mardi 29 octobre 2013

Les circuits inutiles de l'Assurance Maladie. Histoire de consultations 156.


Madame A, 59 ans, est titulaire de l'AME mais sur le point d'obtenir la CMU (elle en a fait la demande).
Je la connais depuis quatre ans.
Elle habite chez son fils à Mantes.
Elle travaille comme femme de chambre au black sur Paris et elle habite aussi chez son cousin dans le quartier Saint-Lazare.
Elle est traitée par mes soins pour une (petite) hypertension par enalapril 20 mg et sa PA est mesurée (par mes soins) à 130 / 90.
Elle a reçu une convocation de l'Assurance Maladie pour un examen périodique de santé (voir ICI et LA pour ce que j'ai déjà publié à ce sujet ; en gros : c'est inefficace, cela coûte cher, et la CNAM a privatisé).
Elle vient me voir avec le rapport de l'IPC. Elle est inquiète. En vrac : les vaccinations ne sont pas à jour, il existe une hypertension non contrôlée (PA = 180 / 95), l'ECG montre des troubles de la repolarisation qui nécessiteraient une consultation chez le cardiologue et elle présente des troubles de la vision.
J'ai lu le rapport d'un oeil distrait.
La PA est ce jour identique : 130 / 85. Je n'entends pas se souffle. L'ECG me paraît normalissime.
Elle repart.
Je la revois hier.
Elle me rapporte les rapports de l'examen cardiologique et de la consultation faits au Centre Médical Europe (il semblerait qu'il y eût des connexions entre l'IPC et le CME). L'échographie cardiaque est normale de chez normale. La PA a encore été mesurée à 175 / 95. Le deuxième cardiologue a prescrit de l'exforge (5 / 80) pour trois mois.
La PA est à 130 / 80. Comme d'habitude.
J'oubliais : les vaccinations sont à jour.
Autre chose : elle est allée "voir", cela s'appelle les maisons de santé (!), l'ophtalmologue qui avait le cabinet d'à côté dans le CME. Elle a une prescription de lunettes. La patiente : "C'est cher : 360 euros et je dois payer 160 de ma poche. Cela attendra. Je ne peux pas payer. Je vais demander à mon fils."
Au moment de la fin de la consultation la malade me dit, incidemment, que ses jambes ont gonflé.
Bon : on résume : la patiente qui n'avait rien demandé (mais qui avait accepté car les courriers de la CNAM foutent la trouille au vulgum pecus) a été inquiétée pour rien ; elle a eu droit à des examens inutiles ; on lui a changé son traitement anti hypertenseur ; on est passé d'un IEC génériqué (inhibiteur de l'enzyme de conversion) à une association inhibiteur calcique / sartan non génériquée (le ROSP ou P4P conseille et donne de l'argent si l'on prescrit plus d'IEC que de sartan) qui induit un effet indésirable connu (oedèmes des membres inférieurs) et inconnu de la patiente.
Encore un (petit) truc : le cardiologue avait prescrit pour trois mois une boîte de 90 et le pharmacien, pour des raisons que je vous laisse deviner, a prescrit une boîte de 30.
Au delà de toutes les considérations que chacun d'entre vous fera, on est en plein dans le dysfonctionnement du système. 
  1. Les examens périodiques de santé ne servent à rien et la CPAM, non seulement les préconise (c'est un texte de loi auquel elle doit se soumettre) mais l'externalise à des instituts privés.
  2. Les sociétés privées qui pratiquent les examens périodiques de santé sont de mèche avec des centres de santé privés (le rêve des médecins généralistes, me dit-on, où le patient est captif) qui pratiquent des examens qui s'avèrent inutiles et qui prescrivent des traitements qui sont plus chers  (dans une politique opposée à celle de la CNAM, P4P, et exposent à des effets indésirables.
  3. La patiente n'a toujours pas de lunettes.

No comments. 

Illustration : Georges Braque (1882 - 1963). Deux oiseaux sur fond bleu (1963)

17 commentaires:

Ynnaf a dit…

Dans le cabinet de pneumologie où je travaille, il est régulier que des patients téléphonent paniqués car ils ont fait un examen spirométrique au centre de santé et il est mauvais.

Avec le temps, j'ai fini par leur dire avec une certaine lassitude qu'ils ne doivent pas s'inquiéter.

En effet, ces examens sont inutiles. Demandés par la sécu on ne sait pas pourquoi. Et surtout, ils sont fait par des personnes incompétentes car TOUS les examens montrent un déficit ventilatoire, parfois plutôt sévère.

Des patients donc paniqués à qui je dis de ne pas s'inquiéter car quand ils feront l'examen ici il sera sûrement normal. Jusqu'à présent, ça a été le cas à chaque fois.

Ils font donc un examen au centre de santé qui se révèle mauvais et ils doivent (sur demande de la sécu) consulter un pneumologue pour rien au final car l'examen fait correctement est normal...

CMT a dit…

A JCG
Ton histoire illustre deux choses. PREMIEREMENT le démentalement systématique du service public,phénomène très généralisé bien qu'inavoué au nom d'une idéologie très fortement teintée de néolibéralisme qui pose comme principe que toute dépense effectuée par l'Etat pour le service public est obscène et insupportable mais devient vertueuse lorsque la même dépense est adjugée au privé par le biais, entre autres de la délégation de service http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9l%C3%A9gation_de_service_public.

Il existe d'innombrables exemples de cette délégation et examinés un par un ils montrent que de telles délégations aboutissent souvent à une aggravation des coûts pour l'Etat(donc le contribuable) et pourles consommateurs et à une dégradation du service.
Deux exemples récents: la délégation de tabac info service à une société privée vendant des produits pharmaceutiques http://www.lepoint.fr/sante/controverses-fumeuses-autour-de-tabac-info-service-17-07-2012-1486503_40.php mais aussi, hors domaine de la santé la délégation de la gestion de l'eau potable à Lyon http://www.lyoncapitale.fr/Journal/Lyon/Politique/Grand-lyon/Maintien-de-l-eau-de-Lyon-au-prive-Collomb-fait-exploser-le-front-de-gauche.

DEUXIEMEMENT l'effet paradoxal de la tentative de contrôle des dépenses de santé sur un mode purement comptable et sur des objectifs quantitatifs qui aboutit à l'effet inverse de celui affiché: augmentation des dépenses et surprescription.

Mais il s'agit en fait de deux aspects du même problème: peut on rendre le service public lucratif en le confiant à des sociétés privées?
Le problème c'est que ces deux notions sont antinomiques: le service public ne sert l'intérêt général que s'il conserve ses valeurs et ne cède pas à la logique du profit.

edouriez a dit…

Bonjour,
Vous ne précisez pas l'échelle de temps de cette histoire et si vous avez represcrit l'enalapril?
Concernant la taille du conditionnement, vous ne précisez pas si c'est une constante chez mon confrère. Si vous avez represcrit l'enalapril dans l'intervalle des 3 mois, le conditionnement 1 mois peut être une économie pour la sécu. Nous sommes régulièrement confrontés aux patients qui ne souhaitent pas revenir chercher le conditionnement de taille adaptée. A titre d'exemple, nous délivrons 3 boites par mois de ce produit, donc le stock est à 1 pour une boite de 90. 2 patients dans la même 1/2 journée et on ne peut pas fournir.
Merci pour la qualité de vos billets.
Cordialement,

JC GRANGE a dit…

@edouriez.
Le temps a été rapide.
Il restait environ 20 comprimés d'exforge dans la boîte.
J'ai represcrit enalapril (ou, plutôt, je n'ai rien prescrit puisqu'il y avait déjà une ordonnance que j'avais faite antérieurement.
Enfin, je comprends et l'intérêt de la cnam et du pharmacien mais pour les franchises, c'est le patient qui est en cause (y a-t-il franchise en cas d'AME ou de CMU ?).
Bonne journée.

Dr MG a dit…

Belle illustration de la médecine du 21 ème siècle où le "progrès" est à tous les étages :-((

Thomas a dit…

Merci pour ce billet. Je me permets de préciser quelque chose quand même. Je suis pharmacien. Salarié. Donc que je donne une montagne de trucs chers et inutiles à un patient ou rien du tout à part une tape sur l'épaule et un "buvez une tisane, couchez-vous et demain ça ira mieux", je gagne exactement la même chose. Pour poser le décor.

Il m'arrive souvent, à l'initiation d'un traitement surtout CV, de ne délivrer qu'un mois de traitement, au lieu de la boîte de 3 mois. Pour la simple raison que 1 fois sur 2, ça sera modifié dans les 2 semaines parce que mal supporté, insuffisant, ou que sais-je.

Peut-être qu'on est ici dans le même cas ? Après, si c'était sa pharmacie habituelle ou qu'il y avait un historique d'utilisation, là OK. Au passage je viens de voir l'avis de mon confrère plus haut et effectivement, la rupture provisoire sur le grand modèle nous arrive aussi de temps en temps.

Quant aux franchises, sans en être absolument certain, je dirais qu'il n'y en a pas en cas d'AME, mais que le patient les paie en cas de CMU.

Edit après vérification ; les bénéficiaires de la CMU et ceux de l'AME sont exonérés de franchise. C'est plutôt logique finalement.

Le reste de l'histoire est quand même édifiant. Je savais qu'il y avait des trucs douteux mais là, on marche sur la tête, comme dirait l'autre...

Merci pour vos billets !

Thomas a dit…

Je précise après relecture, j'ai bien compris que c'était un médicament déjà utilisé par la patiente et éprouvé, mais si, pour cette délivrance, elle était dans une pharmacie dépourvue de son historique, ils ont pu penser que le traitement était nouveau.

JC GRANGE a dit…

@Thomas
Je crois que vous avez raison : lors de l'initiation d'un traitement anti hypertenseur, prescrire pour un mois est raisonnable pour apprécier et la tolérance et l'efficacité. Vous avez donc soulevé un lièvre de plus.
Merci.

Anonyme a dit…

MGS1 : quand j'instaure ou change un anti-hypertenseur, je ne prescris JAMAIS pour 3 mois : c'est inepte ! Comme le disait un pharmacien plus haut, en cas d'inefficacité ou d'intolérance, on est fixés au bout d'un mois, et d'ailleurs en cas d'inefficacité, il vaut mieux revoir le patient dans ce délai plutôt que le laisser courir avec son HTA !
Ils font aussi des bilans sanguins redondants, qui ne sont pas donnés non plus....
Et ce genre de convocation (comme souvent la médecine du travail également) a pour effet systématique d'augmenter les chiffres tensionnels !

Oui, c'est un gaspillage éhonté et qui plus est une injure pour le médecin traitant qui est considéré comme incompétent.

Moralité : Les bilans sécu : direct poubelle.

zigmund a dit…

concernant la partie MG HTA cardio de ton billet je ne vais pas commenter globalement je partage ton opinion sur ce que je comprends
concernant la partie oph : le problème est "simple" si on le prend du point de vue "social" :
-soit la patiente a besoin de verres de vision de près seulement et on peut faire seulement des lunettes de vision de près sur 1 monture simple (voire si la correction est encore plus basique utiliser des lunettes dites de dépannage de +2.50 +3 en vente partout entre 5 et 15€)(il ne s'agit pas bien sûr de lui faire des lunettes au rabais mais de trouver une solution d'attente de jours meilleurs)
- soit elle a aussi besoin d'une vision de loin et SI ELLE RESSENT LA GENE on fait une ordonnance de progressifs(bifocaux non sauf exception) qui coûtent cher mais si elle ne conduit pas, si elle n'est pas génée devant la télé CA PEUT ATTENDRE et les ordonnances de lunettes ont une durée de vie de 3 ans(5 ans dernièrement mais c'est trop)donc on revient au cas précédent en attendant des "jours meilleurs"
Si la détermination des verres correcteurs me prend max 5 mn sur une patiente de ce type c'est l'explication, la discussion qui précède qui est chronophage, qui fait partie de notre métier et qui est souvent zappée.
Pour ce qui est de la pression intra oculaire ça n'a rien à voir avec l'HTA(sauf qu'en cas de glaucome chronique grave ou en cas de glaucome à pression normale il ne faut pas trop faire baisser la TA -minimum 13 c'est mieux pour le nerf optique) et les signes au fO qui trainent dans nos cours ne sont présents qu'en ca d'HTA grave ce qui n'empêche pas de les rechercher.
désolé d'avoir fait long bonne journée

JC GRANGE a dit…

@Merci Zigmund
Cela illustre encore mes insuffisances en ophtalmologie.
Merci.

Chantal a dit…

En Allemagne, selon mon expérience en tant que patient, les médecins (idme en ophtalmologie) prescrivent le petit modèle de médicament (N1). Si le résultat est celui attendu, alors le mod`le N2 ou N3 est préscrit. Dans ce pays, point de prescription pour un mois mais en grandeur d eboite: une seule boite par ordonnace du même produit ne peut être prescrit. POur par aler tous les 4 matins, pour le traitemnet en ophtalmologie, je me laisse prescrire la boite de 6 flacons (quand cela existe et j'ai pour 3 mois), sinon celui de 3 flacons (pour 6 semaines).

Le pharmacien gagne plus en vendant le plus souvent régulièrement la petite boite que la grande, car il touche un forfait par vente de boite (donc 3X1 flacon lui apporte plus que 1X3 flacons). Mais il comprend et m'aide à trouver le modèle adéquat, sympa non?

Pour y arriver et comprendre un peu le système, cela m#a pris des années. Parfois j'ai ras le bol, surtout que je dois me dérouiller entre caisse privé et caisse obligatoire d'assurance de maladie - encore deux monde différents.

Quand je croise un autre de se que je surnomme la "ligue des arthroses marcheurs", notre discours est identique la marche aide, les programme des assurances de maladies inutiles et un chien (compagnon, console, besoin de sortir quotidiennement d'où marcher régulièrement, etc) bien plus utile pour la santé que tout le reste (leur programme de "fitness" et se bouger, afin de diminuer les médicaments).

Je crois que le monde est complètement à l'envers. Pour votre patiente, je lui souhaite de pouvoir s'acheter es lunettes et surtout ne plus se laisser faire angoissé par ces centres (peut-être est-ce l'explication de la différence de mesure).

Bonne soirée à tous

Popper31 a dit…

cher JCG j'ai cru comprendre que tu es abonné au BMJ et je viens de voir passer l'abstract d'un article de Iona EATH intitulé : overdiagnosis : when good intentions meet vested interest, qui me semble bien en accord avec ce billet et pas mal d'autres de ce blog. Comme en plus il évoque les impératifs Popperiens oubliés qui me sont chers !!..Il est quand même vendu 30 euros... pour quelqu'un qui a du mal avec l'anglais, ce me semble un peu cher pour payer sans savoir de quoi il retourne , donc ton avis me serait précieux si il te tombe sous la main .Merci d'avance.

armance a dit…

Du même ordre, très récemment: un patient diabétique connu, à qui la CPAM a d'ailleurs accordé l'ALD, traité par diététique seule a une HbA1c à 6,5%, qui témoigne donc d'un équilibre de son diabète.
Il est a dressé suite à un bilan de sécu pour "anomalie de la glycémie": glycémie matinale à 1,30g/l.
La sécu dépiste donc une pathologie qui existe déjà chez le patient et qui est déjà prise en charge avec un résultat satisfaisant.

JC GRANGE a dit…

@Popper31 Il faut m'envoyer un mel...

Dr Bill a dit…

@docteur 16.
Ben ça alors !!!!!! Un billet sur une personne en ÂME qui va avoir la CMU et pas un seul commentaire à ce sujet .
Sans doute ceux qui lisent ce blog ont ils déjà compris l,importance de l'accès aux soins.
Sur le fond, les centres d'examen de santé peuvent malgré tout avoir une utilité pour des personnes en situation de précarité et de difficulté d'accès aux soins. Il s'agit alors d'une porte d'entrée qui va déboucher de toute façon par une consultation chez le généraliste.
Mais, hélas, ce sont qui en ont le moins besoin qui fréquentent ces centres !!!!!

JC GRANGE a dit…

@ drbill Je n'ai pas voulu alourdir mon propos.