). Les médecins qui laissent quelqu'un souffrir sont des monstres.
Il y a donc les antalgiques de palier I. De palier II. Et les morphiniques. Et les coanalgésiques. Encore que les antalgiques de palier II puissent être assimilés aux morphiniques. Voir ici.
Ainsi, le médecin généraliste, placé devant un malade qui souffre et qui a déjà consommé paracetamol, ibuprofène et / ou DXP/PC, se doit, selon les critères sociétaux admis par la majorité des Français, supprimer la douleur.
Car, n'en doutons pas, le fait que dans tous les pays du monde développé les antalgiques (appelés dans les pays anglo-saxons du charmant nom de pain-killers) soient non seulement les médicaments les plus prescrits (en nombre de boîtes vendues) mais parmi les plus générateurs d'événements indésirables, rend compte de l'exigence de la société à ne plus souffrir et à ne plus connaître les affres du désagrément de la douleur. C'est pourquoi nos consultations sont remplies de patients pas même malades qui veulent consommer des antalgiques pour ne pas souffrir une seconde, qui veulent consommer des antalgiques pour ne pas souffrir une minute, qui veulent consommer des antalgiques pour ne pas souffrir une heure, qui veulent consommer des anxiolytiques pour ne pas souffrir moralement, qui veulent consommer des antidépresseurs pour ne pas souffrir psychiquement, qui veulent consommer des hypnotiques pour ne pas être insomniaques, qui veulent consommer des hypnotiques pour pouvoir dormir, et, sans nul doute, ils ont raison de leur point de vue, ils ont raison de participer à l'idéologie du Bonheur sur la terre, l'idéologie du droit au bonheur, du droit au désir, du droit au bien-être, un droit qui est réciproquement un devoir pour les soignants, un devoir sacré, puisque des moyens modernes existent, puisque des molécules existent, puisque la chimie peut venir au secours de l'humaine condition...
La disparition de la douleur fait partie des rêves millénaires de l'humanité et la science est là pour y pourvoir.
La souffrance est une erreur, un mal, une expression de la malignité du monde. Le mal est parmi nous : délivrons- nous en !
Que l'on ne s'étonne pas ensuite que les tueurs de douleurs (les pain-killers) deviennent des armes à double tranchant, non seulement pourvoyeuses d'événements indésirables (mais que ne ferait-on pas quand quelqu'un souffre ? On ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs...) mais aussi de suicides puisque la suppression complète de la douleur, cela s'appelle aussi la mort. D'un côté la promesse d'un monde sans douleur, que l'on pourrait appeler un monde indolent ou un monde de l'anhédonisme, de l'autre la réalité d'un monde souffrant (faim dans le monde, guerres, catastrophes naturelles) sur lequel aucun pain-killer n'est capable d'agir.

Ainsi, le médecin généraliste et le médecin en général, confrontés à la douleur culpabilisante de son patient qui exige d'être soulagé de tous ses maux, exigence faite de l'association "citoyenne" du devoir du médecin et du droit du malade, se doit de prescrire : après le paracétamol, il a l'exigence du choix entre le paracétamol / codéine et le tramadol seul ou associé au paracétamol. Puis on entre dans le domaine des antiépileptiques, des anxiolytiques, des antidépresseurs et des morphiniques. On le voit, la fameuse et antique séparation entre le corps et l'esprit vole en éclats quand il s'agit de soulager l'humanité souffrante : la périphérie et le centre se mélangent, l'âme et le corps, il n'y a plus de limites à l'intrusion de la médecine dans le corps des hommes, le tramadol et / ou la codéine sont des analgésiques opioïdes, selon la nomenclature, ils agissent en haut et en bas et au milieu, l'autonomie de la douleur est livrée à l'hétéronomie de la chimie.
Mais arrêtons de faire de la philosophie à deux sous. Le pacte de Faust avec le Diable ne se fait plus au nom de l'Eternité mais au nom de l'Indolence.
Arrivons au point essentiel : le transfert des prescriptions de dextropropoxyfène (DXP) vers le paracétamol, le paracétamol-codéine et, surtout, le tramadol, et surtout les autres opioïdo-morphiniques va faire exploser les courbes de vente des centres de Pharmacovigilance !
Il est donc urgent de demander aux médecins de réfléchir lorsqu'ils prescrivent des tueurs de douleur et qu'ils exposent à leurs patients les dangers potentiels de ces prescriptions.
Donc, mes amis, faites comme moi : ne déclarez rien. En ne déclarant rien vous ne risquerez pas de vous faire piquer par la patrouille, vous éviterez les procès, vous éviterez les crises de foi, les insomnies culpabilisantes, et jamais un Centre Régional de Pharmacovigilance ne se plaindra de ne jamais recevoir de déclarations spontanées... A moins que la petite affaire du Mediator (500 à 1000 morts en 30 ans) ne donne enfin du travail à notre Pharmacovigilance Nationale. Et des crédits. Et de l'innovation. Et de l'intelligence.