dimanche 21 juin 2020

La distanciation physique de 2 mètres est-elle fondée sur des preuves ?

Physical Distancing, Face Masks, and Eye Protection to Prevent Person-To-Person Transmission of SARS-CoV-2 and COVID-19: A Systematic Review and Meta-Analysis


Carl Heneghan et Tom Jefferson ont lu l’article de Chu DK et al publié le premier juin 2020 dans le Lancet (ICI), une revue systématique et une méta-analyse, dont les conclusions indiquent qu’une distance de 1 mètre et plus dans les lieux publics est justifiée pour éviter la transmission du virus.

Heneghan et Jefferson ont publié dans The Telegraph (LA) une mise au point concernant cette méta-analyse. Ils ont également adressé un commentaire aux auteurs et ils relatent à la fois leurs conclusions et ce qu’il est advenu de ces réflexions dans un communiqué paru sur le site du Center for Evidence-based medicine de l’université d’Oxford (ICI).

« Pour apprécier les mesures de distance rapportées dans la Figure 2 de l’article nous avons analysé les études SRAs et COVID-19 et avons découvert que nous ne pouvions reproduire les résultats rapportés pour 13 des 15 études…. Et nous en avons conclu qu’il n’existait pas de preuves scientifiques supportant la désastreuse règle des 2 mètres… Une recherche de maigre qualité a été utilisée pour justifier une politique dont les conséquences sont énormes pour tous. »

Les relecteurs externes (H et J) ont émis une «Expression of concerns » pour le Lancet.

Vous pouvez lire leurs commentaires, étude par étude : soit les données ont été « mal » extraites soit elles n’ont pu être reproduites. 

L’auteur de l’article du Lancet a répondu en joignant les commentaires des auteurs des articles incriminés.. 

Merci pour votre email. Nous avons fait le maximum pour répondre rapidement à vos demandes.

"Dear Carl and Tom,

Vous trouverez en attaché cette réponse relativement rapide. Nous avons eu plusieurs séances d'examen par les pairs à la fois dans le cadre de la soumission au journal et avec des collègues de l'OMS et nombre de ces problèmes ont été soulevés. Nous ne convenons pas qu'il existe de graves erreurs. De plus, nous pensons qu'il pourrait exister des erreurs et  des affirmations peu claires dans vos commentaires que vous pourriez vérifier -- nous expliquons cela dans la pièce jointe.


Cette démarche est tout à fait pertinente et va dans le sens d’une réponse rapide aux critiques émises de bonne foi et la rapidité des réponses est tout à fait étonnante et de bon aloi.
Cela nous paraît un progrès décisif dans le processus de contrôles scientifiques des publications.

La conclusion de Heneghan et de Jefferson est pourtant la suivante : 

« As experienced reviewers, we looked at the evidence and could not replicate the distance estimates reported in the Lancet paper. We now invite others to check the papers – most are open access – and share their assessments. we look forward to your comments
»
En tant que relecteurs expérimentés, nous avons regardé les preuves et n’avons pu reproduire les distances estimées rapportées dans l’article du Lancet. Nous invitons d’autres relecteurs à vérifier les papiers-- la plupart sont en accès libre-- et à partager leurs évaluations. Nous attendons avec impatience les commentaires. 


En conclusion (provisoire) : La décision d'une distanciation physique de plus d'un mètre (et a fortiori de 2 mètres) n'est pas fondée sur des preuves.

PS du 26 août : un article du BMJ sur la question : LA
(

jeudi 4 juin 2020

Accès aux urgences


L'accès aux urgences a longtemps été un sujet tabou et un lieu de discussion sans fin sur les raisons de cet accès libre et de ses conséquences.

Le docteur Mathias Wargon écrit beaucoup et il serait malvenu de lui reprocher de ne traiter aujourd'hui qu'un aspect du problème des urgences. Et sa contribution est la bienvenue.

Ce billet (LA) est important car il indique des pistes qui, jusqu'à présent, n'étaient évoquées que par les critiques non urgentistes des urgences.

Il est important car l'auteur aborde la question d'un point de vue ouvert sans oublier de pointer du doigt les défaillances du système et l'inadéquation fréquente des structures d'accueil.

L'accès aux urgences ou plutôt les raisons pour lesquelles les citoyens se rendent aux urgences ne sont pas toujours médicales ou, écrit MW, relèvent de la médecine ambulatoire ou de premier recours avec souvent des problèmes sociaux...

Oui.

L'accès aux urgences serait-il le reflet du fonctionnement de la société tout entière ? (1)

Oui.

MW nous indique que seulement 20 % des motifs de consultation ne seraient pas du ressort des urgences. Il se fonde sur un article récent de Naouri D et al. (ICI) Rappelons que 3 scores ont été utilisés pour juger de cette pertinence et que les résultats rapportent des pourcentages, respectivement de 23,6, 27,4 et 13,5 % La limitation de ce jugement : ce sont les urgentistes qui décident qui aurait dû venir et qui n'aurait pas dû le faire. Or, mon expérience personnelle de médecin généraliste, et nul doute que ces cas feraient partie des pourcentages sus cités, que lorsque je revois un patient au décours de son passage aux urgences, je me demande, je lui demande, ce qui lui a pris... Et les réponses : "Mais j'avais mal ! Mais je voulais savoir ce que j'avais ! Mais je voulais être rassuré..."

Naouri D et al. indiquent que la vulnérabilité sociale est importante pour le recours aux urgences. Tiens, ça tombe bien, ce sont les plus vulnérables socialement qui ont le plus de difficultés de santé...

MW n'omet pas de parler des conséquences financières pour l'hôpital de cette sur fréquentation des urgences. Mais nous serions tentés de croire, nous sommes bienveillants, qu'il s'agit plus d'un effet d'aubaine que d'une volonté délibérée.

Avant de proposer des solutions MW pointe le doigt sur un fait majeur et que peu abordent : l'accès aux urgences pour ce qui relève, selon les urgentistes, de la médecine ambulatoire est, je cite, catastrophique pour la bonne prise en charge du patient.

Oui.

Et MW n'omet pas de suggérer que la prise en charge en premier recours par un médecin de premier recours sera sans doute plus efficace de façon longitudinale.

Cela dit, les médecins généralistes qui prescrivent en leurs cabinets de médecine générale des médicaments et/ou des examens complémentaires, inutiles et/ou inappropriés dans des pathologies communes ne font souvent pas mieux que les urgentistes en transversal... Et vice versa.

Si je pouvais me permettre une incise : c'est un problème sociétal. Je ne développerai pas ici mes idées fixes sur le consumérisme médical, sur le zéro douleur, sur les indications d'examens complémentaires posées par le patient, sur le chantage juridique (si je ne le fais pas je vais avoir un procès)...  Et, du point de vue des médecins, sur le refus de l'incertitude qui conduit à l'excès de prescriptions...

Quand MW en arrive au chapitre solutions, je suis un peu plus circonspect. Car il ne parle que de l'amont. Les solutions qu'il suggère se situent toutes en dehors de son périmètre, c'est à dire la médecine de premier recours, comme si c'était aux urgences, c'est à dire les administratifs et les personnels de soin, de décider ce qui conviendrait le mieux aux libéraux... 

Il commence par proposer des solutions pour les patients insérés dans le parcours de soin mais, sauf erreur de ma part, il a écrit ailleurs que les maisons médicales de garde, cela ne marchait pas, et les autres solutions en sont au stade du berceau : téléconsultation, structures de soins non programmées avec plateau technique...
Mais, comme je l'ai écrit plus haut "mes" patients inscrits dans le parcours de soin vont aussi aux urgences en dehors des heures de bureau.

Quant à son paragraphe sur les exténués, les pauvres, les sans-papiers, les déshérités, n'est-ce pas un peu exagéré ? 

MW n'a pas envisagé l'adressage des patients aux urgences par le médecin traitant et la suite en ville. C'est un problème important car il devrait être une porte d'entrée pour une discussion loyale.

MW arrive dans la partie plus politique de son discours, politique au sens de la cité, je précise.

La mise en place d'un service d'accès aux soins (SAS).

C'est une tradition française, celle du millefeuilles : on rajoute aux structures existantes une autre structure sans supprimer les précédentes. Quant à la possibilité que des IDE et/ou des masseurs-kinésithérapeutes puissent être intégrés au processus, ce en quoi un médecin généraliste ne peut que souscrire par intérêt corporatiste (eh oui, en cette période de pénurie de l'offre, le corporatisme consiste à se défausser sur les autres, contrairement à une idée reçue) MW ne connaît pas les délais pour obtenir des séances de kinésithérapie et/ou la surcharge de travail et les horaires des infirmières libérales...

Cela dit, MW met les pieds dans le plat, il envisage enfin la possibilité d'une régulation de l'accès aux urgences, il reconnaît avoir changé d'avis, mais ne se rappelle pas combien il a agoni ceux qui le proposaient antérieurement.

Les CPTS, les communautés professionnelles territoriales de santé, lui semblent un outil adapté. Il suggère l'utilisation d'un mode de financement particulier et l'organisation de centres de santé, certes, et, à ma grande surprise, de structures positionnées à côté des urgences, solution qu'il avait fustigée à juste titre comme inefficace (voir les expériences menées à Manchester --Whittaker et al. LA -- et plus généralement en Angleterre -- Cowling TE et al ICI et LA).

Le problème de la médecine libérale de ville, c'est sa saturation.

Aucune étude ne montre que l'accès aux urgences est significativement amélioré (diminué) par le fait que les médecins généralistes réservent des plages d'urgences non programmées, ce que la plupart d'entre eux font depuis très longtemps.

Il n'y aura pas de solution miracle.

Ce billet de MW est très important car il suggère un revirement de stratégie : mais les urgentistes sont-ils convaincus de le comprendre ? En revanche, essayons d'organiser des rapports ville hôpital (et cliniques) plus sereins dans un respect mutuel (arrêtez de rire derrière mon épaule). La politique des petits pas est plus importante qu'une révolution qui ne surviendra pas d'un jour sur l'autre.

Dans tous les pays du monde se pose le problème de l'accès aux urgences.

Il y a sans doute une solution française ou plutôt des solutions adaptées à la France.

Mon expérience des urgences de spécialité, notamment en hématologie, m'a appris qu'une collaboration efficace ville hôpital est possible et bénéfique.

En me relisant je comprends qu'il y avait un million d'autres choses à dire. Ce sera pour une autre fois.


Note : 
(1) Il paraît évident de le penser. Sans parler de la misère sociale et sanitaire, il est possible de comparer selon les pays, et notamment pour les pays nordiques, le taux de consultation annuel par habitant qui, notamment au Danemark, est très faible...