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dimanche 8 octobre 2017

Crise Levothyrox : ce que nous aurions pu apprendre.


Nous aurions pu apprendre ceci de la crise Levothyrox qui n'est pas finie (et pardon si je me répète : voir ICI mon premier billet datant du mois d'août) et vous ne trouverez pas ici de solutions définitives, pas de vade mecum pour les patientes, pas de guide-lines pour les prescripteurs/trices, pas  de fokon yaka pour les décideurs, seulement des faits, des idées, des pistes de réflexion, des ouvertures de portes vers le Sentier de traverse, et cetera  :
  1. Le profond mépris des soignants pour les soignées (vous ne m'enlèverez pas l'idée que le fait que l'immense majorité des patients soit des femmes explique en grande partie la façon dont le corps médical a réagi -- et l'idéologie médicale est si genrée que les femmes docteures sont aussi méprisantes que leurs collègues masculins  pour les patientes qui se plaignent).
  2. Ce mépris genré (que l'on retrouve dans des pathologies dites "féminines", les femmes migraineuses, les femmes dépressives, la contraception féminine, et cetera) s'est nourri d'une grande indifférence (ceci expliquant cela) : comment prescrire les hormones thyroïdiennes, à quel moment, les interférences avec le bol alimentaire, les erreurs de dosage de la TSH, les variations inter-individuelles comme intra-individuelles, le rythme circadien, et cetera. Et, ce que les cliniciens avisés et attentifs savent depuis longtemps à condition d'interroger et d'écouter les patientes : la symptomatologie clinique peut être dissociée et/ou différée dans le temps pour chacun des signes cardinaux de l'hyper, de l'eu et de hypothyroïdie chez une même patiente. 
  3. La forte conception scientiste/mécaniciste qui règne toujours dans la médecine et qui fait fi, épidermiquement, de la Médecine par les Preuves (EBM en anglais), de la médecine centrée sur le patient et de la décision partagée.  Et ainsi la patiente traitée n'est-elle pas considérée comme un être humain, accessoirement féminin, mais comme un taux de TSH ambulant (et, épisodiquement comme des taux de T3/T4 circulants). Pourtant la TSHémie n'est qu'un (mauvais) critère de substitution comme un autre et, qui plus est : 
  4. Le dosage de la TSH fait partie des dosages les moins fiables en médecine. Non seulement parce que les critères de normalité sont très larges mais parce que les facteurs pouvant influencer ses variations sont très nombreux. Il suffit aux patientes et à leurs médecins prescripteurs de se replonger dans les dossiers pour constater les variations de la TSH que l'on constatait (en les négligeant) avant le changement de formulation. Ils seront édifiés. Voir le tableau joint en fin de billet sur l'imprécision des dosages.
  5. Le concept pharmacologique de bio-équivalence vole en éclat. La bio-équivalence n'est tout simpement pas une donnée clinique, contrairement à ce que voulaient nous faire accroire les pharmacologues et les dci-olâtres. Il est certain que deux médicaments bio-équivalents ne sont pas clinico-équivalents chez le même patient. On le savait, mais ceux qui le disaient n'étaient pas pris au sérieux sauf dans les cas de marge thérapeutique étroite.
  6. L'idéologie des génériques devient fragile : la bio équivalence sur laquelle leur efficacité clinique est fondée est battue en brèche et la notion d'excipients sans effets notoires tombe toute seule (non pour de simples raisons pharmacologiques, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, mais pour des raisons qui tiennent aux relations soignants/soignés, au consumérisme et au marketing). Mais surtout, il est désormais possible de comprendre pourquoi des citoyens malades refusent de consommer des génériques et pourquoi ils rapportent que leur consommation entraîne des effets indésirables. 
  7. Les médicaments génériques sont une catastrophe pharmaceutique, une catastrophe médicale, une catastrophe économique (contrairement à ce que l'on croit les génériques ne font pas baisser les prix), une catastrophe socio-épistémologique, une catastrophe épistémo-anthropologique, une catastrophe politique et bien entendu une catastrophe pour les patients
  8. Les praticiens prescripteurs ont découvert l'effet nocebo et l'ont attribué seulement à l'influence des media. Il ne faut pas ignorer qu'en pratique médicale courante l'effet nocebo, et pas seulement dans la pathologie thyroïdienne, est induit par le prescripteur (lire Balint, le relire, ne pas considérer qu'il n'a dit qu'une seule chose,"le meilleur médicament c'est le médecin", car il a aussi dit que c'était une croyance auto-suffisante de médecin dont il fallait se méfier car le pire médicament c'était aussi le médecin : d'où l'intérêt des groupes Balint pour analyser comment cela s'est passé). L'effet nocebo (ICI), au même titre que l'effet placebo (vous en voulez une nouvelle couche ? c'est LA), existe et ne doit pas être négligé et/ou considéré comme une "preuve" de la bêtise, de l'ignorance, de l'incompétence, de la crédulité des soigné.e.s.
  9. Les associations de patients sont comme le reste de l'humanité organisée ou non : le pire et le meilleur. Cette affaire devrait, à mon avis, leur permettre d'élargir le champ de leurs compétences... Mais aussi de réfléchir aux points suivants (je sens que je vais me prendre une volée de bois vert) : indépendance vis à vis de l'industrie ; indépendance vis à vis de l'Etat et de ses représentants ; indépendance vis à vis des experts ; posséder un solide carnet d'adresses d'experts indépendants ; ne pas croire aux sirènes de la renommée ; "faire" la littérature dans son domaine de compétence ; et cetera. Pour le reste : soutien et empathie pour les patients qui s'en remettent à eux (j'imagine que c'est déjà fait).
  10. La pharmacovigilance quantitative (le recueil sauvage des effets indésirables sans imputation) n'apportera rien sinon alimenter un bruit de fond qui gênera la pharmacologie qualitative (celle qui est passée en France à travers tous les "scandales" médicamenteux).
  11. Les autorités gouvernementales, agencielles, académiques, et cetera, ont été au dessous de tout, n'anticipant rien (voir l'affaire néozélandaise), ne comprenant rien, ignorant que la prescription de Levothyrox s'adressait à des patient.e.s qui n'étaient pas un taux de TSH ambulant (voir supra le point 3), qui avaient un.e médecin traitant et/ou un.e endocrinologue prescripteurs, qui se rendaient chez le pharmacien (et merdre pour l'écriture inclusive), qui lisaient la presse, regardaient la télévision, écoutaient la radio, qui n'étaient pas des sujets obéissants aux diktats des experts. 
  12. L'information, l'instruction, la transparence, l'humilité, le respect des autres, ne font pas partie des actions habituelles du grand mandarinat représenté par Madame Buzyn, digne marionnette automanipulée par le lobby santéo-industriel.
  13. La réintroduction de l'ancien Levothyrox sous un autre nom (Euthyrox) coexistant à la fois avec le nouveau Levothyrox et avec la nouvelle L-Thyroxin du laboratoire Henning (distribué avec notice en allemand) qui contient des excipients différents de l'ancien et du nouveau, vous me suivez ?, est une khonnerie prodigieuse qui entrera dans les annales de la bêtise crasse et absolue pimentée de consumérisme, de clientèlisme, de calculs politiciens, c'est une décision aveugle et bureaucratique.
  14. Mais, et si au bout du compte, l'affaire Levothyrox, comme me l'a glissé un collègue, FB sur la liste de discussion des lecteurs Prescrire, n'était finalement qu'une simple affaire sociologique nourrie par la rumeur, l'emballement mimétique et le complotisme ? FB ajoutait ceci : "Et ce n'est pas mépriser les patients que de le dire. Au contraire, c'est de les prendre au pied de la lettre qui me semble irrespectueux." Je ne suis pas d'accord avec cela car, et c'est un autre membre de la liste de discussion Prescrire qui le souligne, JPL, "Une pathologie (et un fait en général) peut être tout à fait réel et en même temps se voir affecté d'un phénomène d'amplification cognitive collective/culturelle/médiatique etc. " Faudrait-il résumer l'affaire comme le fait AM sur cette même liste : "Si un patient souffre après changement de formule, il n'y a que quatre explications possibles : effet direct de l'excipient, problème lié à la biodisponibilité, effet nocebo, pathologie intercurente" Tout est dans tout et réciproquement, ma brave dame. 
  15. N'oublions pas, pour finir, le disease mongering ou la fabrication des maladies  : En Nouvelle-Zélande, il y a proportionnellement 3,5 fois moins de patient.e.s traité.e.s quen France.

Les imprécisions des dosages en biologie : à droite toute pour la TSH.

Il vous reste toujours la réflexologie plantaire :



jeudi 24 août 2017

L'affaire Levothyrox.


A la demande de l'ANSM (voir ICI) les laboratoires Merck ont changé la formule du médicament Levothyrox.

Voici les justifications de l'ANSM :
"Afin de garantir une stabilité plus importante de la teneur en substance active (lévothyroxine) tout le long de la durée de conservation du médicament, le laboratoire Merck a réalisé, à la demande de l’ANSM, une modification de la formule de Levothyrox. La substance active reste identique. Cette nouvelle formule sera mise à disposition dans les pharmacies à compter de la fin du mois de mars 2017.Ces modifications ne changent ni l’efficacité ni le profil de tolérance du médicament. Toutefois, par mesure de précaution face à toute modification, et bien que la bioéquivalence entre l’ancienne et la nouvelle formule ait été démontrée, l’ANSM préconise, pour certains patients, de réaliser un dosage de TSH quelques semaines après le début de la prise de la nouvelle formule.Par ailleurs, les couleurs des boîtes et des blisters vont être modifiées: une attention particulière des professionnels de santé et des patients devra être portée lors de la phase de transition pour éviter les erreurs.
"
Il est donc prouvé que des excipients sans effets notoires peuvent entraîner des problèmes de bio-équivalence, dans ce cas il existerait une baisse de la teneur en levothyroxine entre le moment où le médicament est commercialisé et la date de péremption.
C'est quand même une drôle de nouvelle !
La rhétorique généricante en prend un coup mais il s'agit, précisent les autorités, d'un domaine où la marge thérapeutique est étroite. Hum.
Mais surtout : la rhétorique généricante a comme leitmotiv que les excipients à effets non notoires, voire notoires, ne produisent rien et sont des lubies des patients... 
Le problème ne date pas d'aujourd'hui puisque des sociétés savantes nord-américaines avaient signalé le problème dès 2003 lors de la générication du Levothyrox outre-Atlantique (il est vrai qu'il faut toujours se méfier des sociétés savantes qui s'opposent aux génériques car elles sont souvent animées des meilleures intententions du monde, je veux dire l'argent de Big Pharma qui veut dissuader les prescripteurs d'utiliser des génériques). Je n'y avais pas attaché une importance particulière à l'époque et pour deux raisons : la première venait de ce que je croyais encore, certes avec des réticences (boîtage, aspect, goût des génériques par rapport au princeps), à la pertinence économique du concept (néo libéral, entre parenthèses, je croyais qu'il était de gôche) et la deuxième parce que je n'avais pas encore pris conscience du désatre que cette générication pouvait produire en termes de consumérisme, de banalisation du médicament, d'arrogance médicale, de mépris du patient/consommateur et de je-m'en-foutisme. 


Pour le reste, le communiqué de l'ANSM est un tissu d'affirmations toutes aussi peu fondées les unes que les autres et que les faits démentent abondamment aujourd'hui puisque les utilisateur.e.s (désolé pour cette épicènie dévastatrice) se plaignent d'effets indésirables et que les autorités conseillent de nouveaux dosages de TSH. Je rappelle simplement une phrase : "Ces modifications ne changent ni l'efficacité, ni le profil de tolérance du médicament" Qu'est-ce que l'ANSM en sait ? Il s'agit d'un discours qui amplifie la possibilité d'effets indésirables puisque comme il ne doit pas y en avoir et qu'il y en a, tout est possible : hystérie collective, complotisme, moqueries à propos des patient.e.s, culpabilisation, arrogance des prescripteur.e.s (ceux qui savent), et cetera.

Quant à ceux qui pensent (il y a quand même des inconscients) que la pharmacovigilance viendra à bout de ce problème, je rappelle que la pharmacovigilance passe à côté de tout et de l'important et ce, d'autant plus désormais, que l'agence européenne (la fameuse directive européenne) a délégué la pharmacovigilance aux industriels.

Je lis un article dans le journal Le Figaro (LA), dont un éminent expert écrit : "Excellente interview d'une patiente-experte dont le point de vue est crédibilisé par son absence de lien $$ avec le fabricant !" et dont la patiente-experte dit que c'est le seul article, je cite, "valable" sur la question (sans doute que l'absence de lien avec le fabricant ne va pas jusqu'à l'absence de lien non financier avec le journal). Il est vrai que l'on y apprend des choses surprenantes. Je vous laisse lire, cela vaut son pesant de cacahuètes.

JP Rivière fait un résumé exact et neutre de ce qui s'est passé (sans parler des génériques) : ICI.
Le pharmacien, dont on connaît les liens d'intérêts avec big pharma, écrit un truc sans intérêt mais parle de l'information des patients et en remet une couche sur l'incompétence des médecins : LA.


Il est possible de poser ces questions.
  1. Fallait-il vraiment changer la formule ? 
  2. Etait-ce une demande des patient.e.s ?
  3. Etait-il judicieux de changer la formule d'un médicament qui serait prescrit, selon l'Agence, à 3 millions de personnes en France, sans informer au préalable de façon utile, appropriée, et convaincante, les prescripteurs et les utilisateurs ?
  4. Etait-il impossible de prévoir que des effets indésirables, fussent-ils mineurs, puissent apparaître avec 3 millions de patients et dans une pathologie où non seulement la marge thérapeutique est étroite mais où (cf.point 9.) les variations intraindividuelles sont très fortes avec le même médicament dans le même boîtage ? Imaginons qu'une diarrhée apparaisse chez 1 % des patients, cela signifie donc 30 000 patients se plaignant de diarrhée... Où l'Agence avait-elle la tête ? Existe-t-il des services de pharmacovigilance suffisamment armés pour traiter un tel afflux de données ? 
  5. Existait-il des données solides sur les effets indésirables rapportés avec l'ancienne formule ?
  6. Existait-il des publications sur les effets secondaires du mannitol et de l'acide citrique à doses non significatives ?
  7. Est-ce raisonnable d'attribuer des effets indésirables à un éventuel mécanisme d'action (je parle pour la patiente experte...) ?
  8. Est-il sensé d'affirmer (je parle pour une des associations de patients) que le médicament Levothyrox est devenu "dangereux" ? La pétition pour le retour à l'ancienne formule est un modèle de désinformation (voir LA) qui pourrait faire croire que les rédacteurs de l'ANSM et ceux de la pétition proviennent du même moule idéologique.
  9. Faut-il remettre en cause l'idée consensuelle (ou presque) selon laquelle les génériques ne peuvent entraîner d'effets indésirables significatifs ? Car, dans le cas de Levothyrox, la nouvelle formule est stricto sensu un princeps générique du princeps.
  10. Pourquoi, à cette occasion, ne pas avoir rappelé que la prise, l'horaire de prise, la possible interférence avec le bol alimentaire, sont des facteurs déterminants pour l'absorption et donc la bio-disponibilité de la molécule ? Et que ces modifications de prises et de bol alimentaire peuvent entraîner des variations de TSH tout en continuant de prendre le même médicament du même lot ? Les endocrinologues le savent. Les médecins généralistes le savent également.
  11. Pourquoi ne pas informer sur le fait que les indications cliniques de prescriptions rendent compte de situations extrêmement différentes ? Une substitution post thyroïdectomie chirugicale pour cancer (le sur diagnostic, le surtraitement, voir LA) n'est pas de même nature que la prescription de levothyrox au cours de l'équilibration d'un Basedow ou lors d'une dysthyroïdie liée à l'amiodarone...
  12. Quid des génériques de Levothyrox dont on sait qu'ils posent des problèmes de biodisponibilité depuis la générication aux Etats-unis d'Amérique en 2003 (cf. supra) ? On rappelle que le générique Teva a été en France retiré du marché pour des problèmes de stabilité.
  13. Pourquoi, à cette occasion, ne pas s'interroger sur le sur diagnostic et sur le sur traitement par Levothyrox ? 
  14. Pourquoi parler du rôle délétère des medias alors que les medias ne sont là qu'en bout de processus et qu'il est normal qu'ils n'en sachant pas plus que les experts de l'ANSM ?

Les experts de l'Agence auraient dû se rappeler, mais lisent-ils autre chose que la littérature qui leur brosse le poil dans le bon sens ?, qu'il y avait eu un précédent que j'ai décrit abondamment en 2010 sur ce blog : LA. Un certain nombre des faits qui sont décrits aujourd'hui était déjà expliqué (pardon pour cette auto-citation). Le texte du billet de 2010, non modifié, est en italique.

Les faits et leurs commentaires dans le BMJ.

  1. Jusqu'à 2007 les 70000 Néo-Zélandais qui avaient besoin d'un traitement hormono-substitutif par la thyroxine se voyaient prescrire de l'Eltroxin commercialisé par les laboratoires GlaxoSmithKline (GSK) et cela faisait trente ans que cela durait. GSK décide en 2007 de transférer l'usine de fabrication d'Eltroxin du Canada vers l'Allemagne. A cette occasion le contenu des excipients change et l'aspect de la nouvelle formulation n'est plus la même pour le gravage, la taille et la couleur. Selon certains rapports, disent les auteurs néo-zélandais, le goût et la vitesse de dissolution sur la langue changent aussi. Quant au principe actif, la thyroxine, il reste inchangé et continue à être fabriqué en Autriche (nous vivons une époque formidable !). La nouvelle formulation est donc désormais délivrée aux patients à partir de 2007 2008 et le taux de signalement d'effets indésirables est multiplié par 2000. Il est à signaler qu'il n'y a pas d'autre formulation proposable aux patients. On passe, disent les auteurs, de 14 notifications en 30 ans à 1400 en 18 mois. Qu'est-il arrivé ? 

  2. Les effets indésirablesLeur fréquence : les premiers effets indésirables ont été rapportés en octobre 2007, il y en avait 294 en juillet 2008 et le pic (492) a été atteint en septembre 2008 pour décroître ensuite : 177 en octobre et 21 en novembre. Il est à noter que dans les autres pays où la substitution s'était faite il avait été noté une augmentation des effets indésirables mais sans commune mesure avec ce qui se passait en Nouvelle-Zélande. Leur nature : à peu près la moitié d'entre eux (prise de poids, fatigue, myalgies, arthralgies et dépression) peuvent être rapportés à l'hypothyroïdie mais pour d'autres fréquemment rapportés, cela n'est pas le cas : conjonctivite, douleurs oculaires, maux de tête, prurit, éruptions cutanées, vision anormale ou trouble, nausées, troubles digestifs.
  3. Analyse des causesFacteurs intrinsèques. L'Agence néo-zélandaise (Medsafe) a fait procéder à de nouvelles analyses de bioéquivalence qui ont conclu à une conformité acceptable de la nouvelle formulation et au fait que les excipients contenus étaient bien ceux annoncés par la firme. Les auteurs disent ceci : 5 % des effets pouvaient en théorie être attribuables à la nouvelle formulation. Pas plus. Facteurs externes. a) La substitution de formule s'est produite à un moment où l'on accusait l'Agence néo-zélandaise gérant le budget de la santé (Pharmac) de casser les coûts. b) Des bruits sur le Web prétendaient que la nouvelle formulation était fabriquée en Inde, qu'elle contenait des OGM, et du glutamate. Le rôle d'un "champion". Un pharmacien d'une petite ville de Nouvelle-Zélande s'est fait l'avocat des patients souffrant d'effets indésirables liés à la nouvelle formulation, a été largement interrogé par les medias et a cherché à trouver un produit de substitution pour les soulager. les auteurs soulignent le rôle néfaste qu'un tel champion, professionnel de santé d'une petite ville s'opposant à Big Pharma, peut avoir in fine. Le rôle des médias. Les auteurs insistent sur la couverture journalistique de l'affaire, font des analyses géopgraphiques sur relations entre le nombre d'effets indésirables dans une région de Nouvelle-Zélande et le nombre d'articles de journaux publiés localement. Ils citent une comédie musicale à succès parlant de malfaçons de médicaments en Inde. Ils citent le web et ses rumeurs, ses fausses informations mais, paradoxalement, ne font aucune mention du quantitatif, ce qui ruinerait leurs inférences locorégionales. Le facteur patient. Les auteurs parlent de labilité émotionnelle chez les patients hypothyroïdiens et donnent des informations très mécanicistes et assez peu respectueuses des plaintes des patients.
  4. Les conclusions des auteurs : méfions-nous à l'avenir des changements de formulation et de l'introduction des génériques qui peuvent induire des peurs chez les patients qui sont coûteuses pour les gouvernements et pour les patients impliqués.
J'avais fait des commentaires sur cet article et j'avais souligné, déjà, le mépris pour les patients.

Je voudrais souligner ici le grand mépris de cet article pour les patients qui sont au mieux considérés comme des victimes et, au pire, comme des crétins. 
Cette affaire est symptomatique, me semble-t-il, du rationnalisme considéré comme une science.
On remarque ici que la globalisation des marchés est une donnée qui ne semble choquer personne. Le principe actif est fabriqué en Autriche, les comprimés sont fabriqués en Allemagne et l'on ne nous dit pas d'où vient l'encre, combien de pétrole est dépensé pour les acheminements et si les travailleurs sont des immigrés ou s'ils sont fabriqués sur place, et cetera... C'est la rationnalisation du monde au moindre coût (apparent). 
Quant à la modification des excipients, il n'est pas inconsidéré de ne pas la prendre à la légère, bien que son influence puisse être extrêment minime. Mais elle peut être à la base d'une remise à plat des conditions de prescriptions. 
D'autre part, nos universitaires néo-zélandais n'ont jamais entendu parler, ni de l'effet placebo, ni de l'effet nocebo. 
Car, inférer à partir d'études de bioéquivalence, qu'il n'est possible d'expliquer que 5 % d'effets indésirables puisque la bioéquivalence est de 5 % est assez renversant. On rappelle à ces auteurs que l'effet placebo, en moyenne, quelle que soit la pathologie, est assumé à 30 % Le fait est têtu. C'est à dire que la prescription d'une molécule active, ici la thyroxine, si elle entraîne une amélioration moyenne de 70 % des symptômes, 30 % de l'amélioration est liée à l'effet placebo. 
Et ainsi, dans notre affaire, les patients, toutes choses égales par ailleurs, ont pu voir leur capital placebo partir en fumée en raison de leur incompréhension sur le changement de formulation, ses raisons exactes, sans compter les rumeurs et les canulars et l'ambiance générale de défiance qui pouvait régner en Nouvelle-Zélande.
Nous ne disposons pas de chiffres aussi précis sur l'effet nocebo mais il n'est pas improbable de croire qu'il peut expliquer la flambée d'effets indésirables constatés après le changement de formulation, sans tenir compte des autres facteurs rapportés par les auteurs. N'oublions pas que le changement d'aspect, de goût, de vitesse de dissolution, sont des facteurs étudiés avec attention par l'industrie pharmaceutique pour mieux faire vendre ses produits et les faire mieux accepter. Il doit bien y avoir une raison. 
Les auteurs ont aussi oublié l'effet mimétique (ils ont décrit ses moyens mais pas son mécanisme) et nous leur conseillons, sur la Mimesis et le Désir Mimétique, de lire René Girard
Les auteurs ont aussi minimisé l'effet du web qui semble être un facteur déterminant dans la propagation des bruits et rumeurs, facteur désormais plus important que celui des medias traditionnels. 
Mais cet exemple d'école, tout autant que ce que je rapportais sur les Antennes Relais, rend la réflexion sur la générication de la médecine encore plus nécessaire. Nous ne pouvons faire l'économie d'un débat autre qu'idéologique sur les génériques, sur les procédures drastiques non appliquées, mais, plus généralement, sur l'inhumanisation des rapports médecins malades. 
Le malade n'est pas au centre des préoccupations du système de soins. Cet article en est le reflet.
A l'heure de la prescription en dci mise en place à la va-vite, comme tout ce que fait le gouvernement en matière de santé publique, pourquoi ne pas s'interroger sur la thyroxine néo-zélandaise ? 
Nous remercions les auteurs pour ce papier mais l'instruction n'est pas close.

Il est donc attristant de constater que des excipients sans effets notoires puissent provoquer des effets indésirables que les autorités pharmacovigilantes vont rapidement classer, comme ils classent les effets indésirables non sévères et non rapportables à un mécanisme d'action (classement vertical) et cette situation va entraîner une réaction en chaîne : 
  1. Comme les effets indésirables sont "impossibles", ils n'existent pas. 
  2. Comme les effets indésirables n'existent pas ils sont d'origine fantasmatique et hystérique (cela tombe bien la majorité des patients prenant Levothyrox sont des patientes).
  3. Les patient.e.s sont coupables.
  4. Les patients.e.s sont des nul.le.s
  5. Les prescripteurs (médecins) ont toujours raison même quand ils ne connaissent pas le sujet et, surtout, quand ils le connaissent.
  6. Les agences gouvernementales ont toujours raison et ne remettent jamais en cause leurs affirmations.
  7. Les associations de patients ne sont pas infaillibles, ne représentent parfois qu'elles-mêmes, et se tirent la bourre entre elles. 
Il serait donc temps que :
  1. Les autorités sachent que la médecine étant devenue consumériste il faut se mettre à l'heure du consumérisme.
  2. Les prescripteurs sachent que les patients ne sont pas des veaux et qu'il ne suffit pas de dire, "le principe actif est le même" pour que l'efficacité soit la même quel.le que soit le/la patient.e
  3. Les patients sachent qu'il n'existe pas de corrélation directe entre un taux de TSH et le bien-être d'un individu fût-il malade.
PS du 12 septembre 2017 : lire absolument le billet de Dominique Dupagne sur la bio-équivalence : ICI.

jeudi 29 décembre 2016

Relations soignant/soigné. Episode 2 : Doctolib.


Monsieur A est venu avec son papa, Monsieur A, qui parle très mal le français.
Je soupçonne Monsieur A de présenter une lésion suspecte à la pointe externe du sourcil droit.
Moi : "Je vais faire un courrier pour le dermatologue."
Le fils : "OK."
Moi : "Vous connaissez un dermatologue sur Mantes ?"
Le fils : "Non, mais de toute façon j'ai déjà pris un rendez-vous sur doctolib avec un dermatologue à B."
Oups.
B est une ville située à onze kilomètres de Mantes.
Moi : "Vous avez le nom du dermatologue ?"
Le fils : "Oui, c'est le docteur Z."
Je ne connais pas cette dermatologue. A Mantes, où j'exerce depuis 1979, je connais les dermatologues, pas tous, car les relations hôpital/ville se sont distendues en raison de changements incessants et du fait que toutes les occasions de se rencontrer, les réunions de formation médicale continues, sont payées par l'industrie pharmaceutique, eh bien, à Mantes je ne prescris pas un dermatologue "comme ça". J'ai mes têtes, mais surtout je sais ce qu'ils savent faire et ce qu'ils ne savent pas faire et je tiens compte aussi des délais pour qu'ils reçoivent les patients. J'ai écrit sur les spécialistes d'organes en soulignant combien ils étaient indispensables (voir ICI) et encore indispensables (voir LA) mais, à mon humble avis, ils ne sont pas généricables.

Qu'aurais-je dû faire ?

Finalement, j'écris un courrier à la dermatologue en question.

Voici quelques commentaires désabusés :
  1. Cette médecine impersonnelle commence à m'ennuyer sérieusement. 
  2. La générication des médicaments a conduit tout naturellement à la générication des médecins.
  3. Nous sommes entrés de plain pied dans la médecine de service : j'ai besoin de guérir mon rhume et je vais voir n'importe quel médecin pour qu'il me prescrive ce que j'ai envie qu'il me prescrive dont, c'est selon, des antibiotiques (pour pas que cela ne tombe sur les bronches), des gouttes pour le nez (avec un bon vasoconstricteur efficace), de la pseudoéphédrine (y a que ça qui marche chez moi), du sirop (on sait jamais).
  4. 23 euro (et plus si affinités)
  5. Et si le médecin n'obtempère pas aux ordres du consommateur il se plaindra sur twitter et il criera au manque d'empathie, à l'arrogance et autres reproches et convaincra une association de patients ou un patient expert du rhume (celui qui connaît tous les arguments sur la non prise en compte par les vilains médecins de l'altération de la qualité de vie pendant un rhume et sur le fait qu'une étude a montré que la prise des médicaments précédents entraînait un retour à la normale quatre heures avant le mouchage dans un mouchoir jetable, les deux groupes absorbant du paracetamol) de faire écrire sur un blog dédié les mésaventures enrhumées d'un patient livré aux brutes en blanc.
  6. Le système Doctolib de prise de rendez-vous sur internet est symbolique de cette médecine de consommation où le patient peut aller voir un médecin en aveugle et où le médecin, déjà débordé par sa clientèle, cela semble être le cas partout, peut rencontrer de nouveaux patients qui ne reviendront peut-être jamais. Doctolib semble plaire aux patients branchés, connectés, modernes, ceux qui commandent leurs chaussures sans les avoir essayéees et qui peuvent les renvoyer si elles ne leur plaisent pas, et est le symptôme plus que la conséquence de la dégradation définitive de la médecine et de la disparition désormais presque effective de la médecine générale de proximité (expression galvaudée et surtout utilisée par les politiciens pour dire n'importe quoi, sans compter les Agences régionale de Santé -- dont on me dit qu'elles sont éminemment politiques) que l'on pourrait nommer avec emphase le dernier lieu de la common decency médicale.
  7. La médecine "un coup" prend le pouvoir. J'ai mon spécialiste pour les verrues, mon spécialiste pour la sleeve, mon spécialiste pour ma tension...
  8. La dermatologue en question, elle s'est abonnée à Doctolib pour faire des économies de secrétariat, et il n'est pas possible de la blâmer vues les conditions actuelles d'exercice, mais qu'elle ne se plaigne pas ensuite que sa consultation de médecin spécialiste soit envahie par les verrues, les acnés vulgaires ou les pieds d'athlètes.
  9. Bon, ben, faut s'adapter, mon vieux, c'est comme ça, ça changera plus. Le progrès est en marche.
Le monde change mais on n'est pas obligé de dire amen.
Et les responsables des politiques publiques doivent savoir que ces transformations seront catastrophiques sur le plan de la Santé publique et vont entraîner une explosion des coûts.

PS. Il faudra que j'écrive un billet sur http://www.mesconfreres.com de Dominique Dupagne 

jeudi 17 juillet 2014

Un quart d'heure bien rempli. Histoire de consultation 174


Madame A, 56 ans, est diabétique non id, hypertendue, et elle est "en invalidité" deuxième catégorie au décours d'un accident domestique (fracture grave de la cheville droite opérée, compliquée, neuro algodystrophie, douleurs, oedème, impotence fonctionnelle avec périmètre de marche très réduit) qui a entraîné une boiterie...

Madame A est charmante.
"Aujourd'hui", me dit-elle, "je viens vous embêter".
Elle a pris rendez-vous, elle est arrivée à l'heure, je suis à l'heure, et je grimace.
Elle est en effet coutumière du fait (je le lis dans le dossier et mon caractère s'en ressent déjà), et je ne sais pas encore qu'elle a quatre motifs de consultation que je vais les découvrir au fur et à mesure car c'est une maligne.
  1. Remplir le dossier MDPH pour "son" invalidité.
  2. Prolonger son ALD pour diabète non id.
  3. Lui represcrire ses médicaments.
  4. Lui fournir le matériel et la paperasse pour le test hemoccult.
N'oublions pas non plus que Madame A est avant tout un patiente et non un dossier administratif, il est donc nécessaire de l'interroger, de mesurer sa PA...

Le remplissage du dossier MDPH a été brillamment abordé par une collègue en son blog (LA). Elle a raison, la collègue, de nous expliquer tout cela, cela m'a gravement culpabilisé mais cela n'a pas rassuré mon cerveau rationnel. 
Nous ne sommes pas des assistantes sociales ! Ce n'est pas une déclaration de haine ou de dédain pour les AS, non, c'est tout le contraire : la complexité de l'affaire mériterait que les AS, au lieu de dire, dans 97,32 % des cas (plus les chiffres sont "précis" plus ils sont faux), "Voyez avec votre médecin, c'est lui le manitou, y sait, y va vous remplir ça en moins de deux..." (et ne me dites pas, je vous vois venir, ce sont des propos de patients, il ne faut pas les croire, ils inventent, ils travestissent ce qu'ils ont entendu, parce que les patients racontent toujours la même chose et rapportent toujours les mêmes dires des AS quand ils déposent le dossier MDPH sur mon bureau -- quand ils ne le déposent pas sur le bureau de la secrétaire en lui demandant que je le remplisse, il me connaît, et fissa--, à moins bien entendu qu'il n'y ait un site Internet qui explique au patient, quand ils vont voir leur médecin traitant avec le dossier MDPH sous le bras, quels sont les éléments de langage pour  raconter ce que racontent les AS et rendre le médecin furibard...), les AS au lieu de nous "balancer" le patient et son dossier, elles devraient nous écrire un mot d'explication pour que l'on sache exactement pourquoi on est censé faire les choses. 
Donc, le dossier MDPH, c'est dans l'immense majorité des cas, d'un casse-pied absolu. Cela prend du temps, on ne sait pas par qui ce sera lu, dans quel contexte, quels sont les critères d'attribution, et cetera, malgré les explications du docteur Millie que je remercie encore pour ce billet éclairant. Dernier point : Madame A n'a pas rapporté les photocopies du dossier précédent effectué il y a 5 ans, document qui permet de se resituer par rapport à l'état antérieur de la patiente. Donc : médecin de mauvais poil.

Madame A est arrivée à un moment de l'après-midi où le remplissage en ligne des ALD n'est pas possible pour cause de je ne sais quoi. Il y a donc un imprimé CERFA à remplir... Ce qui va vite quand le dossier de la patiente est à jour. 

Represcrire les médicaments : nous entrons dans le sublime. 
Madame A refuse les génériques. 
Enfin, c'est plus compliqué que cela. 
Je dis en passant que les génériques sont une des plus grosses arnaques de la pharmacie et du néo libéralisme que je connaisse. Mais ce serait long à expliquer. Je m'y attellerai un jour. 
Pourquoi c'est complexe : Madame A refuse les génériques d'Hemi Daonil, ils lui donnent mal à la tête, les génériques du Renitec, ma tension monte, et... les génériques de la metformine... 
On s'explique ? C'est moi qui ai initié les traitements il y a longtemps. Pour l'Hemi Daonil, la dci (glibenclamide) a toujours été confusante pour moi avec celle du Diamicron (gliclazide), médicament Servier, qui a investi le champ de prescription des spécialistes de Mantes pour des raisons que la décence m'interdit d'expliquer ici, c'est pourquoi je continue de prescrire en nom de marque (et, promis, je ne me rappelle pas le ou la visiteuse médicale qui me l'avait présenté). Pour le Renitec, je ne sais même pas la dci par coeur (enalapril) et c'est un médicament que je prescris depuis plusieurs siècles... Le sublime pour la fin : le trio infernal glucophage / stagid / metformine est peut-être un problème médical mais c'est sans nul doute un problème sociétal complexe. Je résume le cas de Madame A : j'ai prescrit d'emblée de la metformine et elle la supporte bien tant est si bien qu'elle pense que le princeps, c'est la metformine et pas le Glucophage... qu'un médecin lui a prescrit ensuite un jour où je n'étais pas là et cela lui avait déclenché une diarrhée... Ainsi, contre toute logique, mais la logique des médecins est tout aussi mystérieuse, elle a un traitement composé de princeps et de génériques et elle ne veut pas changer. D'ailleurs, comme elle dit, "Je veux bien payer un supplément pour avoir 'mon' médicament." Le sous-entendu que j'ai entendu de nombreuses fois étant : les génériques c'est pour les pauvres, les "vrais" médicaments c'est pour les riches. Ne me demandez pas pourquoi cette patiente diabétique n'a pas de statine dans sa collection. Elle est intolérante complète aux statines quelles qu'elles soient. Bon, le LDL se ballade mais des petits malins m'ont dit que le LDL allait disparaître des esprits.

Fournir le matériel pour le dépistage du cancer du colon par test hemoccult. C'est un geste de prévention. Discuté : voir ICI et plus récemment LA dans le NEJM où l'on voit que le dépistage n'influe pas sur la mortalité globale. Cela prend un peu de temps pour les gens qui l'ont déjà fait et beaucoup, surtout les analphabètes de ma patientèle, quand c'est la première fois. Et c'est pas rémunéré ou très peu (je ne me rappelle même pas combien).

Que croyez-vous qu'il arriva ? 

J'ai rempli le dossier MDPH en râlant parce qu'elle ne m'avait pas rapporté le dossier précédent "resté sur la table du salon" ...
Pour l'ALD, j'ai mis quelques instants à remplir l'imprimé (mes dossiers sont à peu près tenus mais j'ai peur que la non mention de la statine et un taux de LDL supérieur à 1 ne collent des boutons au médecin conseil... on verra...).
Pour le reste : elle avait encore quinze jours de médicaments. Elle ira donc voir ma remplaçante, "Oui mais docteur je l'aime pas...", et moi : "D'abord elle est super sympa, ensuite, c'est toujours bien d'avoit un oeil neuf sur un dossier." On voit que je suis également un malin. "Mais, j'y pense, vous avez rapporté les résultats de votre prise de sang ? - Non, je les ai oubliés... - Sans doute sur la table du salon... - Mais je croyais que le laboratoire vous les adressait... - C'était avant..." Elle prendra donc rendez-vous avec ma remplaçante.
Pour l'hemoccult, je lui demande de repasser à la rentrée.
Elle a fait semblant de comprendre la situation.
Elle n'a pas payé car j'ai fait tiers-payant sur l'ALD.

Commentaire de mon voisin : De quoi vous plaignez-vous ? C'est quand même votre boulot de répondre aux besoins des patients pendant une consultation. Cette malade croyait bien faire et voulait vous éviter du travail. Les médecins ne sont pas pauvres. Arrêter de vous plaindre.

Enfin : On comprend ici que la médecine générale est compliquée et demande deux ou trois neurones, ce qui n'est pas donné à tout le monde et entraîne des complications relationnelles avec les patients qui n'ont qu'un rapport très lointain avec la médecine qui a été enseignée sur les bancs de la Faculté. 
(J'avais pensé dédier cette consultation et ce quart d'heure de célébrité à Arnaud Montebourg qui parle, qui parle, contre les professions réglementées, mais, en bon Français, je ne me suis pas senti concerné, quant aux notaires et aux greffeiers de justice, j'en suis moins certain et, quand même, ce Montebourg, c'est un type de gauche qui a quand même une tête de mec de droite.)


Notes
(1) J'ai déjà rapporté, ICI, que l'économie du cabinet de médecine générale (libéral) dans lequel j'exerce avec une associée et dont le personnel comporte une secrétaire et une femme de ménage est fondé sur une réalité incontournable : les consultations durent en moyenne 15 minutes et sont rémunérées 23 euro. 
On sait également que des rémunérations annexes s'ajoutent à ces 23 euro. Visites à domicile par exemple (dans 99 % des cas, j'exerce en ville, 33 euro) ; consultations pour les nourrissons (23 + 5 = 28 euro), pour les enfant entre 2 et 5 ans (23 + 3 = 26 euro) ; consultations et visites à domicile chez les patients de plus de 85 ans (et maintenant au premier juillet de plus de 80 ans) (soit respectivement 23 + 5 = 28 euro et 33 + 5 = 38 euro) (280 euro par trimestre ) ; forfait annuel médecin traitant (1640 euro) et j'en oublie.
Une rémunération pour les patients dont je suis le médecin traitant et qui disposent de l'ALD (les affections de longue durée) : 40 euro par patient et par an.
La sécurité sociale a ajouté le ROSP ou rémunération à la performance dont j'ai déjà parlé LA et qui rémunèrent un certain nombre d'items tenant à la fois à l'organisation du cabinet et à des critères de santé publique (sic) : j'ai touché 3400 euro en 2013 (je n'avais pas atteint mon seuil de télétransmission en raison de pannes itératives de mon logiciel Hellodoc et de l'incapacité d'Hellodoc à calibrer les cartes santé des remplaçants). Donc, en gros j'ai touché à peine un euro de plus par C. Et la Cour des Comptes pond un rapport ce jour pour critiquer cet euro (LA). 

Ilustration : Molière : Le Médecin Malgré Lui. 1666.


dimanche 15 décembre 2013

A propos d'une entorse de la cheville. Histoire de consultation 159.


Madame A, 47 ans, est femme de ménage. Elle a pris rendez-vous au cabinet au décours d'un passage aux urgences non programmées de la clinique d'à côté. Le diagnostic porté sur le CMI (Certificat Médical Initial) de l'AT (Accident de Travail) était : "Entorse de la cheville droite."

Les urgences non programmées, permettez une incise, sont une bénédiction pour les médecins qui sont soulagés des fausses, prétendues, présumées, urgences, mais sont une catastrophe en termes d'économie de la santé (d'un point de vue médical et économique). Il faudra que j'y revienne.
Donc, la dame est allée consulter aux urgences non programmées, où, comme c'est bizarre, l'attente commence à devenir interminable, les mêmes causes provoquant les mêmes effets, et où des radiographies de la cheville ont été pratiquées (contre les règles d'Ottawa après interrogatoire a posteriori, voir ICI pour les règles) (Je vous fais lire un paragraphe que j'ai lu LA sur un site belge et qui résume pourquoi on pratique quand même des radiographies malgré ces fameuses règles d'Ottawa (1)), je n'oublie pas de vous préciser que les urgences non programmées sont installées dans une clinique où  il est possible de pratiquer radiographies et échographies, et où, comme d'habitude, on lui a demandé de revenir, au mépris de toutes les règles d'usage et de déontologie et non de revoir son médecin traitant. Qui la revoit donc ce quatrième jour (la patiente a préféré revenir voir le médecin traitant plutôt que les urgences non programmées où il y a un médecin titulaire et des "assistants" qui sont en fait des "remplaçants" pour assurer la continuité des soins…)

Elle a encore mal et elle porte une attelle amovible classique.
L'oedème n'est pas monstrueux et elle dit que cela va mieux.
A l'examen il existe à la fois des douleur du faisceau moyen du LLE (pour les jeunes : faisceau moyen fibulo-calcanéen du ligament collatéral latéral) déclenchées par le varus forcé et retrouvées à la palpation directe et une douleur antérieure déclenchée par les movements de flexion extension de la cheville avec douleurs à la palpation des tendons des muscles tibial antérieur et long extenseur du I (pour les jeunes de l'hallux).
Selon mon expérience (interne) les douleurs de la cheville liées à des lésions antérieures sont peu améliorées par les attelles amovibles classiques.
Je décide donc de la strapper. Je connais les recommandations de l'HAS datant déjà de janvier 2000 (voir ICI) et j'en ai une grosse expérience.
Et c'est là que les choses se compliquent.
Je prescris tensoplast six centimètres non substituable, 2 bandes.
La malade revient avec un urgostrap une heure après. Je râle, j'explique à la patiente que je n'aime pas urgostrap, mais, après qu'elle est restée la patte en l'air pendant quinze minutes dans le cabinet de mon associée qui ne travaillait pas ce jour là, je lui pose un strapping classique remontant jusqu'à l'extrémité supérieure du tibia non sans avoir protégé sa peau avec de l'elastomousse que j'achète moi-même car, en urgence, les pharmaciens n'en ont souvent pas.
L'urgostrap est de mauvaise qualité. La bande adhésive n'est pas assez rigide, fait des plis, voire des noeuds et je me débrouille comme je peux.
La patiente revient cinq jours après avec un strapping calamiteux… Qui se défait de partout. En haut, en bas, sur les côtés.
Je téléphone à la pharmacie qui la fournit, je lui explique que je veux du tensoplast et rien d'autre, que j'avais marqué non substituable, et cetera et elle vérifie qu'elle en a. La patiente, qui va travailler, assure qu'elle ne peut passer ce soir mais qu'elle enverra son mari en fin de soirée.
Le surlendemain la patiente revient avec de l'urgostrap. Je téléphone, plutôt pas content, à la pharmacie, je tombe sur quelqu'un d'autre, ce qui est normal, et on me dit que, de toute façon, ils n'ont pas de tensoplast en ce moment.

Nous convenons, mes amis, que c'est une histoire de chasse, une erreur à la pharmacie, erreur que je veux bien excuser, que j'aurais admis que la préparatrice me dise qu'ils ne s'y retrouvent pas avec le tensoplast et que l'urgoplast est moins cher, que l'on gagne plus d'argent avec une attelle amovible (après tout je n'en sais rien), mais quand même.

Avant dernier point : dans mon expérience le strapping que je pratique et que j'essaie de faire selon les règles de l'Art, même si, souvent, ces règles sont de simples Avis professionnels forts, est plus efficace, notamment dans les atteintes antérieures de la cheville, que l'attelle amovible. Les prix d'une attelle sont d'un peu moins de 30 € alors que 2 bandes tensoplast, c'est un peu moins de 10 €.
Il y a peu d'études comparant contention élastique versus attelle amovible mais tout le monde dit que les attelles amovibles, c'est mieux. Dans la littérature, je n'ai rien retrouvé de très convaincant pour étayer ce point de vue très prisé dans les services d'urgence et dans les cabinets de médecine générale. Il est vrai que l'attelle amovible a un avantage énorme : le patient n'a pas besoin de revenir et le médecin n'a pas besoin de passer du temps à poser la bande.

Dernier point : nous sommes un peu loin des génériques mais nous y sommes presque. Mais surtout : la délivrance d'un médicament ne s'arrête pas au moment de la prescription. J'attache beaucoup d'importance à ma connaissance de ce que je prescris. Y compris pour les comprimés et les gélules. Sans compter le goût des sirops.



Notes
(1) En pratique cependant, le passage par la radiographie est fréquent ; en raison parfois de la politique des compagnies d’assurances (p .ex. en cas d’accident du travail) mais aussi parfois parce que cela correspond à la demande du patient. Pour éviter d’exposer inutilement le patient à des rayons X, il est important que les soignants soient entrainés à utiliser les règles d’Ottawa et que les patients soient bien informés du fait qu’une radiographie n’est pas systématiquement nécessaire. 

Illustration : Edgar Degas (1834 - 1917) : Danseuses (estampe).

vendredi 28 septembre 2012

Générication du monde. Histoire de consultation 131.


Il s'agit plutôt d'une historiette.
Le jeune A, seize ans, vient avec sa mère me montrer ses boutons.
Il s'agit d'une allergie de contact. Sur tout le corps, enfin, sur le tronc, le dos, les membre supérieurs et inférieurs...
Je recherche des allergènes, des circonstances favorisantes, des séjours dans l'herbe, un changement de lessive, de savon liquide et je bloque.
Puis la maman a une idée lumineuse : elle lui a acheté sur le marché un survêtement à dix euro Made in China, "Ysenventpleinsurlemarché..."
La chronologie convient et nous convenons qu'il s'agit du survêtement mais elle ne se rappelle pas, il ne se rappelle pas la marque exacte. Demain elle m'a promis de me l'apporter. Demain c'était hier et elle ne me l'a pas encore rapporté.
Je n'ai pas fait de déclaration de pharmacovigilance. Tout le monde sait que certains vêtements Made in N'importe où peuvent entraîner des allergies.
Je me pose la question suivante en regagnant mon fauteuil : dois-je prescrire un princeps d'anti histaminique en faisant précéder la mention tapuscrite de mon ordinateur de la mention manuscrite NON SUBSTITUABLE  afin que le médicament délivré ne soit pas fabriqué en Chine dans un endroit reculé où ni la FDA, ni l'EMA et encore moins l'ANSM ne mettront les pieds ?
Je pense avant de prescrire à ma formidable responsabilité de prescripteur qui doit mettre en balance  l'équilibre des comptes de l'Assurance Maladie, la santé financière des pharmaciens dont on me dit qu'elle est précaire, la santé financière de Big Pharma, celle de Small Pharma (les vendeurs de génériques), les arguments moraux et sentimentaux dans le style En prescrivant un générique on casse le monopole de Big Pharma et on permet à de pauvres femmes africaines de pouvoir être traitées par des anti VIH à moindre prix et fabriqués en Chine, au Brésil ou en Inde, les arguments scientifiques de la Revue Prescrire dont la prescription en DCI et la générication du monde sont les piliers de son oeuvre morale civilisatrice, et cetera, et cetera.
(Je n'ai pas encore écrit un grand post définitif sur les génériques, cela ne va pas tarder mais il sera trop tard : mêmes les médecins généralistes sont devenus substituables).

PS du 30 septembre 2012 : un site montre comment est fabriqué le Zyrtec (édifiant) : ICI

samedi 9 juillet 2011

Madame A est informée. Histoires de consultation 90.


Madame A m'annonce d'emblée qu'elle ne va pas bien.
Je l'écoute sans anticiper.
Madame A est une femme filiforme qui souffre de lombalgies et de cervicalgies associées à une névralgie cervicobrachiale particulièrement casse-pied. Depuis des années. Madame A fait d'incessants aller et retours entre son médecin traitant et son, si j'ose dire, rhumatologue traitant. Elle a aussi vu un neurologue, on ne saurait assez s'entourer d'avis expertaux, quand tout doute est permis au royaume de la douleur incessante, supportable mais irritante.
Madame A a lu avec son mari la liste des 77 médicaments qui ont été soumis par l'AFSSAPS à une surveillance renforcée (ICI sur le site de l'Express, le site de l'AFSSAPS étant assez peu convivial) dont le Rivotril (clonazépam pour les décéistes, variété de médecins qui, par convictions anti capitalistes, par rigueur scientifique, par passion snobinarde nomade, mondialiste ou internationaliste, par suivisme élitiste, par mimétisme de gauche, et cetera, et cetera, a décidé que le nom de marque était une hérésie absolue et que la DCI ou Dénomination Commune Internationale était à la fois le canon des élégances, la preuve d'une supériorité intellectuelle infinie et la raison d'être du prescripteur avisé, mais, nous y reviendrons un jour de façon plus argumentée) qui lui a été prescrit un jour (et il y a longtemps) par un neurologue conseillé par son médecin traitant et represcrit par le docteurdu16 à des doses ridicules (sept gouttes par jour). Elle a donc décidé d'arrêter d'elle-même et progressivement. Je résume : arrivée à deux ou trois gouttes de rivotril (une misère) elle a décidé de prendre un comprimé de Stilnox (zolpidem toujours pour les décéistes distingués) car elle commençait à ne plus dormir le soir (et, accessoirement, à avoir un peu mal). Le Stilnox est celui de son mari qui en avait jadis pris (c'est moi qui lui en avais prescrit car je suis aussi le médecin traitant du mari) et qui, sur mes conseils prodigués d'emblée, avait arrêté tout de suite de peur de devenir dépendant.
Je ne sais pas si vous arrivez à me suivre mais je rappelle aux débutants, à ceux qui pensent que la médecine générale est un exercice de santé et que le discours des patients est clair et compréhensible comme un livre de Guillaume Musso ou aussi mal dit ou écrit qu'un livre de Marc Levy, que le scénario d'une consultation de médecine générale est parfois déconcertant, mal fichu et ne s'éclaire parfois qu'à la toute fin de consultation qui, comme dit partout, dure cinq minutes et ne permet, paiement à l'acte oblige et dans le meilleur des cas (médecin en secteur opposable), que de récolter, si j'ose dire, que 23 euro, quoi qu'on fasse, dise ou suppute...
Donc, vous avez Madame A, 56 ans, qui décide de son propre chef de cesser de prendre du rivotril, sept gouttes le soir, de s'arrêter progressivement, et, le sommeil disparaissant, de s'auto-administrer du Stilnox prescrit initialement à son mari pour compenser le manque de sommeil.
J'écoute la patiente.
Madame A : "Ben, au début, tout allait bien, je dormais parfaitement puis, tout d'un coup, le Stilnox n'a plus fait d'effet. Et, si je reviens vous voir, c'est pour vous demander ce que je dois faire... J'avais bien envie de reprendre du Rivotril... Cela fait quand même huit jours que je ne dors plus..."
Je me racle la gorge, je me demande ce que je vais bien pouvoir lui dire.
a) Agressif : Voilà ce que c'est de se livrer à l'automédication !
b) Docte : Vous avez un médecin traitant, il eût mieux valu le consulter avant.
c) Arrogant : On se rappelle enfin que l'on a un médecin...
d) Compatissant : Allons, allons, ne nous énervons pas, nous allons régler ce petit problème.
e) Rassurant : 7 gouttes de Rivotril, c'est quand même pas la mort...
Je me rappelle aussi que j'ai prescrit un médicament de la liste des 77 (c'est ma culpabilité). Mais cette liste a été bien utile quand je voulais me débarrasser de médicaments prescrits par des spécialistes...
Donc, cette patiente ne dort plus depuis qu'elle a baissé les doses de Rivotril puis elle a dormi sous Stilnox puis s'est arrêtée de dormir.
L'ombre tutélaire de Peter Falk domine cette consultation.
Je lui explique d'abord quels sont les effets indésirables possibles du Rivotril et j'ajoute, à la dose que vous preniez, bon, passons, mais je lui explique aussi pourquoi on s'attarde en haut lieu sur ce médicament : parce que des patients sont devenus accrocs, parce que des patients en ont fait un usage intempetisf, parce qu'il y a des toxicomanes qui que...
Je lui dis que je ne m'explique pas non plus la raison pour laquelle le Stilnox est devenu inefficace.
Je lui dis que, si elle veut, elle peut reprendre progressivement le Rivotril jusqu'à atteindre la dose qui la fera dormir, que cela ne me dérange pas, mais qu'il est possible que le Rivotril disparaisse un jour et que nous aviserons en amont.
Elle me dit qu'elle avait pensé faire cela.
Puis, pour changer de sujet, pour éviter peut-être qu'elle me pose la question qui tue, à savoir "Pourquoi m'avez-vous laissé prendre et continuez-vous de me laisser prendre un médicament de la liste des 77 ?", je lui raconte une histoire vraie. Monsieur C, un patient en qui j'ai toute confiance, un médecin généraliste à la retraite, m'a dit qu'il avait eu une expérience de ce type avec le Stilnox : A partir du moment où le pharmacien lui avait donné le générique du Stilnox, du zolpidem truc muche chouette, il avait cessé de dormir. Et pourtant le docteur C est tout à fait persuadé (au contraire de moi) de l'équivalence des génériques.
Madame A me regarde comme si je venais de fixer l'oeuf de Colomb.
"Oui ?" fais-je.
"Vous savez", me dit-elle, "je vais vous raconter comment cela s'est passé : quand j'ai décidé de prendre du Stilnox c'est en fait ma belle-mère qui m'en a donné et quand sa boîte a été terminée, j'ai pris le Stilnox de mon mari qui est en fait du zolpidem machin chose..."
Silence.
Digressions du bon docteurdu16.
Bon, les tenants des génériques comme les décéistes vont me tomber sur le mou et me fournir tous les arguments possibles et imaginables, les arguments de Small Pharma, les laboratoires génériqueurs, pour me dire que ma patiente est une folle cinglée. Et ils auront tort. Elle n'est pas une folle cinglée.
Je vais écrire un article sur les génériques dont le titre sera : Les génériques : une catastrophe industrielle, scientifique et économique."
A bientôt.

(Photographie : Chicago. Docteurdu16)

mercredi 22 juin 2011

Prescrire un aérosol doseur sans faire de démonstration est une faute professionnelle !


Je viens de lire un article assez renversant dans le British Medical Journal (ICI en accès libre), article dont je vais vous faire un résumé non critique car je n'ai pas eu le temps de m'y atteler sérieusement (notamment sur le plan des conflits d'intérêt -- et bien que l'article n'en rapporte pas -- et sur celui de sa robustesse scientifique), mais parce que le résultat de cet essai, pour étonnant qu'il paraisse, importe peu dans mon commentaire.

Il s'agit d'une analyse à la sauce Cochrane (utilisant le Cochrane toolkit que certaines revues françaises qui n'aiment pas le mediator seraient bien inspirées d'utiliser) faite par des chercheurs américains, une méta-analyse plus précisément (dont on connaît les limites théoriques en général), qui montre que : par rapport au placebo il y a un risque de mortalité augmenté de 52 % lors de l'utilisation du tiotropium / solution pour inhalation dans le traitement de la BPCO. Alors qu'une méta-analyse concernant tiotropium / poudre n'avait pas montré cela.

Qu'est-ce m'apprend cet article ?

Que la forme peut parfois être plus importante que le fond.

Que le tiotropium est un drôle de produit dont je vous avais déjà parlé ICI, drôle parce que peu efficace, parfois dangereux et très prescrit à mon avis à tort et à travers et dont la balance bénéfices / risques est assez douteuse.

Que les pneumologues (et les médecins en général) prescrivent le tiotropium comme du jus de pomme, parfois selon l'AMM, souvent hors AMM ou à des stades pré cliniques des maladies (certains "experts" ne proposaient-ils pas dans un excès incroyable de prescrire Spiriva chez tout fumeur et avant toute manifestation clinique de BPCO...) élargissant leurs possibilités de manger des pizzas gratuites dans un congrès organisé à Orlando par un certain laboratoire allemand (Boehringer Ingelheim pour ne pas le citer et dont vous pouvez découvrir ICI la page d'accueil).

Que la prescription d'un médicament ou d'un matériel ne se limite pas à l'écriture manuscrite ou tapuscrite d'une ordonnance, qu'elle doit s'accompagner de la nécessité de s'assurer que la façon de prescrire (qui fait aussi partie de la croyance par le prescripteur de l'idée du 'médecin comme meilleur médicament' qui auto-autorise le prescripteur supposé tout-puissant et omnipotent à prescrire sans vergogne des placebos) a entraîné la prise médicamenteuse et permis les effets supposés de la molécule.

Que l'attitude jusqu'au boutiste de certains médecins (dont j'ai fait le portrait ICI en intuitionnistes idéologiques) prescrivant uniquement en DCI (Dénomination Commune Internationale) pour des raisons plus idéologiques (le combat contre Big Pharma) que scientifiques (la mondialisation de la prescription) pouvait mener à des catastrophes, notamment chez les personnes âgées. Un ou plusieurs correspondants me faisaient remarquer sur des forums médicaux "sérieux" que le rôle du médecin s'arrêtait à la rédaction de l'ordonnance et que c'était, ouvrez bien les yeux, au pharmacien de faire le boulot de démonstration, c'est son boulot, répétaient-ils, pas le mien, et je n'avais donc plus d'arguments pour répondre devant un tel désintérêt de ces médecins pour le questionnement de l'EBM (ou de la médecine factuelle ou de la médecine par les preuves) ou pour la démarche OPE (Organisme, Patient, Environnement) et leur retour à marche forcée vers le paternalisme et la posture d'expert qui connaît les données de la science (tous les produits se valent puisque c'est la molécule qui travaille) comme idéologie totalisante non adaptable à tel ou type de patient. Et tout le monde n'a pas la chance de connaître des pharmaciens de la trempe de jean Lamarche... à qui je propose de voir ce film édifiant sur la façon de démontrer l'utilisation du RESPIMAT, film promu par l'association irlandaise d'asthmologie, qui découragera effectivement nombre de prescripteurs de faire toute démonstration : ICI.
"Tu suis mes prescriptions ou tu te barres !", voilà la posture expertale arrogante et définitive (avec mes sept ans, huit ans, neuf ans et plus, sans compter les redoublements, je suis quand même un mec super...) du médecin droit dans ses bottes.

Qu'il ne faut pas exonérer non plus les médecins qui ne prescrivent pas en DCI car ils ne font pas plus, en majorité (sondage personnel), de démonstration dans leur cabinet avec les aérosols doseurs : Prends la Ventoline et barre-toi ! ... Cela revient au même.
Qu'il est nécessaire (mais non suffisant), chers prescripteurs, de toujours prescrire la même chose (j'entends déjà des voix s'élever), d'essayer de toujours prescrire la même chose, pour acquérir de l'expérience interne, de connaître la forme et le conditionnement des médicaments (je pense par exemple au Previscan, au Sintrom ou à la coumadine, médicaments dangereux s'il en est, je rappelle que la prescription de coumadine est la première cause d'hospitalisations aux US...), et d'expliquer, expliquer encore, encore et encore, la façon dont il faut prendre les médicaments.

Je fais une incise : je ne confonds pas la DCI et la générication. Mais je constate que la DCI va de pair avec la générication.
Et il n'est pas inutile de rappeler que la générication du monde (pas seulement celle des médicaments, la générication facebook ou twitter, l'uniformisation des modes de vie) et sa décéication sont des objectifs à la fois ultralibéraux et altermondialistes. Les ultra libéraux qui commercialisent le monde et le dégradent en qualité et les altermondialistes pour faire baisser le prix des médicaments et rendre accessibles les molécules aux populations des pays en voie de développement, c'est à dire aussi pour médicaliser les endroits de la planète où Big Pharma ne peut faire encore de profits. Cette générication et cette décéication sont les outils faciles de la mondialisation ou globalisation en anglais : le paracétamol n'est plus fabriqué en Europe...
Ainsi prescris-je en DCI, mais pas tout le temps, il m'arrive de penser que la prescription en DCI (avec pour corollaire le choix par le pharmacien de la molécule, c'est à dire l'influence la plus évidente de Big Pharma, un générique Winthrop contre deux boîtes de fluocaril, et les soucis mercantiles au zénith) sera plus compliquée que la prescription d'un princeps NS (Non substituable) chez tel ou tel patient (Prendre en compte ses Valeurs et ses préférences pour limiter ses Agissements - i.e. la non prise ou la mal prise) vaut mieux que de prescrire de facto un générique...

Bon, revenons à mon propos final. Cette étude tiotropium versus tiotropium (ce n'est pas exactement cela mais cela y ressemble) me conduit à écrire ceci :
  1. Les médecins qui prescrivent un aérosol doseur délivrant un bronchodilatateur et / ou un anti-inflammatoire, dans l'asthme ou dans la BPCO, sans en faire la démonstration au patient / malade commettent une faute professionnelle
  2. Les médecins, dont un patient traité par un aérosol doseur délivrant un bronchodilatateur et / ou un anti-inflammatoire n'est pas équilibré ou s'est dégradé récemment, qui ne contrôlent pas dans leur cabinet comment la molécule est délivrée commettent une faute professionnelle
Il est donc nécessaire de disposer à son cabinet, outre un peak-flow tout bête, des dispositifs de délivrance permettant d'expliquer et / ou de contrôler le mode de délivrance. Bien que la démonstration vue sur Internet par la société irlandaise d'asthmologie du respimat pourrait dégoûter à jamais de faire une démonstration. Mais on trouve sur internet des explications plus simples (simplistes ?) : LA.

Bonnes réflexions.

(Photographie : Eole)


samedi 21 mai 2011

La Visite Académique se trompe de cible : qu'elle s'intéresse aux spécialistes hospitaliers !

Figure due à François Pesty

(Je reçois la lettre d'information d'Hugues Raybaud (ici). J'y lis une accroche sur un article de François Pesty qui est, d'après les informations de son site, consultant ITG (???). Sur le site d'Hugues Raybaud il est possible de consulter un fichier Power Point mais il est aussi possible de lire l'article publié sur son site (ici). Je me sers d'un commentaire (anonyme) de CMT sur ce blog qui conseille de lire un article (ici) et je rédige ce post :)

François Pesty écrit pour vendre une idée, la visite académique (ici) que je dénonce en raison 1) de son côté ringard : faire, à l'heure d'internet, de la visite à domicile pour des médecins suppposément déjà dépassés par leur charge de travail et qui plus est, aux heures de bureau, est assez surprenant ; 2) de son côté déplacé : la visite académique ne peut se concevoir qu'entre pairs et, qui plus est, qu'entre pairs qui n'ont pas de liens d'intérêt forts comme ceux d'être des salariés de la CNAMTS ; 3) de son côté rivalité mimétique : Big Pharma fait de la visite médicale et donc, au lieu de critiquer la visite médicale en tant que medium, nous allons faire comme Big Pharma ; 4) de son côté dispendieux : François Pesty doit connaître le prix exorbitant d'une visite médicale chez un médecin et pense que la CNAMTS va suivre en faisant former les VM "officielles" par une officine privée (voir infra).
Il n'est pas inopportun de savoir que le dénommé Pesty s'occupe d'une société (un collectif) pour promouvoir la visite académique : le PUPPEM (Pour une Prescription Plus Efficiente du Médicament) (ici). Donc, le sieur Pesty, chevalier blanc du combat pour les produits reconnus et pas chers, et qui veut promouvoir son collectif sus cité, combat la CNAMTS (et quelqu'un qui combat les méthodes de promotion de la CNAMTS ne peut pas être franchement mauvais) parce qu'elle 1) ment sur les chiffres qu'elle produit pour défendre sa politique (c'est une habitude classique de désinformation autopromotionnelle et cléricale des institutions) ; 2) parce que la visite académique des DAM (déléguée de l'assurance maladie) n'est pas, selon lui, assez efficiente (il se propose de les former).
Il prend l'exemple du traitement de l'HTA et celui de la prescription des IEC (inhibiteurs de l'enzyme de conversion) et des sartans.
Les idées de sa présentation : 1) les produits les plus chers sont les plus prescrits ; 2) les produits les plus chers (i.e. les plus récents) ont le moins de preuves scientifiques d'efficacité ; 3) les produits les plus chers sont promus par Big Pharma ; 3) les DAM sont inefficaces ; 4) la maîtrise médicalisée de la CNAMTS ne marche pas.

Je n'analyserai pas toute la présentation qui est, à mon sens, un peu trop "démonstrative".

Je ferai cependant les commentaires suivants :
  1. Si vous voulez bien vous reporter à la figure en tête de ce post, vous remarquerez que FP prend comme prix mensuel du captopril 25 mg en boîte de 30 (5,71 euro), qu'il compare ce prix à celui de l'Exforge (association IC et sartan) 26,5 euro et il en conclut, triomphant, qu'il est 5 fois moins onéreux. c'est bien entendu une erreur (ou un mensonge ?) : combien un patient moyen prend-il par jour de comprimés de captopril, sachant que a) la posologie (liée à la cinétique de la molécule) exige deux prises, b) que la dose de 25 mg, même en deux prises, est le plus souvent inefficace ? Je ne connais pas, n'ayant ni les chiffres de la CNAMTS ni les chiffres de l'IMS, quelle est la posologie moyenne du captopril 25 mg mais nous assumerons le fait qu'il y a deux prises par jour et ainsi le prix du captopril 25 mg devient 10,42 euro, soit, à la louche (mais dans cette analyse nous nous mettrons au diapason de FP) un prix une fois et demi plus important. Ne parlons pas du cas où le patient hypertendu est traité par 75 mg par jour de captopril... Il aurait pu se rendre compte de son erreur en notant que l'association captopril / hydrochlorothiazide est dosée à 50 mg de captopril et coûte effectivement 11,03 euro ! La CNAMTS ment mais FP aussi.
  2. FP, inversement, prend comme référence ramipril 10 mg alors que le plus prescrit est le ramipril 5 mg et, pour démontrer, utilise le prix du 10, plus élevé, et non celui du 5, environ 11 euro, le prix du captopril utilisé à bonne dose !
  3. Je n'insisterai pas non plus sur le point suivant : FP ne nous dit pas que la monothérapie est difficile à obtenir sur le long terme dans le traitement de l'HTA et que nombre de produits sont coprescrits avec de l'hydrochlorothiazide qui est le diurétique le plus étudié dans la littérature mondiale.
  4. FP, par ailleurs, découvre le secret de la pierre philosophale : les produits les plus prescrits sont les produits promus par Big Pharma ! Nous croyions, nous, les naïfs, que Big Pharma entretenait des réseaux de visite médicale pour former, édifier, informer, les médecins, eh bien non, Big Pharma le fait pour des raisons bassement commerciales... Et on ne nous l'avait pas dit !
  5. Au lieu de dire que la visite académique, et malgré quelques essais à mon avis pas aussi concluants que cela au Canada et aux Etats-Unis, n'aura jamais les moyens de la visite médicale traditionnelle Big Pharmatée et coûtera une fortune, FP préfère insister pour promouvoir son collectif.
Mais ce n'est pas fini.
Je vais donc, par égard pour FP, faire une pause pour dire que je ne le connais ni des lèvres ni des dents, que je n'ai aucun intérêt (actuel) à dénigrer la visite académique et que je ne signe pas un article dicté par Christian Lajoux...

Il se trouve que l'analyse de FP a surtout un défaut fondamental : elle est encore une fois ciblée sur les médecins généralistes qui n'en peuvent mais alors que la visite académique devrait commencer, si elle avait une quelconque utilité, être faite d'abord à l'hôpital, dans les cliniques et dans les cabinets libéraux de médecins spécialistes d'organes.
Il y en a assez de ce contrôle des généralistes qui épargne les prescriptions hospitalo-centrées !
C'était notre côté démagogue pour les médecins généralistes.
Quoi qu'il en soit un article pêché dans une revue de l'industrie pharmaceutique (ici) nous rapporte que les médecins généralistes sont des has been pour Big Pharma.
Nous lisons ceci :

Les produits de spécialité tirent la croissance

Une nouvelle fois, les produits de spécialité ont pesé lourd dans la balance de l'assurance maladie. Les remboursements de ces spécialités thérapeutiques pour la plupart prescrites à l'hôpital et délivrées dans les officines de ville, ont crû de 386 millions d'euros l'an dernier (4). Elles comptent pour 75 % de la croissance globale des dépenses de médicaments. Dans le détail, les traitements des infections virales chroniques (+92 millions d'euros) et les anti-rhumatismaux spécifiques (+81 millions d'euros) enregistrent les plus fortes variations de l'année 2009. A moindre échelle, les médicaments indiqués dans le traitement des pathologies chroniques (+99 millions d'euros) et des épisodes aigus (+61 millions d'euros) ont respectivement connu une augmentation de 1,2 % et de 1,5 %. Autre phénomène intéressant : les prescriptions hospitalières (médicaments rétrocédés inclus), qui englobent un quart des dépenses de médicaments délivrés en ville (27 %), ont progressé de 7 % en 2009 (contre 0,8 % pour les prescriptions des médecins de ville). Fortes d'une hausse de 371 millions d'euros sur la période, elles représentent 74 % de la croissance des montants remboursés en ville. « Depuis cinq ans, les prescriptions de sortie d'hospitalisation tirent les dépenses de ville, regrette Frédéric van Roekeghem. La maîtrise médicalisée doit absolument s'élargir à la prescription de sortie hospitalière. Il s'agit d'un besoin important pour la dynamique d'ensemble. »


Dernier point encore : la spécificité française de la moindre performance des produits génériques par rapport à des pays comme les Etats-Unis tient à la complaisance de l'AFSSAPS pour les AMM bidons comme le perindopril 5 (Coversyl servier) commercialisé pour contrer la générication de la molécule sans aucun intérêt clinique et, également, le prix globalement élevé des génériques par rapport aux princeps...

Je n'ai rien contre François Pesty, ses analyses sont intéressantes et ont au moins le mérite d'exister pour ceux qui n'y connaissent rien au marché pharmaceutique (les médecins français n'aiment pas l'économie et tout ce qui touche au coût-efficacité ou au coût-efficience) mais je ne partage pas son avis sur la Visite Académique et lui conseille de revoir ses courbes qui sont très démonstratives mais qui pourraient l'être autant en corrigeant les erreurs d'interprétation.

Que la Visite Académique commence par l'hôpital, les staffs, et l'on verrait les problèmes de statuts et de conflits d'intérêt. Que la Visite Académique commence là où les prescriptions de produits chers est générée et on pourra ensuite s'occuper des généralistes qui ont un effet masse mais cependant à la marge des vraies dépenses.




mardi 5 janvier 2010

EFFET NOCEBO : UN EXEMPLE PAS SI EXEMPLAIRE QUE CELA

Le British Medical Journal (BMJ) raconte une histoire qui s'est passée en Nouvelle-Zélande, petite île des Antipodes peuplée d'environ 4,2 millions de ballons ovales.

Je vais d'abord vous raconter l'histoire telle qu'elle est contée par les auteurs, trois membres de la faculté d'Auckland (charmante ville plus connue pour son stade de Rugby, le si fameux Eden Park).
Comme vous n'êtes pas, pour la plupart, abonnés au journal anglais, je vous renvoie à un lien qui va vous décevoir par sa sélectivité et sa brièveté : ici. Vous serez donc obligés de me faire confiance à moins de vous abonner à ce journal qui parle plus de médecine générale que tous les journaux médicaux français réunis (je parle des revues qui comptent, pas celles financées par l'industrie, par le gouvernement ou par les syndicats).

Les faits et leurs commentaires dans le BMJ.
  1. Jusqu'à 2007 les 70000 Néo-Zélandais qui avaient besoin d'un traitement hormono-substitutif par la thyroxine se voyaient prescrire de l'Eltroxin commercialisé par les laboratoires GlaxoSmithKline (GSK) et cela faisait trente ans que cela durait. GSK décide en 2007 de transférer l'usine de fabrication d'Eltroxin du Canada vers l'Allemagne. A cette occasion le contenu des excipients change et l'aspect de la nouvelle formulation n'est plus la même pour le gravage, la taille et la couleur. Selon certains rapports, disent les auteurs néo-zélandais, le goût et la vitesse de dissolution sur la langue changent aussi. Quant au principe actif, la thyroxine, il reste inchangé et continue à être fabriqué en Autriche (nous vivons une époque formidable !). La nouvelle formulation est donc désormais délivrée aux patients à partir de 2007 2008 et le taux de signalement d'effets indésirables est multiplié par 2000. Il est à signaler qu'il n'y a pas d'autre formulation proposable aux patients. On passe, disent les auteurs, de 14 notifications en 30 ans à 1400 en 18 mois. Qu'est-il arrivé ?

  2. Les effets indésirables. Leur fréquence : les premiers effets indésirables ont été rapportés en octobre 2007, il y en avait 294 en juillet 2008 et le pic (492) a été atteint en septembre 2008 pour décroître ensuite : 177 en octobre et 21 en novembre. Il est à noter que dans les autres pays où la substitution s'était faite il avait été noté une augmentation des effets indésirables mais sans commune mesure avec ce qui se passait en Nouvelle-Zélande. Leur nature : à peu près la moitié d'entre eux (prise de poids, fatigue, myalgies, arthralgies et dépression) peuvent être rapportés à l'hypothyroïdie mais pour d'autres fréquemment rapportés, cela n'est pas le cas : conjonctivite, douleurs oculaires, maux de tête, prurit, éruptions cutanées, vision anormale ou trouble, nausées, troubles digestifs.
  3. Analyse des causes. Facteurs intrinsèques. L'Agence néo-zélandaise (Medsafe) a fait procéder à de nouvelles analyses de bioéquivalence qui ont conclu à une conformité acceptable de la nouvelle formulation et au fait que les excipients contenus étaient bien ceux annoncés par la firme. Les auteurs disent ceci : 5 % des effets pouvaient en théorie être attribuables à la nouvelle formulation. Pas plus. Facteurs externes. a) La substitution de formule s'est produite à un moment où l'on accusait l'Agence néo-zélandaise gérant le budget de la santé (Pharmac) de casser les coûts. b) Des bruits sur le Web prétendaient que la nouvelle formulation était fabriquée en Inde, qu'elle contenait des OGM, et du glutamate. Le rôle d'un "champion". Un pharmacien d'une petite ville de Nouvelle-Zélande s'est fait l'avocat des patients souffrant d'effets indésirables liés à la nouvelle formulation, a été largement interrogé par les medias et a cherché à trouver un produit de substitution pour les soulager. les auteurs soulignent le rôle néfaste qu'un tel champion, professionnel de santé d'une petite ville s'opposant à Big Pharma, peut avoir in fine. Le rôle des médias. Les auteurs insistent sur la couverture journalistique de l'affaire, font des analyses géopgraphiques sur relations entre le nombre d'effets indésirables dans une région de Nouvelle-Zélande et le nombre d'articles de journaux publiés localement. Ils citent une comédie musicale à succès parlant de malfaçons de médicaments en Inde. Ils citent le web et ses rumeurs, ses fausses informations mais, paradoxalement, ne font aucune mention du quantitatif, ce qui ruinerait leurs inférences locorégionales. Le facteur patient. Les auteurs parlent de labilité émotionnelle chez les patients hypothyroïdiens et donnent des informations très mécanicistes et assez peu respectueuses des plaintes des patients.
  4. Les conclusions des auteurs : méfions-nous à l'avenir des changements de formulation et de l'introduction des génériques qui peuvent induire des peurs chez les patients qui sont coûteuses pour les gouvernements et pour les patients impliqués.

Bof, bof, bof !

Je voudrais souligner ici le grand mépris de cet article pour les patients qui sont au mieux considérés comme des victimes et, au pire, comme des crétins.

Cette affaire est symptomatique, me semble-t-il, du rationnalisme considéré comme une science.

On remarque ici que la globalisation des marchés est une donnée qui ne semble choquer personne. Le principe actif est fabriqué en Autriche, les comprimés sont fabriqués en Allemagne et l'on ne nous dit pas d'où vient l'encre, combien de pétrole est dépensé pour les acheminements et si les travailleurs sont des immigrés ou s'ils sont fabriqués sur place, et cetera... C'est la rationnalisation du monde au moindre coût (apparent).

Quant à la modification des excipients, il n'est pas inconsidéré de ne pas la prendre à la légère, bien que son influence puisse être extrêment minime. Mais elle peut être à la base d'une remise à plat des conditions de prescriptions.

D'autre part, nos universitaires néo-zélandais n'ont jamais entendu parler, ni de l'effet placebo, ni de l'effet nocebo.

Car, inférer à partir d'études de bioéquivalence, qu'il n'est possible d'expliquer que 5 % d'effets indésirables puisque la bioéquivalence est de 5 % est assez renversant. On rappelle à ces auteurs que l'effet placebo, en moyenne, quelle que soit la pathologie, est assumé à 30 % Le fait est têtu. C'est à dire que la prescription d'une molécule active, ici la thyroxine, si elle entraîne une amélioration moyenne de 70 % des symptômes, 30 % de l'amélioration est liée à l'effet placebo.

Et ainsi, dans notre affaire, les patients, toutes choses égales par ailleurs, ont pu voir leur capital placebo partir en fumée en raison de leur incompréhension sur le changement de formulation, ses raisons exactes, sans compter les rumeurs et les canulars et l'ambiance générale de défiance qui pouvait régner en Nouvelle-Zélande.

Nous ne disposons pas de chiffres aussi précis sur l'effet nocebo mais il n'est pas improbable de croire qu'il peut expliquer la flambée d'effets indésirables constatés après le changement de formulation, sans tenir compte des autres facteurs rapportés par les auteurs. N'oublions pas que le changement d'aspect, de goût, de vitesse de dissolution, sont des facteurs étudiés avec attention par l'industrie pharmaceutique pour mieux faire vendre ses produits et les faire mieux accepter. Il doit bien y avoir une raison.

Les auteurs ont aussi oublié l'effet mimétique (ils ont décrit ses moyens mais pas son mécanisme) et nous leur conseillons, sur la Mimesis et le Désir Mimétique, de lire René Girard.

Les auteurs ont aussi minimisé l'effet du web qui semble être un facteur déterminant dans la propagation des bruits et rumeurs, facteur désormais plus important que celui des medias traditionnels.

Mais cet exemple d'école, tout autant que ce que je rapportais sur les Antennes Relais, rend la réflexion sur la générication de la médecine encore plus nécessaire. Nous ne pouvons faire l'économie d'un débat autre qu'idéologique sur les génériques, sur les procédures drastiques non appliquées, mais, plus généralement, sur l'inhumanisation des rapports médecins malades.

Le malade n'est pas au centre des préoccupations du système de soins. Cet article en est le reflet.

A l'heure de la prescription en dci mise en place à la va-vite, comme tout ce que fait le gouvernement en matière de santé publique, pourquoi ne pas s'interroger sur la thyroxine néo-zélandaise ?

Nous remercions les auteurs pour ce papier mais l'instruction n'est pas close.