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mardi 5 février 2013

Nous marchons sur la tête. Histoire de consultation 142.



(Post scriptum du 5 mars 2020 : la HAS enfonce le clou : laissez le plus souvent les enfants tranquilles : ICI)

Le jeune A, 5 mois et 7 jours, est amené en consultation par sa jeune mère et sa jeune grand-mère parce qu'il tousse.
C'est la première fois que j'aperçois A et cela fait bien cinq ans que je n'ai pas vu la jeune mère (qui avait 13 ans à l'époque) et la jeune grand-mère qui a aujourd'hui 41 ans. Ils ont déménagé dans un département voisin où, m'a-t-on dit plusieurs fois, les médecins se font rares et ne veulent pas accueillir de nouveaux patients.
A ressemble beaucoup à son oncle, qui a 16 ans, même forme de visage, même forme de crâne.
J'entre la carte vitale dans le sabot et je crée automatiquement le nouveau dossier.
Le gamin est très coopérant, il se laisse manipuler, déshabiller, examiner, il sourit et l'auscultation retrouve quelques sibilants, le rythme respiratoire est normal, les tympans sont parfaits et la gorge est dans le même métal. Je ne parle pas du tonus, je le prends et il est droit comme un i, toujours aussi  peu effarouché et je note tout cela dans le carnet de santé qui, de loin et dans le brouillard, a l'air rempli. La jeune mère a surtout envie que je pèse et que je mesure son enfant. Je l'interroge sur les éventuelles régurgitations la moquette, les doudous dans le lit, le vieil interrogatoire des "allergiques" et des "reflueurs"
Je signale aux deux femmes que le port de tête de A indique qu'il a un petit torticolis (on me l'a dit, on nous l'a dit) et qu'il existe une (petite) plagiocéphalie (qui me rappelle celle de l'oncle). Je l'écris dans le carnet et je donne quelques conseils classiques (position de couchage en fonction de la forme de la plagiocéphalie, mouvements de décontraction du cou avec ébauches de roulade, et cetera) avant d'entendre la jeune grand-mère me demander :"Ce n'est pas la peine d'aller voir un ostéopathe ?" et cela me rappelle furieusement une autre consultation de nourrisson qui m'avait laissé un mauvais goût dans la bouche (ICI). Je lui donne ma position sur l'ostéopathie, ce que d'aucuns appelleraient un avis d'expert, et j'entends dire la jeune mère, qui travaille comme vendeuse à La Grande Braderie et dont le compagnon (je l'apprends après mais je le dis tout de suite) est à la recherche d'un emploi... que, de toute façon, à 50 euro la consultation non remboursée, ce n'était pas possible...
Bon.
Je mesure A, je le pèse sur ma (vieille) balance de bébé non électronique (un conseil : manipulez vous même le nourrisson et ne le confiez pas à la maman ou au papa pour le déposer sur le plateau : dans le premier cas le bébé ne pleure pas et, dans le second, il pleure...) et je tourne les pages des vaccins : l'enfant n'a aucun vaccin !
Je regarde la jeune mère, la jeune grand-mère, je feuillette le carnet où je vois le cachet d'un médecin généraliste et celui d'un pédiatre... et, de ma voix calme d'hypocrite absolu : "Comment se fait-il que A n'ait pas été vacciné ?" La jeune mère regarde la jeune grand-mère qui me regarde : "Le médecin généraliste que nous consultons n'a pas eu le temps de les faire et il a dit, la dernière fois, que ce n'était pas pressé."
Le monde à l'envers.
Il se trouve que je connais de nom le médecin généraliste (c'était dans une autre vie) et, à moins qu'il se soit laissé tenter par une secte anti vaccin, je ne me le rappelais pas d'un anti conformisme absolu : il était plutôt je fais tout dans les règles.
"Et la pédiatre, il n'a pas vacciné ?" osais-je. La grand mère : "Elle était surtout préoccupée de nous envoyer chez l'ostéopathe..."Moi : "Ah bon ? - Oui, elle nous a dit que si nous ne faisions rien A pouvait avoir des problèmes de développement neurologique. - Hum. - Je lui ai parlé de ma fille qui avait eu le même genre de déformation et qui n'avait pas eu de problèmes et elle m'a dit 'Oui, mais les filles, cela se remet mieux' et je lui ai parlé de mon autre fils... et elle n'a plus rien dit" 
Voilà pourquoi A ressemblait à son oncle : c'était la plagiocéphalie... Et, effectivement, à l'époque, j'avais beaucoup hésité à le faire consulter un pédiatre de l'hôpital... C'était il y a 16 ans... Il aurait peut-être échappé à l'ostéopathe...
Nous nous réinstallons de part et d'autre de mon bureau et je note cette fois dans l'ordinateur ce que j'ai écrit dans le carnet de santé... Je suis sur le point de rédiger l'ordonnance des vaccins quand la jeune mère me dit qu'elle les a déjà mais qu'elle ne les a pas apportés car son bébé toussait.
Rien n'est simple.
Au moment de payer et pendant que je vois la jeune grand-mère (qui est ouvrière d'usine) sortir son carnet de chèques je leur dis que ce n'est pas la peine, que je me ferai payer en consultation de nourrisson. 
La jeune mère n'en revient pas.
Il est possible que les problèmes financiers l'aient fait reculer pour certaines consultations, même remboursées.
J'ai fini par leur donner deux adresses de médecins situés dans leur coin en leur disant qu'ils pouvaient  se recommander de moi.

(Illustration : à partir d'un blog parlant de déformations délibérées des têtes dans les civilisations pré colombiennes pour des raisons culturelles et familiales : ICI)

PS du 17 mai 2015 : Le site de l'ostéopathie est un endroit où l'on peut lire des choses, disons, délirantes, au sens clinique du terme. LA.