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samedi 24 juin 2023

L'émergence d'une nouvelle classe de médicaments : les examens complémentaires.

Sous-marin parti pour exploser


Parler avec ses voisins, entendre des conversations à la boucherie à des heures honnêtes, écouter les doléances des citoyens à l'égard du système de soins, subir le narratif des personnes malades qui s'épanchent au square, dans une queue de supermarché ou en promenant leur chien (ils en profitent pour nous raconter leur dernière visite chez le vétérinaire), c'est tout autre chose que d'être en situation de consultation dans son bureau de médecin généraliste où il existe une certaine retenue de part et d'autre (enfin, pas toujours).

Quoi qu'il en soit je suis atterré par la façon dont le système de soins évolue, a évolué et continue de la faire. 

Il ne s'agit bien entendu ici ni d'une étude clinique (avec niveau de preuves tendant vers le zéro absolu, entre avis d'expert et bruit de chiottes dans un grand CHU parisien), ni d'une étude sociologique (avec entretiens d'indigènes du voisinage), ni d'une étude économique (avec en bruit de fond la défense du libéralisme et/ou le combat anti capitaliste), pas plus qu'un article d'une revue de défense des consommateurs ou d'un entrefilet dans le bulletin paroissial des malades du Lyme, de la flbromyalgie ou du Covid long réunis (on me dit dans l'oreillette qu'avec toutes les nouvelles maladie chroniques non guérissables il ne va pas rester grand monde en "bonne santé" dans ce monde hédoniste).

Voici quelques réflexions sur une semaine chargée en conversations de bistrot dans le monde réel de la vraie vie... 

Sans omettre que les propos des autres sont toujours entendus au Balto PMU (le summum de la ringardise et du mépris pour le peuple et pour les habitants des quartiers populaires) alors que les CSP +, eux, parlent derrière un Smokehead ou un cru classé, chez eux ou dans un restaurant à la mode (très cher et souvent sans goût) en racontant les mêmes idioties mais avec le vernis des intellectuels Bac + 6, 7, 8 qui sont branchés en permanence sur CNews.

Voici donc.

La voisine de cinquante ans qui obtient une IRM pour des lombalgies banales sans drapeaux rouges et qui est déjà "guérie" en s'y rendant (mais comme elle a pris rendez-vous, elle y va quand même, elle avait aussi la possibilité de poser un lapin sans prévenir, mais elle est polie, elle vient de recevoir un bon point et bientôt une image du syndicat des radiologues exigeant que les examens radiologiques manqués soient quand même facturés, et donc, elle honore son rendez-vous, donne en moins d'une minute sa carte vitale adossée à une mutuelle super sympa qui rembourse tout, la chambre individuelle, l'ostéopathie, le reiki et la stimulation du nerf vague en cas de covid long comme jadis le caisson hyperbare pour les acouphènes récalcitrants, elle joue à la bonne malade, on ne sait jamais, un cancer caché, de l'arthrose, une hernie discale, un canal lombaire étroit : comme son médecin traitant, décrit comme un super type qui a du caractère, ne l'a pas examinée, ne l'a même pas fait se déshabiller, elle n'était pas accompagnée de son chaperon, toutes les possibilités sont ouvertes, même les plus farfelues, même les maladies que le médecin qui n'examine pas quelqu'une qui présente des lombalgies connaît ou ne connaît pas, quelle importance...

Le mari (60 ans) d'une copine qui n'a pas fait d'examens sanguins depuis dix ans et dont la prescription est longue comme un discours de Fidel Castro (son record : 7 heures 15) et dont les conséquences sont identiques que ledit discours (on s'ennuie, on n'y comprend rien, on ne sait pas quoi en faire, on n'ose pas le critiquer et on sera reconvoqué pour la même chose dans quelque temps), le mari, donc, se retrouve avec deux constantes anormales et l'ordinateur du biologiste indique sur l'examen la nécessité de doser un autre "truc" qui, en jetant un oeil sur le net, renvoie à une maladie grave. Stresser les citoyens pas encore malades pour des maladies qu'ils n'ont pas encore est une nouvelle spécialité de la médecine moderne (et encore heureux que le potentiel diagnostic à la gomme ne soit pas déjà inscrit dans Mon espace santé, ex Dossier Médical Partagé, mais les voies du seigneur sont impénétrables et surtout celles de l'informatique gouvernementale).

La voisine qui change de monture de lunettes tous les ans parce que Dior c'est mieux que Balenciaga (il est évident qu'elle utilise d'autres arguments moins provocateurs) contribue à la vitalité des opticiens et des mutuelles dans le meilleur des mondes possible (une théodicée difficile à entendre dans l'univers de la santé en crise où dont tout le monde se plaint à coups de "C'est pas moi, c'est l'autre").

Une autre voisine bien versaillaise qui, sans antécédents particuliers, passe une mammographie plus échographie tous les ans depuis l'âge de quarante ans (elle en a 52) sans oublier un frottis annuel ("On ne sait jamais")... et qui trouve anormal qu'un médecin comme moi (c'est moi) ne sache pas que c'est elle qui est dans le droit, le droit à la santé sans doute, et le médecin, c'est moi, ferme sa goule : ah quoi bon raconter toujours la même chose sur les dépistages inutiles et dangereux qui ne diminuent pas la mortalité globale à une voisine qui, dans la vraie vie, est secrétaire administrative à La Poste, alors que la majorité des médecins et des médecines pensent encore, prenez votre respiration, ouvrez grandes vos oreilles, que 1) il vaut mieux prévenir que guérir (prévenir signifiant dépister dans leur cerveau de scientifique qui a fait dix ans d'études et plus), 2) le surdiagnostic n'existe pas (n'oublions pas que dans cette majorité de médecins, la majorité ne fait pas la différence entre diagnostic, surdiagnostic et faux positif), 3) les dépistages sauvent des vies... Donc, pourquoi s'épuiser à argumenter avec une profane alors que les sachants ne sachent pas ?

Invoquer le serment d'Hippocrate (dont je vous raconterai un jour les évolutions, les transformations, les différentes versions dans le courant de l'histoire de la médecine) parce que le médecin traitant de son mari n'a pas voulu le recevoir "en plus" et en urgence pour des douleurs du genou (droit) ne fait pas peur à cette personne et pas plus au spécialiste mondial de l'IRM du genou droit qui poussera des cris d'arthrose dans son dictaphone dernier cri et conseillera (en passant au-dessus du médecin traitant qui était de toute façon d'accord) de consulter un rhumatologue dont la sur spécialité, outre le genou droit, est l'injection intra articulaire de PRP avec un art consommé et sans faire mal (sauf au porte-monnaie) alors qu'aucune étude contrôlée n'a montré une quelconque efficacité de ce "traitement" sur la douleur et sur l'évolutivité des lésions. Mais la voisine du troisième prétend que le copain de la copine de l'amie du type qui a une mutuelle du feu de dieu (120 euros par mois) a été amélioré par les infiltrations du docteur X, chirurgien à Issy-Les-Moulineaux (la ville où il y plus de dentistes poseurs d'implants au centimètre carré que de crottes de chiens sur les trottoirs) court désormais comme un lapin.

Prescrire des PSA à un homme de 81 ans dont l'espérance de vie, compte tenu de ses problèmes cardiaques (propos recueillis sur un coin de gazon dans le jardin de mon immeuble - on dit résidence), est inférieure à 10 ans et lui coller des anti-androgènes et d'autres gracieusetés qui le mettent à plat et l'empêchent désormais de porter des sacs de terreau dans son jardin privatif, son plus grand plaisir étant jusqu'à présent de faire du jardinage...

Opérer un homme de 81 ans (je ne radote pas, ce n'est pas le même, les prostates des hommes de 81 ans -- l'espérance de vie des hommes de 81 ans est en constante augmentation selon les prostatologues et grâce à leurs bons soins-- sont une proie répandue dans l'agenda des urologues) pour un PSA à 7, des biopsies normales, une IRM normale (mais il y avait quand même un doute sur une image proche de la capsule), et entendre un homme amaigri (il a beaucoup saigné en post op et il a aussi eu pas mal de douleurs) satisfait parce qu'il est désormais "tranquille" et parce que le professeur qui l'a pris en charge "en privé" était super gentil, compétent, aimable et que sa femme est super contente car il ne l'emmerde plus puisque le viagra a désormais autant d'effets sur lui qu'un traitement de l'IHU sur un non-covid diagnostiqué à tort à l'IHU chez une patiente enceinte qui ne désire pas porter plainte contre le grand professeur Raoult dont un de mes amis, un ancien ami désormais, devenu complotiste, prétendait qu'il était un bienfaiteur de l'humanité.

J'apprends qu'à Strasbourg (les Français de l'extérieur), une coloscopie en libéral c'est 400 € de dépassement pour le coloscopeur et 400 € pour l'endormisseur. Et je lis et j'entends des commentaires indignés non par le fait que les dépassements sont hors de tout contrôle ou dépassent la mesure mais parce que c'est "le vrai prix de la santé" et qu'il va falloir s'y habituer. Mon copain gastro-entérologue en secteur 1 sans dépassement qui fait (beaucoup) de coloscopies et de gastroscopies en clinique et qui, malgré son chic appartement dans le seizième, sa résidence secondaire à La Baule et sa Tesla (je ne charge pas le trait, c'est vrai, c'est un excellent gastro-entérologue qui pratique beaucoup d'endoscopies, certes), pointe aux Restos du coeur, dort chez Emmaüs et fait la manche au coin de la rue Nationale et de la rue des Missionnaires, se demande s'il ne pourrait pas faire de la télé coloscopie à Strasbourg...

Mon voisin présente une névralgie d'Arnold, je l'ai examiné, j'ai tenté de le rassurer, il est quand même allé, -- sur les conseils avisés de voisins non médecins qui connaissent par coeur les commentaires sur le silence des organes (René Leriche, 1952), le droit universel à la santé sans douleurs, sans souffrances, la définition de la santé par l'OMS en 1945, la mort douce et tout le toutim -- aux urgences privées d'une clinique versaillaise très réputée (pour ses chirurgiens et pour ses dépassements) en raison de douleurs persistantes où le diagnostic n'a pas été porté mais où l'urgentiste de service a hésité entre, je cite, "une migraine et un torticolis". Je peux vous assurer qu'il n'y a pas plus de torticolis ou de migraine que de beurre en broche. Mais attendons l'IRM dans les prochains jours...

Je n'oublie pas cette hernie discale chez une jeune femme de 35 ans (la symptomatologie douloureuse est aussi épaisse qu'une tranche de jambon coupée au microtome dans un sandwich SNCF) pour laquelle le radiologue, un brave homme au demeurant, très gentil, présent en son cabinet de radiologie, ce qui n'est plus très courant de nos jours où la télé radiologie se pratique de Paris jusqu'à New Delhi, a poussé des cris d'orfraie, conseillé une IRM, l'avis d'un rhumatologue, le recours à un ostéopathe et la possibilité d'une infiltration intra foraminale.

Désormais, je l'ai appris d'une source sûre, un copain hospitalier, voyez comme je suis ouvert, apte à la compréhension des minorités opprimées, il paraît que dans certains (je ne voudrais pas généraliser) hôpitaux privés, et les gériatres sont des spécialistes de cet examen, des scanners corps entier (24 barrettes) sont pratiqués à tout patient âgé qui approche dudit hôpital privé. Pour voir. Pour ne pas passer à côté d'un incidentalome, d'un surdiagnostic, sans oublier les faux positifs et les oublis devant des images plus suspectes à juste titre.

Ad libitum.

Mais j'ai des centaines d'exemple, entre le Super U, le Carrefour Market et le Simply, de prescriptions d'examens complémentaires, de traitements inutiles, coûteux par leur nombre mais surtout privant ceux qui en ont besoin (mais on s'en tape puisque nous sommes à Versailles, à Paris, et pas dans une campagne française) et assez vite d'une IRM pour une "vraie" raison.

Désormais les patients ne sont plus examinés cliniquement, on commence par demander des examens complémentaires. L'effet thérapeutique de l'examen clinique est remplacé par l'effet thérapeutique de ces examens complémentaires.

Jadis, les médecins et les médecines, pensaient que le meilleur médicament, c'étaient eux-mêmes (et rappelons qu'aucune étude convaincante n'est jusqu'à ce jour venue corroborer cette croyance ni d'ailleurs indiquer quelle était la "bonne" posologie, quels étaient les effets indésirables et quelle était la dose toxique de cette prescription de soi-même), ils sont désormais persuadés (et elles ont persuadé les patients) que la prescription d'examens complémentaires permettait d'éliminer le fastidieux examen clinique dévoreur de temps  et était la meilleure thérapeutique possible.

Amen.

dimanche 24 mai 2015

Des examens complémentaires à foison pour un faible taux d'élucidation. Histoire de consultation 182.


Madame A, 53 ans, a été adressée par son médecin traitant, le docteurdu16, chez le cardiologue (choisi par la patiente pour des raisons de proximité et parce que la copine du gars qui a vu le gars lui a dit que sur DocAdvisor les commentaires étaient sympas) parce qu'elle ressentait le début de l'esquisse d'une dyspnée d'effort.
Cette patiente est hypertendue équilibrée (PA 135/80 ce jour) (esidrex, betaxolol), diabétique non id à peu près équilibrée (HbA1C = 7,7) (metformine 500 mg x 3, glibenclamide 2,5 mg x 2), sa fonction rénale est normale et son LDL (le LDL est le "bon" cholesterol) est à 1,08 (sans traitement) avec des TG à 3,27. Quant à sa rétine, elle est nickel.
J'écris donc une lettre en ce sens en soulignant le problème du (très fort) surpoids (124 kilos pour 167 cm). 

Premier courrier du cardiologue qui confirme que tout va bien (ECG) mais "qu'en raison des facteurs de risque", elle programme, une échocardiographie, un echodoppler artériel des membres inférieurs (cette femme n'a jamais fumé) et des troncs supra-aortiques et une épreuve d'effort.
On peut noter en passant que le cardiologue ne "croit" pas beaucoup au rôle du cholesterol (qui est normal de chez normal et sans traitement) ou "croit" trop au rôle du cholesterol car elle pense qu'un cholesterol aussi bas sans traitement n'est pas encore assez bas.



Par la même occasion le cardiologue redemande une prise de sang (la mienne datant d'un mois et devant être trés ancienne) en la complétant par des examens qui avaient été faits, normaux quatre mois auparavant et prend d'elle-même un rendez-vous chez le pneumologue (de la même clinique) pour explorer un éventuel syndrome d'apnée du sommeil et un rendez-vous chez l'orthopédiste de la même clinique car elle a mal au genou.
Ces deux derniers rendez-vous, j'en apprends l'existence de la bouche de la patiente.
Pour l'apnée du sommeil, nous avions déjà programmé l'affaire il y a un an mais la patiente avait temporisé, car "porter un masque, c'est un peu coupe l'amour". M'enfin.

Bon. Rien que de très "normal" dans ce monde normal.
J'attends la suite.

La suite est la suivante :
Tous les examens sont normaux de chez normaux.
La cardiologue ne s'en satisfait pas.
La cardiologue suggère donc fortement d'ajouter au traitement : 1) une statine (pour sans doute faire baisser le "mauvais" cholestérol qui est à 1,08) et 2) du kardegic 75 (pour des raisons qui tiennent sans doute à la "gravité" de ce diabète).



Morale de l'affaire :
Primo : le docteur du 16 aurait dû gérer tout seul cette esquisse d'esquisse de dyspnée d'effort (voir ICI pour ce qu'il faut penser de l'adressage).
Deuxio (secundo aurait fait trop latin ce qui aurait pu, selon les nouveaux programmes de l'Education nationale, créer un clivage social entre les latinistes et les non latinistes, entre les pauvres et les riches, ad libitum) : l'inflation des examens complémentaires est ahurissant et l'aplomb des spécialistes terrifiant (pourquoi la cardiologue s'est-elle mêlée de ce genou ?).
Troisio (c'est la fin du latin dans les collèges) : je ne rajoute rien au traitement mais je dois passer du temps à expliquer pourquoi et à dire pourquoi je ne suis pas d'accord avec la cardiologue qui a au moins une note de 4 sur DocAdvisor et à me justifier du fait qu'il ne s'agit pas de non confraternité.
Quatrio (même remarque encore pour ceux qui n'auraient pas compris) : faire maigrir la patiente n'est pas de la tarte, n'a jamais été de la tarte et ne sera toujours pas de la tarte. C'est sans doute le rôle du médecin généraliste que de se mettre en quatre pour éduquer thérapeutiquement les patients en surpoids, a fortiori s'ils sont diabétiques et hypertendus, mais comment faire quand on doit lutter contre le plaisir de manger entretenu à coups de milliards par McDo, Coca Cola, Nestlé et autres...
Cinquio : on pourrait très bien, désormais, se passer des médecins généralistes en disposant de spécialistes aussi polyvalents et, surtout, de maisons médicales de spécialistes, on appelle cela parfois des hôpitaux ou des cliniques, où on peut pratiquer, en toute désorganisation des soins, le cabotage.

Addendum : Ne croyez pas, critiques sincères, que la situation soit très différente dans les hôpitaux où le cabotage est une institution et où l'on adresse à des spécialistes que l'on sait nuls, non EBM, David Sackett ignorants ou big pharma addicts...


In memoriam: David Sackett (1934-2015)

jeudi 6 novembre 2014

Les diagnostics par excès et les examens complémentaires dangereux. Histoire de consultation 178.


Madame A, 67 ans, est allée passer quelques jours chez son fils dans l'Allier. Je connais cette patiente depuis mon installation, soit 1979.
Madame A est diabétique insulino-dépendante, hypertendue et dyslipidémique.
Son fils l'a emmenée chez son médecin traitant pour des sensations bizarres de l'hémiface gauche et il a diagnostiqué une paralysie faciale périphérique a frigore. Il lui a prescrit une corticothérapie (40 mg de prednisolone pendant plusieurs jours, je n'ai rien demandé de plus).
Elle vient me voir, affolée, avec les résultats du scanner. Elle me demande si c'est grave. Elle a peur d'avoir un alzheimer.
Retour en arrière.
Les sensations bizarres de l'hémiface gauche ont peu évolué sous corticothérapie, elle est revenue à Mantes et comme sa belle-fille est infirmière en neurologie à l'hôpital elle lui a obtenu très rapidement un rendez-vous avec une neurologue.
J'ai le courrier sous les yeux : "... il ne s'agit donc pas d'une paralysie faciale périphérique mais de paresthésies dans le territoire de la branche cervico-faciale... et j'ai demandé, en raison de l'inquiétude de la patiente, un scanner pour la rassurer complètement..."
Indépendamment du fait que la corticothérapie a complètement déséquilibré le diabète que nous avions eu beaucoup de mal à stabilier durant les mois précédents et que les paresthésies ont complètement disparu, la patiente me montre le compte rendu du scanner qui parle, outre du fait que tout est normal, de plaques amyloïdes (avec cette phrase lapidaire : à confronter aux données de la clinique).
Elle est allée faire un tour sur internet et, ajouté au fait qu'elle a oublié la semaine dernière où elle avait posé ses clés de maison au moment de partir à Auchan, elle est persuadée qu'elle a un alzheimer et elle me demande de lui faire une lettre pour aller passer un test au centre de mémoire de l'hôpital.

Je lui ai fait la scène du deux.

J'espère l'avoir rassurée mais ce n'est pas gagné.

Illustration : Vincent Van Gogh. Autoportrait à l'oreille bandée (1889)

dimanche 26 octobre 2014

Avalanche d'examens complémentaires. Histoire de consultation 177.


Madame A, 71 ans, est hypertendue connue depuis des siècles, traitée par un bêtabloquant (c'était la mode à l'époque), le betaxolol, et par une statine (pravastatine 20), tous deux prescrits par mes soins depuis une bonne vingtaine d'années.
La dernière fois qu'elle a vu "son" cardiologue, le docteur B, c'était, selon le dossier, il y a 5 ans. Et  le compte rendu de consultation était, comme à son habitude, laconique (une dizaine de lignes) et... rassurant.

Cette patiente est "ma" malade, je ne peux pas dire que je l'ai récupérée d'un autre médecin ou qu'autre chose ait pu influencer ma prescription : je suis responsable de ses médicaments. Et je suis responsable du fait que je m'en "occupe" (presque) seul.
Il y a également des siècles qu'elle présente un souffle systolique 2/6 au foyer aortique qui a été échocardiographié au moins deux fois par le cardiologue qui est désormais parti à la retraite. Depuis lors le souffle que j'entends est identique à lui-même.

Avant les grandes vacances elle a fait un séjour aux urgences pour un malaise non identifié qui a fini par être considéré comme "vagal" par le compte rendu de ces mêmes urgences.
Jusque là : tout va bien.
Mais un des médecins des urgences, celui qui l'a examinée ou un autre, celui qui lui a fait faire un ECG et une prise de sang, s'est étonné qu'elle n'ait pas vu de cardiologue récemment. "Votre médecin aurait quand même dû..."
Bon, est-ce que quelqu'un a vraiment dit cela, est-ce une façon pour la patiente de me reprocher de ne pas lui avoir dit qu'il fallait surveiller ce souffle, voire cette hypertension, je n'en sais rien... 
Elle est venue consulter pour le "renouvellement" de ses médicaments et  pour que je lui écrive une lettre pour le cardiologue. Son mari était là et il n'avait pas l'air content non plus.
Elle ne savait pas que le docteur B était parti à la retraite depuis environ 2 ans et elle m'a demandé de lui trouver un autre cardiologue.

A M* la cardiologie s'est beaucoup transformée. D'abord à l'hôpital où le chef de service est parti, où nombre des assistants ont fait de même et où la cardiologie interventionnelle a été arrêtée sur décision de l'ARS au profit de deux centres d'excellence "privés" du département (78).  Je ne ferai pas de commentaires sur la fin de la cardiologie interventionnelle à l'hôpital de M* pour des raisons confraternelles et parce que je n'en connais pas tous les tenants et les aboutissants. Disons qu'ils ne "voyaient" ps assez de patients, qu'ils ne posaient pas assez de stents et qu'ils ne dilataient pas assez les coronaires pour que cela soit "efficace". Disons que l'ARS considère qu'en deçà d'un certain nombre de gestes techniques il est possible de penser que c'est mal fait. On a déjà vu cela à propos des maternités. Quant aux centres d'excellence "privés", j'en parlerai une autre fois.
A M*, donc, la cardiologie libérale de ville a elle-aussi beaucoup changé : il y avait jadis six cardiologues, puis cinq, puis quatre, puis deux. Il y avait bien entendu aussi les consultations de l'hôpital. Puis, par une sorte de deus ex machina six installations se sont faites, ce qui fait qu'il y a désormais 8 cardiologues en ville. Trois à M**, 2 à M* (les anciens qui sont restés) et 3 au Val Fourré (en ZFU, alias zone franche urbaine). Si j'avais le temps je vous raconterais le pourquoi du comment de l'affaire alors que dans le même temps des médecins généralistes disparaissaient sur la même zone. Mais, à la réflexion, je me tairais (voir un billet précédent ICI) et, pour l'instant, je m'en tiendrais à ce billet qui est assez explicite.

Donc, j'ai adressé ma patiente au docteur C.
Le docteur C l'a reçue dans des délais raisonnables, lui a fait un examen cardiologique complet puis a proposé une épreuve d'effort (sur des données ECG j'imagine car, cliniquement, l'interrogatoire était muet).
Puis j'ai revu la patiente, son mari avait besoin de médicaments pour la tension, qui m'a dit textuellement : "Au moins, le docteur C, il est pas comme le docteur B, y m'a fait faire des examens..."
Mouais.
Je n'avais pas encore reçu le compte rendu de l'épreuve d'effort que j'apprenais qu'elle allait subir une scintigraphie cardiaque avec test à la dobutamine dans un centre privé extérieur au 78. Dans le 92.

Et à la fin tout était normal.

Je revois "ma" patiente avec son souffle, sa pression artérielle contrôlée (le bêtabloquant a été conservé pour des raisons surprenantes), sa statine (le cardiologue a précisé que le mauvais cholestérol pourrait être "un peu plus bas") et son mauvais caractère (que je ne connaissais pas auparavant).
"Alors, tout ça pour ça ?
- Que voulez-vous dire ?
- Vous vous plaigniez que je ne vous ai pas réadressée au docteur B qui n'avait pas jugé bon non plus de demander des examens... Vous les avez faits, les examens.
- Oui. Je suis rassurée.
- Mais... vous n'aviez rien... vous n'étiez pas essoufflée, il est possible que ces examens n'aient servi à rien... On vous a baladée à droite et à gauche...
- Et si j'avais eu quelque chose...
- Le risque était infime..."
Le mari : "C'était à vous de lui dire de ne pas le faire...
- Mais le ver était dans le fruit...
- Que voulez-vous dire ?
- A partir du moment où les urgences vous ont dit d'aller consulter un cardiologue, j'étais mis hors jeu. Vous vouliez cette lettre et je n'ai pas eu le culot de vous dire que cela ne servait à rien.
- Vous n'étiez pas sûr de vous ?
- Non. Vous vouliez consulter un cardiologue parce que vous étiez inquiète mais je n'avais pas d'arguments solides pour vous prouver que cela n'allait servir à rien... Et, le plus grave, ce n'est pas d'aller voir un cardiologue, mais tous les examens qu'il a demandés après.
- Il ne valait pas mieux les faire ?
- Je ne crois pas. Je crois qu'ils étaient inutiles.
- C'est facile de dire cela après...
- Moui... c'est l'intuition clinique...
- Comment aurait-on dû faire ?
- Je ne sais pas. Laissez moi réfléchir..."
Est-il possible de tout dire ? Est-il possible de dire à des patients que la médecine est en train de se moquer d'eux ? Est-il possible de dire à des malades qu'ils sont devenus des marchandises échangeables, des sujets d'une histoire qui ne les concerne pas ? Est-il possible de leur dire qu'il existe des réseaux, des circuits de malades, des médecins obligés et des médecins obligeants, des redevances de cliniques, des passe-droits, des sur diagnostics, des faux diagnostics, des diagnostics à tort et que ce n'est pas l'inquiétude des médecins qui les entraînent à prescrire toujours plus d'examens complémentaires (et accessoirement de médicaments) mais la logique du marché, l'impérieuse nécessité de rentabiliser les équipements coûteux qui ont été installés ici et ailleurs, de les faire tourner à plein régime, des équipements qui sont parfois inutiles parce que trop nombreux, et que donc, les dirigeants de cliniques, les fabricants de matériel, les fournisseurs d'isotopes, ont besoin de chair à pâté pour rentabiliser les investissements et, surtout, les retours sur investissements, et que les médecins généralistes ne sont plus suffisants, il faut des super docteurs, des rabatteurs, des représentants de commerce, pour alimenter le ventre de la machine de la santé, cette santé qui n'a pas de prix, cette santé qui valorise les examens coûteux, les machineries complexes, qui culpabilise les patients, les malades, les médecins pour qu'ils aient peur, qu'ils pètent de trouille, et tous les moyens sont bons, dont le PSA, la mammographie, la pose de stents inutiles (aux US un article grand public résume la situation : ICI), les dilatations sans objet, j'en passe et des meilleures, les campagnes de "sensibilisation" orchestrées par des fabricants de produits de beauté (Estée Lauder Pour Octobre Rose), cette santé qui oblige les citoyens à penser que le dépistage c'est bien, on ne discute pas, que les vaccins c'est génial, on ne discute pas plus et que ceux qui s'y opposent sont des passéistes, et cetera.
"Je crois, mes chers amis, que j'aurais dû vous dire qu'un malaise vagal, cela peut arriver à tout le monde, que cela n'a aucun rapport avec un petit rétrécissement aortique, et j'aurais dû écrire une lettre pour un cardiologue plus cool, moins interventionniste, cela existe à M*, et vous dire, après l'épreuve d'effort, s'il y en avait eu une, de renoncer.
- Mais, excusez-moi de vous dire cela, cela fait tellement longtemps que l'on se connaît, après ce que l'on m'avait dit à l'hôpital, j'avais besoin de faire des examens... Mais, nous sommes d'accord, le docteur B, il avait raison de pas s'inquiéter."

Cet exemple de cardiologie ne rend pas compte du fait que toutes les spécialités sont intéressées.
Nous parlerons un autre jour de Jean de Kervasdoué.

Illustration : Jeff Wall After 'Invisible Man' by Ralph Ellison, the Prologue 1999-2000
mca.com.au