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dimanche 4 septembre 2011

Art Pepper était-il un grand saxophoniste malade ?


Art Pepper est un saxophoniste dont je reconnais le phrasé à la première note. J'exagère un peu. Il m'est déjà arrivé de le confondre, en aveugle, avec Paul Desmond. Son style me fait flancher dans une sorte de sentimentalisme incontrôlable.
Il ne fait pas partie, cependant, de la première division des saxophonistes, cette fameuse première division qui est universelle, au delà des influences régionales et des appartenances stylistiques. Cette première division existe aussi pour le roman (Conrad, Kundera, Musil, Proust pour les contemporains car, dans la nuit des temps, il y en aurait d'autres) comme pour la musique (je ne cite rien : trop compliqué).
Disons, pour situer mon point de vue que la première division des saxophonistes comprend John Coltrane, Eric Dolphy, Charlie Parker ou Sonny Rollins, mais ce n'est pas exhaustif, et que dans la deuxième division il y a, par exemple, Paul Gonsalves ou Johnny Hodges et Cannonball Aderley... et Archie Shepp.
Bon, si je vous disais pourquoi j'ai écrit ce post...
Art Pepper est cité par Wikipedia en français : ICI. Quatorze lignes de biographie parmi lesquelles six sont consacrées à la drogue. Wikipedia en anglais est encore plus mince sur sa carrière mais il existe une discographie plus nourrie : ICI. Nous avons le droit à une phrase qui n'est pas piquée des hannetons : Remarkably, his substance abuse and legal travails did not affect the quality of his recordings, which maintained a high level of musicianship until his death from a brain hemorrhage.
Bon, je jette un oeil dans le Dictionnaire du Jazz (Laffont Bouquins) : une colonne un quart. C'est la description d'aller et de retours entre la musique la drogue et les "démêlés sentimentaux". Mais, heureusement, il y a le dernier paragraphe : "... Son exceptionnelle maîtrise du saxophone alto en fait l'un des plus remarquables stylistes de l'instrument. Totalement original, son jeu conjugue une exemplaire mise en place rythmique et une invention mélodique quasi illimitée... Car si, chez Art Pepper, la phrase chante, elle bouleverse aussi, tant l'émotion qui la sous-tend, pour contenue qu'elle demeure, y signe en permanencela fêlure d'un destin tragique mais sincère."
Art Pepper, on le sent, est un malade, pas un délinquant, un toxicomane, et il semble que cette maladie, selon les textes que j'ai lus, influe sur son style de jeu. Sainte-Beuve a encore gagné contre Proust ! Tout autant que la critique sociologique. Ou d'obédience freudienne.
J'aimais écouter Art Pepper avant même de savoir qu'il était toxicomane (je ne sais plus, voirICI, si écrire une telle chose, Art Pepper est toxicomane, est médicalement faux, sociologiquement idiot, moralement inapproprié, politiquement incorrect ; être à la mode est une entreprise impossible).
Il est probable, comme on dit, que s'il l'avait moins été, toxicomane, il aurait fait plus de tournées, enregistré plus d'albums, eu plus de célébrité.
Je n'ai pas lu, ni sur Wiki, ni ailleurs, que c'est grâce à la drogue que son style "inimitable" s'est affirmé. Nous l'avons échappé belle !
Il ne vous reste plus qu'à écouter Art Pepper : LA.
Toujours est-il que j'ai perçu son style "déchirant" ou "tragique" avant même de savoir qu'il en prenait, de la drogue.
Donc, je suis content : j'ai apprécié Art Pepper sans savoir qu'il était toxicomane et, maintenant que je le sais, cela ne change rien à mon jugement (juste un peu...).
Je me ballade sur le net pour en savoir plus et je tombe sur un passage de son livre "Straight Life" qu'il a écrit avec sa femme, Laurie. Cela me rappelle des trucs que j'ai déjà lus, sur la drogue, sur les jazzmen, sur la dèche à Los Angeles ou à San Francisco, sur John Fante, Kerouac et autres, beat generation ou pas, les jazzmen à la recherche de leur dope, de leur alcool, de leur voie, Charles Mingus ("Beneath the underdog"), Dizzy, Chet...
Je lis ce texte ICI et je me rends compte que j'avais des idées préconçues sur Art Pepper : quand on écrit des choses pareilles, il n'est pas possible, désolé Marcel (Proust), qu'il n'y ait pas d'influences entre les deux Moi, le Moi intime et le Moi de l'artiste, les "biographes" d'Art Pepper avaient donc raison de parler de sa toxicomanie, cela a dû le modifier...
Enfin, je n'en sais rien, après tout.
Il est aussi possible qu'Art Pepper, avec l'aide de sa femme, ait, aussi, voulu justifier sa carrière inaboutie, ses solos gâchés, ses engagements dans des boîtes minables, en écrivant ce livre : conscient de ses limites, il a alimenté sa propre légende.
J'aurais dû continuer d'écouter Art Pepper en dilettante, en instinctif, ne pas me mêler de lui en écrivant ce post, sûrement pour me mettre en avant, pour me faire passer pour un mélomane émérite, un médecin généraliste qui écoute du jazz ne peut pas être franchement mauvais... J'en sais désormais trop sur lui pour m'arrêter en si bon chemin.
Et je découvre aussi un auteur dont je n'avais jamais entendu parler et dont je n'avais donc jamais lu un quelconque écrit : Marc Villard, c'est sur son site que j'ai trouvé l'extrait .
Intéressant. Allez y jeter un oeil.
Je n'ai toujours pas résolu le problème de bien-pensance suivant : l'addiction est-elle une maladie quand il s'agit de l'héroïne, de l'alcool, mais pas du tabac. Ai-je bien compris ? Ou alors : tout dépend des bonnes intentions de chacun et des miennes en particulier. Suis-je obligé de donner des gages ?

jeudi 11 novembre 2010

JEUX DE RÔLE EN MEDECINE GENERALE ET DANS LA SOCIETE EN GENERAL


J'écoutais le vendredi 22 octobre 2010 (dans ma voiture) l'émission de Marc Voinchet sur France-Culture (ici) qui était consacrée ce à la francophonie et les propos des deux invités, à gauche Abdourahman A. Waberi (son site) et à droite Koffi Kwahulé (wiki), ont failli m'envoyer dans le décor. Ils ont dit, je résume en synthétisant, qu'ils préféraient avoir affaire à un bon blanc raciste qu'à un bon blanc pétri de bonnes intentions et antiraciste a priori. Ils disaient : avec un raciste nous savons à quoi nous en tenir avec un antiraciste nous ne savons jamais quel rôle il va nous assigner. Leur assigner ? Eh oui, un bon noir francophone doit être progressiste, un bon noir doit écrire comme Césaire, comme Senghor ou comme Fanon. Pas comme Kundera ou Voltaire ou Roth. Le non raciste, continuaient-ils, a autant d'idées préconçues que le raciste sur la question noire et voudrait, en toute bonne foi, nous relèguer dans la division régionaliste de la littérature ou de la culture, la périphérie de la francophonie qui est déjà à la périphérie du monde anglosaxon. Nous sommes francophones, poursuivaient-ils, mais nous ne voulons pas être des écrivains francophones, nous sommes des écrivains du monde qui écrivent, accessoirement, en français.
Pourquoi je vous dis cela ?
Parce que je m'interrogeais l'autre jour, en lisant un forum médical, sur le rôle qui était assigné aux malades.
Tous les braves gens qui ne jurent que par La Médecine Par les Preuves (en anglais) et l'Evidence Based Medicine (en français) (EBM) - ici - ne cessent d'exprimer leur corporatisme (au sens clérical du terme : je suis médecin et je suis le dépositaire du savoir et j'ai fait des études et j'ai une position sociétale et j'ai réfléchi sur mon statut et je sais ce que pense "mon" malade et je me mets à sa place et je sais ce qui est bon pour lui et je sais ce qui n'est pas bon pour lui...) et croient encore (pour certains) que le volet Patients du questionnement EBM comprend les agissements (wrongdoings) des patients alors que le texte fondateur de Sackett parle de Patients' Values and Preferences (ici encore).

Waberi et Kwahulé posent la question fondamentale du rôle que l'on assigne aux autres.

Revenons à la médecine (générale).
Prenons l'exemple du toxicomane (héroïne).
Monsieur A vient pour qu'on renouvelle sa prescription de subutex.
Le docteur B1 renouvelle la prescription sans se poser de questions.
Le docteur B2 renouvelle la prescription sans poser de questions.
Le docteur B3 renouvelle la prescription en répondant lui-même à la question qu'il se pose : Oui, je suis un grand médecin altruiste qui s'occupe de toxicomanes à l'héroïne contrairement à tous ces salauds qui trouvent que les toxicomanes puent et qui les considèrent comme des délinquants.
Le docteur B4 renouvelle la prescription en quêtant dans le regard du patient la reconnaissance du juste qui prescrit du subutex pour le bien de l'humanité.
Le docteur B5 renouvelle la prescription en quêtant dans le regard du malade la reconnaissance de son statut de citoyen qui n'est pas dans le camp de la police ou de la magistrature.
Le docteur B6 renouvelle la prescription en sachant qu'il participe à la grande aventure du progrès ininterrompu de l'espèce humaine contre l'injustice de cette société qui considère les toxicomanes à l'héroïne comme des délinquants.
Le docteur B7 renouvelle la prescription en répondant tout seul aux questions que serait supposé se poser le patient ou malade.
Le docteur B8 renouvelle la prescription en se flattant de considérer la personne qui est assise en face de lui comme un malade et non comme un délinquant.
Le docteur B9 renouvelle la prescription en se rengorgeant du fait qu'il a réussi à obtenir pour ce malade une ALD (Affection de Longue Durée) pour troubles graves de la personnalité.
Le docteur B10 renouvelle la prescription (qui comprend en outre une benzodiazépine) sans examiner les bras de son patient.
Le docteur B11 renouvelle la prescription en sachant que le patient "fixe" le subutex.
Le docteur B12 renouvelle la prescription en sachant que le patient "snife" le subutex.
Le docteur B13 renouvelle la prescription en sachant que le patient consulte un autre médecin.
Le docteur B14 renouvelle la prescription sans poser de questions en sachant que 59,6 % des usagers de subutex continuent d'utiliser des opiacés.
Le docteur B15 renouvelle la prescription de subutex sans poser de questions sur l'alcool, le shit, le tabac...
Le docteur B16 renouvelle la prescription sans connaître le statut sida ou hépatite(s) de ce patient.
Le docteur ad libitum....

Et, comme vous le voyez je n'ai même pas parlé du médecin qui refusait de prescrire du subutex (et n'acceptait que de prescrire de la buprénorphine), du médecin qui refusait d'augmenter les doses, du médecin qui refusait de prescrire, du médecin qui se fâchait, du médecin qui n'acceptait pas, du médecin qui considérait que le patient était un malade, du médecin qui considérait que le patient était un délinquant...

Le subutex sauve des vies.

Est-ce suffisant pour ne se poser aucune question ? Est-ce suffisant pour se dire que la drogue n'est que le stigmate des sociétés modernes capitalistes ou post capitalistes ? Est-ce suffisant pour assigner le rôle de victime au toxicomane à l'héroïne ?

Le subutex sauve des vies.

Est-ce suffisant pour assigner au toxicomane à l'héroïne le statut (et le rôle) de malade plutôt que de délinquant ? Pourquoi en faire un malade ? De quel droit ?

Le subutex sauve des vies.

Est-ce suffisant pour ne pas s'interroger sur le rôle du prescripteur de subutex dans l'esprit du consommateur de subutex ? Comment savoir si le consommateur non malade non délinquant de subutex ne considère pas le médecin prescripteur comme un bon samaritain dealer incapable ?

A un autre jour.

Merci à nos deux écrivains "francophones" qui ne veulent pas qu'on leur assigne le rôle d'écrivains francophones mais simplement d'écrivains.
Merci à nos consommateurs de subutex de nous dire comment ils veulent qu'on les appelle ou s'ils n'ont pas envie, du tout, qu'on les appelle.