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mardi 29 octobre 2013

Les circuits inutiles de l'Assurance Maladie. Histoire de consultations 156.


Madame A, 59 ans, est titulaire de l'AME mais sur le point d'obtenir la CMU (elle en a fait la demande).
Je la connais depuis quatre ans.
Elle habite chez son fils à Mantes.
Elle travaille comme femme de chambre au black sur Paris et elle habite aussi chez son cousin dans le quartier Saint-Lazare.
Elle est traitée par mes soins pour une (petite) hypertension par enalapril 20 mg et sa PA est mesurée (par mes soins) à 130 / 90.
Elle a reçu une convocation de l'Assurance Maladie pour un examen périodique de santé (voir ICI et LA pour ce que j'ai déjà publié à ce sujet ; en gros : c'est inefficace, cela coûte cher, et la CNAM a privatisé).
Elle vient me voir avec le rapport de l'IPC. Elle est inquiète. En vrac : les vaccinations ne sont pas à jour, il existe une hypertension non contrôlée (PA = 180 / 95), l'ECG montre des troubles de la repolarisation qui nécessiteraient une consultation chez le cardiologue et elle présente des troubles de la vision.
J'ai lu le rapport d'un oeil distrait.
La PA est ce jour identique : 130 / 85. Je n'entends pas se souffle. L'ECG me paraît normalissime.
Elle repart.
Je la revois hier.
Elle me rapporte les rapports de l'examen cardiologique et de la consultation faits au Centre Médical Europe (il semblerait qu'il y eût des connexions entre l'IPC et le CME). L'échographie cardiaque est normale de chez normale. La PA a encore été mesurée à 175 / 95. Le deuxième cardiologue a prescrit de l'exforge (5 / 80) pour trois mois.
La PA est à 130 / 80. Comme d'habitude.
J'oubliais : les vaccinations sont à jour.
Autre chose : elle est allée "voir", cela s'appelle les maisons de santé (!), l'ophtalmologue qui avait le cabinet d'à côté dans le CME. Elle a une prescription de lunettes. La patiente : "C'est cher : 360 euros et je dois payer 160 de ma poche. Cela attendra. Je ne peux pas payer. Je vais demander à mon fils."
Au moment de la fin de la consultation la malade me dit, incidemment, que ses jambes ont gonflé.
Bon : on résume : la patiente qui n'avait rien demandé (mais qui avait accepté car les courriers de la CNAM foutent la trouille au vulgum pecus) a été inquiétée pour rien ; elle a eu droit à des examens inutiles ; on lui a changé son traitement anti hypertenseur ; on est passé d'un IEC génériqué (inhibiteur de l'enzyme de conversion) à une association inhibiteur calcique / sartan non génériquée (le ROSP ou P4P conseille et donne de l'argent si l'on prescrit plus d'IEC que de sartan) qui induit un effet indésirable connu (oedèmes des membres inférieurs) et inconnu de la patiente.
Encore un (petit) truc : le cardiologue avait prescrit pour trois mois une boîte de 90 et le pharmacien, pour des raisons que je vous laisse deviner, a prescrit une boîte de 30.
Au delà de toutes les considérations que chacun d'entre vous fera, on est en plein dans le dysfonctionnement du système. 
  1. Les examens périodiques de santé ne servent à rien et la CPAM, non seulement les préconise (c'est un texte de loi auquel elle doit se soumettre) mais l'externalise à des instituts privés.
  2. Les sociétés privées qui pratiquent les examens périodiques de santé sont de mèche avec des centres de santé privés (le rêve des médecins généralistes, me dit-on, où le patient est captif) qui pratiquent des examens qui s'avèrent inutiles et qui prescrivent des traitements qui sont plus chers  (dans une politique opposée à celle de la CNAM, P4P, et exposent à des effets indésirables.
  3. La patiente n'a toujours pas de lunettes.

No comments. 

Illustration : Georges Braque (1882 - 1963). Deux oiseaux sur fond bleu (1963)

jeudi 4 avril 2013

La CNAM, le médecin traitant, le spécialiste, Sophia, le CAPI, le ROSP et le bilan périodique de santé. Histoire de consultation 145.


J'ai fait une erreur.

Je n'aurais jamais dû accepter que Monsieur A, 43 ans, dont je suis le médecin traitant en titre (et pour lequel je touche 40 euro par an, on le verra plus loin, sans presque rien faire), et après que j'avais fait le diagnostic de diabète de type II, allât consulter un diabétologue.
J'avais oublié cette erreur jusqu'au jour où il est venu me revoir pour le diabète.
Monsieur A est gentil, calme, déterminé et de bonne foi.
Donc, il vient consulter sur rendez-vous et, après les civilités d'usage, après que HelloDoc eut daigné ouvrir le dossier de mon patient au bout de longues secondes d'angoisse, il me dit qu'il vient pour trois choses.

Déjà, le patient qui vient pour trois choses, me tape sur les nerfs a priori (ce qui est une réaction d'une grande idiotie, je le concède, mais qui me ramène à la notion de médecin généraliste qui peut -- et qui doit-- dans la même consultation faire le boulot d'un ou de trois, voire quatre, spécialistes non généralistes, voir ICI, pour la modique somme, en secteur 1, de 23 euro) et j'ai beau lui tendre le sourire le moins contraint que je connaisse dans ma panoplie de médecin généraliste empathique et soucieux de sa patientèle, un sourire contraint quand même qui cache un désamour certain, cela me rend dubitatif et légèrement sur mes gardes pour la suite de la consultation.

Les trois choses (et les trois rictus).
Il pose d'abord sur mon bureau le questionnaire Sophia en me disant, je cite, "J'ai accepté d'adhérer à Sophia, le suivi des diabétiques." Premier rictus.
Il pose ensuite l'enveloppe des résultats de son examen périodique de santé "Puisque c'est gratuit..." en me demandant de le regarder. Deuxième rictus.
Enfin, il a raté le rendez-vous avec le diabétologue et il veut que je lui refasse son ordonnance. Troisième rictus.

Tout baigne.
Mais ce n'est pas fini.
Je jette un regard distrait sur le questionnaire Sophia (pour le remplissage duquel mais je ne sais pas trop s'il s'agit d'un seul remplissage ou s'il faudra le faire plusieurs fois au cours d'une même année pour que je  reçoive la modeste somme de 2,5 C) et je vois d'une part que sont demandés des renseignements sur des analyses biologiques que je n'ai pas prescrites (et je ne dispose pas des résultats) et d'autre part que les items à remplir (sur papier glacé) m'ennuient au plus haut point. Mais le patient sophiaté a tout prévu : il a apporté ses prises de sang. Je me rends compte alors qu'il consulte "son" diabétologue une fois tous les six mois (il me le confirme) et que "son" diabétologue ne me fait jamais de courrier ("Ah bon, il ne vous envoie rien ?" Je confirme). Le dossier de "mon" patient indique qu'il n'est pas venu me voir depuis cinq mois (et pour une infection virale ORL qui n'aurait même pas dû faire l'objet d'une consultation et quand je lui ai posé des questions sur le diabète il m'a répondu "mais c'est le diabétologue..."). Donc, le patient me montre les résultats d'une HbA1C à 6 en février 2013, à 5,8 en août 2012 et à 6 en février 2012. Je pense au ROSP (Rémunérations sur Objectifs de Santé Publique*) qui est en train de me filer sous le nez comme un pet sur une toile cirée... Je rappelle ici que les grands experts de la CNAM ont décidé que pour "bien" suivre un patient diabétique de type 2 il fallait doser l'HbA1C (ou hémoglobine glyquée 3 à 4 fois par an), ce qui est du domaine de la pensée facile ou du bon sens bien pensant (même si Prescrire a dit que c'était acceptable...). Quant au LDL, dosé une fois, il est à 1,14.

C'est alors (cf. supra Mais ce n'est pas fini) que je lui demande s'il est d'accord pour que je lui mesure la pression artérielle (j'aurais dû dire : "Daignez-vous, cher patient dont je suis le médecin traitant et qui vous faites suivre à la sauvette par le bon spécialiste du diabète, que je vous prenne la tension ?") et il me dit "J'allais vous le demander" et il ajoute :"Lors de l'examen de santé, ils m'ont trouvé de la tension". Bon. Le patient a 170 / 90, ce qui est trop pour un diabétique de type II (selon les recommandations actuelles). Il ne m'a pas apporté le rapport complet de l'IPC, officine dont je vous ai déjà parlé ICI et LA, seulement les résultats de prises de sang, il a dû considérer que le reste était sans importance -- ce en quoi il aurait eu raison -- ou que son médecin traitant supposé n'était pas digne de les lire -- aurait-il tort ?, -- et je ne peux que le croire quand il m'affirme que la pression artérielle mesurée à cette occasion était à 16. Nous allons aviser...

Il y a donc les examens de l'IPC qu'il m'a apportés incomplets et qui, le médecin traitant n'ayant pas été consulté et l'examen de sang étant standard, ne comportent pas de dosage de l'HbA1C mais je lis une glycémie à jeun à 1,22... et un LDL à 1,23. Je survole le reste.

Puis il y a le renouvellement.

Cette consultation peut vous paraître foutraque mais c'est le lot de ces malades, de bonne foi, qui se baladent à droite et à gauche, c'est peut-être cela la collégialité involontaire, et qui vous déversent sur votre bureau, leur parcours de soins. Je ne vous parle pas des patients de mauvaise foi qui font la même chose en mentant, dissimulant et en tentant de vous prendre en défaut au cas où vous ne raconteriez pas la même chose que les spécialistes...

Je me rends compte, en lisant l'ordonnance du  diabétologue, que, pour une fois, le traitement que j'avais mis en route à l'origine, c'est à dire la metformine, a été conforté, qu'il n'a pas été prescrit autre chose et notamment les produits "innovants". Un miracle. 

Cette consultation appelle plusieurs observations (ne vous méprenez pas sur le côté docte de l'affaire) :
  1. Le médecin traitant que je suis s'est fait déposséder de son malade et a accepté. Mais c'est fini, il a demandé au patient de choisir.
  2. Sophia propose des questionnaires débiles qui n'aident pas le patient mais rendent la CNAM capable de faire des statistiques bidons (voir ICI)
  3. Ce patient parfaitement équilibré n'a pas besoin de trois ou quatre dosages d'HbA1C pour être bien équilibré et le ROSP tombe à côté de la plaque
  4. Les examens périodiques de santé sont une vaste rigolade, coûtent cher et n'apportent rien
  5. Les médecins qui ont touché pour le CAPI que j'avais refusé vont aussi toucher pour le ROSP que j'ai accepté (voir ICI) : c'est comme si, le même jour, on facturait une consultation deux fois
  6. Mais surtout : l'administration française a construit un édifice bancale, un mille-feuilles de décisions, de règlements, d'objectifs qui s'entremêlent et qui n'ont aucune visibilité (me voilà en train d'utiliser les termes du marketing managerial) et qui font le génie de notre fonction publique : "mon" patient diabétique dont je suis le médecin traitant me "rapportera" : le prix d' au moins 4 consultations par an (4 x 23 = 92 euro) (mais je peux faire du "à la revoyure", la rémunération Sophia (2,5 C = 57,5 euro), la rémunération ALD (40 euro), la consultation IPC (23 euro) plus la rémunération ROSP (inconnue), plus, pour les ex médecins CAPI la rémunération CAPI (inconnue).

L'expérience du NICE anglais ou, plus précisément, du Quality and Outcomes framework (ICI) a montré que les sommes englouties ne servaient à rien en termes de Santé Publique (LA) mais remplissaient les poches de médecins qui, par ailleurs, ne faisaient que du remplissage et négligeaient ce qui était hors du QoF.
On comprend que certains syndicats appuient la démarche ROSP puisque c'est la seule façon, le tarif de la consultation étant bloqué, d'augmenter les honoraires des médecins...
Mais c'est quand même du bricolage à la petite semaine...
(crédit photographique : ICI)


* ROSP : je ne veux pas paraphraser Cornelius Castoriadis qui disait, à propos de la défunte URSS : 4 initiales, 4 mots, 4 mensonges, parce que ce n'est pas tout à fait vrai : je vais quand même toucher de l'argent si HelloDoc fonctionne ; mais les dits objectifs de Santé Publique (une expression bien ronflante) sont sans intérêt... pour la santé Publique (voir ICI pour le CAPI, antichambre des ROSP)

samedi 24 décembre 2011

Nouvelle convention médicale : pourquoi, contre toute logique, j'accepte la prime à la performance conventionnelle.



Les délais sont courts. Pour rejeter le paiement à la performance (PAP) il faut se déclarer avant le 26 décembre.
Les débats sont passionnés. Il y a en gros, trois types de médecins : les contre, les pour et les j'm'en fous. Pour mettre tout le monde à l'aise, je fais partie du dernier groupe, les j'm'en fous. J'ai commencé par les contre car ce sont ceux qui font le plus de bruits et qui sont les plus véhéments. Vous pouvez vous faire une idée de leurs arguments en consultant le site de Dominique Dupagne (ICI). Vous avez les pour qui, dans l'ensemble, réagissent au contre. Vous pourrez voir leurs arguments, notamment sur le site de Borée où vous lirez avec profit les commentaires (LA et ICI). Mais il est évident qu'il s'agit d'une sélection.


J'accepterai donc la convention telle quelle.

Ayant été dès l'origine opposé au CAPI individuel (voir ICI) non pour des raisons idéologiques (perte de ma liberté) mais pour des raisons politiques (la façon dont les indicateurs ont été choisis de façon unilatérale et sans concertation par Messieurs Van Roekeghem et Allemand) et scientifiques (la validité interne catastrophique de nombre de ces indicateurs que j'ai analysée en détail ICI et bien qu'ils aient légèrement changé dans la nouvelle mouture), je n'ai pas l'impression de me renier, mais j'ai compris que mon opposition ne pouvait être entendue. Dès le début de cette affaire j'avais conseillé aux médecins de prendre, à l'instar de Woody Allen, l'oseille et de se tirer (Take the money and run). Je ne désignerai pas car 1) j'en ai assez de me battre contre des moulins à vent ; 2) je continuerai ma réflexion sur la validité interne et externe des indicateurs ; 3) je "profiterai" du système pour le critiquer de l'intérieur (ce dont les deux lascars sus cités se moquent comme d'une guigne) et je continuerai de m'opposer aux PAPistes qui se font des illusions et sur les indicateurs, et sur la Santé Publique et sur la prétendue forfaitisation.

Historique du PAP dans le monde du management
Le paiement à la performance ou payment for performance (P4P) n'est pas une invention française, on s'en serait douté dans un pays où les agences gouvernementales ne se préoccupent même pas de médico-économie sauf sur un coin de table ou dans une discussion de couloir. Le PAP pour les médecins est une déclinaison libérale ou néo libérale (cela dépend où l'on situe le curseur) de la méritocratie pécuniaire des salariés et des employés dans le cadre de l'entreprise capitaliste (nous ne parlerons donc pas ici des autres régimes qui appartiennent pour la plupart au passé). On appelle cela aussi les primes et, quand on veut faire chic et moins trivial, de l'incentive, c'est à dire la motivation. 
Ce procédé est très connu dans les firmes. Je suis toujours fasciné, les extrêmement rares fois où je pénètre dans un établissement Mc Donald (je suis pour la fermeture de ces établissements pour des raisons de santé publique, LOL), par l'affichage du nom et de la photographie de L'employé du Mois... Prenons un exemple dans l'industrie pharmaceutique : Big Pharma donne (on me dit donnait) des primes aux 10 ou 20 % des visiteurs médicaux qui vendent beaucoup de boîtes d'un médicament (motivation aux résultats) et / ou dont la progression des ventes est de 10 à 20 % par rapport à l'état de départ (motivation à l'effort). C'est une façon pour le patron de récompenser les travailleurs selon les critères qu'il a décrétés mais aussi une façon de valoriser la politique définie par la direction (avec des arguments aussi fallacieux que : si tous les travailleurs avaient travaillé comme les 20 % les meilleurs on vendrait globalement plus de boîtes ; hors, c'est impossible : la courbe des ventes individuelles de chaque vendeur obéit à une loi normale gaussienne) et de culpabiliser les moins vendeurs qui auraient pu faire mieux. Remplacez le mot vendeur par le mot médecin, pour voir.. Cela signifierait que si tous les médecins prescrivaient aussi peu que les 20 % de médecins qui prescrivent peu... Mais la logique manageriale va encore plus loin : elle fait non seulement croire aux vendeurs ou aux salariés que ce sont les 20 % de meilleurs qui tirent l'entreprise vers le haut mais aussi que ces 20 % sont meilleurs en général, par rapport aux autres entreprises. Or c'est faux. Car la vente des produits de la société X ne se détermine pas par la qualité de ses vendeurs mais par rapport à la qualité de la politique générale marketing de la société. Je m'explique : si la société X vend 100 000 boîtes de biduleprazole avec 100 visiteurs médicaux, cela veut dire que chaque VM vend en moyenne 1000 boîtes ; si la société Y vend 10 000 boîtes de trucmucheprazole chaque VM Y vend en moyenne 100 boîtes. Ainsi, le meilleur VM Y qui vendrait   150 boîtes (+ 50 %) vendrait toujours moins de boîtes que le pire VM X vendant 500 boîtes (- 50 %). Vous remplacez politique générale de la société X par politique de Santé Publique de l'Etat et vous comprenez que les gesticulations d'un tel ou d'un tel dans son coin ne peuvent rien changer au fait que la mortalité dans le pays X est significativement inférieure à celle du pays Y.

Les spécialistes du management savent également que les effets de l'incentive dans sa version primes et avantages en nature (voyages, bons d'achat) s'épuisent très rapidement dans le temps, que ce sont toujours les mêmes qui sont primés, les plus malins, ceux qui savent s'adapter au système, ceux qui sont les plus intéressés par l'argent, ceux qui savent profiter et, qu'au bout du compte, cela ne fait pas augmenter les ventes, sauf à court terme, ce qui est bon pour les dirigeants quand il faut décider de leurs propres primes mais pas forcément bon pour la courbe de vie des produits et, ici, les indicateurs de Santé Publique.
Le PAP est de la poudre aux yeux. C'est tout simplement un moyen de diviser les médecins, de valoriser ceux qui sont situés à droite de la courbe de Gauss et de dénigrer ceux qui sont à gauche de cette même courbe, le marais, au centre de la courbe étant finalement le déterminant majeur, déterminé par la politique générale de la Nation, la qualité de l'enseignement de la médecine, les moyens accordés pour la pratiquer de façon adéquate et non déterminé par les comportements sociétaux de la population en termes d'hygiène publique, de responsabilisation des conduites et des pratiques. La politique générale de la Nation, c'est, pour un certain nombre d'indicateurs contenus dans le PAP, par exemple, diminuer la quantité de sel dans les plats cuisinés et / ou dans les boissons sucrées ; interdire la publicité pour les aliments salés et sucrés à destination des enfants aux heures où les enfants regardent la télévision... Mais c'est trop demander à l'Etat qui doit gérer le taux de chômage dans les trusts agro-alimentaires et la rentabilité des Fonds de Pension pour conserver le Triple A.
Le PAP est une politique d'affichage. Et c'est une politique dangereuse. D'une part elle fait croire qu'il est possible d'améliorer la Santé Publique en se conformant à des indicateurs (l'expérience du QOF anglais a montré le contraire), d'autre part elle entraîne une réaction des consommateurs de santé contre les médecins puisqu'ils lisent dans la presse grand public qu'ils faisaient mal leur travail et que, d'autre part, en le faisant bien ou mieux (ce qui devrait être un pré requis moral) ils peuvent toucher (on ne dit pas le pourcentage de ceux qui toucheront le jackpot) jusqu'à 11 000 euro et en période de crise !
Le PAP est une politique dangereuse. Les exemples étrangers ont montré que les performers médicaux regardaient le bout du doigt (les indicateurs) des Payeurs montrant la Santé Publique et pas la Santé Publique elle-même : voir ICI le rapport de L'IGAS de juin 2008 consacré aux expériences étrangères. On peut analyser les conséquences inattendues du PAP comme les a montrées le rapport de l'IGAS consacré au PAP "Rémunération à la performance dans le contexte français" de juillet 2008 (ICI) : exclusion des patients les plus à risques ; fragmentation des soins entre différents acteurs ; aggravation des inégalités ; impact négatif sur la vie des professionnels ; augmentation de la prescription des médicaments (1). Mais surtout le PAP conforte les médecins dans l'idée qu'ils sont les promoteurs de l'amélioration de la Santé Publique, ce qui, on l'a vu, est totalement illusoire quand les politiques de Santé Publique sont contreproductives.
Le PAP à la française a été préparé (bricolé) à la française, c'est à dire que la CNAMTS ne s'est pas donné les moyens (à partir de la page 12 dans le rapport de l'IGAS de juillet 2008 : 10 principes fondamentaux) pour analyser la situation avant, pour se doter d'outils fiables et consensuels pour  autoriser des comparaisons avant / après ; n'a pas fait d'étude de faisabilité ; a omis la phase d'éducation au processus et y compris d'acceptabilité ; et cetera, et cetera (voir le texte extrêmement précis que j'ai cité) et a donc lancé l'affaire à la va-vite.
Sans faire de misérabilisme et rapporter que je travaille depuis plus de 32 ans dans le Val Fourré, je retiendrai également que l'IGAS a souligné qu'il fallait "réduire les inégalités en modulant l'incitation selon la population considérée (critères socio-économiques et géographiques)". Disons qu'au Val Fourré où la population immigrée est très importante -- plus de 50 %-- une très grande majorité des femmes de plus de 50 ans sont analphabètes, ce qui, pour les courriers de relance, cancer du sein, ou pour les incitations à utiliser des médicaments génériques... est particulièrement "motivant"). Par ailleurs, les délais d'attente pour obtenir des rendez-vous, les éventuels dépassements d'honoraires, la diversité de choix des professionnels à impliquer, sont de forts facteurs limitants à l'amélioration des performances. Gageons que ce système de primes incitera les jeunes médecins à s'installer dans les zones où les primes seront faciles à obtenir...

Que reste-t-il du PAP conventionnel après tout ce que je viens de dire ?
Pas grand chose. Et encore n'ai-je pas dit que le P4P à l'américaine, s'il se développait dans certaines HMO, s'arrête pour manque de résultats dans le cas du Kayser Institute.
Et encore n'ai-ja pas parlé des résultats catastrophiques obtenus en république d'Irlande en termes se simple suivi des recommandations (LA).
Et encore n'ai-je pas dit que le QOF anglais venait de retirer des critères qui sont inclus dans notre PAP (ICI) (2).
Et encore n'ai-je pas parlé des critiques acerbes de certains commentateurs comme Des Spence dans le BMJ sur la culture des indicateurs (ICI).
Et dire que je n'ai pas encore parlé du volet financier (mais cela va venir).
Et dire que je n'ai pas encore parlé des indicateurs eux-mêmes et que je ne vais pas en parler car j'en ai assez de me battre contre l'évidence (LA) (3).
Et dire que je n'ai pas encore parlé des données de la CNAMTS qui sont, pour le moins, fantaisistes, et je refuse de passer du temps à tenter de contrôler, pour quelques euros, la concordance des comptes entre mon Payeur et mes fichiers  (4).
Et dire que, contrairement aux désignataires, je n'ai pas parlé de morale ou d'éthique (je laisse aux spécialistes de la question de lire les millions de thèses qui ont été consacrées à ce sujet).

Parlons du volet financier.
Il faut d'abord signaler que l'argument de forfaitisation de l'activité est peu acceptable.
Rappelons que dans le système NICE - QOF le P4P peut rapporter jusqu'à 20 à 30 % des revenus dans des pays où il y a inscription sur une list size qui rapporte déjà de l'argent.
Je ne sais pas ce qui va rapporter le plus : l'atteinte des objectifs (primes aux résultats) ou le pourcentage d'amélioration (primes à l'effort).
Osons dire aussi que plus la patientèle est importante, et notamment pour les indicateurs, et plus il est possible de gagner de l'argent. Ce qui n'est franchement pas un critère de qualité. Je signale ici que 1) j'ai plus de 1200 patients qui m'ont choisi comme médecin traitant ; b) que j'ai exactement 104 patients diabétiques de type II ; c) que le cabinet médical est ouvert toute l'année, non compris le dimanche, que je suis associé avec un médecin quatre/cinquième de temps, qu'il y a une secrétaire à plein temps, qu'il y a une femme de ménage, que je vois, bon an mal an, plus de 7000 patients en une année d'exercice (dont dix semaines de vacances pendant lesquelles je suis remplacé), que je pourrais toucher, d'après mes calculs, entre 5 et 7000 euros par an d'honoraires supplémentaires, soit relativement à mon CA total, y compris les honoraires rétrocédés, entre 2,9 et 4,1 % de mes honoraires. Pourquoi le docdu16 se décarcasserait pour des indicateurs, pour certains inutiles, pour d'autres inopérants, pour d'autres encore, dangereux ?...

Il reste l'incitation informatique. Quatre cent points sur 1300 sont des points liés à l'organisation informatique du cabinet : 400 points faciles à obtenir (soit 400 x 7 = 2800 euro). Personnellement, nous devons avec mon associée, débourser 375 euro en plus (mise à niveau du logiciel Hellodoc) + un abonnement mensuel à Vidal Expert (21 euro pour deux) + la venue d'un technicien sur site pour mettre le réseau en marche (mais on me dit qu'il est possible de le faire par téléphone avec le technicien de la hot line pour 95 euro HT) ; il faut ajouter cela aux frais de fonctionnement liés à Hellodoc et à la télétransmission (réseau RSS). Cela paraît jouable.

Donc, foin d'arguments moraux : je reste dans la convention, je constate les anomalies, je publie contre les indicateurs bidon et je ramasse un peu d'argent.




Notes
(1les domaines qui ont été choisis, par le NICE dans le cadre du QOF, comme les maladies cardiovasculaires, le diabète, la santé mentale et les affections respiratoires sont dominées par les médicaments. Depuis le début du contrat les prescriptions ont globalement augmenté : 40 % de plus dans le diabète (240 millions d'euro en plus) ; + 90 % pour les inhibiteurs de l'angiotensine 2 (+ 68 millions de livres) ; tiotropium : + 100 % (+ 30 M livres) ; ezetimibe (+ 400 %, + 15 M livres). La prescription des statines a doublé bien que l'on sache leur inefficacité en prévention primaire.
(2Et donc, pour l'an prochain, un certain nombre de critères vont être enlevés comme le décrit un article du BMJ car ils paraissent peu discriminants et peu contributifs : mesures de la pression artérielle (insuffisance coronarienne, diabète, AVC ou AIT), prises de sang pour mesurer l'HbA1C (diabète), cholestérolémie totale (diabète) ou créatininémie (diabète, patients traités par lithium), fonction thyroïdienne (patients traités par lithium, hypothyroïdisme).
(3) Sans oublier les Prescrirolâtres qui on trouvé des arguments positifs dans l'analyse que Prescrire a faite du CAPI ancienne formule et dont je vous résume, au 5 décembre, les avis : Prescrire a considéré que 7 items sur 16 étaient cohérents sans restriction (cotation 1) (43,8 %) ; 3 items acceptables mais incomplets (cotation 2) (18,7 %), soit 10 items sur 16 (62,5%) utiles ; à l'inverse 2 items étaient considérés comme hors sujet sur le thème choisi (cotation 3) et 4 items incohérents (cotation 4), soit au total 37,5 %.
(4) Voici quelques exemples choisis dans mes propres chiffres qui montrent des variations pour le moins surprenantes et qui ne peuvent, à mon sens, être expliquées par un changement de mes pratiques (ou alors inconscient, ce qui serait une confirmation / infirmation des arguments de DD et ses amis) : Part de vos patients diabétiques  ayant eu 3 ou 4 dosages de l'HbA1C dans l'année : juin 2010 = 55 % et juin 2011 = 27,9 % ;  Part de vos patients diabétiques ayant eu une consultation d'ophtalmologie ou un examen au FO dans les deux dernières années : juin 2009 = 42,9 % ; juin 2010 = 30,5 % ; juin 2011 = 41,3 %...
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