dimanche 24 mai 2015

Des examens complémentaires à foison pour un faible taux d'élucidation. Histoire de consultation 182.


Madame A, 53 ans, a été adressée par son médecin traitant, le docteurdu16, chez le cardiologue (choisi par la patiente pour des raisons de proximité et parce que la copine du gars qui a vu le gars lui a dit que sur DocAdvisor les commentaires étaient sympas) parce qu'elle ressentait le début de l'esquisse d'une dyspnée d'effort.
Cette patiente est hypertendue équilibrée (PA 135/80 ce jour) (esidrex, betaxolol), diabétique non id à peu près équilibrée (HbA1C = 7,7) (metformine 500 mg x 3, glibenclamide 2,5 mg x 2), sa fonction rénale est normale et son LDL (le LDL est le "bon" cholesterol) est à 1,08 (sans traitement) avec des TG à 3,27. Quant à sa rétine, elle est nickel.
J'écris donc une lettre en ce sens en soulignant le problème du (très fort) surpoids (124 kilos pour 167 cm). 

Premier courrier du cardiologue qui confirme que tout va bien (ECG) mais "qu'en raison des facteurs de risque", elle programme, une échocardiographie, un echodoppler artériel des membres inférieurs (cette femme n'a jamais fumé) et des troncs supra-aortiques et une épreuve d'effort.
On peut noter en passant que le cardiologue ne "croit" pas beaucoup au rôle du cholesterol (qui est normal de chez normal et sans traitement) ou "croit" trop au rôle du cholesterol car elle pense qu'un cholesterol aussi bas sans traitement n'est pas encore assez bas.



Par la même occasion le cardiologue redemande une prise de sang (la mienne datant d'un mois et devant être trés ancienne) en la complétant par des examens qui avaient été faits, normaux quatre mois auparavant et prend d'elle-même un rendez-vous chez le pneumologue (de la même clinique) pour explorer un éventuel syndrome d'apnée du sommeil et un rendez-vous chez l'orthopédiste de la même clinique car elle a mal au genou.
Ces deux derniers rendez-vous, j'en apprends l'existence de la bouche de la patiente.
Pour l'apnée du sommeil, nous avions déjà programmé l'affaire il y a un an mais la patiente avait temporisé, car "porter un masque, c'est un peu coupe l'amour". M'enfin.

Bon. Rien que de très "normal" dans ce monde normal.
J'attends la suite.

La suite est la suivante :
Tous les examens sont normaux de chez normaux.
La cardiologue ne s'en satisfait pas.
La cardiologue suggère donc fortement d'ajouter au traitement : 1) une statine (pour sans doute faire baisser le "mauvais" cholestérol qui est à 1,08) et 2) du kardegic 75 (pour des raisons qui tiennent sans doute à la "gravité" de ce diabète).



Morale de l'affaire :
Primo : le docteur du 16 aurait dû gérer tout seul cette esquisse d'esquisse de dyspnée d'effort (voir ICI pour ce qu'il faut penser de l'adressage).
Deuxio (secundo aurait fait trop latin ce qui aurait pu, selon les nouveaux programmes de l'Education nationale, créer un clivage social entre les latinistes et les non latinistes, entre les pauvres et les riches, ad libitum) : l'inflation des examens complémentaires est ahurissant et l'aplomb des spécialistes terrifiant (pourquoi la cardiologue s'est-elle mêlée de ce genou ?).
Troisio (c'est la fin du latin dans les collèges) : je ne rajoute rien au traitement mais je dois passer du temps à expliquer pourquoi et à dire pourquoi je ne suis pas d'accord avec la cardiologue qui a au moins une note de 4 sur DocAdvisor et à me justifier du fait qu'il ne s'agit pas de non confraternité.
Quatrio (même remarque encore pour ceux qui n'auraient pas compris) : faire maigrir la patiente n'est pas de la tarte, n'a jamais été de la tarte et ne sera toujours pas de la tarte. C'est sans doute le rôle du médecin généraliste que de se mettre en quatre pour éduquer thérapeutiquement les patients en surpoids, a fortiori s'ils sont diabétiques et hypertendus, mais comment faire quand on doit lutter contre le plaisir de manger entretenu à coups de milliards par McDo, Coca Cola, Nestlé et autres...
Cinquio : on pourrait très bien, désormais, se passer des médecins généralistes en disposant de spécialistes aussi polyvalents et, surtout, de maisons médicales de spécialistes, on appelle cela parfois des hôpitaux ou des cliniques, où on peut pratiquer, en toute désorganisation des soins, le cabotage.

Addendum : Ne croyez pas, critiques sincères, que la situation soit très différente dans les hôpitaux où le cabotage est une institution et où l'on adresse à des spécialistes que l'on sait nuls, non EBM, David Sackett ignorants ou big pharma addicts...


In memoriam: David Sackett (1934-2015)

12 commentaires:

hraybaud a dit…

La vraie vie.....

Anonyme a dit…

Obèse, je tiens à vous dire que je n'ai aucun plaisir à manger des macs do et autres sucreries... Non, je ne prend aucun plaisir lorsque j'ai des crises de "mangeaille", je pleure même souvent... Je pleure sur l'injustice de mon enfance... consciente de ne rien régler par ce comportement destructeur mais incapable de m'aimer au point de ne plus me faire de mal...
Merci d'y penser avant d'écrire que les gros sont gros parce qu'ils ne résistent pas au plaisir du sucre ou du gras...

Bien cordialement,

JC GRANGE a dit…

@ Anonyme. Désolé, mais je n'ai pas du tout écrit cela. J'ai écrit "quand on doit lutter contre le plaisir de manger entretenu à coups de milliards par McDo, Coca Cola, Nestlé et autres...". Ce n'est pas la même chose. Je ne développerai pas ici sur l'addiction... où il y a toujours plaisir/déplaisir. Mais je voulais souligner que l'emprise de la pub est très forte pour modeler les comportements alimentaires.
Bonne journée.

dr niide a dit…

Cette situation (trop) courante n'est pas un indice de la disparition annoncée de la médecine générale, mais bien de son absolue nécessité. L'EBM trop souvent limité aux données de la science, est comme tu l'as déjà souligné une décision intégrant les données de la science, les attentes du patient et la situation clinique. C'est ce que relate ta consultation, l'intégration des propositions du cardiologue à la situation spécifique.

Cordialement

Popper31 a dit…

Mais que fait la police?? cette patiente obèse hypertendue diabétique n'a pas encore été orientée vers un néphrologue ? on croit rêver , surtout avec la metformine, et personne n'a regardé ses artères rénales ? c'est un crime !! et le neurologue pour une éventuelle neuropathie hein ?? et la dysautonomie ? vous y pensez à la dysautonomie ?? certainement pas cette patiente est trop autonome !! d'ailleurs elle n'a pas encore vu de diététicien, de psychiatre et de diabétologue patenté (qui a une patente !!) Non non!! et non Docteur du 16, ce n'est pas du travail sérieux, tout ça, vivement que l'ARS et la mutuelle nous remplacent pour baliser le terrain, un tel amateurisme n'est pas compatible avec la santé de Madame Brigitte Dormont.

JC GRANGE a dit…

@ Popper
Ben si, elle a déjà "vu" une diététicienne...
Un diabétologue patenté : pas tenté ?
@ niide : bonne remarque ! mais la nature ayant horreur du vide... les spécialistes organisés en maisons de santé (hôpitaux, cliniques) vont faire le boulot.

Chantal a dit…

@Poppper 31: vous oubliez l'ophtalmologue (diabéte....)

@Dr du 16: vous comprennez que je tente d'en voir le moins possible? Surtout, je mets un hola devant le renvoit à une autre "catégorie médicale" souvent que source de facture et sans aucune reponse au problème inital, auquel souvent je me trouve une reponse "arrangeante".

Le solgan "boire avec moderation" pourrait très bien s'appliquer à la médecine et son industrie: avec moderation, en abuser est nuisible à votre santé (pas seulement le tabac peut l'être).

Bonne journée

CMT a dit…

Ce qu’il faudrait c’est une véritable révolution culturelle. Parce que les patients vont voir les médecins lorsqu’ils ont un problème et veulent une solution rapide. La médecine ambulatoire est ainsi conçue, et beaucoup d’intérêts coïncident pour que cela ne change pas.
On pourrait tout de même imaginer que cela change et qu’un jour les patients viennent voir le médecin pour lui dire : « que pouvez-vous faire et quels conseils pourriez vous me donner pour m’éviter d’avoir à prendre des traitements ou d’avoir à subir des investigations et procédures lourdes ? »
Malheureusement, si révolution il y a, la seule en vue est pour l’instant totalement orchestrée par Big Pharma.
La révolution à venir est motivée par le changement de business model de l’industrie pharmaceutique : du blockbuster au nichebuster. C'est-à-dire au lieu de vendre des quantités massives d’un médicament avec des marges modérées à un très grand nombre de personnes (exps antidiabétiques, antihypertenseurs etc) vendre des quantités plus faibles de médicaments issues des biotechnologies à des sous-populations sélectionnées mais à des prix très élevés assurant des marges défiant toute concurrence (exp Sovaldis).
La diffusion limitée, au départ, du médicament, est le prétexte avancé pour supprimer toute évaluation préalable à la commercialisation selon le principe de l’ »adaptive pathway ». L’expérimentation se ferait donc directement sur la population sélectionnée avec une évaluation dont les critères et les règles sont encore plus flous qu’ils n’étaient jusqu’ici. Quelqu’un, je ne sais plus qui, a dit avec beaucoup de justesse, qu’on inversait ainsi la proposition qui est à la base de la médecine pharmacologique et thérapeutique : on ne rechercherait plus le bon médicament pour un patient donné mais le bon patient pour un médicament donné . Une fois le médicament lancé, Big Pharma se fait forte de faire ce qu’elle fait le mieux depuis bien longtemps, étendre la prescription du médicament à des populations de plus en larges, sans aucune justification médicale , en baratinant médecins et patients jusqu’à plus soif. Le résultat sera beaucoup de risques pris, d’effets indésirables inutiles, pour aucun bénéfice réel.
Il est même en projet d’inventer des outils statistiques adaptés à cette nouvelle approche d’AMM à priori.
En fait, tout simplement, le monde, les patients et les mathématiques doivent se plier aux expectatives de bénéfices de Big Pharma. Or, on sait que ces expectatives sont illimitées. Tels seront donc les sacrifices qui seront exigés pour les satisfaire.
Ce qui change aussi ce sont les types de médicaments concernés : il s’agit de biomédicaments dont le potentiel iatrogène est bien plus grand que celui des médicaments classiques.
La population pédiatrique est une population de choix pour ce genre de produits « porteurs d’espoir ». Des essais cliniques sont en cours pour traiter des dermatites atopiques (eczéma) par des anticorps monoclonaux http://ansm.sante.fr/S-informer/Travaux-de-l-Agence-Europeenne-des-Medicaments-EMA-Comite-des-medicaments-pediatriques-PDCO/Avis-et-recommandations-du-Comite-des-medicaments-pediatriques-PDCO-de-l-Agence-europeenne-des-medicaments-EMA-d-avril-2015-Point-d-information

CMT a dit…

SUITE
Bien entendu l’EMA a donné son accord. J’avais déjà expliqué que les anticorps monoclonaux sont une famille de biomédicaments dont les effets indésirables sont extrêmement graves.
Ainsi, nous sommes en train de revenir 50 ans en arrière sur la sécurité des médicaments. La première étape de la destruction progressive de toute garantie de sécurité dans le cadre des procédures de mise sur le marché des médicaments a été de reporter l’évaluation de sécurité à des études post-commercialisation, même lorsque des effets indésirables graves avaient été relevés lors des essais cliniques. L’étape actuelle est de reporter également les études d’efficacité après la mise sur le marché des médicaments.
Ce qui veut dire que tout le potentiel de diffusion d’un médicament va exclusivement reposer sur la capacité d’enfumage de Big Pharma et sur sa capacité à générer des conflits d’intérêts et à contourner les tentatives de contrôle de ses produits, et qu’il n’y aura donc plus de données solides sur lesquelles s’appuyer pour prescrire (il y en avait déjà si peu).
Je laisse chacun réfléchir à ça et je vous propose cette video décalée de James Mc Cormack, dont je suis assez fan , qui appelle au minimum de prudence dont nous avons totalement perdu la notion
https://www.youtube.com/watch?v=FqQ-JuRDkl8 .


Dr T. Degois a dit…

Encore un cas clinique remarquablement présenté par Docteur du 16.
Si j'ai bien compris, les jambes de la dame transportent cinquante kilos de trop, ça peut l'essouffler.
Les neuf jeunes médecins sur dix (généralistes comme spécialistes) qui renâclent à
s'installer en secteur libéral trouveront peut-être à la lecture de ce cas une justification
supplémentaire à leur défiance.
Comment un médecin, aussi brillant soit-il, pourrait débrouiller, à lui tout seul, le contexte psycho-affectif,
familial, social, professionnel qui amené le surpoids de cette dame. Seule pourrait s'en sortir, et encore difficilement, une équipeassociant de nombreux intervenants( et pas seulement des médecins), sans oublier d'anciens malades.

Et bien d'autres problémes chroniques, les lombalgies entre autres, peuvent difficilement être réglés dans le cadre sacro-saint du colloque singulier.
Bonne journée

Dr Bill a dit…

Ben voila, après la lecture de votre post je me rend compte que, moi, généraliste, je ne sert à rien, que moi généraliste, je ne sais pas comment faire pour que les personnes obèses ne le soient plus, que moi , généraliste, mes examens biologiques sont systématiquement refaits quand mes patients sont hospitalisés, que moi, généraliste, mon avis on s'en fout...
Il y a tant de personnes compétentes qui savent beaucoup de chose: le lait est mauvais pour les articulations, l'intolérance au gluten explique beaucoup de choses que je ne comprend pas...
Il y a des jours ou je me sens un peu fatigué...

JC GRANGE a dit…

@ Dr T. Degois.
Je crois que vous avez raison sur la complexité des cas que nous rencontrons en médecine générale. Mais je ne suis pas certain que la multidisplinarité ou l'interdisciplinarité soit nécessairement la solution. L'interlocuteur unique dans une relation de soins peut être dangereuse pour le patient et pour le médecin à la fois psychologiquement et techniquement mais les avis multiples, comme actuellement par exemple en oncologie où ce sont des avis techniciens hyper ou sur spécialisés qui s'empilent les uns sur les autres, participent à la médicalisation du monde. L'entretien singulier permet aussi de favoriser la confiance mutuelle et autorise le médecin généraliste à renoncer ou, selon la belle formule de Des Spence, à ne pas faire.
Mais je suis d'accord : les futurs médecins généralistes, influencés par l'hospitalisme déresponsabilisant, n'y sont pas prêts.
@ dr Bill.
On peut interpréter les choses autrement : on peut dire que le cas que j'ai présenté est plutôt l'exception (à condition de ne pas adresser pour des broutilles ou pour se rassurer) mais il est difficile d'y croire. Ne pas adresser c'est aussi prendre des risques, non pas tant vitaux pour le patient que confraternels : "Ah, votre médecin , y vous a pas fait passer le nouvel examen ?".